UNIVERSITYOF
TORONTO LIBRARY
The
JasonA.Hannah
Collection
in the History
of Médical
and Related
Sciences
s
TRAITÉ DE STOMATOLOGIE
VI
ANESTHÉSIE
LISTE DES COLLABORATEURS
BAUDET Chirurgien des hôpitaux de Paris.
BELOT Assistant de radiologie à l'hôpital Saint-Antoine.
BESSON Chef du laboratoire de bactériologie de l'hôpital Péan.
DAUGUET Démonstrateur à l'Ecole française de Stomatologie.
BRÉCHOT Prosecteur à la Faculté de médecine de Paris.
DIEULAFÈ Professeur agrégé à la Faculté de médecine de Toulouse.
DUVAL (PIERRE) Professeur agrégé à la Faculté de médecine de Paris, cliirurgien
des hôpitau.x.
FARGIN-FAYOLLE 'P.). Professeur suppléant à l'Ecole française de Stonialologie.
Dentiste des hôpitau-x de Paris.
FERRIER (J. Dentiste de l'hôpital Beaujon.
FERRIER P.) Ancien interne des hôpitaux de Paris.
FOURNIER (L.) Médecin des hôpitaux de Paris.
GAILLARD Anc^ien président de la Société de Stomatologie, Professeur â
l'Ecole française de Stomatologie, dentiste des hôpitaux de Paris.
GAUMERAIS Dentiste de l'hôpital Pasteur.
GUIBAUD (M.) Docteur en médecine.
HERPIN (A.) Ancien aide d'anatomie à l'Ecole de médecine de Clermont-
Ferrand, dentiste à l'hospice des Ouinze-Vingls.
KOENIG Laryngologiste et auriste de l'hôpital Holy Trinity Lodge,à Paris.
LEBEOINSKY Professeur à l'École de chirurgie dentaire, dentiste des hôpitaux
de Paris.
MAHÉ Dentiste des hôpitaux de Paris.
NESPOULOUS Dentiste des hôpitaux de Paris.
NOGUÉ (R.) Professeur à l'Ecole française de Stomatologie, Dentiste des
hôpitaux de Paris.
TERSON (A.) Ancien chef de clinique à la Faculté de médecine de Paris.
DIVISION DES FASCICULES
Fasc. 1. — Anatomie de la Bouche et des Dents, par les D" Dieulafé et
Herpin. 1 volume 6 fr.
Fasc. II. — Physiologie, Bactériologie, Malformations et Anomalies delà
Bouche et des Dents, Accidents de Dentition, par les
D''*Gi'iBAi'D, Nor.iE, Besson, Dieulafé, Herpin, Baudet, Fargin-
Fayoi.le. 1 volume 12 fr.
Fasc. 111. — Maladies des Dents et Carie dentaire, par les D" Dieulafé,
Herpin et .Nor.iÉ.
Fasc. IV. — Dentisterie opératoire, par les D""^ Fargin-Fayolle, Mahé,
R. .No(;uÉ, P. .Nespoulous.
Fasc. V. — Maladies paradentaires. Hygiène et Prophylaxie de la
Bouche et des Dents, parles D" Nogué, Dauguei, Fargin-
Fayolle, KctMG, Lebedinsky, Mahé, Terson, Gaumerais,
CruiBAUD. 1 volume 12 fr.
Fasc. \I. — Anesthésie, par le D'' Nogué. 1 volume 12 fr.
Fasi:. VII. — Maladies de la Bouche, par le D'' L. Fourmer.
Fasc. VIII. — Maladies chirurgicales de la Bouche et des Maxillaires, par
les D" Dieulafé, Herpin, Baudet, Pierre Duval,Bréchot. 12 Ir.
Fasc. IX. — Orthodontie, Radiologie, par les D" Gaillard et Belot.
Fasc. X. — Prothèse buccodentaire et faciale, par le D"" Gaillard.
8919. — CcRBElL. Imprimerie CrÉTÉ.
TRAITE DE STOMATOLOGIE
Publié en fascicules
SOIS l.\ D1RF.CTI0N DE MM.
Le D- GAILLARD Le D-^ NOGUE
Pmfssseiir <\ IKcole fr,ini;aise de Stomatologie Professeur à l'École française de Stomatologie
Dentiste des Hôpitaux de Paris. Dentiste des Hôpitaux de Paris.
YI
ANESTHÈSIE
Le D^ NOGUE
PROFESSEUR A L ECOLE FRANÇAISE DE STOMATOLOGIE
DENTISTE DES HÔPITAUX DE PARIS
Avec 102 figures intercalées dans le texte.
PARIS
LIBRAIRIE J.-B. BAILLIÈRE et FILS
19, Rue Hautefeuille, près du Boulevard Saint-Germain.
1912
Tous droits rései-vés.
Digitized by the Internet Archive
in 2010 with funding from
University of Ottawa
http://www.archive.org/details/traitdestomato06gail
TRAITÉ DE STOMATOLO(;iE
•i I1I.I1-: sors i.A i)im£CTio> i>ii
MM GAILLARD et NOGUÉ
ANESTHÉSIE
PAH
le D^ NOGUÈ,
Dentiste des hôpittiux di- Paris.
Pour nous conformer à l'esprit de ce Traité, nous devons envi-
sager ici Tanesthésie dans ses rapports surtout avec la stomato-
logie. C'est ce que nous nous sommes elïorcé de l'aire en étudiant
de préférence et aussi complètement que possible toutes les méthodes
applicables à celte branche de la médecine. Prenons, par exemple,
les anesthésiques généraux. Tandis que, au point de vue scientifique,
ils présentent tous le même intérêt, au point de vue particulier
qui nous occupe quelques-uns méritaient de retenir plus spécia-
lement notre attention. Tels sont les anesthésiques à action rapide
comme le protoxyde d'azote et le (dilorure d'éthyle, pour nous d'un
usage journalier. Du bromure déthyle, au contraire, auquel nous
faisons rarement appel et que nous jugeons sans aucun avantage,
nous avons beaucoup moins parlé. Ouant à l'éther et au chloro-
forme, bien que réservés aux grandes interventions et rarement
utilisés dans la chirurgie dentaire proprement dite, bien qu'étudiés
à fond dans tous les traités danesthésie, comment les passer sous
silence? En outre de leur rôle prépondérant dans les recherches
physiologiques, la connaissance de leur action clinique comparée
à celle des autres agents moins importants était indispensable pour
bien comprendre les indications des uns et des autres.
A côté de ces anesthésiques, pour ainsi dire classiques, beaucoup
d'autres ont été expérimentés qui n'ont pas eu le même succès.
Fallait-il les laisser systématicpiement dans l'ombre? Nous avons
pensé qu'il pouvait être utile d'en citer quelques-uns, car tel d'entre
Traité de STOM.vTOiiOGiE . VI. — 1
2 NOGUÉ. — ANESÏHESIE.
eux ([ui est aujourd'hui dédaigné peut demain entrer dans la pratique
courante. Beaucoup de ces essais, d'ailleurs, mériteraient d'être
repris.
D'autres méthodes, au contraire, encore à l'étude, ne sont pas sor-
ties du domaine des laboratoires. Est-ce à dire qu'elles ne puissent
retenir un instant l'attention du médecin? Trop souvent elles ont
souflert d'un injustifiable dédain, alors qu'elles contenaient peut-
être en germe l'anesthésie de l'avenir.
L'historique même de l'anesthésie est là pour le prouver.
Pour l'anesthésie locale, qui joue un si grand rôle en stomato-
logie, nous nous sommes longuement étendu et sur les anesthésiques
eux-mêmes, et sur les différentes manières de s'en servir. Les
méthodes courantes ont été plus spécialement étudiées, comme il
était naturel, puisque c'est à elles que le praticien a surtout recours.
Mais ici encore, d'autres procédés toujours applicables il est vrai au
système dentaire, ont été également décrits. Il est même certaines
méthodes, spéciales à d'autres régions, dont nous avons cru néces-
saire de parler en raison des enseignements qu'elles pouvaient
fournir.
Enfin la rachianesthésie, hier encore si étrangère à la stomatologie,
permet aujourd'hui d'obtenir l'insensibilité de la tête et du tronc.
Peut-être sera-t-elle demain, pour les régions mêmes qui lui avaient
été si longtemps interdites, le procédé le plus inotîensif et le plus
sûr. Nous n'avons donc pas à nous justifier de l'avoir comprise dans
notre travail.
Nous avons pensé enfin qu'il ne saurait être déplacé de faire
précéder l'étude des anesthésiques et de l'anesthésie elle-même de
quelques considérations sur la douleur. Les recherches de la physio-
logie moderne nous ont permis de mieux comprendre ce phénomène
complexe. Sans parler de l'intérêt spéculatif et biologique d'un tel
sujet, auquel nul médecin ne saurait rester indifférent, les données
expérimentales acquises pouvant trouver dans la pratique les plus
heureuses applications. Et il ne saurait faire de doute que, dans
l'avenir, une connaissance plus approfondie du mécanisme intime,
des modalités et des variations de la douleur n'aide puissamment
aux progrès de l'anesthésie.
HISTORIQUE.
/. - HISTORIQUE.
Sans aucun doulc la découverte de Tanesthésie a marqué pour la
chirurgie moderne une ère nouvelle. Mais, avant cette date mémo-
rable, dès la plus haute antiquité et pendant tout le moyen âge, de
perpétuels efl'orts avaient été faits pour atténuer ou supprimer la
douleur. Lécho de ces tentatives ne nous est malheureusement
parvenu que très affaibli et, dans les textes tronqués des auteurs
comme dans les traditions orales, nous ne trouvons l'exposé d'aucune
méthode efficace et complète. Néanmoins on s'illusionnerait étran-
gement si l'on supposait l'ancienne médecine totalement dépourvue
de données précises sur un si important sujet et incapable de toute
action utile. Le peu qui nous a été transmis sur ces pratiques quasi
légendaires permet au contraire de penser, à notre sens du moins,
qu'elles avaient une très réelle valeur.
Néanmoins, on peut dire que la véritable découverte de l'anes-
Ihésie chirurgicale date du 10 décembre 1884, jour mémorable où
Horace Wells, modeste dentiste de Hartford, dans le Gonnecticut,
eut l'idée, qu'il mita exécution dès le lendemain, d'appliquer le pro-
toxyde d'azote à l'extraction des dents.
Voici dans quelles circonstances se produisit la découverte de
Tanesthésie chirurgicale, d'après le récit du D*" J.-B. Rottenstein
et de Truman Smith (1) :
« Le 10 décembre 1844, demeurait dans la ville de Hartford
(Vermont) un citoyen nommé Horace Wells. Né à Hartford, il s'y
était établi à l'âge de vingt et un ans et y exerçait la profession de
chirurgien-dentiste depuis un certain nombre d'années. C'était un
homme à l'œil vif, à l'esprit fin, un penseur ardent, enthousiaste,
digne de confiance en tout point, dont la constitution physique était
aussi délicate que sa nature morale et intellectuelle était sensible.
Jamais personne ne posséda la confiance d'une communauté plus
pleinement qu'il n'avait celle de Hartford. L'inimitié lui était incon-
nue. L'amitié et l'estime s'attachaient partout à ses pas.
(( Dans la soirée de ce même 10 décembre 1844, Horace Wells
assistait, avec sa femme, à un cours de chimie fait par le D'" Colton,
pendant ou après lequel ce dernier administra au D' Wells,
à M. Cooley et à quelques autres personnes, le protoxyde d'azote.
M. Cooley, placé sous l'influence du gaz, fut extraordinairement
excité : il roula sur le plancher et s'y livra à toutes sortes d'évolutions
et de mouvements circulaires, pendant lesquels il se meurtrit les
jambes en se heurtant contre les bancs, fait dont le D"" Wells prit
(1) An inquiry into the origin of modem anesthesia, by the Hon. Trtjmau
Smith and J.-B. Rottenstein, Traité d'anesthésie chirurgicale, Paris, 1880.
4 NOGUÉ. — ANESTHÉSIE.
note. Lorsque Cooley fut revenu à lui, Wells demanda si les bles-
sures qu'il s'était laites lui avaient été douloureuses ; il répondit
qu'il n'avait nullement coiiscience d'avoir reçu aucune blessure;
mais, en relevant son vêtement, le sang apparut en abondance. Wells
se tourna immédiatement Aersson ami, assis près de lui, et lui exprima
l'opinion qu'on pouvait, en respirant ce gaz, devenir insensible au
point de se faire arracher une dent sans éprouver de douleur. En
rentrant chez lui, il exprima de nouveau cette opinion à sa femme et
la répéta encore à un confrère, qu'il invita à examiner ce sujet le soir
même.
« Après être resté quelque temps à rétléchir sur cette matière, le
D' Wells déclara qu'il était résolu à prendre le gaz le lendemain et
à se faire arracher une mauvaise dent (une forte molaire), ce qui
témoigne en faveur de la netteté de sa théorie. « (Test bien, s'écria
« son ami, il est juste que nous commencions les expériences sur nous
« mêmes. » Le lendemain matin, Wells appela le D'^ Colton et lui
exposa le fait qu'il avait observé, en même temps que les remarques
qu'il avait faites sur ce sujet et l'invita à se munir d'un ballon de gaz
pour cet usage, ce qui fut fait. Quand tout le monde fut réuni,
Wells se plaça lui-même dans la chaise d'opération. Colton lui
administra le gaz et, dès que le patient fut mis sous son influence,
le confrère lui arracha la dent. Wells revenu à lui s'écria : « Une
« nouvelle ère dans l'extraction des dents ! Cela ne m'a pas fait plus
« de mal qu'une piqûre d'épingle 1 »
«Wells avait donc, le 10 décembre 1844, signalé le phénomène de
l'anesthésie et déduit toute une théorie, confirmée par son heureuse
expérience du lendemain. Tout est donc parfaitement clair et précis
dans sa découverte.
« l°Idée théorique: suppression de la douleur pendant les opérations
chirurgicales : 2° idée pratique : emploi par inhalation d'un agent
anesthésique, le protoxyde d'azote.
« On ne peut donc reprocher à cet inventeur d'avoir manquer de
netteté et de précision, aussi bien dans la conception que dans
l'application de sa méthode d'anesthésie. »
Wells avait fait {)art de sa découverte aux D" Morton et Jackson.
Le premier avait été son élève à Hartford pendant les années 1841
et 1842, puis s'était établi à Boston, où il resta associé avec son
ancien maître. 11 était en pension chez le D"" Jackson.
D'après Truman Smith (1), qui cite à ce sujet une série de témoi-
gnages d'hommes d'une honorabilité indiscutable, Wells avait,
dès l'année 1845, étudié longtemps les propriétés de l'éther sulfu-
rique; s'il n'en adopta pas l'usage, c'est qu'il le trouva inférieur au
protoxyde d'azote.
(1) Truman Smith, loc. cil., p. 51 et 54.
IlISIORigUE. 3
C'esl ù celle ép()(|vie (jue son élève .Morlon expérinienla systéinali-
([uement l'élher sullurique.
Morloii et Jackson prirent ensenihlc un brevet le -21 octobre 1846
pour -^'assurer le bénéfice de ce mode d'aneslhésie. Ils avaient
même niélaiiyé à l'élher de l'essence de néroli pour en déguiser
l'odeur et donné au mélange ainsi obtenu \c nom de lélhéon. Le
10 septembre ISiC), Morton avait arraché une dent au nommé Eben
Frost, endoriui à l'aide de cet agent. Les 17 et 18 octobre, il anes-
Ihésia deux malades des D'** Heywood et Warren avec un plein succès.
Ceux-ci exigèrent ensuite que la nature de l'agent anesthési(|ue leur
lut dévoilé avant de (^ontinvier les expériences.
Le l'2 janvier 1847, Malgaigne fait connaître à l'Académie de
médecine de Paris les heureux résultats obtenus (1). Peu après, le
18 janvier, Velpeau signale cette découverte à l'Académie des
sciences. « Le fait est un des plus importants qui se soient vus; un
fait dont il n'est déjà plus possible de calculer la portée, qui est de
nature à remuer, à impressionner profondément non seulement la
chirurgie, mais encore la physiologie, voire même la psychologie (2).
Les autres chirurgiens français, .L Cdoquet, Roux, confirmaient
bientôt la découverte.
Les physiologistes, à leur tour, étudièrent l'action del'éther dans
l'organisme. Flourens (3) reconnut et observa l'existence de pro-
priétés anesthésiques dans l'éther chlorhydrique et dans le chloro-
forme. Les effets obtenus avec ce dernier corps furent plus rapides
et plus énergiques (jue les effets obtenus avec l'éther. Mais ces expé-
riences ne lurent malheureusement pas répétées sur l'homme.
En Angleterre, les propriétés anesthésiques du chloroforme étaient
découvertes accidentellement par un étudiant en médecine, M. Fur-
nell et, quelques mois plus tard, par un chirurgien d'Edimbourg,
Simpson.
Le chloroforme fut alors employé concurremment avec l'éther, et
depuis cette époque la question reste ouverte sur les avantages et les
inconvénients de l'un et de l'autre. En Amérique, l'éther conserve la
faveur des chirurgiens; en France, l'école de Lyon l'emploie systé-
matiquement: tandis que, dans la plupart des autres villes, le chlo-
roforme est préféré. En Allemagne et en Angleterre, les deux
anesthésiques sont également utilisés.
Tandis que l'éther et le chloroforme avaient dans les deux conti-
nents une si brillante fortune, le protoxyde d'azote était complè-
tement abandonné.
Ce fut en juin 186.3, c'est-à-dire vingt ans après la mémorable
découverte de Wells, que le protoxyde fut remis en honneur à loc-
(1) Malgaigne, Bull, de l'Acad. Je méJ., 1847, t. XII, p. 262.
(2) Velpeau, C. R. Acad. des sciences, 1847, t. XIV, p. 133.
(3) Flourens, C. R. Acad. des sciences, 1847, t. XXIV, p. 342.
6 NOGUÉ. — ANESTHESIE.
casion dune leçon de chimie que le D' Golton faisait dans le Connec-
licut, à New-Haven : « J'avais eu, dit-il (1), Tidée de faire précéder
mon cours de quelques notions historiques sur la découverte de
Tanesthésie. Je racontais notre expérience faite avec Wells en 1844,
et j'ajoutais incidemment que, depuis cette époque, il m'avait
été impossible de rencontrer un dentiste qui voulût de nouveau
appliquer le proloxyde d'azote à l'anesthésie. A la fin du cours, un
dentiste de la ville, le D"" Smith, vint à moi et me dit qu'il était
prêt à extraire une dent à l'aide du protoxyde d'azote, à la condition
que je voulusse administrer moi-même le gaz sous ma propre res-
ponsabilité. Je fis connaître cette résolution à mon auditoire, et nous
commençâme à extraire des dents à l'aide de ce procédé anesthésique
dans le cabinet du D' Smith. Nous obtînmes un tel succès qu'en
moins de trois semaines nous avions pi-atiqué plus de trois mille
extractions dentaires. Ce succès extraordinaire que j'obtins alors me
détermina à fonder à New- York un établissement affecté spéciale-
ment à l'extraction des dents pendant l'anesthésie proto-azotée. » Du
4 février 1864 au commencement de l'année 1880, plus de cent mille
anesthésies avaient été faites sans le moindre accident. L'usage des
gaz se généralisa alors en Amérique, en Angleterre et dans toute
l'Europe.
En 1880, Paul Bert fit ses mémorables expériences sur l'anesthésie
par le protoxyde mélangé à l'oxygène sous pression. Il en montra
l'innocuité absolue. Celte méthode fut appliquée par Péan et le
Dr Labbé à l'hôpital Saint-Louis de Paris, par le D' Azam à Bor-
deaux, Deroubaix à l'hôpital Saint-Jean de Bruxelles, les D" Roussy
et Guillermin à Genève, Claude Martin à Lyon. Malheureusement
ce procédé nécessitait une installation des plus coûteuse et on sex-
plique très bien qu'il n'ait pu. malgré l'admirable sécurité qu'il
offrait, se généraliser.
En 1883, Paul Bert montra qu'on pouvait obtenir, par le mélange
d'oxygène et de protoxyde d'azote à la pression normale, chez les
animaux, un sommeil suffisant pour de courtes interventions. Cette
communication fut le point de départ des recherches de Klikowitsch,
Bing, Ribnitzky, Schrauth, Hillischer et Swiecicki en Allemagne et
en Autriche, de Dudley Buxton et Hewitt en Angleterre, recherches
qui aboutirent à la création d'appareils permettant l'emploi dans la
pratique de cette nouvelle méthode.
Clover, en Angleterre, faisait passer dans la chirurgie courante
l'usage du protoxyde d'azote et de l'éther associés, le premier ser-
vant au début de l'anesthésie.
En 1872, Oré (de Bordeaux) proposa l'emploi du chloral en injec-
tions intraveineuses. Il se servait pour cela d'une solution à 0,25 p. 100
(1) Lettre au D"" Rottenstein, loc. cil.
mSTORIQUE. 7
dont il injcclail 4 à 10 i::raiiinies. Mais celle niélliodc, à cause des
dangers d'embolie auxijuels elle exposait, ne se vulg-arisa pas.
En 187(> et 1877, le bromure d'étliyle, qui avait déjà été employé
comme anesthésique ii^énéral par Nunneley (de Leeds), en 1849, fui
conseillé parRabuteau, puis appliqué par Tornbull et Lewis (de Phi-
ladelphie!. Son usage se répandit ensuite pour les opérations dentaireS'
et surtout en oto-rhinologie.
En 1894, le chlorure d'éthyle, dont Flourens en 1847 avait signalé
les propriétés anesthésiques, entra dans la pratique par le fait
d'un hasard. Le dentiste Carlson (de Gothenburg) et Tannée suivante
(1895) son collègue Thiesing(d'Hildesheim), en pulvérisant ce liquide
sur les gencives de leurs malades pour obtenir l'anesthésie par
réfrigération, remai-quèrenl qu'ils provo(|uaient parfois l'anesthésie
générale. Depuis cette époque, le chlorure d'éthyle a été accepté
comme un des meilleurs anesthésiques pour les opérations de
courte durée.
Enfin, dans ces dernières années, le P"" Leduc (de Nantes)
a tenté d'obtenir l'anesthésie générale par l'action de Télectricité.
Ses recherches, d'ailleurs du plus puissant intérêt, n'ont pas encore
abouti à une méthode couramment applicable à la chirurgie.
L'histoire de l'anesthésie locale, bien que remontant à l'antiquité,
ne présente guère d'intérêt qu'à partir de l'application de la cocaïne.
La compression exercée au niveau des troncs nerveux avait déjà
permis l'amputation d'un membre sans douleur dès 1676.
James Moore, en 1784, put faire à l'aide de son tourniquet et avec
le même succès la même opération. Plus tard Theden et Liegeard
{de Caen) conseillèrent la ligature du membre.
L'application du froid comme procédé d'anesthésie locale marqua
un progrès. Le point de départ devrait, d'après Raphaël Dubois, en
être recherché dans les expériences de Hunter, qui démontrait que
l'on pouvait, après avoir soumis l'oreille d'un lapin à un mélange
réfrigérant, lui faire subir des mutilations sans que l'animal parût
ressentir de la douleur. Larrey, pendant la campagne de Russie, aurait
utilisé l'action du froid dans certaines amputations.
James Arnott (de Brighton) appliqua le premier le mélange de
glace et de sel marin pour obtenir une anesthésie locale. Il vint
en 1849 à Paris, dans le service de Velpeau, qui adopta ce procédé.
Simpson et Nunneley essayèrent ensuite l'éther et le chloroforme
comme anesthésiques locaux, mais sans grand succès. Ce n'est que
grâce au pulvérisateur de Richardson que l'on employa l'anesthésie
locale par réfrigération.
En 1881, le bromure d'éthyle fut employé comme anesthésique
local par Turillon et Tourreil.
En 1884, Lallier, puis Debove recommandèrent pour la réfrigéra-
tion des tissus l'emploi du chlorure de méthyle.
8 XOGUÉ. — AXESTHESIE.
En 1890, le P' Redaii eut recours avec succès au chlorure déthyle
dans le même but.
Depuis leur utilisation, ces produits sont restés dans la pratique,
mais sont employés plutôt à l'état de mélange qu'à l'état pur.
D'autres méthodes d'anesthésie locale ont été imaginées. L'élec-
tricité sous la forme du courant galvanique lut employée par Francis,
dentiste de Philadelphie, en 1858. Le narcotisme voltaïque fut pré-
conisé pour l'anesthésie locale par Richardson, puis abandonné. Le
procédé, modifié par Harris, en 1890, fut appliqué sous le nom de
cataphorèse, et enfin des tentatives infructueuses ont été faites plus
récemment pour obtenir Fanesthésie locale en chirurgie dentaire
par l'action des courants de haute fréquence et de haute intensité.
La méthode des injections interstitielles des médicaments pour
obtenir l'anesthésie locale date de Burney Yeo et Griffilh, qui,
en 1868, utilisèrent l'eau simple dans ce but et obtinrent des résultats
très probants. Le P'' Polain, en 186'.», eut recours au même procédé.
En 1884, au Congrès d'Heildelberg, le D"" Karl Koller démontra
que les instillations de cocaïne sur la muqueuse ocvdaire déter-
minaient une anesthésie complète de la conjonctive et de la cornée.
La cocaïne avait été extraite par Gardeke, en 1885, des feuilles de la
coca: Percy (de New- York) l'avait découverte de nouveau en 1857, et
Xiemann, de son côté, l'avait isolée en 1859 et baptisée de son nom
actuel.
Coupard. dès 1877. avait noté l'action anesthésique de la cocaïne
sur la muqueuse du pharynx, de même que Von Aurep. en 1880. A
partir de la communication retentissante de Karl Koller, les études
sur cet alcaloïde, doué de propriétés si nouvelles, se multiplient.
Malgré les travaux des physiologistes, entre autres Laborde, Fran-
çois Franck, Arloing, Masson, Ch. Richet, Dastre, l'usage de la
cocaïne reste limité.
Il faut les observations multiples et la persévérance du P"" Reclus
pour en vulgariser l'usage et en réglementer les doses. Grâce à lui,
la cocaïne est entrée depuis 1886 dans la pratique courante.
De nombreux dérivés ou succédanés de la cocaïne sont ensuite
employés à sa place ou concurremment avec elle, parmi lesquels la
tropacocaïne, l'eucaïne, l'acoïne, Tholocaïne.
La chimie synthétique enrichit chaque jour l'arscmal anesthésique
de produits nouveaux, parmi lesquels il convient de citer la stovaïne
et la novocaïne.
La découverte de la cocaïne a ouvert une ère nouvelle pour l'anes-
thésie locale. Appliqué d'abord sur la muqueuse, ce précieux alca-
loïde fut injecté ensuite dans les tissus, au niveau des terminaisons
nerveuses. .Mais peu à peu les chirurgiens cherchèrent à atteindre
le tronc nerveux lui-même, afin d'augmenter avec des doses médi-
camenteuses minimes le champ de l'anesthésie.
HISTORIQUE. 9
Poussant encore plus loin la hardiesse de ses recherches, la chi-
rurgie porta la cocaïne à Torigine même des nerfs, au niveau de la
moelle épinière, annihilant ainsi toute sensibilité dans un champ si
étendu du corps que celte mélliode nouvelle arrive à remplacer, poui'
un l»on nomhre d'opérations, l'anesthésie générale.
C'est au D'' Léopold Corning (1) que revient Thonneur d'avoir le
premier ol)tenu par ce moyen Tanesthésie des membres intérieurs, en
septembre 1885. Il injecta d'abord la cocaïne dans l'espace interver-
tébral, entre la on/ième et la douzième apophyse des vertèbres dor-
sales. Après deux ans d'études, il s'enhardit à porterie liquide dans
les membranes mêmes de la moelle. Ces recherches, malheureu-
sement, ne retinrent pas l'attention comme elles le méritaient.
En 1899, Bier (2) essaye sur six patients et sur lui-même la cocaï-
nisation delà moelle et fait connaîti-e les résultats obtenus. Aussitôt
la méthode se répand dans toute l'Europe. Mais elle reste seulement
applicable aux interventions sur les membres inférieurs et le bassin :
peu à peu, grâce aux progrès de la technique, les chirurgiens obtien-
nent linsensibilité de toute la région située au-dessous des mame-
lons : avec des doses plus fortes, l'anesthésie s'étend à tout le corps
à l'exception de la tête. Enfin, en 1909, Thomas .Jonnesco, grâce à sa
méthode dorsale supérieure, franchit cette dernière étape et obtient
l'anesthésie de toutes les régions du corps.
(1) Marcus, Medulla narcosis (Corning-'s method : ils History and Development)
(in JSew-York med. Becord, 1900 .
(21 Bier. Deutsche Zcilschrifl fur Chirurgie, 1S99.
10 NOGUÉ. — ANESTHÉSIE.
//. - PHYSIOLOGIE DE LA DOULEUR.
A maintes reprises, aussi bien dans l'anliijuité que dans les temps
modernes, physiologistes ou philosophes ont vainement tenté de
formuler une définition satisfaisante de la douleur. Quelques-uns,
plus sages, ont pensé que le mot seul éveillait suffisamment l'idée du
phénomène.
Aussi vieille que Tespèce humaine, la douleur a joué dans l'évolu-
tion de notre race un rôle prépondérant ; les poètes l'ont chantée à
l'envie dans toutes les langues du monde, rendant inconsciemment
justice aux inappréciables services qu'elle nous a rendus. « Ce qui
fait la conscience de l'homme, a dit Goethe, c'est la douleur. » « Moi,
la douleur m'éprouve et mes chants viennent délie. » écrit Victor
Hugo, et avec lui Alfred de Musset exprime la même idée : « Rien ne
nous rend si grand qu'une grande douleur. »
Mais nos poètes modernes ont encore plus éloquemment glorifié
la douleur et, entre autres, l'admirable Albert Samain :
Douleur, quel sombre instinct dans tes bras nous ramène?
Pourquoi l'rémissons-nous cette âpre volupté.
En entendant du fond des violons monter
Le vieil écho profond de la misère humaine?
Pourquoi nos soirs d'amour n'ont-ils toute douceur.
Que si lame trop pleine en lourds sangrlots s'y brise?
La Tristesse nous hante avec sa robe grise
Et vit à nos côtés comme une grande sœur.
Les plus hauts d'entre nous, vaguant par les ténèbres,
Artisans raffinés de leur propre tourment,
Ont taillé leur souffrance ainsi qu'un diamant,
Pour lui faire jeter des éclats plus funèbres.
Et le Cœur dit : <> Je suis l'ivrogne furibond.
Certes, la Joie est bonne et luit couleur de gloire:
Mais quand cest la Douleur même qui verse à boire,
Le verre qu'elle tend nous semble si profond I »
Car je suis, dans l'ivresse ardente de soutlrir.
Frère des grands flambeaux dont le vent tord la flamme,
Et qui, saignant à flot la pourpre de leur âme,
Jettent leurs plus beaux feux à l'heure de mourir!
Ne faut-il pas voir dans ces sortes déloges de la douleur comme
un sentiment de reconnaissance 1 Le rôle protecteur de la douleur si
nettement indiqué parHaller : Dolorem Deus homini fidelem cusiodeni
dédit, causa qui de corporis destructa moneat est reconnu par les
plus modernes physiologistes. « La douleur n'est autre chose qu'un
PHYSIOLOGIE DE LA DOULEUR. 11
pliénoniène vital comme ceux de la nutrition et de la reproduction
et dont la l'onction est la protection de l'individu et de sa descen-
dance >> i^Sergi). — u C'est le souvenir de la douleui" qui règle la
conduite des êtres intelligents. La douleur est donc une défense
préventive intelligente, tandis que l'instinct est une défense préven-
tive aulomati(|ue... Le triomphe de l'homme sur les autres animaux
dans la nature montre bien la supériorité de l'intelligence sur l'ins-
tinct dans la lutte pour l'existence : de sorte que, au lieu de considérer
au point de vue biologique la douleur comme un mal, nous devons
la tenir comme l'élément fondamental du progrès humain (1). »
Essayons, avec les physiologistes modernes, de pénétrer le méca-
nisme et le mode de transmission ou de perception de la douleur.
Il existe, au niveau de la peau, trois sortes de sensibilité ; a. la sen-
sibilité au contact ; b. la sensibilité thermique ; c. la sensibilité dou-
loureuse : chose remarquable, dans certains états particuliers dési-
gnés sous les noms d'anesthésie, de Ihermo-anestliésie et d'analgésie,
chacune de ces sortes de sensibilité peut disparaître en laissant sub-
sister les autres.
On sait que la plupart des tissus sont pourvus d'organes récepteurs
sensitifs, tels que les corpuscules de Paccini, de Vater, de Meissner, etc.
Max von Frey, qui a fait une étude très patiente de cette question,
pense avec Goldscheider qu'il existe des points de douleur parfaite-
ment déterminés. Dans certaines régions du corps, on n'obtiendrait
jamais de sensations de pression, mais seulement des sensations de
douleur (cornée, conjonctive, gland). En touchant différents points
avec un cheveu et en exerçant une pression assez forte, on remarque
que, au lieu d'une sensation de pression, c'est une sensation de douleui'
qu'on éveille : ces points de douleur seraient tout à fait indépendants
des points de pression.
La cocaïne, d'ailleurs, différencie nettement les diverses variétés
de sensibilité : les médecins savent bien que, après une injection de
coca'ine, la sensibilité à la douleur disparaît avant la sensibilité au
contact. Sous l'influence d'une application de menthol, d'après
L Yoteyko et M. Stefanowska, la diminution de la sensibilité à la dou-
leur précède l'apparition de la sensation de froid : le menthol agirait
donc d'abord sur les organes de la douleur avant d'agir sur les
organes du froid.
C'est Johannis Millier qui introduisit en physiologie le principe de
l'énergie spécifique des organes des sens. Pour les nerfs spéciale-
ment affectés à la douleur, chaque catégorie de nerf sensible ne pour-
rait donner. qu'une espèce de sensation, quel que soit l'agent excitant.
La nature de la sensation dépend donc de la nature de l'énergie spé-
ciGque du nerf considéré (ou plutôt de l'organe central auquel il abou-
(1) L Yoteyko et \L Stefanowska, Psychophysiologie de la douleur, Paris,
p. 235.
12 XOGUÉ. — ANESTHESIE.
liri. Par conséquent, si un même organe peut nous donner plusieurs
genres de sensations ditïérentes, nous devons admettre dans cet
organe autant de catégories de terminaisons sensibles quil y a de
genres de sensation. Ainsi, si la lumière solaire tombant sur notre
œil devient douloureuse dans certains cas, c'est apparemment qu'elle
agit encore sur d'autres nerfs que ceux de la rétine, car l'expé-
rience a prouvé que l'excitation la plus intense du nerf optique (sa
section) produit une sensation de vive lumière, mais n'est pas dou-
loureuse (1).
Pour la peau, Blix et (ïoldscheider avaient déjà dé-montré qu'elle
possédait pour le sens thermique deux appareils nerveux entière-
ment distincts : les nerfs du chaud et les nerfs du froid. D'autres
points de la peau donnent exclusivement des sensations de contact
ou de pression. Il faut donc admettre, d'après M"«' Yoteyko et Stefa-
nowska, dans les nerfs de la peau une quatrième catégorie de trans-
missions nerveuses alTectées aux sensations de douleur. Vn froid
intense, une température élevée, une pression excessive nous causent
de la douleur, non parce qu'ils excitent fortement les nerfs de la
sensibilité tactile, mais parce qu'ils excitent les nerfs spéciaux affectés
aux sensations douloureuses. Les nerfs de la douleur ont ceci de par-
ticulier qu'ils ne répondent qu'à des excitations fortes... En réalité,
la peau est un assemblage d'organes sensoriels... Si on ne la pas
reconnu plus tôt. c'est parce que l'excitant cutané avait été porté sur
une très large surface. La distinction n'est devenue possible que
depuis l'introduction, dans la psychologie de la peau, des excitation*
punctiformes.
Après avoir étudié les organes de réception, ilnous faut déterminer
comment la sensation reçue à la périphérie est transmise aux organes
centraux. Nous savons bien que cette transmission s'opère par l'en-
tremise des filets nerveux sensitifs. Mais dans chacun de ces filets ner-
veux existe-t-il pour chaqvie mode de sensibilité des fibres spéciales,
ou les fibres auxquelles est réservée la transmission des sensations
tactiles peuvent-elles en même temps transmettre les sensations
douloureuses?
Ici encore nous nous trouvons en présence d'opinions divergentes.
Vulpian et Richet surtout se sont élevés contre l'existence de fibres
spécialement conductrices de la douleur. Ce dernier pense que, si
Ton voulait que chaque sensibilité ait ses conducteurs spéciaux, il
faudrait admettre, outre les nerfs du froid, du chaud, de pression et
de douleur, des nerfs de chatouillement, de démangeaison ou de
prurit, tant ces sensations sont spéciales. Quelle place fera-t-on,
ajoule-l-il, à l'excitant électrique, qui ne produit pas de douleur
quand il est faible, mais seulement une très légère sensation de four-
(1) Yoteyko et Stefanowska. lue. cil., p. 66.
PHYSIOLOGIE Dl- LA DOULEUR. 13
niillomciil. (\v léger rounuilleinenl nesl ni lempéralure, \ù pression,
ni douleur. Ce serait alors un système spécial de nerfs, diiïerent des
neri's du chaud, du froid, de la pression et de la douleur. Peut-on
su|>poser ({u'une excitation électrique faible va exciter des nerfs spé-
cialement destinés à la sensation électrique, tandis qu'une excitation
électrique forte va exciter d'autres nei'fs, les nerfs de la douleur?
Mais les jKirlisans de la iloctrine opposée répondent que la douleur
est toujours elle-même, quelle que soit la nature de l'excitant : la
douleur (pii succède à une sensation tactile ressemble à la douleur
qui succède à une sensation thermique : la douleur du froid est éga-
lement identique à la douleur du chaud, du moment que les
conditions de surface lésée et d'intensité d'excitation sont iden-
tiques. Ainsi il est impossible de distinguer une lésion par instrument
piquant d'une brûlure punctiforme (1).
D'après Fredericq, ciiaque catégorie des nerfs sensibles ne saurait
donner qu'une espèce de sensation, toujours la même, pour la
catégorie de nerf considérée, quel que soit l'agent qui provoque
l'excitation (2). Réciproquement, un même agent physique produit
un effet ditïérent suivant l'organe sensible sur lequel il exerce son
action. Par conséquent, si un même organe peut nous donner
plusieurs genres de sensations, nous devons admettre dans cet
organe autant de catégories de terminaisons sensibles spécifi-
quement distinctes qu'il y a de genres de sensations. Ainsi, si la
lumière du soleil, tamisant sur notre œil, devient douloureuse dans
certains cas, c'est apparemment quelle agit sur d'autres nerfs que ceux
de la rétine, car l'expérience a prouvé, comme nous lavons déjà dit,
que l'excitation la plus intense du nerf optique, sa section au couteau,
produit une sensation de vive lumière et n'est pas douloureuse. De
même pour le nerf acoustique, pour les sensations de l'odorat et du
goût .
Pour la peau, Fredericq invoque à l'appui de sa thèse le retard
des sensations douloureuses sur les sensations tactiles, ce fait que
certaines régions très sensibles à la douleur le sont peu aux impres-
sions tactiles, l'identité de la sensation douloureuse, quel que soit
l'agent qui la produit et, surtout, la suppression de la sensibilité à
la douleur avec conservation de la sensibilité tactile et ttiermique
sous la dépendance de certaines lésions des nerfs périphériques (3).
Moelle. — La transmission des sensations à travers la moelle
se fait d'une manière croisée. Si l'on sépare (4) la moelle en deux
moitiés symétriques sur une certaine étendue par une incision
longitudinale et médiane portant sur les commissures, un grand
(1) D"" Georges Castex, La douleur physique, Paris, 1905.
(2) Fredericq, Y a-t-il des nerfs spéciaux pour la douleur? (Revue scient., 1S96.)
(3) D'' Georges Castex, loc. cit.
(4) D"" Georges Castex, loc. cit.
14 NOGUÉ. — ANESTHÉSIE.
nombre de fibres sensibles se trouvent sectionnées au niveau de
leur entre-croisement. Le résultat de cette expérience ancienne de
Galien, rapportée par Brown-Séquard, est sinon d"abolir, du moins
d'émousser considérablement la sensibilité à la douleur au-dessous
de la lésion ; car le mode de sensibilité à la douleur subsiste après
des lésions très étendues de la moelle ; la section de tous les cordons
blancs ne laboiit pas, et, pour la faire disparaître, il faut léser une
fois de plus 1res profondément la substance grise. Après leur passage
de Tauire côté de la moelle, les sensations douloureuses et thermiques
se séparent des sensations tactiles.
Bien que certains physiologistes pensent que la moelle est
comparable à une tige métallique capable de transmettre indiffé-
remment l'électricité, la chaleur et le son, on admet aujourd'hui que,
dans la moelle, c'est surtout la substance grise qui transmet les exci-
tations douloureuses. Et dans cette substance grise, Brown-Séquard
a montré que les voies de transmission des impressions thermiques
forment les parties centrales, tandis que les conducteurs de la
douleur sont probablement groupés dans les parties postérieures et
latérales.
L'excitation traverse ensuite la substance grise bulbaire, la protu-
bérance de certaines fibres du faisceau sensitif des pédoncules, mais
on ne connaît rien de son mode de distribution dans la zone
sensitive (G. Castexj.
Centres. — Vulpian localisait dans la protubérance annulaire le
centre commun des perceptions douloureuses. Ribot, Beaunis et
Hichet, au contraire, ne croient pas à l'existence d'un centre cortical
de la douleur.
Cependant, d'après le D"^ Castex, un argument d'importance plai-
derait en faveur d'un centre spécial pour la douleur : alors que la
sensibilité tactile est plus développée à droite chez le droitier, à
gauche chez le gaucher (Van Bervliet, de Gand), la sensibilité à la
douleur est toujours plus développée à gauche, aussi bien chez le
droitier que chez le gaucher (L Yoteyko et ^L Stefanowska) (1). Ce
résultat mène à la conclusion que la perception de la douleur se fait
par des centres différents de ceux qui servent à la perception des
autres sensations. Quant à la canalisation vers le centre, on admet
aujourd'hui que la zone corticale coïncide en tous points avec la zone
motrice : elle est seulement plus étendue.
D'autres questions méritent encore de retenir l'attention.
Les sujets réagissent-ils différemment à la douleur?
L'expérience va nous répondre d'une façon précise. En se servant
de lalgésimètre du D"" Chéron, L Yoteyko et Stefanowska ont
examiné 50 étudiants de l'Université de Bruxelles. Suivant leur
(1) Recherches algésimétriques (Bull, de l'Acad. roy. de Belgique, fcv. 1903).
PHYSIOLOGIE DE LA DOULEUR. 15
acuité dolorifique. elles ont distingué un premier groupe de
10 personnes présentant une sensibilité fine, c'est-ù-dire au-dessous
du chilIVe 10. Dans une deuxième catégorie, elles rangent 18 per-
sonnes qui ont présenté une sensibilité dite moyenne, c'est-à-dire
entre 10 et 15 divisions de Talgésimètre. Dans une troisième
catégorie, se placent 12 personnes qui ont présenté une sensibilité
médiocre, cest-à-dire entre 15 et 20 divisions. Enfin à la quatrième
catégorie appartiennent 11 personnes à sensibilité o6/use, c'est-à-dire
entre 20 et 28 divisions. Les dilTérences individuelles sont donc assez
considérables.
La sensibilité à la douleur varie aussi suivant les régions du corps
considérées et, d'une façon générale, est plus marquée à gauche qu'à
droite. Si bien que les mêmes auteurs ont pu formuler la loi suivante :
Si l'on représente par 10 la sensibilité à la douleur du côté gauche,
le plus sensible, il faut représenter par 9 la sensibilité à la douleur
du côté droit, le moins sensible.
L'âge, le sexe, la culture intellectuelle sont les facteurs importants
de la sensibilité à la douleur. Il n'est aucun médecin qui n'ait prati-
quement observé ces différences considérables. D'une façon générale,
on peut poser en principe que la sensibilité à la douleur diminue avec
l'âge. Swiff a trouvé que les enfants plus jeunes sont plus sensibles
à la douleur que les enfants plus âgés, que les filles sont plus sensibles
que les garçons à tous les âges, que les enfants plus intelligents sont
plus sensibles à la douleur que les enfants moins bien doués.
Mac Donald, Carman, Swift, Yoteyko et Stefanowska ont trouvé
que la femme présente une sensibilité plus grande à la douleur que
l'homme.
Et cependant elle résiste mieux que lui à la douleur. Cela est un
fait évident, et dans la pratique stomatologique nous sommes à
même d'en faire l'observation quotidienne. Yoteyko et Stefanowska
disent en efTet que, par un effort de volonté, la femme peut résister
à un voltage extraordinaire, par exemple à 250 volts, alors que la
sensibilité moyenne est de 20 volts. Rien de semblable ne se produit
chez l'homme; le plus grand effort de volonté n'a jamais permis à
ce dernier de dépasser au plus de 10 volts sa résistance ordinaire à la
douleur.
La plupart des observateurs ont constaté la sensibilité plus grande
des sujets appartenant aux classes cultivées. « C'est là, d'ailleurs,
disent Yoteyko et Stefanowska, un fait d'observation courante. Le
paysan paraît souffrir moins que le citadin. L'homme de lettres,
l'artiste, le travailleur cérébral, dont tous les sens et les nerfs sont
surexcités, souffrent certainement plus que le sujet dont la vie
nerveuse est moins intense. »
Il existe également une influence due à la race. Percy ^vâit fait
cette remarque que, bien qu'il fût admis que les hommes du Nord
16 AOGUÉ. — AXESTHESIE.
étaient moin.s sensibles que ceux du Midi, les hommes du Nord, les
Polonais et les Russes, ne dilïeraient poinl d'une façon fondamentale
des autres peuples par les impressions douloureuses et que cétait
peut-être chez les Orientaux et spécialement chez les Égyptiens et
chez les Arabes ({u'il fallait chercher la plus grande insensibilité.
Nous même, ayant eu l'occasion de soigner, pendant plusieurs mois.
à l'Hôtel-Dieu, des réfugiés russes, de race Israélite, nous avons
nettement observé l'extrême sensibilité de tous ces sujets à la
douleur.
Ch. Richet a noté que la sensibilité à la douleur chez les imbé-
ciles, les idiots, les déments séniles, était très obtuse.
Les mêmes différences s'observent chez les animaux. Les chevaux
sont plus sensibles à la douleur que les bœufs et les moutons. Chez
les chevaux de race, la sensibilité est plus marquée que chez les
chevaux de labour. De même chez les chiens. Aussi, tandis que la
douleur se montre vivement sentie chez les chiens de chasse, de
berger et les petits chiens très irritables, qui habitent les apparte-
ments, elle se montre au contraire peu développée chez les chiens de
garde et particulièrement chez les bouledogues. Chez ces derniers,
les opérations les plus graves ne provoquent souvent aucun mouve-
ment et n'arrachent aucun cri (1).
Les jeunes animaux sont extrêmement sensibles à la douleur.
Chez les animaux inférieurs, grenouilles, lombrics, la sensibilité
à la douleur paraît très obtuse.
Citons enfin, à titre documentaire, une intéressante hypothèse sur
le mécanisme intime des phénomènes douloureux.
M"*= 1. Yoteyko a proposé une théorie toxique de la douleur, dans
laquelle elle tâche de démontrer la spécificité de l'agent qui provoque
les sensations douloureuses, autrement dit de l'existence de la
douleur. Pour elle, la douleur est due à une intoxication des termi-
naisons nerveuses dolorifiques. L'excitant de la douleur serait con-
stitué par des substances algogènes nées au moment de l'excitation
forte. Pour avoir la sensation douleur, il n'est nullement nécessaire
de supposer que la substance toxique doive être transportée au
cerveau par voie sanguine. C'est l'ébranlement nerveux des termi-
naisons nerveuses qui se transmet au cerveau, ébranlement déterminé
par l'action sur les terminaisons dolorifiques des poisons algogènes
nés sur place au moment de l'excitation forte. En réalité, la formation
des substances algogènes n'est pas instantanée. Elle demande un
certain temps. Un traumatisme violent nous donne d'abord la sensa-
tion de contact; la douleur ne se produit que quelque temps après.
(1) I. Yoteyko et Stffanovvska, Psychophysioloi^àe de la douleur, p. 166.
SOMMEIL NATUREL ET SOMMEIL ANESTHÉSIQUE. 17
///. -SOMMEIL NATUREL ET SOMMEIL ANESTHÉSIQUE.
La simililudc de ces deux étals de l'organisme devait ralalement
amener les physiologistes à les comparer.
Or, qu'est-ce que le sommeil naturel lui-même?
Dès Tantiquilé, dit Claude Bernard (l), on avait soutenu que
le sommeil était produit par l'accumulation dans le crâne d'une
«quantité exceptionnelle de sani? qui comprimait la substance
cérébrale et interrompait ainsi Texercice de ses fonctions.
La vis ou le j)ressoir d'Lrophile était une figure qui, au fond, ne
signifiait pas autre chose que cela : dans cette manière de voir, le
sommeil était donc une hyperémie du cerveau.
Cette idée semblait toute naturelle, et elle paraissait expliquer, par
exemple, pourquoi on se couche horizontalement i)Our mieux dormir;
cela devait faciliter l'accumulation du sang dans le cerveau. Aussi la
théorie de l'hyperémie cérébrale resta-t-elle longtemps acceptée sans
conteste.
En 1860, un médecin anglais, M. Durham, vint contredire expéri-
mentalement cette théorie et soutint au contraire que le sommeil
était caractérisé par une anémie du cerveau.
Il eut l'idée très simple de pratiquer une couronne de trépan chez
les chiens, afin d'examiner directement, par la fenêtre ainsi ouverte
dans la boîte crânienne, quel était l'état de la circulation cérébrale
pendant le sommeil naturel et aussi pendant l'action du chloroforme.
Il trouva que, pendant le sommeil naturel, le cerveau devenait
pâle, exsangue ; son volume diminuait et s'affaissait notablement
au-dessous de la plaie osseuse, sans doute parce qu'il dégorgeait le
sang contenu dans ses veines ; enfin on voyait les petits vaisseaux se
vider de sang et perdre leur coloration, au point de devenir invi-
sibles. Quand l'animal se réveillait, le cerveau reprenait son volume
ordinaire, sa coloration rouge accoutumée: les vaisseaux étaient de
nouveau remplis de sang, avec leur apparence normale, et l'activité
circulatoire, auparavant éteinte, se ranimait.
Peu de temps après, en 1868, un médecin de l'armée des États-
Unis d'Amérique, M. Hammond, publia des expériences analogues
qui le conduisirent aux mêmes conclusions. Dès 1854, M. Hammond
avait eu occasion d'observer l'anémie cérébrale pendant le sommeil
naturel chez un individu qui avait eu le cerveau mis à nu sur une
étendue considérable (trois pouces dans un sens et six dans l'autre), à
la suite d'un accident de chemin de fer.
En 1860, un autre médecin des États-Unis, M. Bedford Brown,
avait également observé l'anémie cérébrale chez l'homme, dans un
(1) Claude Bernard, loc. cit.
Traité de stomatologie. VL — 2
J8 NOGUE. — ANESTHESIE.
cas de fracture du crâne, et cette fois pendant la durée du sommeil
anesthésique. Mais, au momentde l'administration de l'agent anesthé-
sique, il y eut au contraire turgescence et hyperémie du cerveau
pendant quelques instants. Enfin, en 1864, M. A. Ernest Samson
publiait en Angleterre des expériences faites sur des grenouilles
avec le chloroforme, léther, l'alcool et Tacide carbonique, expériences
doù il concluait, — en rapprochant ses résultats des faits déjà
observés par Durham, — que lanesthésie était accompagnée d'un
ralentissement notable de la circulation. »
Mosso décritainsi les signes du sommeil naturel : « L'homme, après
la fatigue du jour, s'endort; les muscles des extrémités, du tronc, du
cou se relâchent complètement ; les paupières s'abaissent et les yeux
se ferment : la respiration change de rythme. Les processus de la
combustion sont tellement diminués dans l'organisme que les mou-
vements de la respiration, qui, auparavant, introduisaient 7 litres
d'air dans les poumons, ont réduit la ventilation à un seul litre par
minute. Le cœur se ralentit, les vaisseaux se dilatent, la pression du
sang diminue et le corps se refroidit sensiblement. »
D'autres observations intéressantes ont été faites. Ainsi M. François
Franck a noté le ralentissement du pouls portant uniquement sur la
diastole, la suppression souvent complète du dicrotisme : au sphyg-
mographe Potain, la tension artérielle est abaissée de 2 à 3 centi-
mètres de mercure ; le doigt appliqué sur les veines du dos delà main
éprouve l'impression d'une résistance plus grande due à l'augmen-
tation de la pression des parois veineuses.
Rosenbach, qui s'est livré à de nombreuses expériences sur les
enfants, a remarqué que, dans le sommeil profond (1), la pupille est
contractée au maximum et ne réagit plus à la lumière ; les réflexes
cornéens, cutanés, abdominaux et crémastériens sont abolis.
Dans ses expériences classiques, Claude Bernard trouva qu'il
y avait deux phases successives et parfaitement distinctes ou plutôt
opposées dans l'état de la circulation, c'est-à-dire sous l'influence
des anesthésiques. La première phase correspond aux expériences
où l'on a trouvé de l'hyperémie; la seconde, aux expériences
qui ont montré, au contraire, le cerveau en état d'anémie. Mais
l'illustre savant avait très bien vu que ce n'était pas dans ces phéno-
mènes qu'il fallait chercher l'explication de l'anesthésie. « A mon
avis, dit-il expressément, lanesthésie dépend immédiatement et
directement de la présence du chloroforme dans le sang et de son
action spéciale sur les éléments nerveux. Les modifications vascu-
laires ne sont que des accidents qui accompagnent le phénomène
sans constituer son essence. »
Pour lui, l'action des anesthésiques sur des éléments nerveux con-
(1) A. Tourna Y, L'homme endormi. Essai d'une introduction historique et cri-
tique à la sémiologie du sommeil naturel. Thèse de Paris, 1909.
SOMMEIL NATUREL ET SOMMEIL ANESTHÉSIQUE. 19
sislail en une demi-coagulalion qui n'aurait pasété définitive, c'est-à-
dire (pie la substance de rélément anatomique aurait pu revenir à
son état primitif après élimination de l'agent toxique.
D'après les Ihéories actuelles et surtout la théorie histologique
de -MaHiias Duval, dit M. G. Pouchet, il faut partir de ce principe
que le sommeil constitue le repos du système nerveux central par le
fait de la non-réception ou de la difficile réception tout au moins des
impressions extérieures (1).
Les résultats acquis par les recherches des histologistes sont assez
précis actuellement pour autoriser à admettre que les centres nerveux
fonctionnels sont représentés non pas par le corps des cellules
nerveuses, mais par les articulations, par les prolongements cylin-
draxiles ou protoplasmiques des neurones. L'articulation de ces pro-
longements les uns avec les autres a lieu par contiguïté et non par
continuité; les ramificat ions terminales d'un prolongement cellulifuge
(cylindraxe) venant se ramifier dans la proximité immédiate des
ramifications d'un prolongement cellulipète (prolongement protoplas-
mique) du neurone suivant; de telle sorte qu'une modification struc-
turale se traduira nécessairement par des changements dans les
expansions protoplasmiques au niveau de ces articulations.
On peut très bien en inférer que c'est dans cet état de contiguïté
plus ou moins intime des prolongements cylindraxiles des neurones
avec les ramifications des prolongements protoplasmiques d'un autre
neurone, ou dans cette imperfection de contiguïté, que réside la
modification en vertu de laquelle la conductibilité nerveuse se fait
plus ou moins bien, ou même ne se fait pas du tout. 11 est, en effet,
très rationnel d'admettre, en raison des faits énoncés, que, si la
distance devient un peu plus considérable entre les articulations des
neurones intercommunicants, la contiguïté se trouvant moins intime,
la conductibilité est elle-même plus difficile : la résistance à vaincre
devenant plus considérable, il faudra une excitation plus puissante
pour déterminer le passage de l'influx nerveux; de même que, dans
un courant électrique, le contact entre deux conducteurs devenant
moins parfait, il faut mettre en jeu une intensité plus considérable
pour surmonter cette tendance à l'interruption du courant.
Mais les histologistes nous ont appris également qu'il existe dans
l'axe cérébro-spinal toute une série de régions où les neurones sen-
sitifs périphériques s'articulent avec les neurones sensitifs centraux.
A ce point de vue, la région des noyaux de Burdach et de Goll est celle
qui présente le plus d'intérêt, c'est la plus importante : au-dessous
de cette région, se trouve le territoire des neurones des réflexes;
au-dessus, le territoire des neurones gouvernant les phénomènes
psychiques et cérébraux.
(1; G. Pouchet, Physiologie générale de Fanesthésie. Théorie du sommeil
[Rev. internai, de thérap. et de pharmacol.^ 1899, n^ 8).
20 XOGUÉ, — ANESTHESIE.
Les noyaux de Goll et de Burdach, situés dans les pyramides pos-
térieures du bulbe, représentent Tune des plus importantes de ces
régions. Là aboutissent les voies sensitives périphériques, les pro-
longements protoplasmiques constituant les ramifications cellulipètes
des neurones sensitifs ; de là partent les voies sensitives centrales,
les prolongements cylindraxiles qui vont, dans lécorce cérébrale,
s'articuler avec les prolongements protoplasmiques des cellules
pyramidales ou neurones psychiques.
Pendant le sommeil, les réflexes ne sont pas abolis; il n"y a donc
pas d'interruption ou de difficulté de passage dans les articulations
de neurone à neurone constituant l'arc réflexe. Cette interruption a
lieu seulement, d'une part, au niveau de larticulation du neurone
sensitif périphérique avec le neurone sensitif central; d'autre part,
au niveau de l'articulation du neurone sensitif central avec le neu-
rone psychique : la rupture simultanée, plus ou moins complète,
en ces deux points d'articulation, explique les diverses modalités du
sommeil, depuis le sommeil léger jusqu'au sommeil se rapprochant
de l'hypnose, c'est-à-dire la plus ou moins difficile réception ou la
non-réception des impressions extérieures.
Le sommeil, comme certains hypnotiques, permet de constater
une différence de conductibilité dans ces tissus nerveux : les réflexes
ne sont pas abolis, ce qui permet de conclure à la presque intégrité
de la conduction par les articulations de neurone à neurone dans le
domaine des réflexes ; les actes cérébraux ne sont pas non plus com-
plètement abolis, comme le prouve la possibilité des rêves, ce qui
doit faire conclure aussi à une conduction voisine de la normale par
les articulations de neurone à neurone dans le domaine des phéno-
mènes psychiques: mais il n'en est plus de même en ce qui regarde
l'intégrité de la conduction entre les articulations des neurones sensi-
tifs périphériques avec les neurones sensitifs centraux : ici la conduc-
tibilité est très affaiblie, voire même complètement nulle, et ce serait
donc au niveau de ces articulations que la contiguïté serait devenue
moins intime par suite de l'action exercée sur la cellule nerveuse par
les déchets normaux (sommeil naturel) ou par la substance médica-
menteuse (sommeil dû aux hypnotiques). Au contraire les hypno-
anesthésiques, certains hypnotiques même, ou encore certaines formes
de sommeil, car il existe des variétés de sommeil profond dans les-
quelles les réflexes se trouvent abolis, sont capables de pousser le
défaut de conductibilité jusqu'à produire l'abolition des réflexes.
La cellule nerveuse va se trouver en présence d'un produit toxique
quel qu'il soit, que ce soit une substance absolument étrangère à
l'organisme, un hypno-anesthésique ou un hypnotique artificielle-
ment introduit dans l'économie, que ce soit une substance formée
pendant la vie, pendant le fonctionnement normal des tissus nerveux,
leucomaïne ou tout autre produit d'excrétion, peu importe, c'est Tac-
SOMMEIL NATUREL ET SOMMEIL ANESTHÉSIQUE. 21
lion (le celle subslance sui- le proloplas^ma qui va délerminer des
moditiealions pliysico-cliimiques, dont la modification structurale,
se traduisant par une sorte de rétraction de prolon^-enienls proto-
plasmi(jues, sera la conséquence.
Daulre part, nous savons, par les recherches qui ont été faites
depuis un certain nombre d'années sur la physiologie et l'histologie
cellulaires, qu'il doit s'agir plulôt d'un déplacement que de véritables
mouvements amœboïdes. Si l'on songe, en elïet, au rôle important
que joue la présence ou tout au moins le voisinage du noyau dans la
production des mouvements amœboïdes, on arrive à penser que ce
sont des déplacements, des sortes d'oscillations qui se produisent
à l'extrémité des prolongements des cellules nerveuses et que ce
mouvement doit être dilîérent suivant la nalure des expansions ter-
minales. Les ramifications terminales cylindraxiles sont probable-
ment trop éloignées des noyaux pour être capables d'amœboïsme;
mais ces conditions sont précisément inverses pour les rami-
fications des prolongements protoplasmiques : ce seraient donc
ces dernières, les ramifications des prolongements de proto-
plasma du neurone sensitif central, qui seraient surtout le siège de
ces mouvements permettant une conductibilité plus ou moins par-
faite entre le neurone sensitif central et le neurone sensitif périphé-
rique représenté parles ramifications terminales du cylindraxe.
D'ailleurs, certains faits ont démontré que cette manière de voir
pouvait être basée sur des données expérimentales. Ainsi Ranvier
a fait voir que les cellules olfactives, aujourd'hui considérées par
tous les histologistes comme des cellules nerveuses, possédaient des
prolongements, homologues des prolongements dits de protoplasma
d'un neurone, animés de mouvements absolument différents de ceux
des cils vibratiles et qui semblaient se diriger en quelque sorte pour
rechercher les odeurs et les faire percevoir.
Ces changements de volume des prolongements protoplasmiques
ont été démontrés expérimentalement par Pergens dans ses recherches
sur les yeux des poissons téléostéens, par J. Demoor et M"'' Stéfa-
nowska, à l'Institut Solvay de Bruxelles.
Mathias Duval, Deyber et Manouëlian ont émis l'hypothèse que
ces mouvements de va-et-vient étaient sous la dépendance des nervi
nervorum, éléments nerveux modifiant le fonctionnement, c'est-à-
dire le contact des prolongements protoplasmiques des neurones ;
cette fonction (Manouëlian) serait dévolue aux fibres centrifuges
intraglomérulaires qui présideraient à la réception des excitations
nerveuses en provoquant l'état de rétraction ou d'allongement des
arborisations protoplasmiques, c'est-à-dire le passage plus ou moins
facile du courant nerveux. Ce serait alors ces nervi nervorum qui
ressentiraient de la façon la plus exquise l'action des hypno-anes-
thésiques, celle des hypnotiques aussi bien que celle des matériaux
22 NOGUÉ. — ANESTHESIE.
de déchet du fonctionnement normal des cellules amenant le som-
meil naturel.
Dans tous les cas, il est évident que les articulations entre ces pro-
longements cylindraxiles des neurones ne sont pas absolument in-
franchissables, ce qui serait incompatible avec le maintien de la vie,
mais que la conductibilité a seulement plus ou moins diminué.
Le sommeil n'est pas exclusivement une fonction du cerveau. Une
expérience très curieuse, due à Goltz et réalisée sur un chien qu'il a •
conservé pendant près de deux ans complètement privé de ses hémi-
sphères cérébraux, a'permis de constater chez cet animal des périodes
alternatives de veille et de sommeil très remarquables, dans lesquelles,
par conséquent, il ne pouvait plus être question de l'intervention du
cerveau : il s'agit donc bien ici, au point de vue des influences ner-
veuses, d'un véritable sommeil de la moelle, rappelant dans une
étroite mesure le sommeil du cerveau.
11 est fort intéressant de faire ressortir l'analogie qui existe entre
cette interprétation histologique du sommeil et les phénomènes de
conductibilité électrique.
Un physicien fort distingué, Branly, a étudié la façon suivant
laquelle se comportait un courant électrique traversant un tube
rempli de limaille métallique : or, il existe, au point de vue de la
conductibilité, une analogie étroite entre les neurones et un tube
à limaille. Lorsqu'on remplit de grains de plomb ou de limaille
métallique un tube de verre, ce tube ne conduit pas le courant d'un
élément de pile, mais il devient conducteur pour ce même courant
si on le place dans une zone d'ondes électriques, telle que le champ
électrostatique d'une machine statique, ou bien le flux d'induction
d'un solénoïde parcouru par un courant de haute fréquence, ou bien
encore si on le place dans un cône de rayons cathodiques. Un simple
choc suffit, en déterminant l'ébranlement moléculaire de ce système,
pour anéantir la conductibilité ; et, d'autre part, le passage, même
éphémère, d'un courant alternatif rétablit la conductibilité primitive.
« Nous avons là, dit M. Pouchet, une image aussi parfaite qu'il est
possible de ce qui se passe dans l'hypothèse que je viens de vous
développer, hypothèse qui a bien des chances d'être proche de la
réalité, puisque, en plus d'une certaine sanction expérimentale, elle
permet d'interpréter le plus grand nombre des phénomènes, et qu'en
somme elle est en concordance très exacte avec les théories physico-
chimiques que je vous ai exposées précédemment et qui, à elles
seules, ne suffisaient pas à donner une interprétation complèle.
« L'état de la circulation cérébrale, dont nous nous étions
occupé d'abord, semble être devenu une condition bien secondaire
dans les phénomènes de l'hypnose ou du sommeil. En effet, je
vous ai déjà dit que la congestion ou l'anémie pouvaient se
montrer successivement au cours de l'anesthésie. J'ai appelé votre
SOMMEÏL NATUREL ET SOMMEIL ANESTHÉSIQUE. ^3
atttMîtion sur ce fait de la coïncidence, qui s'observe en réalilV' assez
fréquemment, presque toujours même au début dans la pratique,
entre l'asphyxie et l'anesthésie ; la disparition de la sensibilité peut
se produire alors par deux mécanismes absolument opposés. Dans
le cas où c'est l'hyperémie qui se manifeste d'abord, il se produit
bientôt une paralysie succédant à l'exaltation des centres ; s'il y a, au
contraire, anémie dès le début, l'insensibilité résulte du fait de l'in-
suffisance dans l'apport des matériaux nutritifs.
« En résumé, à la période d'anesthésie confirmée, il y a une anémie
notable etconstante, en rapport avec le repos de l'organe. Alors cette
anémie devient évidemment une condition importante du maintien
de l'état d'hypno-anesthésie.
« Mais on est en droit de se demander si c'est cette anémie cérébrale
qui est la cause de l'anesthésie, ou bien si elle est simplement la
conséquence d'une influence exercée par l'anesthésique sur les vaso-
moteurs. »
Voici maintenant quelle est, d'après les physiologistes, la marche
de l'anesthésie. L'agent anesthésique pénètre dans le sang par la
surface respiratoire, d'où il est porté au contact des centres nerveux.
Le cerveau est pris le premier. On perd d'abord la conscience du
moi, la connaissance des faits extérieurs. La moelle épinière n'est
atteinte que plus tard, et l'on peut même distinguer plusieurs périodes
dans l'action du chloroforme sur ce centre nerveux. Au commen-
cement de l'action anesthésique, les mouvements réflexes ayant leur
centre dans la moelle allongée et la moelle épinière continuent
encore à se produire : ils sont même plus énergiques et plus rapides.
Puis la moelle est atteinte, et les mouvements réflexes disparaissent
peu à peu ; mais, à ce moment, les mouvements de totalité, c'est-à-dire
les mouvements qui seraient des mouvements volontaires si l'animal
n'avait pas perdu tout d'abord la conscience, persistent encore quel-
que temps. Mais ils finissent par s'arrêter aussi, et l'animal tombe
dans le collapsus, le relâchement musculaire complet ; il devient
immobile comme un cadavre. Les mouvements respiratoires et ceux
du cœur seuls paraissent conservés.
Chez l'homme, c'est d'abord la conscience, la nolion du wo/, qui
est abolie ; vient ensuite la perte de. la sensibilité externe, c'est-à-dire
la réception des impressions produites sur nos organes des sens, sur
la peau ; mais la sensibilité interne subsiste encore, c'est-à-dire que,
par exemple, les impressions portées sur l'arrière-gorge amènent
encore l'acte réflexe de la déglutition. Ce n'est que dans une période
plus avancée que disparait la sensibilité inconsciente ; alors cessent
de se produire les actes réflexes involontaires mais essentiels à la
vie ; la respiration s'arrête, l'animal meurt.
Mécanisme de l'action des anesthésiqiies. — Quant au méca-
nisme intime de l'action des anesthésiques généraux, du moins de
24 NO GUE. — ANESTHESIE.
ceux qui sont administrés par inhalation (chloroforme, éther, chlorure
d'éthvle et protoxyde dazote), sur lesquels ont surtout porté les
expériences, il est actuellement expliqué ^l'après les plus récentes
recherches, ainsi qu'il suit.
Pour Hans Meyer et Overton, la cellule, en dehors de ses consti-
tuants protéiques, contient des substances solubles dans Téther,
graisses neutres, lécithines, chlolestérines, etc., auxquelles on donne
le nom de lipoïdes. Toutes les substances solubles dans les graisses
auraient une action anesthésique, et cette action serait en raison
directe du rapport de leur solubilité dans les graisses et de leur solu-
bilité dans l'eau, qu'on nomme coefficient de partage. Plongeant des
animaux dans de l'eau tenant en solution ces différentes substances,
si l'on détermine le minimum de substance capable de produire
la narcose, la concentration critique, on constate que la puissance
anesthésique d'une substance ainsi mesurée présente un rapport
évident avec le coefficient de partage. L'agent anesthésique est fixé
par les lipoïdes des cellules. Les organes les plus riches en lipoïdes
sont les premiers atteints : tel est le cas du système nerveux. L'anes-
thésie serait alors la conséquence de la fixation essentiellement
d'ordre physique de l'agent anesthésique sur le système nerveux.
Pour Moore et Roaf, il y aurait combinaison d'ordre physique et
chimique entre les anesthésiques et les matières protéiques des
cellules.
Divers auteurs, Pohl, G. Archangelsky, Nicloux, Tissot ont trouvé
que les centres nerveux avaient une capacité d'absorption pour les
anesthésiques supérieure à celle des autres tissus et que, dans le
sang, les globules fixent plus de chloroforme que le plasma.
Il semblerait donc que la teneur en graisses des divers organes
jouerait un rôle prépondérant dans la fixation des anesthésiques.
Maurice Nicloux et M"* Frison ont étudié à ce point de vue le système
nerveux et donnent ainsi les (conclusions de leurs recherches :
1° D'une façon générale, dans les centres nerveux, les différentes
parties fixent d'autant plus de chloroforme au cours d'une anesthésie
qu'elles sont plus riches en substances grasses, ou lipoïdes :
2° Après une anesthésie prolongée, amenant la mort de l'animal,
si l'on considère une partie déterminée du système nerveux, sa
teneur en chloroforme est toujours la même relativement à la teneur
en graisses. C'est ainsi qu'au moment de la mort le bulbe et le
cervelet renferment toujours de 0k'',30 à Os'',40 de chloroforme
pour 100 grammes de graisses ou substances analogues ; le cerveau,
la substance grise et la substance blanche, de 0^'',A0 à 0S'',45. Au
moment de la mort et pour un organe donné, le rapport ainsi déter-
miné représente un point de saturation ;
3° Ouand la mort survient après une anesthésie de courte durée,
les différentes parties du système nerveux central n'ont pas toutes
SOMMEIL NATUREL ET SOMMEIL ANESTHÉSIQUE. 25
alleinl cette teneur en chloroforme. La substance grise est celle qui
se sature le plus rapidement ; elle a atteint son point de saturation
au bout de tleux minutes et demie, alors que la substance blanche
l'atteint en trente-cinq minutes. Ce phénomène s'explique par les
ditrérences de saturation des deux tissus ;
4° Si, après une anesthésie même très prolongée, l'animal en état de
narcose est tué par section des gros vaisseaux, aucune des parties des
centres nerveux n'a atteint sa saturation mortelle. 11 est intéressant
de remarquer que la mort peut survenir sans que la substance blanche
soit saturée. Au contraire, au moment de la mort, la substance grise
a toujours atteint son point de saturation, aussi courte qu'ait été la
durée de lanesthésie.
Maurice Nicloux, se basant sur les expériences de Hans Meyer,
Overton, Moore et Roaf et sur les siennes propres, formule ainsi sa
conception de lanesthésie. Il existe une relation évidente entre
l'anesthésie et la fixation de chloroforme par les lipoïdes. Nous ne
voulons pas dire par là que la présence de chloroforme dans les
graisses soit en elle-même la cause de lanesthésie, mais il est
possible qu'elle suffise à modifier les fonctions des autres constituants
de la cellule, en particulier ses matières protéiques, et à troubler
ainsi le jeu des fonctions vitales. Cette action toute passagère et
transitoire aurait pour résultat l'abolition de la sensibilité et cesse-
rait avec l'élimination de lanesthésique. Tout ce qui vient d'être
dit s'applique exclusivement au chloroforme. On peut se demander
si cette hypothèse peut s'étendre aux anesthésiques généraux : éther,
chlorure déthyle, protoxyde d'azote.
« Pour l'éther etle chlorure d'éthyle, on peut répondre par l'affirma-
tive. En effet, tous deux sont des dissolvants des graisses, tous deux
sont fixés par les graisses de l'organisme avec énergie ; pour tous
deux, les quantités fixées par le cerveau et le bulbe, riches en
lipoïdes, sont supérieures à celles fixées parles autres tissus.
« Quant auprotoxyHe d'azote, il possède cette curieuse propriété,
— commune avec l'acide carbonique, d'ailleurs anesthésique général
dans certaines conditions, — d'être absorbé en quantité très impor-
tante lorsqu'il est agité avec l'huile. Il y a donc là toute une série
d'expériences, parallèles à celles entreprises pour le chloroforme, à
poursuivre sur les trois autres anesthésiques généraux (1). »
(l) Dr M. Nicloux, Les anesthésiques généraux au point de vue chimico-physio-
logique, Paris, 190ï<.
26 NOGUÉ. — ANESTHESIE.
IV. - PROTOXYDE D'AZOTE.
C'est un gaz incolore, inodore, dune saveur légèrement sucrée,
découvert par Priestleyen 177(3. On le prépare en décomposant par la
chaleur lazotate d'ammoniaque du commerce chimiquement pur. Pour
cela, lazotate est chauffé dans une cornue à 200° et le protoxyde
se forme d'après la réaction :
AzH^AzOS = Az20 + SH^O.
Théoriquement, 1 kilogramme d'ammoniaque devrait donner
550 g-rammes ou 278 litres. Le g-az ainsi obtenu traverse des flacons
laveurs, dont l'un contient une solution de potasse caustique destinée
à retenir le chlorure et l'autre une solution de protosulfate de fer
destinée à retenir le bioxyde d'azote, d'autres enfin de leau pure. Il
ne faut pas oublier en effet que, dans cette décomposition de l'azotate
d'ammoniaque, si la température atteint 250°, il se forme un
gaz nouveau, le bioxyde d'azote (AzO-), très toxique.
Le poids spécifique du protoxyde d'azote est le'',52. Il entretient
la combustion comme l'oxygène. L'eau à la température de 23»
dissout O^r (',216 de ce gaz ; l'alcool en dissout une quantité plus
grande. L'étincelle électrique le décompose. C'est Faraday qui, le
premier, l'a obtenuà l'état liquide. A la température deO», il se liquéfie
sous une pression de 30 atmosphères ; il faut une pression de
50 atmosphères pour le liquéfier à la température ordinaire. Aujour-
d'hui le protoxyde est préparé industriellement dans le laboratoire
et sous le contrôle du chimiste. Il n'en était pas de même autrefois :
les dentistes étaient obligés de le fabriquer eux-mêmes en décompo-
sant l'azotate d'ammoniaque. Comme la plupart d'entre eux n'avaient
que des notions de chimie fort vagues, on conçoit qu'une opération
aussi délicate ne pouvait être scientifiquement exécutée. Aussi le
protoxyde d'azote ainsi obtenu était-il généralement impur. Grâce à
la liquéfaction, le gaz a été rendu facilement transportable. Et cette
liquéfaction même est une garantie de sa pureté. Le protoxyde, en
effet, se liquéfie àO° sous une pression de 30 atmosphères. Le bioxyde,
au contraire, exige pour changer d'état une pression beaucoup plus
forte. S'il en existait donc de faibles quantités dans les bouteilles
d'acier qui contiennentle protoxyde, elles resteraient à l'état gazeux,
et il suffirait, ainsi que le recommande Litde, pour éliminer le
bioxyde toxique, de laisser échapper un peu de gaz avant de se servir
d'une bouteille pleine.
ACTION PHYSIOLOGIQUE DU PROTOXYDE D'AZOTE.
Le protoxyde d'azote a été utilisé bien souvent soit dans un
but d'expérience, soit dans un but chirurgical. Les sensations
ACTION PHYSIOLOGIQUE DU PROTOXYDE D'AZOTE. 27
produiles parurent aux premiers observateurs tellement extraordi-
naires qu'ils essayèrent de les décrire. Davy, qui le premier les
éprouva, nous en a laissé le récit précis :
i. Dès la premièreinspiration, j'ai vidé la vessie. Une saveur sucrée,
a, dans l'instant, rempli ma bouche et ma poitrine tout entière, qui
se dilatait de bien-être. J'ai vidé mes poumons et je les ai remplis
encore: mais, à la troisième reprise, les oreilles m'ont tinté et j'ai
abandonné la vessie. Alors, sans perdre précisément connaissance, je
suis demeuré un instant promenant les yeux dans une espèce d'étour-
dissement sourd ; puis je me suis pris, sans y penser, d'éclats de rire
tels que je n'en ai jamais fait de ma vie. Après quelques secondes, ce
besoin de rire a cessé tout d'un coup, et je n'ai plus éprouvé le
moindre symptôme. Ayant réitéré l'épreuve dans la même séance,
je n'ai plus éprouvé le besoin de rire. Je n'aurais fait que tomber en
syncope si j'eusse poussé l'expérience plus loin. »
Ici Humphry Davy s'était servi d'un mélange de gaz et d'air atmo-
sphérique. Il voulut ensuite éprouver les etl^'ets du protoxyde d'azote
pur, et voici comment il s'exprime au sujet de cette dernière expé-
rience :
u Je ressentis immédiatement une sensation s'étendanl de la poi-
trine aux extrémités. J'éprouvais dans tous les membres comme une
sorte d'exagération du sens du tact. Les impressions perçues par le
sens de la vue étaient plus vives: j'entendais distinctement tous les
bruits de la chambre, et j'avais très bien conscience de tout ce qui
m'environnait. Le plaisir augmentait par degrés ; je perdis tout rap-
port avec le monde extérieur. Une suite de fraîches et rapides images
passaient devant mes yeux; elles se liaient à des mots inconnus et
formaient des perceptions toutes nouvelles pour moi. J'existais dans
un monde à part. J'étais en train de faire des théories et des décou-
vertes, quand je fus éveillé de cette extase délirante par le D' Kin-
glake, qui m'ôta le sac de la bouche. A la vue des personnes qui
m'entouraient, j'éprouvai d'abord un sentiment d'orgueil; mes
impressions étaient sublimes, et, pendant quelques minutes, je me
promenai dans l'appartement, indifférent à ce qui se disait autour
de moi. Enfin je m'écriai avec la foi la plus vive et l'accent le plus
pénétré : « Rien n'existe que la pensée; l'univers n'est composé que
«d'idées, d'impressions, de plaisirs, de souffrances. »
« Une s'était écoulé que trois minutes et demie durant cette expé-
rience, quoique le temps m'ait paru bien plus long en le mesurant au
nombre età la vivacitéde mes idées ; je n'avais pas consommé la moi-
tié de la mesure du gaz ; je respirai le reste avant que les premiers
effets eussent disparu. Je ressentis des sensations pareilles aux pré-
cédentes ; je fus promptement plongé dans l'extase du plaisir, et
j'y restai plus longtemps que la première fois. Je fus en proie, pendant
deux heures, à l'exhilaration. J'éprouvais encore plus longtemps
28 NOGUÉ. - ANESTHESIE.
Tespèce de joie déréglée décrite plus haut, qui s'accompagnait d'un
peu de faiblesse. Cependant elle ne persista pas ; je dînai avec appé-
tit, et je me trouvai ensuite plus dispos et plus gai. >>
C'est alors que Pictet (de Genève\ après avoir constaté les eiïels
sur Davy lui-même, se soumit à l'influence du protoxyde en présence
de plusieurs autres savants, Blackford et Eighe, et du comte de Rum-
ford, son ami.
Voici ses propres paroles :
« Nous étions cinq ou six disposés à faire l'essai, et ma qualité
d'étranger me valut le privilège de commencer. A la troisième ou
quatrième inspiration, j'entrai dans une série rapide de sensations
nouvelles pour moi et difficiles à décrire. L'effet principal était dans
la tète; j'entendais un bourdonnement ; les objets s'agrandissaient
autour de moi ; il me semblait que ma tête grossissait rapidement,
je ne voyais plus qu'à travers un brouillard ; je me voyais quitter ce
monde et m'élever dans l'Empyrée. .J'étais pourtant bien aise, par
une arrière-pensée que je me rappelle distinctement, de sentir autour
de moi des amis et le comte de Rumford en particulier, qui observait,
ainsi que nous en étions convenus, la marche de mon pouls, lequel
devint l'irrégularité la plus extrême et telle qu'il était impossible de
le compter. Je cessai alors de respirer le gaz, et j'entrai dans un
calme approchant de la langueur, mais extrêmement agréable. Loin
de chercher l'action musculaire, je répugnais à tout mouvement,
j'éprouvais d'une manière exaltée le simple sentiment de l'existence
et ne voulais rien de plus. En peu de minutes je revins à l'état tout
à fait naturel.
« M. Blacford me succéda : ce fut un tout autre genre : une activité
extrême et qui se rapprochait tout à fait de létat de convulsions :
ensuite une gaîté bruyante bientôt suivie d'une jouissance plus
calme et, enfin, de létat naturel.
« M. Eighe vint après. Celui-là n'était pas de la classe des langou-
reux; son agitation devint si grande sur la fin des inspirations .qu'on
voulut lui ôter la vessie, il la retint de toutes ses forces ; puis, lors-
qu'elle fut épuisée, il se mit à rire, à parler avec beaucoup de viva-
cité ; il disait que de sa vie il n'avait éprouvé rien d'aussi agréable. »
Depuis la découverte de Wells et surtout depuis la renaissance
de l'anesthésie par le protoxyde d'azote en 1863, les physiologistes
entreprirent l'étude vraiment scientifique du gaz. Les résultats
obtenus par les expérimentateurs furent malheureusement contra-
dictoires et souvent en opposition absolue avec les données quo-
tidiennes de la clinique. Ces divergences doivent être attribuées
aux difficultés considérables de Texpérimentation elle-même sur
les animaux et peut-être aussi, en très grande partie, à l'impureté du
gaz employé. Un des derniers savants qui se sont occupés du pro-
toxyde d'azote, le P^ Livon (de Marseille), n'hésite pas en effet à
ACTION PHYSIOLOGIQUE DU PROTOXYDE D'AZOTE. 29
avancor que, clepuis qu'il emploie un g:az toujours le même, fabriqué
par une usine sérieuse, il n'observe plus, dans ses expériences, les
inégalités inexplicablesqu'il observait quand il fabriquait lui-même
legfaz dans sonlaboratoire, aussi minutieusement que cela fut fait (1).
IMallieureusementces divergencesde vues, aggravées d'affirmations
contradictoires, nont fait qu'ébranler injustement la confiance des
médecins dans le protoxyde.
Dès 18(U, Hermann se livre à des expériences sur les animaux et
en déduit que le protoxyde d'azote administré pur produit l'asphyxie.
Il se conduirait vis-à-vis des fonctions respiratoires comme un gaz
indiiïérent. Administré avec l'oxygène, le protoxyde ne déterminerait
pas lanesthésie.
Krishaber, en 1867, de ses recherches faites sur les lapins, tire les
conclusions suivantes : le protoxyde d'azote amène l'anesthésie et la
mort au même titre ([ue le chloroforme : le caractère essentiel du
gaz est de troubler le rythme du cœur ; son action sur la respiration
serait également irrégulière. Les phénomènes d'anesthésie avec le
protoxyde d'azote \mv sont très prompts à apparaître ; de même ils
se dissipent très promplement. Si le protoxyde d'azote offre un cer-
tain avantage sous le rapport de la fugacité des symptômes qu'il pro-
voque, il a le grand désavantage de devenir promptement funeste,
tandis que l'anesthésie par le chloroforme peut être prolongée pen-
dant longtemps avec infiniment moins de dangers.
En 1873, Jolyet et Blanche publient les résultats de leurs expé-
riences : respiré pur, le protoxyde d'azote produit l'asphyxie au même
titre que les autres gaz inertes : s'il produit l'anesthésie, c'est par
privation d'oxygène dans le sang. Le protoxyde d'azote étant un gaz
irrespirable et « ne possédant pas les propriétés anesthésiques
qu'on lui a attribuées, son emploi ne peut être que dangereuxet doit
à ce titre être proscrit de la matière médicale )>.
Viennent ensuite, en 1878, les expériences de Zuntz et Golslein
faites dans le laboratoire de Pflûger, à Bonn : d'après ces auteurs,
une narcose complète ne peut être produite et entretenue que quand
l'action du protoxyde est conduite avec l'absence de l'oxygène.
L'anesthésie apparaît de trente à quarante secondes après le com-
mencement de l'inhalation, tandis que l'asphyxie complète ne com-
mence qu'une minute plus tard.
A la fin de la même année, le 11 novembre 1878, Paul Bert commu-
niquée l'Académie des sciences ses belles recherches, qui réduisaient
à néant la plupart des résultats des auteurs précédents. Le texte
même de l'illustre physiologiste mérite d'être reproduit (2) :
(1) Beltrami, Thèse de Paris, 1905.
(2) Paul Bert, Sur la possibilité d'obtenir, à l'aide du protoxyde d'azote, une
insensibilité de longue durée, et sur l'innocuité de cet agent [Acad, des se,
11 nov. 1878).
30 NOGUÉ. — ANESTHESIE.
« Le protoxyde d'azote, dont les propriétés anesthésiques ont été
découvertes par HumphryDavy à la fin du siècle dernier, est employé
aujourd'hui par un très grand nombre de praticiens pour obtenir
l'insensibilité pendant l'extraction des dents. Mais cette insensibilité
ne peut être prolongée, pour cette raison qu'au moment même où
elle est suffisante, apparaissent des phénomènes asphyxiques qui
deviendraient bientôt redoutables. Aussi les chirurgiens américains
ne sont parvenus à faire avec le protoxyde d'azote des opérations
de longue haleine qu'en produisant des anesthésies courtes, mais
répétées, séparées par des phases de sensibilité.
« Gela tient à ce qu'on ne peut arriver à Tanesthésie qu'à la condi-
tion de faire respirer au patient du protoxyde d'azote pur, sans aucun
mélange d'air ; il en résulte que l'asphyxie marche de pair avec
l'anesthésie.
« Je me suis proposé de remédier à cet inconvénient si grave, et je
suis parvenu à obtenir une anesthésie indéfiniment prolongée, en me
mettant absolument à l'abri de toute menace d'asphyxie.
« Le fait que le protoxyde d'azote doit être administré pur signi-
fie que la tension de ce gaz doit, pour qu'il en pénètre une quantité
suffisante dans l'organisme, être égale à 1 atmosphère. Sous la
pression normale, il faut, pour obtenir ce résultat, que le gaz soit à
la proportion de lOD p. iOO. Mais, si nous supposons le malade placé
dans un appareil où la pression soit poussée à 2 atmosphères, on
pourra le soumettre à la tension voulue en lui faisant respirer un
mélange de 50 p. 100 de protoxyde d'azote et 50 p. 100 d'air; on
devra donc obtenir de la sorte l'anesthésie, tout en maintenant dans
le sang la quantité normale d'oxygène et, par suite, en conservant
les, conditions normales de la respiration.
« C'est ce qui est arrivé: mais je dois le dire dès maintenant, je
n'ai expérimenté que sur des animaux. Voici le dispositif de l'expé-
rience : J'entre dans le cylindre, et là, sous une augmenlation de
pression d'un cinquième d'atmosphère, je fais respirer à un chien un
mélange de cinq sixièmes de protoxyde d'azote et d'un sixième d'oxy-
gène, mélange dans lequel on voit que la tension du gaz, dit hila-
rant, est précisément égale à 1 atmosphère. Dans ces conditions,
l'animal est, en une ou deux minutes, après une phase d'agitation
très courte, anesthésie complètement : on peut toucher la cornée ou
la conjonctive sans faire cligner l'œil, dont la pupille est dilatée,
pincer un nerf de sensibilité mis à nu, amputer un membre, sans
provoquer le moindre mouvement ; la résolution musculaire est
vraiment extraordinaire, et l'animal, n'étaient les mouvements respi-
ratoires qui continuent à s'exécuter avec une régularité parfaite,
semble frappé de mort. Cet état peut durer une demi-heure sans nul
changement. Pendant tout ce temps, le sang conserve sa couleur
ACTION PHYSIOLOGIQUE DU PROTOXYDE D'AZOTE. 31
rouf^e et sa richesse en oxygène, le cœur sa lorce et ses battements
réguliers, la température son degré normal. Pendant tout ce temps,
une excitation portée sur un nerf centripète provoque sur la respira-
tion ou la circulation tous les phénomènes d'ordre réflexe qui se
produisent chez l'animal sain. En un mot, tous les phénomènes dits
de la végétation demeurent intacts, tandis que sont absolument
abolis tous ceux de la vie animale.
« Lorsque, au bout d'un temps quelconque, on enlève le sac qui
contenait le mélange gazeux, on voit l'animal, à la troisième ou à la
quatrième respiration à l'air libre, recouvrer tout à coup la sensibilité,
la volonté, l'intelligence, comme le prouve le désir de mordre que
parfois il manifeste aussitôt. Détaché, il s'enfuit, marchant librement,
et reprend immédiatement sa gaité et sa vivacité.
« Ce rapide retour à l'état normal, si différent de ce qu'on
observe avec le chloroforme, tient à ce que le protoxyde d'azote ne
contracte pas, comme le chloroforme, de combinaisons chimiques
dans l'organisme, mais est simplement dissous dans le sang. Dès
qu'il n'y en a plus dans l'air inspire'', il s'échappe rapidement par
le poumon, comme me l'ont démontré les analyses des gaz du
sang.
« L'innocuité d'action du protoxyde d'azote ressort du récit de ces
expériences. D'une part, en effet, l'anesthésie, en frappant la sensi-
bilité médullaire, respecte les réflexes de la vie organique, dont la
suppression, facile par le chloroforme, peut seule mettre la vie en
danger ; d'autre part, le retour immédiat à l'état normal, lorsqu'on
revient à l'air libre, fait que l'opérateur est toujours maître de la
situation. Cette innocuité ressort non moins nettement du nombre
infiniment petit d'accidents qui ont suivi les inhalations (lesquelles
se comptent par centaines de mille) exécutées par les dentistes,
souvent en dehors de toute prudence et de toute compétence, et dans
les conditions où l'asphyxie vient augmenter les dangers, s'ils
existent, de l'anesthésie.
« Je suis donc autorisé, dès maintenant, par mes expériences faites
sur les animaux, à recommander très vivement aux chirurgiens
l'emploi du protoxyde d'azote sous pression, en vue d'obtenir une
anesthésie de longue durée. Je puis leur affirmer qu'ils obtiendront,
en mesurant, comme je l'ai indiqué, la pression barométrique et la
composition centésimale du mélange, de manière à avoir, pour le
protoxyde d'azote, la tension normale dans l'air, une insensibilité et
une résolution musculaire aussi complètes qu'ils le désireront, avec
retour immédiat à la sensibilité, avec bien-être consécutif parfait. Le
procédé d'application du médicamentprésente même une commodité
singulière, puisque, en présence des petites inégalités qui ne pour-
ront manquer de se produire d'un individu à l'autre, en raison de
susceptibilités spéciales, il suffira soit d'augmenter légèrement, soit
32 NOGUÉ. — ANESTHÉSIE.
de diminuer la pression barométrique, ce qui se lait avec la plus
extrême facilité, parle jeu d'un robinet.
« Je ne vois qu'une seule difficulté : elle tient à l'appareil instru-
mental nécessaire pour l'application du protoxyde d'azote sous ten-
sion. Je reconnais que l'obstacle est absolu pour la chirurgie des
armées, pour celle de la campagne. Mais la plupart des grandes
villes, et c'est là que se font presque toutes les opérations graves,
possèdent des établissements d'air comprimé. L'installation dune
salle où pourraient trouver place, au côté du patient et de l'opérateur,
une douzaine d'assistants, ne coûterait pas plus dune dizaine de
mille francs, faible dépense pour les administrations hospitalières.
« Ce sont là. du reste, des difficultés d'ordre secondaire, et dont la
solution revient aux chirurgiens; c'est à eux également qu'il appar-
tiendra de résoudre les multiples questions de détails que soulève
toujours l'application d'un nouvel agent thérapeutique. Il doit me
suffire, comme physiologiste, d'avoir indiqué cet agent, montré les
immenses avantages de son emploi et insisté, entre autres, sur son
innocuité si merveilleuse et si facilement explicable. •>
Action sur l'appareil respiratoire. — Le protoxyde d'azote ne
détermine aucune irritation des voies respiratoires supérieures, et
cela est si vrai que, si l'on fait respirer au patient, le masque étant
appliqué sur la face, de l'air pur et que, sans le prévenir, on remplace
l'air pur par le gaz, il ne se produit aucun mouvement de défense. Si
l'augmentation du système respiratoire est la règle, on peut souvent
la mettre sur le, compte de Témotion : nous avons maintes fois vu la
respiration normale du commencement à la fin. Souvent aussi on
peut noter une amplitude plus grande des mouvements inspiratoires ;
parfois, surtout chez les sujets nerveux, il existe une diminution
exagérée de cette amplitude, absolument comme si le sujet retenait
volontairement sa respiration. Mais, à mesure que lanesthésie fait
des progrès, la respiration reprend son rythme normal. Ce n'est
qu'au moment où Tanesthésie est absolue qu'apparaît la respiration
bruvante et stertoreuse, due au relâchement de la glotte et qui est le
signe le plus sûr de l'anesthésie complète.
Action sur l'appareil cardio-vasculaire. — Dès le début de
l'inhalation du protoxyde, le pouls s'accélère, monte parfois à
120 pulsations, puis devient petit et se régularise avec tendance au
ralentissement. L'état de la pression artérielle a été trouvé difTérent
par les divers expérimentateurs. Dans tous les cas, on note une
hypotension dès le début de la narcose ; dans la majorité des cas,
abaissement saccentuant jusqu'à la suppression du masque, suivi
d'un relèvement rapide. Mais nombreux sont les tracés, notamment
chez les artérioscléreux et les éthyliques, où. à l'hypotension du
début, succède brusquement un retour vers la normale, bien avant le
réveil (G. Beltrami).
ACTIOX PHYSIOîLOGIQUE DU P^IOTOXYDE D'AZOTE. 33
Chez les animaux, leâ résultats ,oblenus ont , été assex -contradic-
toires. L^ans uiii cas (Beltrami et Reyiiaud), il y avait Jby.poteusion
brusque de i à 8 centinaètres dès les premières inhalations, avec
baisse progressive jusqu'au sommeil, .moment où Ton noXe en g-éné-
l'al les chitïres inférieurs à y et 8 centimètres ; puis la pressio^n se
iredèy-enait rapidement.
Des expériences de Georges Beltrami, au contraire, il ressort que
Fig. J. — Tracé de la pression artérielle d'un chien pendant l'anesthésie
au protoxyde dazote.
la pression artérielle subit bien une légère chute au début, mais de
courte durée, car elle se relève bientôt pour ne plus se modifier pro-
fondément. Aussi peutron se demander avec cet auteur s'il n'v aurait
paslieu de tenir compted'une sorte desensibilité individuelle. Ainsi,
■ dans le tracé de la figure 1, la pression subit une légère augmenta-
tion : de bien moyenne ellepasse à,19. Au moment de-la cessation des
inhalaitons, il>y.aunechute assez brusque, ramenant la pression peu
près à son point de départ : mais cette chute est suivie presque immé-
diatement d'une grande élévation (25 centimètres), qui n'est que de
courte durée, la pression revenant peu après presque à son point de
départ, pour subir encore une élévation assez importante et des modi-
fications qui ne tardent pas à disparaître (G.îBeltrami).
Traité de stomatologie. VI. — 3
34 NOGUÉ. — A^ESTHESIE.
Il est démontré aujourdhui que le protoxyde d'azote se dissout
dans le sérum sanguin sans former aucune combinaison chimique.
Ce qui le prouve, c'est ce fait clinique du retour presque instantané à
Tétat normal dès que le masque est enlevé. La combinaison du pro-
toxyde avec Ihémoglobine indiquée par Preyer n'offre qu'un intérêt
scientifique, car, ainsi que Va montré Dastre, elle ne se produit pas
dans l'organisme quand on fait respirer le gaz.
En outre, si l'on fait le dosage du gaz au moment de l'anesthésie,
on trojuve toujours une augmentation de la quantité du gaz résiduel
que l'on doit considérer comme de l'azote. Au bout de quatre à cinq
minutes, le sang- s'est complètement débarrassé de cet excédent
d'azote. i
D'après les recherches de Maurice Nicloux, les quantités de
protoxyde d'azote dans le sang- sont à peu de chose près les sui-
vantes :
Az20.
En vol. En poids,
c. c. tngv-
Au seuil de l'aneslhésie (ce point est délicat à observer). 20 40
Au moment de l'anesthésie déclarée. 25 50
Au moment de la mort, juste au moment qui précède la
syncope respiratoire 30 60
Le tableau suivant, que nous empruntons au même auteur, montre
avec qu'elle rapidité le protoxyde d'azote s'élimine :
Temps
Durée
Exp. 1.
de l'anesthésie
Exp.
Durée de 1'
II.
anesthésie
Ex|
Durée de 1
3. m.
l'anesthésie
compté depuis
la cessalion de
l'anesthésie.
2' 30",
Sang arté
En volume.
riel.
En poids.
3' 15".
Sang artériel
En volume. En
i poids.
Sang
En volume
30".
veineux.
En poid)
ce.
mgr.
c. c.
mgr.
c. c.
mgr.
0 minute.. .
23.3
45,7
24,0
47,3
1S,S5
37,1
15 secondes.
»
»
15,45
30,5
»
• „
30 secondes.
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»
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»
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.■
»
»
»
5.93
11,65
5 minutes. .
0
0
0
0
0
0
Quant à la teneur respective en protoxyde d'azote des globules
sanguins et du plasma pendant l'anesthésie, les expériences
de Nicloux montrent que ce sont les globules qui en fixent le plus.
Des dernières recherches du P' Livon (de Marseille), rela-
tées dans la thèse du D"^ Georges Beltrami, il résulte que, chez les
chiens soumis aux inhalations du gaz, la quantité de C0^ de même
qu'avec le chloroforme, au lieu d'augmenter, diminue et la quantité
relative d'oxygène augmente. Cette constatation montre que ce n'est
point à un commencement d'asphyxie qu'est due l'anesthésie, mais
bien à une action sur le protoplasma cellulaire.
ACTION PHYSIOLOGIQUE DU PROTOXYDE D AZOTE. 35
Action sur le système nerveux. — L'action sur le système
nerveux est assez variable. On peut affirmer que l'excilation qu'on
observe dans Tanesthésie par le chloroforme ou TéHier est ici réduite
à son minimum. La plupart des sujets s'endorment naturellement
sans aucun phénomène d'agitation. Cependant, dans des cas il est
vrai exceptionnels, chez des femmes très nerveuses ou des hommes
alcooliques, on peut observer une agitation parfois violente.
Les phénomènes psychiques sont assez variables : le patient très
souvent a la sensation d'un départ pour un lointain voyage,
d'être en chemin de fer, en automobile ; quelques femmes épi-ouvent
des sensations erotiques ; les bruits environnants sont perçus
pendant une grande partie de l'inhalation du gaz et amplifiés. Les
manifestations violentes de quelques patients sont parfois sous la
dépendance directe des phénomènes psychiques; nous avons eu
l'occasion d'anesthésier plusieurs fois une femme qui, à la fin de cha-
cune des opérations, avait une période d'agitation violente avec cris
aigus avant le réveil. Interrogée, elle déclarait ne pas se souvenir
d'avoir crié; mais chaque fois elle avait eu la sensation d'être écrasée
sous un train ou sous une automobile. De là ses cris déchirants et
ses mouvements désordonnés.
D'après nos observations personnelles, la sensibilité périphérique
persiste ou revient alors que la conscience a disparu. Ainsi il arrive
que le réflexe cornéenest nettement perceptible, le malade étant déjà
dans le sommeil ; d'autres fois, au contraire, le réflexe a disparu, alors
que le patient ne dort pas encore. Il arrive également que la sensibi-
lité périphérique existe, au point de déterminer des mouvements
de défense réflexes et même des cris, alors que toute conscience est
abolie.
Voici comment le D' G. Beltrami raconte les sensations par lui
éprouvées pendant une anesthésie expérimentale :
«En manches de chemise, la ceinture défaite, je m'assieds commo-
dément dans un large fauteuil. Malgré mon assurance complète en
l'innocuité du protoxyde que je connaissais et avais vu administrer
bien souvent, je ne puis me défendre d'une légère émotion, insépa-
rable d'une première anesthésie, émotion rapidement étouffée par
la volonté ferme qu'on n'en vît rien d'abord et par la préoccupation
de bien respirer, ^lon père, me soutenant la tète de la main gauche,
m'applique le masqueinhalateur. Je respire largement, naturellement,
sans excès, en fixant l'espagnolette de la fenêtre de la salle d'opéra-
tion. J'entends le bruit de l'obus que l'on ouvre. Le gaz envahit et
distend le ballon. Je sens alors pénétrer dans ma poitrine une atmo-
sphère chaude et sucrée, qui me donne la sensation visuelle de bleu
gris. Mon père compte un : je lève la main gauche comme il était
convenu. A la troisième inspiration, l'image de l'espagnolette se
trouble, ses contours deviennent flous et bleuissants. J'entends
56 NOGUÉ. — ANESTHÉSilin:,
<éîion-cer deux : je lève la main. Tout à coup un coup de gong résonne
à mes oreilles, qui tintent aussitôt en même temps qu'un bruit de
piston de machine à vapeur se fait entendre (bruit que j'attribue aux
battenjents du cœur). Comme à travers un rêve, j'ai la sensation
confuse de mon père qui compte trois : j'éprouve cette fois-ci une
certaine difficulté à soulever la main, que je sens engourdie et froide.
Je perds bientôt connaissance et crois être 'dans un train de chemin
de fer passant sous un tunnel.
« Soudain un nouveau coup de gong me réveille, et je reviens comme
lancé à travers le plancher au milieu de mes amis. Cependant il
m'était encore impossible de remuer les mains restées froides et
humides, ni les membres inférieurs paralysés. Cène fut que quelques
secondes après que je pus me lever. Dix minutes plus tard je déjeunais
avec un excellent appétit.
«Ces conditions se sont à peu près toujours réalisées ainsi, non
seulement plusieurs fois sur moi-même, mais encore sur les différents
membres de ma famille ou de nos amis qui ont bien voulu se prêter
à ces expériences scientifiques, l'esprit calme, assurés de l'innocuité
du gaz et avec la résolution d'observer. »
Action sur l'appareil digestif. — Dans les nombreuses anesthé-
sies au protoxyde d'azote administré pur ou avec adjonction d'oxygène
que nous avons pratiquées, nous n'avons observé que très rarement
des nausées ou des vomissements. Cependant ces accidents, bien
qu'exceptionnels, peuvent se produire pendant l'administration du
gaz : aussi sera-t-il prudent de recommander aux patients de garder
la diète absolue ou du moins de ne faire qu'un repas très léger deux
heures avant de se soumettre à Topération. Les troubles intestinaux
n'ont jamais été observés.
Action sur r appareil urinaire. — On ne note jamais, pendant
le sommeil protoazoté, d'émission involontaire d'urine.
Dastre, Laffont ont noté, dans certains cas, l'apparition de sucre et
d'albumine dans les urines. Mais il s'agissait là de cas tout à fait
exceptionnels. G. Beltrami, qui a répété ces expériences maintes fois
sur lui-même et ^ur des personnes de son entourage, n'a jamais
observé la moindre modification qualitative dans les urines normales.
Effets consécutifs du protoxyde d'azote. — Parmi les millions
d'anesthésies faites au moyen du protoxyde d'azote, on devait fatale-
ment déceler quelques accidents attribuables au gaz. D'autant iplus
que,pendantlongtemps, ce gaz était administré dans un état de pureté
fort problématique. Quelques auteurs ont noté l'apparition acciden-
telle du sucre ou de l'albumine dans les urines, des troubles dans la
menstruation chez une jeune fille, un avortement chez une jeune
femme un mois et demi après l'anesthésie, etc. Mais, dans la plupart
des ctbservations rapportées, aucune preuve certaine ne permet
d'incriminer le gaz. Toutefois il est possible que, dans des cas tout à
ANESTHESIE PAR LE PROTOXYDE DAZOTE PUR. 37
fait exceptionnels, chez des sujets présentant une idiosyncrasie par-
ticulière, quelques-uns de ces accidents aient pu ôtre provoqués par
le protoxycle dazole.
Ce qui est bien plus certain, c'est que des millions d'aneslhésies
ont élé pratiquées sans qu'il ait été noté le moindre accident cousé-
cutil". Les patients sont légion qui sont soumis à plusieurs reprises
à l'action du gaz, parfoisdansla même journée. Nous avons, dans un
cas, anesthésié cinq fois de suite un de nos confrères dans la môme
matinée. Entre la troisième et la quatrième anesthésié, ce médecin
put aller faire une consultation dans une mairie voisine, puis revenir
se soumettre deux fois encore à l'action du gaz. Il rentra ensuite chez
lui, déjeuna et put pendant tout l'après-midi visiterses malades sans
le moindre trouble.
Caractéristiques du protoxyde d^azote employé comme anes-
thésique. — Le protoxyde d'azote n'ayant sur les voies respiratoires
aucune action irritante ne saurait déterminer de syncope laryng-o-
réflexe comme le chloroforme, l'éther, etc.
Il est démontré aujourd'hui que le gaz ne forme aucune
combinaison avec les globules sanguins. Il se dissout simplement
dans le plasma et autres liquides de l'organisme. Ce qui le prouve
bien, c'est la facilité avec laquelle disparaissent tous les symptômes
anesthésiques dès qu'on cesse son administration. Le patient
revient à lui presque instantanément et peut aussitôt se lever, parler,
marcher, reprendre la vie normale.
Enfin il est également démontré que l'action anesthésique est
indépendante de l'asphyxie. Cette action anesthésique, quand on
emploie le protoxyde à la pression normale, se manifeste chez l'homme
au bout de quarante-cinq à cinquante secondes, tandis que les phéno-
mènes asphyxiques ne s'observent qu'au bout d'une minute et
demie. Ces derniers accidents d'ailleurs cessent dès qu'on enlève le
masque.
ANESTHÉSIÉ PAR LE PROTOXYDE D'AZOTE PUR.
Instrumentation. — Au début de la période anesthésique, on
employait pour l'administration du gaz un simple ballon muni d'un
embout buccal. Le ballon contenait la provision nécessaire de gaz
pour une anesthésié et était séparé de l'embout par un simple robinet
permettant l'issue du protoxyde. Comme onle conçoit, ce système si
primitif présentait de nombreux inconvénients. Le ballon pouvait
être d'une contenance trop faible pour mener à bien l'anesthésie : il
n'avait guère que l'avantage d'être portatif comme les ballons d'oxy-
gène encore en usage aujourd'hui. L'embout buccal nécessitait
l'application exacte des lèvres du patient sur son pourtour, sous peine
de laisser passer l'air, application que l'opérateur était obligé de
38
NOGUÉ. — ANESTHESIE.
maintenir lui-même hermétique avec ses doigts à un moment donné
de l'opération. Il était nécessaire en outre de maintenir les narines
closes à l'aide d'un pince-nez spécial.
L'embout buccal fut bientôt remplacé par un inhalateur en caout-
chouc couvrant la bouche
et le nez, inhalateur '^ ^*"*" '^ '^
s'adaptant au ballon et
contenant une soupape / MF \ I l_J!
d'expiration. Le ballon
fut lui-même remplacé i, "m^r- , . ^i:;:
mm
Fig. 2. — Masquede Carter-liraine
pour l'inhala lion du protoxyde
d'azote.
Fig. à. — Masque de Hewilt.
par un gazomètre permettant de conserver de grandes quantités de
gaz, mais qui n'était plus portatif.
Quand la liquéfaction du protoxyde d'azote permit de le conserver
dans des bouteilles d'acier etde le transporter facilement, on employa
des instruments un peu différents.
Quelques opérateurs conservèrent le gazomètre. D'autres le rem-
placèrent par des ballons en caoutchouc ou en toile imperméable
disposés entre les bouteilles et l'inhalateur.
C'est le système généralement en usage aujourd'hui.
Il se compose de deux bouteilles de protoxyde liquide munies
chacune d'un robinet pouvant être ouvert et fermé à l'aide de la main
ou à l'aide du pied. Il est toujours prudent d'avoir deux bouteilles
dans le cas où lune des deux viendrait à être épuisée avant l'obtention
du sommeil. Il est également préférable que chacune des deux
bouteilles ait un tube d'issue du gaz, de façon à n'avoir, quand l'une
est vide, qu'à ouvrir simplement le robinet de l'autre pour continuer
Fanesthésie.
Le tube partant de la bouteille aboutitàun ballon d'une contenance
de 10 litres environ. La longueur du tube est telle que, les bouteilles
étant posées à terre, le ballon se trouve à hauteur de la poitrine du
patient assis dans le fauteuil.
AMiSTHliSIl- PAR LE PROTOICYDE DAZOTE PUR.
39
Au p(Me opposé du ballon, généralement de forme ovalaire, se
trouve un ajutage sur lequel s'adapte Tinhalateur.
Cet inhalateur, dont la forme est celle d'un cornet, est en caoutchouc
durci ou en celluloïd transparent. Sur tout son pourtour s'applique
un petit boudin de caout-
chouc mou dans lequel on
insu file de l'air. Cette
chambre à air vient épouser
d'une facjon parfaite les
sinuosités de la face et
assure l'application her-
métique de l'appareil.
Les inhalateurs sont
munis de deux ouvertures
avec soupapes automati-
(|ues, l'une pour l'aspira-
tion du ga/. venant du bal-
lon, l'autre pour le rejet à
l'extérieur des produits de
la respiration. Quelquefois
l'inhalateur présente un
dispositif spécial permet-
tant l'admission de l'air en
proportions graduées.
Précautions prélimi-
naires. — La diète, si re-
commandée dans l'anes-
tlîésie avec le chloroforme
ou l'éther, n'est pas abso-
lument nécessaire. Le pa-
tient peut manger avant de
respirer le gaz, mais il est
bon que le repas soit léger et ait été fait deux heures avant l'opération.
Une précaution indispensable est celle de s'assurer que le patient
est débarrassé de tous les obstacles pouvant gêner la respiration:
faux col, cravate, ceinture : chez les femmes, le corset doit être enlevé.
Cela fait, il est bon de procéder à l'auscultation des poumons et
du cœur. S'il apparaissait qu'il y eût une contre-indication provenant
de l'état de ces organes, mieux vaudrait renoncer à l'anesthésie.
On conçoit combien il est donc préférable de procéder à cet examen
avant le moment même de l'opération, les jours précédents par
exemple. Un dernier examen fait au moment même de l'anesthésie
aura surtout pour but de réconforter le patient en l'assurant du
parfait état de ses organes et par suite de l'innocuité absolue de ce
procédé de narcose.
ig. 4. — Appareil à une seule bouteille.
40 NOG-tE. — A:^ÈStHÉSlÊ.
Les paroles d'encouragement ne sont pas superflues et ont sur le
patient la plus heureuse influence.
Il faut avoir ffrand soin de vérifier, avant de s'e-n servir, lefonction-
nemenl de l'appareil : mieux vaut que ces manœuvres s'exécutent
avant l'heure fixée pour l'opération et soient faites par l'opérateur
lui-même avec la plus grande minutie. S'assure^ ffue les bouteilles
contiennent une quantité suffisante de protoxvdeetque les soupapes
remplissent parfaitement leur rôle.
La position assise est la plus favorable pour l'adrainisiration du
protoxyde d'azote. Il est bon que la tète du patient soit franchement
appuyée sur une surface résistante et autant que possible calée afin
qu'elle ne ptiisse s'incliner à droite ou à gauche. Elle sera plus ou
moins penchée en avant selon qu'il s'agira d'intervenir sur la mâchoire
supérieure ou sur la mâchoire inférieure.
Il est prudent de placer, avant de commence? l'anest hésie, un bâillon
muni d'un fil ou un ouvre-bouche 'fig. 5 et &] ne pouvant pas gêner
l'application hermétique de l'inhalateur.
Enfin il ne faut jamais opérer seul. Sans insister sur des hallucina-
tions toujours possibleschezcertaines malades, il faut se rendre bien
compte que le même opérateur ne saurait, sans la plus grande
imprudence, pratiquer lanesthésie elle-même avec toute l'attention
nécessaire et intervenir chirurgicalement en même temps. Qu'un
accident survienne en effet dans ces conditions, nul doule que le»
tribunaux ne le reconnaîtraient coupable de négligence et. à notre
avis, avec juste raison. Il faut donc que le chirurgien soit assisté d'un
aide compétent. L'un administre lanesthésique, l'autre pratique
lopération. Mais toute autre personne et surtout les proches du
patient doivent être impitoyablement renvoyés.
Technique de l'anesthésie. — Toutes les précautions étanlprises,
le masque est appliqué sur le visage, de telle sorte qu'il s'oppose
complètement à l'entrée de l'air. On conseille alors au malade de
respirer naturellement, sans appréhension aucune et simplement. A
ce moment, l'air atmosphérique pénètre seul dans l'inhalateur. Malgré
cela, il n'est pas rare de voir le malade taire des inspirations saccadées,
rapides et même s'agiter. Il faut alors l'engager doucement au calme
et même lui faire remarquer qu'il ne respire encore que de l'air pur.
Quand la respiration est devenue normale, on tourne le robinet, qui
donne passage au protoxyde et ferme l'accès de lair^ soit d'un seul
coup, soit progressivement.
Généralement il ne se produit à ce moment rien d'anormal. La
respiration conserve son rythme régulier. Il semble que le patient
n'ait nullerhenl conscience qu'au lieu de respirer l'air atmosphérique
il respire le protoxyde d'azote. Le fait est surtout frappant chez les
enfants, qui réagissent si violemment aux premières inhalations de
chlorure ou de bromure délhvle.
ANESTHÉSIIl par le PROTOXYDE D azote pur. VI
L'rtnalgt'sie ne tarde pas à se manifester, en général au llxout de
liVMite à quarante secondes : chez un certain nombre de sujets, se
pro<luit une agitation très légère, mouvements des bras ou des
jambes : chez quelques aiatres, les hommes alcooliques, les femmes
très nerveuses, hystériques, on peut observer parfois une agitation
violente. On a noté également des rêves erotiques, etc.
Bientôt après, vers la cinquantième seconde, précédant de peu les
phénomènes asphyxiques, survient Tanesthésie. Une cyanose marquée
se manifeste au niveau du visage
, '';,'-"-;"'-- et des doigts : la respiration de-
. *jj^.^ -'''''''"'" '^'r'"'''^ vient plus rapide, spasmodique,
i /'' " "\ et s'accompagne de mouTemeut»
■" saccadés de la léte. Encore deux
Dilatateur de Bork.
¥ig. 6. — Ouvre-bouéhe de Doyen.
ou trois inhalations, et c'est le moment d'enlever rapidement le
masque et d'opérer.
L'anesthésie vraie ne dure que quelques secondes; mais il existe
une période dite (ïanalgésie de retour (G. Beltrami), qui peut durer
une minute, pendant laquelle le patient n'a pas la sensation de la
douleur.
Le retour à la conscience se fait peu à peu, sans phénomènes d'exci-
tation, sauf dans des cas tout à fait exceptionnels. Mieux vaut laisser
le patient se réveiller seul sans intervenir en quoi que ce soit. Selon
les prédispositions antérieures du sujet (appréhension, état de ner-
vosisme particulier, tempérament gai ou tempérament triste), les
phénomènes éprouvés pendant l'anesthésie diffèrent. Il semble qu'il
y ait généralement entre l'état psychique habituel ou immédiatement
antérieur et la narcose une relation étroite.
C'est pour cela que les encouragements qui précèdent l'adminis-
tration de l'anesthésique agissent si favorablement.
Certains opérateurs ont même pensé qu'il serait utile de faire
intervenir, pour modifier l'état psychique dupa tient pendantla narcose,
des sensations auditives d'un ordre gai. On ne peut nier que l'idée ne
42 NOGUÉ. — ANESTHESIE.
soit logique et ne sappuie sur une observation exacte des faits. Il
s'agissait de faire entendre au patient, pendant les inhalations du
protoxyde d'azote, un instrument de musique jouant un morceau gai.
Les résultats, d'après Laborde, lui apparurent suffisamment probants
pour qu'il proposât d'essayer du même procédé dans les grandes
interventions chirurgicales.
« Il s'agit, disait-il, dans sa communication à l'Académie (1), dune
influence psycho-physiologique directement exercée sur les centres
perceptifs des sensations auditives : sensations particulières, dans
l'espèce d'ordre musical, lesquelles ont pour effet de modifier, dans un
sens favorable, — il est permis de dire agréable,— l'action psychique
de la substance anesthésiante, en substituant à la provocation du
rêve terrifiant celle du rêve musical, harmonieux.
N'est-ce pas là précisément, — qu'on me permette cet à-propos de
circonstance — n'est-ce pas là le rêve de l'anesthésie opératoire ?Non
seulement éviter la douleur, objectif essentiel, mais en plus donner à
l'opéré. des sensations agréables ?
«Je me suis demandé dans cetordre d'idées, m'y croyant autoijisé,
s'il n'y a pas lieu, à la suite d'ime démonstration appuyée à la fois
sur des^J'aits péremptoires et sur une ^interprétation rationnelle,
d'étendre la méthode à l'anesthésie o'pératoire en général, même avec
l'emploi des anesthésiques habituels et classiques, chloroforme et
éther, dont l'action, dans la sphère cérébrale et psychique, engendre
dès phénomènes intéressants de nature à troubler, dans une mesure
plus ou moins accentuée, selon les prédispositions individuelles,
l'intervention chirurgicale, et à suggérer de sérieuses préoccupations
sur la possibilité d'accidents graves et toujours imminents. »
ANESTHESIE PAR LE PROTOXYDE D'AZOTE SOUS PRESSION.
MÉTHODE DE PAUL BERT.
La période anesthésique dans l'administration du protoxyde
d'azote précède de quelques secondes l'apparition des phénomènes
d'asphyxie. De là la nécessité d'enlever à ce moment le masque et
d'opérer aussitôt et rapidement, pendant cette courte période d'anes-
thésie et la période un peu plus longue d'analgésie de retour qui lui
fait suite. Delà cette conséquence que le protoxyde d'azote n'était
applicable que dans les opérations de très courte durée.
Il était cependant possible, grâce à un subterfuge, de l'utiliser dans
la grande chirurgie. Mais il fallait pour cela, l'anesthésie obtenue,
cesser l'administration du gaz, laisser le patient respirer l'air atmo-
(1) Laudroe, De rinlervenlion et de rinflucnce des sensations auditives, en
particulier des sensations musicales dans laneslhésie opératoire (Com. à VAcad.
de méd. et Trib. méd., 1901).
ANESTIIKSIE PAU LK PROTOXYDE D'AZOTE SOUS PRESSION 'ùi
splu'ricjue ol, avant le ivtour complet de la conscience, appliiiuer de
nouveau le masciue.
Wells lui-njème avait administré le protoxyde d'azote dans les
oiu«rations chirnri,ncales. Le 17 août 18i7, il anesthésiait un malade,
tandis ([ue le U' May l'opérait dune tumeur du testicule. Le P' jan-
vier 1848, il faisait respirer le gaz pour une amputation de cuisse
pratiquée par le D' V. W. Ellsworth.
Lu France, de nombreuses opérations furent pratiquées en 1877
dans le service du D' Duplay. On enleva une tumeur sarcomateuse
de la partie latérale de la jambe : on pratiqua un redressement
brusijue du ii-enou ; on fd une dilatation pour atrésie du col utérin.
Fi^
Appareil de Paul Bert.
Marion Sims, de passage à Paris, y opéra avec succès une tumeur
fibreuse de l'utérus chez une femme de soixante-trois ans. Du-
plav opéra des fistules à l'anus.
Il était donné à l'illustre physiologiste Paul Bert de comprendre
le pourquoi de cet effet asphyxique du protoxyde d'azote et d'en
déduire une admirable méthode d'anesthésie générale. « Le fait, se
dit-il, que le protoxyde d'azote doit être administré pur signifie que
la tension de ce gaz doit, pour qu'il en pénètre une quantité suffisante
dans l'organisme, être égale à 1 atmosphère. Sous la pression normale,
ilfaut,pourrobtenir,quelegazsoitàlaproportionde 100p. 100. Mais,
si nous supposons le malade placé dans un appareil où la pression soit
poussée à 2 atmosphères, on pourra la soumettre à la tension voulue
en lui faisant respirer un mélange de 50 p. 100 de protoxyde
d'azote et de 50 p. 100 d'air ; on devra donc obtenir de la sorte
l'anesthésie, tout en maintenant dans le sang la quantité normale
d'oxygène et, par suite, en conservant les conditions normales de la
respiration. >> Celte remarquable hypothèse fut absolument con-
firmée par l'expérimentation. Un animal soumis aux inhalations
4î >'OGUÉ. — ANESTHÊSIE.
d'un mélang-e de cinq sixièmes de protoxyde d'azote et de mi
sixième d'oxygène, sous la pression de un cinquième d'atmosphère,
tombait dans une anestttésie profonde. Aucun phénomène d'asphyxie
ne se manifestait.
Ces expériences furent répétées parle D*" Claude Martin, qui put
maintenir un chien anesthésié pendant deux heures. Voici le détail
de cette intéressante observation (1 :
« L'animal est introduit dans la cloche à cinq heures du soir ; celle-ci est remplie
avec le mélange anesthésique de Paul Bert (protoxyde d'azote, 85; oxygène, 15 par-
ties). On élève progressivement la pression à 110, 115, 120. Le sommeil se produit
au bout d'une heure et demie. On établit alors un débit d'environ 15 litres de
mélange à l'heure.
« Le lendemain matin à six heures le sujet est bien anesthésié, maison constate
de la dyspnée; on fait alors passer en quelques minutes 350 litres d; mélange
gazeux. La respiration se régularise ; à partir de ce moment, le débit est réglé
à 25 litres à l'heure.
« Douze heures plus tard, la respiration est toujours calme et se maintient
ainsi jusqu'à la lin de l'expérience, dont la durée totale est de soixante-douze
heures.
« L'animal ayant été retiré delà cloche, l'on observe, au bout de quinze minutes,
des mouvements des pattes antérieures, les yeux s'ouvrent, le regard est inquiet ;
trente cinq minutes après sa sortie de l'appareil, il fait des efforts pour se relever,
il tremble comme s'il avait froid. En elli-l, on constate un notable abaissement de
température ; le poil est mouillé ; le train de derrière n'obéit pas, malgré les
eTorts de l'animal pour se relever complètement; cependant, si on pique les pattes,
quelques mouvements se produisent après cinquante-cinq mmutes de séjour à l'air
libre ; il marche et obéit au commandement. Il refuse le lait qu'on lui présente.
L'intelligence ne parait nullement altérée.
« On le laisse en repos, et le lendemain matin à sept heures on le trouve debout ;
il est très gai et mange avec appétit: rien d'anormal.
« Il convient de faire remarquer que, si l'anesthésie n'a été produite qu'au bout
d'une heure et demie, c'est qu'il a fallu éliminer progressivement l'air contenu
dans la cloche. L'anesthésie une fois obtenue, la pression a été ramenée à 110 et
maintenue à ce degré jusqu'à la fin de l'expérience.
« Une bouillie de chaux avait été placée dans la cloche pour absorber l'acide
carbonique, lequel était d'ailleurs enlevé en majeure paitie par le débit gazeux,
qui a été de 2 500 litres pour la durée totale de l'expérience. »
La première application de cette méthode à la chirurgie humaine
fut faite le 13 février 1879. L'observation mérite d'être résumée
(Rotlenstein).
Il s'agissait de l'extirpation d'un ongle incarné avec ablation de la
matrice de l'ongle. La malade était unejeunefdle de vingt ans très timo-
rée et très nerveuse. La malade, M. Labbéet ses aides, entrèrent dans
la grande chambre en tôle de l'établissement du D' Daupley, où la
pression de l'air fut, en quelques minutes, augmentée, sous courant
de O", 17 (pression totale, 0'",92). La malade s'étendit sur un matelas,
et Preterre lui appliqua sur la bouche et sur le nez l'embouchure
à soupapes quon a coutume d'employer pour l'inhalation du pro-
toxyde d'azote pur; ici, le sac avec lequel elle communiquait était
(1) Cl. Martin, Sur l'anesthésie prolongée et continue par le mélange de pro-
toxyde d'azote et d'oxygène sous pression (méthode de Paul Bert {Acal. des
sciences, janv. 18S8).
ANESTHESIK PAR LE PROTOXYDE D'AZOTE SOUS PRESSION. 45
l'empli (l'un irx'lani^e contenant 85 de protoxyde d'azote et 10 dox}-
^ène. Je tenais, dit Paul Bert, l'un des bras de la malade,
dont le pouls était assez rapide, lorsque soudain, sans qu'aucun
changement dans le pouls, dan« la respiration, dans la couleur de la
peau, dans l'aspect du visage nous eût avertis, sans qu'aucune
raideur, aucune agitation, aucune excitation se fût produite, lorsque,
dis-;e, dix à quinze secondes après la première inspiration du gaz
anestliésique, je sentis le bras s'alîaisser complètement. L'insensibilité
©t la résolution musculaire étaient obtenues; la cornée elle-même
pouvait être impunément touchée. L'opération commen(ja aussitôt,
et le pansement suivit, sans un seul mouvement delà patiente, qui
dormait du plus calme sommeil : le pouls était revenu à un chiffre
normal.
Au bout de quatre minutes, au moment où .M. Labbé terminait
le pansement, survinrent de légères contractores dans un bras,
puis dans une jambe.
Tout était fini ; on enleva l'embouchure et aussitôt la contracture
cessa. Pendant trente secondes, le malade continua à dormir; puis,
quelqu'un lui ayant i'rappé sur l'épaule, elle s'éveilla, nous regarda
d'un air étonné, se mit sur son séant et soudain s'écria que son pied
lui faisait bien mal, assez mal pour qu'elle se mita pleurer pendant
plusieurs secondes. Interrogée, elle déclara se trouver fort bien, sans
aucun malaise, et fort désireuse de manger, car, dans sa terreur,
elle n'avait ni déjeuné le matin, ni dîné la veille. Elle déclara,
de plus, n'avoir rien senti, rien rêvé, mais se rappeler qu'aux pre-
mières inhalations du gaz elle éprouva un grand bien-être,
qu'il lui semblait monter au ciel et « qu'elle voyait bleu avec des
étoiles ».
Cela dit, elle se leva, regagna à pied la voiture qui devait la
ramener à l'hôpital et se plaignit tellement de la faim en roule
qu'il fallut s'arrêter pour la faire manger. Elle n'eut, du reste, aucun
accident consécutif.
Un grand nombre d'opérations furent pratiquées par Péan et le
D"" Léon Labbé. On utilisa d'abord l'une des cloches à air comprimé
de l'établissement aérothérapique du D'' Fontaine, ensuite une
cloche mobile que ce dernier tit construire et qu'il transportait
dans les hôpitaux. Plus tard une cloche fut installée à l'hôpital
Saint-Louis.
Cette cloche communiquait de plain-pied avec la salle d'opération
•et était munie de tous les perfectionnements nécessaires : double
porte avec antichambre intermédiaire, formant écluse et destinée à
empêcher la décompression au moment de l'entrée et de la sortie
des malades: lumière électrique pour suppléer, au besoin, à l'insul-
fisance des hublots ; téléphone permettant de communiquer avec
l'extérieur et de donner des ordres pour la décompression et l'aéra-
46 XOGUÉ. — ANESTHÉSIE.
lion, raanouH'tre permettant de surveiller à tout moment la ten-
sion, etc. La compression était etTectuée par une force motrice
installée au-dessous delà cloche.
L'anesthésie survenait avec la plus grande facilité et dans un
temps très court, variant de quinze secondes à deux minutes. On
n'observait aucune période d'excitation. Le patient n'éprouvait aucune
sensation de suffocation ; il n'y avait ni nausées ni vomissements.
Les pulsations du pouls s'accéléraient au début des inhalations pour
revenir à la normale quand la narcose était complète et s'accélérer
de nouveau au réveil pour se calmer peu après. Les mouvements
respiratoires s'accéléraient également au début. On avait observé
quelquefois des contractures des membres : cela tenait à ce que le
protoxyde d'azote n'était pas à une tension suffisante. Il suffisait alors,
pour faire disparaître ces phénomènes, d'augmenter la pression dans
la cloche de 2 à 3 centimètres, ce qui se faisait avec la plus grande
facilité.
Le retour à la sensibilité avait lieu en une minute environ, sans
aucune sorte de malaise, même si l'anesthésie avait duré près d'une
demi-heure. Il n'était pas rare de voir les patients se lever d'eux-
mêmes et marcher dès le réveil.
ANESTHÉSIE PAR LE PROTOXYDE D'AZOTE ET L'OXYGÈNE
A LA PRESSION NORMALE.
Malo-ré les résultats obtenus par l'anesthésie sous pression, l'instal-
lation d'appareils encombrants devait fatalement pousser les expéri-
mentateurs à simplifier l'administration du gaz. Paul Bert. poursuivant
ses recherches, obtint le sommeil chez les animaux, en administrant
le protoxyde d'azote et l'oxygène à la pression normale.
Dans une communication faite le 12 mai 188.3 à la Société de bio-
loo-ie, il démontra qu'en administrant dabord du protoxyde d'azote
pur, puis un mélange de protoxyde d'azote et d'oxygène dans des
proportions voisines de celles où se trouvent dans l'air l'azote et
l'oxvgène et en redonnant du protoxyde d'azote pur dès que le réveil
est imminent, on pouvait maintenir un chien profondément anes-
thésié pendant trente-cinq minutes.
Aubeau reprit ces expériences sur les animaux et sur l'homme et
arriva aux conclusions suivantes :
1° Il existe des mélanges de protoxyde d'azote et d'oxygène anes-
Ihésiques demblée à la pression normale, mais ces mélanges sont
dangereux : on ne peut les faire inhaler à des chiens plus de vingt
à trente minutes sans les exposer à la mort ;
2" En aneslhésianl d'abord l'animal avec le protoxyde d'azote pur,
et en lui administrant ensuite un mélange de protoxyde d'azote et
d'oxygène, on peut prolonger l'anesthésie sans danger;
ANESTHÉSIE PAR Ll£ PROTOXYDE D'AZOTE ET L'OXYGENE. '»7
3° La prolongation de TanesLliésie est, en p;ireil cas, inversement
proportionnelle ii la richesse du mélange en oxygène, el cela suivant
une progression arillunélique des plus simple, qui prend les carac-
tères d'une véritable loi.
L'anesthésie étant obtenue à Faide du protoxyde da/.ole pur :
a. Si Ton administre un mélange contenant 40 litres d'oxygène
et lOi) litres de protoxyde d'azote, l'anesthésie se prolonge pendant
trois minutes et l'animal se réveille spontanément et instantanément,
même si l'on poursuit les inhalations ;
b. Si l'on donne un mélange contenant 20 litres d'oxygène et 100 litres
de protoxyde d'azote, l'anesthésie se prolonge pendant six minutes ;
Réveil spontané et instantané, malgré la continuation des inha-
lations;
c. Si l'ondonne un mélange contenant 10 litres d'oxygène et 100 litres
de protoxyde d'azote, l'anesthésie se prolonge pendant six minutes.
Réveil spontané ;
d. Si l'on donne un mélange contenant 5 litres d'oxygène et lOOliires
de protoxyde d'azote, l'anesthésie se prolonge pendant vingt-quatre
minutes. Réveil spontané;
e. Si l'on donne un mélange contenant 2', 5 d'oxygène et 100 litres
de protoxyde d'azote, l'anesthésie se prolonge pendant quarante-
huit minutes. Ce mélange est très dangereux : on ne peut conduire
l'expérience à bonne fin qu'à la condition d'interrompre- trois ou
quatre fois les inhalations pour permettre à l'animal de respirer de
l'air pur; si l'on ne prend cette précaution, l'animal meurt au bout
de trente-cinq à quarante minutes.
Deux litres d'oxygène et 100 litres de protoxyde d'azote sont anes-
thésiques d'emblée pour les chiens, mais ils ne sauraient être
employés sans danger.
Les expériences que nous avons faites sur nous-même et sur
quelques patients donnèrent des résultats analogues; aussi pouvions-
nous annoncer que, si les expériences ultérieures confirmaient les
nôtres, cette nouvelle méthode d'anesthésie présenterait les avan-
tages suivants :
1» Tous les bénéfices de l'anesthésie au protoxyde d'azote ;
2» Choix d'un mélange plus ou moins riche en oxygène, suivant que
l'opération devi'a durer moins ou plus longtemps ;
3° Sécurité absolue, puisque le réveil se produit spontanément,
bien que l'on continue les inhalations.
Le D' Klikowitsch (de Saint-Pétersbourg) montra également que
le mélange de Paul Bert pouvait s'administrer à la pression nor-
male, surtout dans l'anesthésie obstétricale et qu'il donnait les meil-
leurs résultats (1).
(1) Klikowitsch, Arch. fiir Gynakoloifie, t. XVIII.
^8
KOGUE.
ANEST-HE6IE.
Swiecicki (de Posen) a fait préparer un mélange gazeux (4 5 de
protoxyde et 1/5 d'oxygène) condensé dans une bouteille en fer.
«Cette bouteille contient iiiO litres du mélange.
Hillischer (de Vienne) (1) emploie dans les -opérations dentaire^s le
mélange de protoxvde d'azote et d'oxygène, mais il recommande de
diminuer la propor-
tion d'oxygène à 10
p. 100. Il donne à ce
mélange le nom de gr«s:
(.omnifère (Schlafgas).
L'appareil se compose
de deux soufflets posés
sur une table, Tmipour
le protoxyde, l'autre
pour l'oxygène prove-
nant des bouteilles
fixées à côté. Un robi-
net spécial, dit sys-
tème à mélange p. 100,
permet de mélanger
les deux gaz en pro-
portions voulues.
En Angleterre, le
D' F. Hewitt com-
mença des recherches
«ur le même sujet e©
1886, recherches qui
aboutirent à la con-
struction d'un appareil
très pratique, permet-
tan! l'administration
du .protoxyde d'azote
avec des proportions
d'oxygène variables au
gré de l'opérateur.
Cet appareil com-
prend :
1° Deux récipients
en acier pour le protoxyde d'azote liquide et un récipient pour l'osy.
'^ène com^primé ;
2° Deux ballons en caoutchouc, l'un pour le protoxyde et l'autre
-pour l'oxygène, — ballons accolés l'un à l'autre afinqu'il soit facile de
les maintenir pendant l'anesthésie dans un égal degré de distension ;
Fig. 8. — L'appareil de Ilewitt, pi-ct à foiiclionner.
(1) Hii-LiscHiiu, Soc. de inéd. de Vienne, 27 mai 4*87.
ANESTHÉSIE PAR LE PROTOXYDE D'AZOTE ET L'OXYGENE. 49
3» De deux tubes, Tun dans rintérieur de l'autre, conduisant res-
pectivement Toxygène et le protoxyde des récipients aux ballons de
caoutchouc ;
i" Une chambre dans laquelle se mélangent les deux gaz en pro-
portions déterminées parle jeu d'un régulateur ;
j'^Ln régulateur qui permet de découvrir 1, 2, 3..., 10 petits trous
et par suite laisse pénétrer dans la chambre de mélange, 1, 2, 3...,
10 parties d'oxygène. Une petite virole spéciale permet de donner un
plus large accès à l'oxygène et d'obtenir 10, 12, 14, etc., et 20, 22...,
40 p. 100 ;
()° Des valves disposées de telle sorte que les produits de l'expira-
tion pulmonaire sont rejetés au dehors ;
7° Un inhalateur qui s'applique sur la face et empêche la pénétra-
tion de l'air.
Le patient peut être assis sur un fauteuil quelconque ou couché
dans son lit. Si la chose est possible, mieux vaut administrer le gaz
trois à quatre heures après le repas.
Une précaution indispensable est de bien s'assurer qu'il n'existe
aucune sorte d'obstacle aux libres mouvements respiratoires : le col
est largement desserré, le corset enlevé. Les paroles habituelles
d'encouragement et de confiance sont adressées au malade. La pré-
sence d'amis peut à la rigueur être tolérée si le sujet en fait la prière ;
mais, comme les personnes étrangères ne peuvent être d'aucune uti-
lité et peuvent se laisser émotionner sans raison, mieux vaut les prier
de se tenir dans une pièce voisine.
Après avoir vidé les deux ballons par compression, on tourne dou-
cement la clef du siphon d'oxygène, de façon à permettre son passage
dans le ballon qui lui est réservé; on en fait de même pour le pro-
toxyde d'azote. La clef qui commande l'échappement des gaz se
tourne très facilement avec le pied.
Lappareil est prêt à fonctionner. L'inhalateur est soigneusement
appliqué sur la face du patient, auquel on recommande de respirer
naturellement.
Les deux ballons sont alors également distendus. Mais l'aiguille
du régulateur est sur le mot « air ». Le malade respire en ce moment
l'air extérieur. Quelques inspirations permettent à l'opérateur de se
rendre'compte du parfait fonctionnement des valves.
L'aiguille de l'indicateur est alors placée surle chiffre 2. Le patient
respire alors un mélange de 2 parties d'oxygène p. 100 de protoxyde
d'azote.
L'opérateur, à l'aide du pied, permet l'arrivée dans le ballon du
protoxyde d'azote, de façon à maintenir les deux ballons dans un égal
état de distension. La dépense d'oxygène étant minime par rapport
à celle du gaz hilarant, c'est la clef de ce dernier qu'il faut manœu-
vrer en permanence.
Traité de stomatologie. VI. — 4
50
NOGUE. — AXESTHÉSIE.
Dès la troisième ou la quatrième
inspiration, l'indicateur est porté sur
le chiffre 4, puis après quelques autres
inspirations sur le chift're6,la disten-
sion des ballons étant toujours soi-
gneusement maintenue égale. Las-
pect du malade guide alors l'opéra-
teur. Donner trop doxygène, c'est
risquer de produire un peu d'excita-
tion ; n'en pas donner assez, c'est
risquer de voir apparaître un peu de
cvanose. C'est entre ces deux ex-
Vi'^. 9. — Réjiulaleur et chambre de mé-
lange des gaz.
N'OT, tube auquel s'attache le ballon de
protoxyde : XOO, orifice de ce tube dans la
chambre de mélantre des gaz : OT, tube au-
quel s'attache le ballon do.xygène ; OC, pe-
tite chambre à oxygène dans laquelle le tube
OT vient aboutir : 00, petits orifices situés
entre la chambre à oxygène et la chambre
de mélange des gaz. Il existe 10 trous, mais
dans la figure on n'en voit que .S ; iv, iv',
valves empêchant, dans l'expiration, les gaz
de refluer vers les ballons de caoutchouc;
AH, ouverture donnant accès à l'air; IV,
valve inspiratrice : E\', valve expira trice
avec sa cheminée C : PD. diaphragme partiel
servant à dirigei- l'air expiré sur la valve
expiratrice EV : ID. tambour intérieur qu'on
tourne à l'aide de la manivelle H et qui a
une grande partie de sa circonférence taillée
en rainure S. La poignée H est prolongée
en pointe, servant d'indicateur.
Sur la circonférence du régulateur et de la chambre de mélange, sont gravés
les" mots « Air », « N^O » et « N^O-f-O ». On voit également, le long de la marque
N-O+O, les chiflres de 1 à 10
Quand l'indicateur est sur le mot AIR, la rainure S du tambour inté-
rieur ID laisse passer l'air extérieur à travers AH et IV pendant l'inspiration.
Mais, comme le restant de ce même tambour couvre les orifices NOO et 00,
le patient ne peut respirer autre chose que de l'air. Quand l'indicateur est
porté sur X^O, le tambour ferme AH et ouvre NOO, l'orifice de l'oxygène
restant toujours fermé. Le patient respire alors du protoxyde d'azote pur. Quand
l'indicateur est porté sur le chiffre 1, l'orifice du protoxyde reste toujours ouvert;
mais en outre l'orifice de l'oxygène est découvert par cette révolution du tambour.
Quand on passa au chiffre 2, deux orifices d'o.xygène sont découverts, et ainsi de
suite jusquà 10, l'orifice du protoxyde restant toujours ouvert.
Un dispositif récent du D"" Hewitt permet, à l'aide d'un petit robinet, l'ou-
verture de deux trous spéciaux, chacun ayant le même calibre que l'ensemble des
10 petits trous. Le petit robinet porte les deux chitTres 10 et 20. Ouvre-t-on l'un
de ces trous en tournant le robinet sur le chiffre 10, on peut obtenir, en y ajou-
tant la manfcuvre du régulateur ordinaire, les pourcentages de 10, 11, 12, 13, etc.,
p. 100 d'oxygène et, si on met le robinet sur le chiffre 20 en agissant de même,
les pourcentages d'oxygène de 20, 21, 22, 23... 30 p. 100.
ANESTHESIE PAR LE PROTOXYDE D'AZOTE ET L'OXYGÈNE. 51
trêmes qu'il faut évoluer. La pratique seule permet d'obtenir, selon
les sujets, un résultat parfait.
L'auesthésie survient au bout de deux à trois minutes. Elle se mani-
Fig. 10. — Appareil à gaz somnifère (Schlafgas) de GeseU.
feste par l'abolition des réflexes conjonctival et cornéen, par la fixité
du globe oculaire et par une respiration ronflante.
S'agit-il d'une opération de courte durée, on enlève le masque ;
l'anesthésie absolue persiste pendant une minute environ, parfois
Fig. 11, — Système à mélange de Gesell.
davantage. Ceci est la règle dans les opérations dentaires, les opé-
rations pratiquées dans la cavité buccale, les interventions sur le
pharynx, le naso-pharynx et le nez. Il n'en saurait être autrement,
puisque l'inhalateur serait pour l'opérateur un obstacle absolu.
52 NOGUÉ. — ANESTHÉSIE.
Mais, s'il s'agit d'opérations pratiquées sur d'autres parties du
corps, l'inhalatioa du gaz peut être prolongée et, par suite, l'anesthé-
sie maintenue pendant un temps plus long.
Le réveil survient, rapide et sans troubles. Chez les femmes ner-
veuses, parfois se manifeste un peu d'excitation qui se traduit par
quelques larmes. Le patient se lève de suite et peut, sans inconvénient,
regagner au bout de quelques minutes son domicile. Il ne ressent
après l'anesthésie par le protoxyde d'azote et l'oxygène aucun des
troubles parfois si pénibles qui suivent la narcose par le chloroforme
ou l'éther.
ANESTHÉSIE PAR LE PROTOXYDE D'AZOTE ET L'AIR
ATMOSPHÉRIQUE.
Il était naturel de chercher si l'air atmosphérique ne pouvait pas,
dans une certaine mesure, remplacer l'oxygène. On peut dire que la
chose est possible, malgré toutes les affirmations contenues dans la
plupart des livres classiques qu'il faut, pour obtenir l'anesthésie,
employer le protoxyde absolument privé d'air. La difficulté est de
savoir doser l'entrée de l'air.
On a imaginé pour cela des masques spéciaux. Tel est celui de
Carter-Braine, qui peut s'adapter sur l'appareil de Dudley-Buxton et
qui comporte une petite tubulure percée de six trous. Un petit
couvercle la ferme et permet, grâce à une fente, de mettre à découvert
le nombre de trous voulu. On fait respirer pendant deux ou trois
inspirations du protoxyde d'azote pur, puis on ouvre un ou deux trous,
de façon à laisser pénétrer l'air.
Il est possible de faire entrer l'air d'une manière intermittente, et
alors il n'est plus besoin d'un masque spécial. Dès que le patient
a fait quelques inhalations de protoxyde d'azote pur, on ferme le
robinet et on laisse entrerl'air. On permet ainsi une inspiration d'air
pur pour trois à quatre inspirations de protoxyde. L'anesthésie
survient ainsi et ne s'accompagne pas de cyanose.
ADMINISTRATION DU PROTOXYDE D'AZOTE PAR LA VOIE NASALE.
Dans les opérations qui portent sur la bouche, pour lesquelles
d'ailleurs le protoxyde d'azote est surtout employé, il faut de toute
nécessité enlever le masque pour opérer. Or, dès que le masque est
enlevé, lepatientrespirel'airambiantetse réveille. Un moyen s'offrait
de prolonger l'anesthésie, c'était de faire pénétrer le gaz dans
les poumons par la voie nasale.
Pour cela, on a imaginé des embouts spéciaux pouvant s'a-
dapter dans l'orifice des narines et permettre l'inhalation par ces
conduils.
ADMINISTRATION DU PROTOXYDE PAR LA VOIE NASALE. 53
F. Trevvby (1) pense que la cyanose, qu'on observe souvent
dans lanesthésie par la voie nasale, est due à un effet mécanique
sous la dépendance de la forme et de la dimension du voile du palais
et de la langue.
Chez certains sujets, le voile du palais viendrait au contact avec
la langue, mettant obstacle à l'expiration par la voie buccale : dans la
majorité des cas même à
une certaine période de
l'administration du gaz, ce
contact se produirait, don-
nant lieu à l'obstruction
buccale et, par suite, ren-
Fig. 12. — Appareil de M. F. Trevvby pour
l'administration buccale et nasale du
protoxyde d'azote.
13. — Administration nasale
du praz.
dant la voie nasale seule perméable. De là la nécessité de munir
le masque nasal d'une valve expiratrice sous peine de déterminer
la cyanose.
INDICATIONS ET CONTRE-INDICATIONS DU PROTOXYDE
D'AZOTE. — SON INNOCUITÉ.
Ni le jeune âge ni la vieillesse ne sont un obstacle absolu à l'admi-
nistration du protoxyde d'azote. On peut faire respirer le gaz à des
enfants de deux et trois ans ; nous l'avons personnellement souvent
administré à des enfants de deux à dix ans pour l'ablation des végé-
tations adénoïdes ou pour des extractions dentaires. Il a été maintes
fois donné à des vieillards de soixante à soixante-quinze ans.
(1) Trevvby, The causes of obstruction producing cyanosis during- the nasal
administration of nitrous oxide (The Brit. med. Joiirn., 24 juillet 1909).
54 NOGUÉ. — ANESTHESIE.
Les jeunes filles, pendant leurs périodes cataméniales, les femmes
en élat de grossesse le supportent admirablement.
Des tuberculeux, des cardiaques, des diabétiques ou albuminu-
riquesontété fréquemment endormis sans le moindre accident.
On ne saurait cependant se départir dune grande prudence quand
il s'agit de malades atteints d'atïections cardiaques graves, surtout
de troubles mitraux.
Il faut aussi se méfier beaucoup des personnes obèses.
Les emphysémateux et les bronchitiques sembleraient supporter
très bien ladministration du gaz et paraîtraient même en éprouver un
efl'et calmant.
Les alcooliques et les hystériques ofTrent des périodes d'excita-
tion parfois violentes, mais le gaz n'est nullement contre-indiqué
chez eux.
Absolument d'accord avec le D"^ G. Beltrami, nous attribuons
une très grande importance au facteur moral, la peur. « Susceptible
de causer la mort, la peur donne toujours une allure particulière à
lamarchede l'anesthésie. Il est juste dédire qu'elle est plus fréquente
chez Ihomme que chez la femme. Chez les uns comme chez les autres,
elle affecte deux types cliniques. Dans un cas, la respiration est
difficile, superficielle et labsorption du gaz se fait mal. Dans un
autre cas, les mouvements respiratoires sont violents, saccadés, avec
des intervalles d'apnée, qui entravent la régularité de la narcose.
La tète est animée bien souvent par des mouvements oscillatoires
qui gênent l'opération. Enfin, chose grave, c'est dans ces cas que nous
avons noté les phénomènes diiypotension les plus marqués.
" Aussi nous sommes-nous fait une règle de conduite formelle
que nous nous permettons de recommander, c'est celle de préparer
le malade surtout au point de vue moral. Il estimpossible de donner
une marche à suivre toujours pareille, car on doit varier sa manière
de procéder pour ainsi dire avec chaque sujet. Avec les uns, il fau-
dra se montrer persuasif, entrer dans les discussions médicales les
plus invraisemblables et convaincre par le raisonnement ; avec les
autres, savoir ètreautoritaire, mais sans rigueur ni brusquerie et, dans
tous les cas, rester doux et bon envers le patient, dont on s'attachera
presque toujours par là la confiance nécessaire au succès. Mais,
lorsque l'on se trouve en présence de personnes chez lesquelles l'ap-
préhension est si forte qu'elle est irréductible et dont les idées et
lespressentiments de mortdeviennentpersistants.ondoitsabstenir. »
Les accidents causés par le protoxyde d'azote sont, relativement
aunombreincalculable desanesthésiespraliquées, très peu nombreux.
A l'époque où Rottenstein en faisait le relevé, en 1880, on ne trouvait
que 2 cas de mort authentiques. Et cependant, à ce moment, le
D' Colton seul avait fait dans son établissement 100000 anes-
thésies sans un seul accident. Le chiffre des anesthésies dépassait
INDICATIONS DU PROTOXYDE D'AZOTE. 55
sans aucune exagération 10())0:>0. Le protoxyde était alors préparé
parles tlenlistes eux-mêmes, ([ui ne pouvaient apportera celte })repa-
ralion délicate la compétence des chimistes. (Vest dire que, dans bon
nombre de cas, les patients respiraient, au lieu d'un produit pur, du
protoxyde mêlé à du bioxyde d'azote, gaz très dangereux. t]st-il besoin
d'ajouter ((ue limmense majorité des dentistes ne possédant aucune
notion médicale étaient incapables de tenir compte des contre-indi-
calions possibles? Et, malgré cela, le nombre des accidents était
iniîme, ce qui démontre bien, à défaut de toute autre preuve, l'inno-
cuité réelle du protoxyde d'azole.
Le D"" G. Beltrami a repris, en 1905, ce sujet et n'a pas hésité
à se livrer à de longues et difficiles recherches sur les accidents
imputables au protoxyde. « Lorsque nous avons, dit-il dans sa thèse,
commencé à rechercher dans la littérature médicale les accidents
mortels suscités dans l'univers entier par le protoxyde d'azote, nous
ne doutions pas, en voyant la quantité de publications faites, non
seulement à l'étranger en diverses langues, mais encore et surtout
en France, que cette liste nécrologiquene fût singulièrement longue.
Mais bientôt après, lorsque nousavons commencé àlire les rapports,
nous avons été étonné par la répétition continuelle des mêmes faits.
ÎNous lisions cinq ou six fois le même article dans des journaux diffé-
rents et même dans des pays éloignés. Aussi sommes-nous tenté
d'avouer la somme de travail que nous a coûtée cette mise au point de
quelques faits noyés au milieu d'un fatras de commentaires souvent
inutiles, démontrant même quelquefois l'ignorance de l'auteur sur
la question (1). »
Dans toute la littérature, Beltrami trouve cités, avec plusou moins
de précision, 12 cas exactement de mort attribués au protoxyde de
1844 à 1905.
Dans toute la période s'étendant de la découverte de l'anesthésie
à 1905, Beltrami ne trouve que 12 cas de mort mis sur le compte du
protoxyde d'azote Sur ce nombre, il en est qu'on ne saurait compter
sérieusement comme attribuables à l'action du gaz : 2 cas cités
par le ÎSew-York Tribune, en 1864 (13 janvier et 18 février), décès
survenant dix-huit heures et vingt jours après l'anesthésie; deux
autres cas dans la même année, sur lesquels aucun détail n'est donné,
ni le nom de l'opérateur, ni même le nom des patients ; enfin un
cinquième cas dans lequel, le bâillon ayant été avalé, la mort est
due à l'asphyxie mécanique et non plus à l'action du gaz.
Restent 7 cas de mort. Dans l'un d'eux, on peut nettementconstater
l'effet de l'appréhension morale comme facteur de syncope. Il mérite
d'être cité : une dame excessivement nerveuse se présente chez le
dentiste Newbrought pour être opérée de quelques dents branlantes.
(1) G. Bkltrami, loc. cil.
56 NOGUÉ. — ANESTHÉSIE.
Redoutant la douleur, elle demande à être anesthésiée malgré l'opinion
du dentiste, qui ne jugeait pas la chose nécessaire. Prise de peur à
l'approche du masque inhalateur, elle se décide à se faire opérer,
mais, à la vue du davier, elle s'évanouit et, revenue à elle, redemande
l'anesthésie. Le masque appliqué, elle fait deux inspirations et
meurt.
Parmi les autres décès qu'on peut attribuer à l'action duprotoxyde,
on trouva, quand l'autopsie put être pratiquée, deux fois la surcharge
graisseuse du cœur, une fois un abcès amygdalien avec infdtration
séreuse de tout le tissu cellulaire du cou.
On peut donc se tenir, et encore avec quelques restrictions, à 7 cas
de mort par le protoxyde d'azote. Or, en 1887,(?.olton avait anesthésié
155000 malades sans le moindre incident; Thomas (de Philadelphie),
144000; Hasbrouck (de New-York) 69000.
Le protoxyde d'azote est administré du matin au soir, tous les
jours, dans tous les Etats-Unis et dans toute l'Angleterre. Horatio
Wood (de Philadelphie) estime qu'il se pratique annuellement dans
l'Amérique du Nord seule 750 000 anesthésies. G. Beltrami estime
que, de 1844 à 1905, le protoxyde d'azote a étéadministré 10000 000
de fois.
Par quelle aberration a-t-il été possible, devant des faits aussi
probants, d'écrire que le protoxyde d'azote était un agent mortel ?
Déjà, en 1876, les sommités chirurgicales (D" William Parker,
Marion Sims, Hamilton Fordyce Rarker, Stephen Smith, Agnew.
Emmet, W. Hammond, Lewis Sayre, Austin Flint, Ogden Dore-
mus, etc.) aux États-Unis, n'hésitaient pas à délivrer au D"" Colton
l'attestation suivante :
« Nous pouvons affirmer, après avoir assisté aux opérations anes-
thésiques du D'^ Colton, au Cooper Insliliile, que le protoxyde
d'azote procure une insensibilité complète et n'a jamais, à notre
connaissance, déterminé des accidents ; nous considérons cet agent
comme le plus sûr des anasthésiques (1). »
Le P'' Dastre dit lui-même : « Quant à l'innocuité de la méthode,
elle est prouvée, outre les essais de Paul Rert, par la pratique uni-
verselle des dentistes dans le monde entier. Le protoxyde d'azote est
donc d'une sécurité incomparable. «
Et s'il était nécessaire de faire appel à la physiologie expérimentale
pour défendre encore le protoxyde d'azote, nous citerions les paroles
du P'' Livon (de Marseille) : « Le protoxyde d'azote est certaine-
ment un anesthésique incomparable. Jamais, depuis de longues
années que je m'en sers comme anesthésique pour les animaux, je
n'ai eu d'accident mortel ni même d'incident. Les chiens, les chats,
si sensibles au chloroforme et à l'éther qui les tuent dans des pro-
(1) Lellre de Colton à Rottenstein, 4 mai 1877.
MALADES RÉFRACTAIRES A L'ANESTHESIE PROTOAZOÏEE. bl
portions très élevées (10 à 15 p. 100 environ), supportent admirable-
ment les inhalations de protoxyde. J'ai pu endormir un chien douze
l'ois dans la même séance expérimentale. Le protoxyde d'azote est
pour les animaux un anesthésique merveilleux (1). »
{MALADES RÉFRACTAIRES A L'ANESTHESIE PROTOAZOTÉE
On rencontre parfois des malades qui semblent bien être réfrac-
laires à Faction du protoxyde. Cl. Martin a vu deux personnes réfrac-
taires au gaz : l'une à Paris, l'autre à Lyon. « Cette dernière était une
femme de soixante-cinq ans environ. Je pratiquais, dit le D"' Martin,
les inhalations en présence de M. le D'" Dron, chirurgien en chef
de l'Antiquaille. Malgré tout, je ne pus arriver jusqu'à l'anesthésie :
la patiente ne ressentait rien et ne s'endormait pas (2). «
Nous avons observé nous-même un cas à peu près similaire. Il
s'agissait d'un homme robuste, d'une soixantaine d'années, qui respira
normalement et amplement le gaz. Il n'y avait aucune défectuosité
dans l'appareil, et cependant il absorba toute la bouteille contenant
450 litres sans que l'anesthésie fût complète. De guerre lasse, nous
enlevâmes le masque et nous pratiquâmes les extractions, qui furent
peu douloureuses.
Le D"" W. A. Sulhers (3) en a rapporté un autre cas très intéressant :
« Le 7 juillet 1904, un malade âgé de quarante-quatre ans, vint me
consulter pour l'extirpation de quelques racines. J'examinai sa bouche
avec soin et constatai que six racines antérieures et deux postérieures
étaient en fort mauvais état, avec complication d'abcès chez quatre
d'entre elles. Je lui dis qu'il serait nécessaire de prendre un anes-
thésique. M'ayant demandé si je donnais le gaz, je lui répondis affir-
mativement. Nous nous décidâmes donc pour cet agent. Je demandai
l'assistance d'un médecin. Tout étant prêt, nous commençâmes l'ad-
ministration du protoxyde d'azote. Le sujet semblait le prendre très
bien, et cependant il ne se produisait pas d'etïet anesthésique; nous
examinâmes les soupapes, elles fonctionnaient le mieux du monde.
Je respirai moi-même du gaz, et 9 à 10 litres suffirent presque à
m'endormir.
« Nous recommençâmes alors l'inhalation, en la poussant cette fois
un peu plus loin, mais encore sans résultat. Un troisième essai
n'aboutit pas davantage, le patient se plaignant chaque fois d'un
pende nausées. Voulant borner là nos essais pour l'instant, nous lui
dîmes de revenir dans une semaine. Nous étions d'ailleurs assez
ennuyés et ne savions à quoi attribuer cet insuccès.
(1) Communication orale au D^ Beltrami, loc . cit., 8 mars 1903.
(2) Cl. Martin, De l'anesthésie par le protoxyde d'azote avec ou sans tension,
Paris. 1883.
(3) Dental Sammary, 1905, et Procj. dentaire, n« 1, 1906.
58 NOGUÉ. — ANESTHÉSIE.
« Le 16 juillet, le malade revint. Le gaz fut essayé de nouveau.
« Celte fois, il provoqua une assez grande excitation ; le malade
s'était soulevé dans le fauteuil, et ses muscles devenaient fixes et
rigides ; nous le maintînmes de notre mieux, espérant qu'il finirait
par dormir. Au lieu de cela, l'état d'excitation empira au point de
nous faire renoncer au protoxyde dazote. Aussitôt l'embouchure
enlevée, le calme se fit et le sujet se montra aussi éveillé que jamais;
il semblait que rien ne fût arrivé.
« Nous ne voulions plus renouveler nos essais avec le gaz ; mais,
comme le sujet désirait ne pas s'en aller sans avoir ses racines enle-
vées,nous résolûmes de le soumettre à réthérisation,le docteurayant
déclaré, après examen, qu'il n'y avait pas de contre-indication. Ayant
laissé le patient prendre un peu de repos, et tout étant prêt, nous
commençâmes l'inhalation de l'éther. Tout étrange que paraisse le
fait, le sujet sembla absorber ce nouvel agent sans en éprouver le
moindre effet. Nous essayâmes pendant plus d'une heure sans réussir
à déterminer le sommeil : le seul effet était une légère stupeur.
J'injectai alors un anesthésique local et enlevai les racines sans
grande douleur pour le sujet, à cause de son demi-état de stupéfac-
tion. Cet échec de deux agents anesthésiques n'est-il pas singulier?
Quant à nous, il nous a paru incompréhensible.
« S'agit-il d'une idiosyncrasie ou non? Nous ne saurions le dire. »
Les morphinomanes nous ont paru très peu sensibles à l'action
du protoxyde d'azote.
Les alcooliques, sans y être réfractaires, le supportent mal.
ACTION DU CHLORURE D'ÉTHYLE SUR L'ORGANISME. 59
K. - CHLORURE D'ÉTHYLE.
Le chlorure d'éthyle (G^N^Cl) est un liquide incolore, limpide,
d'une odeur éthéréo, rappelant celle du chloroforme. Sa densité
est de 0,874 à 5". Il s'évapore rapidement en déterminant une
réfrigération intense. Il est inflammable ; peu soluble dans l'eau, il
se dissout facilement dans l'alcool et l'éther.
Les propriétés anesthésiques du chlorure d'éthyle furent reconnues
par Flourens dès 1847 et appliquées à l'homme pour la première fois
par Heyfelderfd'Erlangen). Mais son usage ne se généralisa pas, et il
ne fut plus tard utilisé que pour ses qualités réfrigérantes. En 1894,
un dentiste de Gothemburg, Garlson, pulvérisant du chlorure d'éthyle
sur les gencives d'un de ses malades, remarqua qu'il s'était endormi
avec la plus grande facilité. Le D'' Thiesing (dHildesheim) fit
Tannée suivante la mêmeobservation et l'appliqua systématiquement
dans 50 cas. Ludwiget Lotheissen l'étudient scientifiquement en 1897
et 1898 ; ^^'iesner, à Vienne, Kœnig à Berne, Gires, Malherbe,
Ghapul, en France, l'utilisent les premiers.
On prépare le chlorure d'éthyle en faisant agir de l'acide chlor-
hydrique sur l'alcool d'après la réaction :
C2H 'OH + HCl = C2H3C1 + H20.
Far distillations successives du produit obtenu, on débarrasse le
chlorure d'éthyle de toutes ses impuretés. Il est en elïet très impor-
tant de n'utiliser pour l'anesthésie générale qu'un corps chimi-
quement pur.
L'essai se fait de la manière suivante : versé sur la main, il doit
s'évaporer sans laisser le moindre résidu; quand on fait passer la
vapeur du chlorure d'éthyle dans l'eau, cette eau ne doit ni rougir
le papier bleu de tournesol, ni, après acidification avec l'acide azotique,
être immédiatement troublée par l'addition d'une solution de nitrate
d'argent.
ACTION DU CHLORURE D'ÉTHYLE SUR L'ORGANISME.
En expérimentant le chlorure d'éthyle sur le lapin, Wood et Gerna
ont obtenu les résultats suivants : « Augmentation des mouvements
respiratoires, abaissement de la pression artérielle durant la narcose
avec retour à l'état normal. Les pulsations diminuaient d'abord de
fréquence et étaient augmentées jusqu'à la fin de l'expérience. »
Ruegg (de Bâle), en faisant inspirer des vapeurs diluées au chien,
trouvait de la dilatation vasculaire; avec des vapeurs concentrées, les
battements du cœur devenaient plus fréquents, les vaisseaux étaient
rétrécis.
60 NOGUE. — ANESTHESIE.
Les expériences de Kœnig (de Berne) ont porté sur le chien, le
lapin et le singe. La supériorité de la narcose dépend du titre de la
dilution du chlorure d'éthyle avec l'air. Un mélange de 1 p. 10 d'air
produit la narcose en six à sept minutes : à parties égales, la narcose
est complète en quelques secondes et dure plusieurs minutes sans
qu'on ait besoin de renouveler la dose.
Chez les lapins, les phénomènes excito-moteurs, durant l'anesthésie,
sont plus prononcés que chez les autres animaux en expérience ; on
observe des convulsions rythmiques, de forts mouvements de déglu-
tition, du nystagmus, de l'exophtalmie et fréquemment de la saliva-
tion; la respiration est améliorée, ce qui est facile à constater chez ces
animaux à respiration faciale.
Chez les chiens, la pression artérielle subit un léger abaissement;
dans certains cas cités, il y a du ralentissement et des faux pas du
cœur augmentant ou diminuant avec le titre de la dilulion : ces
symptômes disparaissent par la section des pneumogastriques.
En se servant du chlorure d'éthyle sans mélange d'air, l'abais-
sement de la pression artérielle est régulier, assez rapide et
s'accentuant jusqu'à l'arrêt de la respiration et des battements
du cœur.
Chez le singe, la narcose est très calme; là encore on observe de la
dépression de la tension artérielle, dépression due à l'excitation du
nerf vague, excitation d'origine centrale, puisqu'elle disparaît par la
section des pneumogastriques. Après la section, la pression artérielle
s'élève et reste normale jusqu'à la fin de l'expérience.
« En outre, dans la narcose complète, dit Kœnig, j'ai constaté
que le pneumogastrique devenait inexcitable. » Chez le singe, la
respiration n'est pas convulsive comme chez le lapin ; elle est
calme, régulière.
Quel que soit le nombre des expériences faites sur le même animal
àde courts intervalles, le réveil et le retour des réflexes sont toujours
rapides.
Les expériences de Kœnig sur la dépression artérielle concordent
avec les résultats de Malherbe et Roubinovitch (1), constatés chez
l'homme avec le sphygmomanomètre de Potain. Dans les deux cas
citéspar ces auteurs, la dépression artérielle s'est produite vingt-deux
fois. D'une façon générale, le nombre des pulsations artérielles suit
très exactement les modifications survenant dans le degré de la
tension artérielle, diminue pendant le sommeil, augmente et revient
au chiffre primitif au réveil.
Dans toutes leurs observations, ils ont constaté l'existence d'inter-
mittences et, dans un cas, des pulsations bigéminées intermittentes
pendant le sommeil.
(1; Malherbe et Roubinovitch, Nouveau procédé d'anesthésie générale par le
chlorure d'éthyle, recherches expérimentales et cliniques (Cuii. med., 11 juinl902).
ACTION DU CHLORURE DÉTHYLE SUR L'ORGANISME. 61
Parfois les urines,, normales avant les inhalations, contenaient au
réveildes pis^nients biliaires etdes traces d'albumine, ce qui indiquait
que les cellules du foie et du rein participaient dans certains cas à
l'intoxication éphémère parle chlorure d'éthyle. Ces symptômes dis-
paraissent les jours suivants.
Les recherches récentes de MM. Maurice Nicloux et L. Camus ont
démontré que le sang fixait le chlorure d'éthyle avec la plus grande
rapidité, cette absorption rapide coïncidant du reste avec l'apparition
très brusque des symptômes de l'anesthésie. Les quantités de chlorure
d'éthyle contenues dans le sang pendant la phase de l'anesthésie
confirmée oscillent entre 30, 80 et même 200 milligrammes.
Au moment où la sensibilité cornéenne disparaît, on trouve dans le
sang artériel une quantité de chlorure voisine de 25 milligrammes
pour 100 centimètres cubes.
La quantité de chlorure d'éthyle contenue dans le sang des
animaux au moment de la mort est voisine de 45 milligrammes.
Mais elle peut être quatre fois plus forte. Le chlorure d'éthyle est
un corps qui s'élimine très facilement, et une proportion même
très forte dans le sang peut ne pas impressionner gravement les
organes les plus essentiels à la vie. En moins d'une minute, la
quantité de chlorure d'éthyle contenue dans le sang artériel baisse
environ de moitié : en deux minutes, la quantité contenue dans le sang
veineux baisse également de moitié. La durée de l'anesthésie, le
degré de saturation et l'état de fonctionnement de l'organisme sont
autant de facteurs qui influencent la rapidité de l'élimination.
Quant aux tissus, le cerveau et le bulbe sont ceux qui fixent le
plus de chlorure d'éthyle ; mais, dans chacun des tissus, les pro-
portions de chlorure peuvent varier dans d'énormes proportions
au moment de la mort : ici nous retrouvons les variations déjà
constatées dans le sang.
Dans le sang lui-même, ce sont les globules qui fixent plus de
chlorure d'éthyle que le plasma (Maurice Nicloux et L. Camus).
Le chlorure d'éthyle détermine l'anesthésie au bout de vingt et
soixante secondes chez l'enfant et la femme, au bout de soixante-
quinze à cent secondes chez l'homme. 2 à 4 grammes suffisent pour
obtenir ce résultat. La période d'excitation est très courte et souvent
fait défaut. Il n'y a pas à craindre d'action réflexe sur les voies respi-
ratoires. Le sommeil est calme avec une congestion légère de la
face : la pupille est dilatée, les globes oculaires parfois convulsés en
haut La narcose profonde se reconnaît à l'abolition du réflexe pal-
pébral, à la résolution musculaire et au ronflement. Le réveil presque
instantané s'accompagne d'un vertige léger, qui ne tarde pas à se
dissiper. Le m.alade peut se lever et marcher. Les vomissements
sont rares.
C2
NOGUE. — ANESTHÉSIE.
INSTRUMENTATION.
Le chlorure délhyle étant très volatil devait être administré à
l'aide d'instruments spéciaux empêchant sa trop rapide évaporation.
Un des premiers instruments construits fut celui des D" Respinger
et Ruegg (de Bâle). Cet appareil se compose d'un masque muni dune
soupape d'expiration et d'un tube adducteur muni de deux soupapes
d'inspiration et s'arliculant d'un
côté avec le masque et de l'autre
par l'intermédiaire d'un tube télesco-
pique avec un réservoir contenant
1 kilogramme de chlorure d'éthyle.
Un robinet permet de faire passer
1, 2 et 3 grammes de chlorure
d'éthyle par minute. Les vapeurs
montent par le tube adducteur et
s'y mélangent à l'air atmosphé-
rique (fîg. 14).
On peut également utiliser la cor-
beille de Breuer (fig. 23), qui se
compose d'un casque de métal garni
d'un anneau de caoutchouc: le casque
est muni de deux ventouses, l'une
pour l'inspiration et l'autre pour
l'expiration. Sur la première, on
peut fixer une sphère creuse divisée
en deux moitiés s'adaptant bien
l'une sur l'autre. Elles peuvent
laisser entre elles un intervalle,
ce qui permet l'introduction d'un
peu de gaze hydrophile, sur la-
quelle on versera le chlorure
d'éthyle.
On peut encore employer le
masque de Broadtbenk, le masque
universel de Seitz.
En France, on emploie l'appareil
de Décolland (fig. 15).
Cet appareil à anesthésie comporte
un récipient en verre A, muni d'un couvercle B, fermant hermé-
tiquement.
Le récipient A est relié par un tube souple D, d'une certaine
longueur, au masque E.
Ce masque peut être celui d'un appareil quelconque, même celui
utilisé pour le protoxyde d'azote ; mais le tube de caoutchouc est
Fig. 14. — Appareil à inhalations
« minimum » des Dr» Respinger
et Ruejrg (de Bâle).
A, masque ; a, tuyau de caout-
chouc permettant d'appliquer exac-
tement le masque sur le visage ;
b, sou|3ape respiratoire ; c, anneau
articulaire ; d, soupape d'inspira-
tion ; B, tube télescopique ; a, fer-
meture à vis ; C, réservoir.
CHLORURE D'ÉTIIYLE. — INSTRUMENTATION.
63
épais, afin d'éviter raffaissement dans les mouvements respiratoires.
Le récipient de verre porte également du côté opposé au tube D un
ajutage où se place une tubulure permettant de fixer une vessie F
destinée à jouer le rôle de réservoir extensible offert au déplacement
de l'air pendant les temps de la respiration.
Fig. 13. — Appareil de Decolland.
Le couvercle B est traversé par un certain nombre de cylindres
en métal G de pleine ouverture à la partie supérieure, mais rétrécis
et sectionnés en lamelles à leur partie inférieure. C'est dans ces
cylindres que sont introduites les ampoules contenant le liquide
anesthésique. Lorsque les ampoules sont introduites dans les
cylindres, on place sur chaque cylindre une coiffe de métal K, munie
d'une tige intérieure J, formant piston, et glissant dans un joint
64
NOGUE.
AXESTHESIE.
hermétique, afin déviter toute déperdition des vapeurs anesthé-
siques par les cylindres. Un buttoir L est disposé en entonnoir
au-dessous des cylindres G. (Dans un appareil, ce buttoir est sup-
primé, chaque cylindre comportant son buttoir.) Sur ce buttoir
incliné, l'ampoule vient s"appuyer par son bec H.
Lorsqu'on dispose Tappareil pour donner du chloroforme ou de
Télher, il faut supprimer la vessie, obturer Fappareil à ce niveau à
l'aide du bouchon à vis P et placer le ballonnet indicateur de la
respiration sur le sommet d'un des porte-ampoules. Un dispositif
permet de transformer cet appareil pour Tanesthésie générale de
courte durée en appareil pour l'anesthésie de longue durée.
Fie-. J6.
Coupe de l'appareil Decolland.
On peut également utiliser le masque de Ch. Gaudron, ou encore,
comme la chose se fait fréquemment en France, le procédé de la
compresse.
TECHNIQUE DE L'ANESTHÉSIE AU CHLORURE D'ÉTHYLE.
PROCÈDE DE LA COMPRESSE.
Il suffit, en elTet, pour appliquer ce procédé, d'une simple com-
presse pliéeen quatre épaisseurs, ou même d'un mouchoir. Les com-
presses qui conviennent le mieux sont celles en toile, de 30 à 32 cen-
timètres de côté. La compresse tapissant l'intérieur de la main droite
fortement creusée de façon à éviter une trop grande surface
d'évaporation, on dirige dans le creux de cette compresse soit les
jets de deux ou trois tubes ordinaires de chlorure délhyle, tubes qui
servent à l'anesthésie locale, soit le jet d'un tube à clapet fonction-
nant à l'aide d'un levier. Lorsqu'on n'a pas à sa disposition ce
dernier genre de tubes, nous indiquerons un petit moyen pratique
CHLORURE D'ÉTHYLE. — PROCÈDE DE LA COMPRESSE. 65
de verser du chlorure d'éthyle sur la compresse avec le minimum
d't^vaporation. On dévisse aux trois quarts les petits tubes à anesthésie
locale et, en les renversant complètement, on voit le chlorure d'éthyle
tomber par grosses gouttes qui mouillent très rapidement le creux
de la compresse, et on évite ainsi l'évaporation et la congélation, qui
se produisent presque toujours plus ou moins, quand le liquide sort
en jet capillaire. On peut, d'ailleurs, avec les gros tubes à fermeture
i\ vis, obtenir le même résultat par le même moyen.
Suivant l'âge et aussi suivant le degré d'anesthésie que l'on veut
obtenir, on projette de 2 à 5 centimètres cubes de liquide, lequel
grâce à la forme donnée à la compresse, n'a pas de tendance à
s'évaporer.
Sans perdre alors de temps, on applique la compresse, toujours
disposée en cornet et recouverte par la face palmaire de la main
droite, sur le nez et la bouche du patient, en invitant ce dernier à
faire des inspirations profondes. De la main gauche on maintient la
tête et la mâchoire inlY'rieure.
Il est absolument nécessaire de ne pas laisser respirer d'air libre.
Mais il ne faut pas, ainsi que quelques opérateurs le font, interposer
entre les doubles de la compresse un tatïetas ou une toile imper-
méable : il faut laisser à l'air expiré la possibilité de s'échapper à tra-
vers le tissu de la compresse.
Lorsque les malades font de grandes inspirations ou lorsqu'il
s'agit d'enfants qui poussent des cris, il arrive qu'ils sont sidérés
avec une rapidité étonnante : en douze à seize secondes.
Mais on voit aussi certains malades, dès que l'on applique la com-
presse, retenir leur respiration soit volontairement, soit par crainte;
il suffît, dans ces cas, de soulever légèrement la compresse, puis de la
réappliquer aussitôt pour les voir immédiatement faire une inspira-
tion profonde, suivie d'autres inspirations régulières et, en vingt à
trente secondes, l'anesthésie est complète, sans qu'il soit nécessaire
de recourir à d'autres quantités de liquide.
Si l'opération est un peu longue et pour éviter le réveil, nous
versons de nouveau sur la compresse, de la même façon que la pre-
mière fois, une nouvelle quantité de chlorure d'éthyle et même une
troisième et une quatrième, si le cas est nécessaire.
11 faut avoir soin de ne pas attendre le réveil pour procéder à
l'administration de nouvelles doses. En espaçant ainsi ces doses, on
atteint 15 centimètres cubes de liquide, et on a largement le temps de
pratiquer un grand nombre de petites opérations pouvant durer de
quinze à vingt minutes.
Lorsqu'il s'agit, au contraire, d'opérations devant durer plus long-
temps, dès que le malade est dans la résolution, nous remplaçons la
compresse de chlorure par une autre compresse imbibée de chloro-
forme, et nous l'appliquons vivement sur le nez et la bouche du
Traité de stomatologie. VL — 5
66 NOGUÉ. — ANESTHÉSIE.
patient, sans lui laisser respirer d'air. Nous continuons ensuite la
narcose au chloroforme par le procédé des petites doses, sans air.
L'effet de ce dernier aneslhésique se substitue dans ces conditions,
sans réaction appréciable du malade, à l'effet du chlorure déthyle.
Nous ajouterons que Ton peut également continuer la narcose à
l'éther, au lieu du chloroforme.
Les chirurgienslyonnais et le P^V. Hacker (d'Innsbriick) emploient
surtout cet agent dans les anesthésies mixtes.
Les signes qui permettent de reconnaître la narcose complète au
chlorure d'éthyle sont peu marqués. Celle-ci est caractérisée :
loPar la résolution musculaire, non précédée d'une période de
contracture vraie ;
3° Par le rythme respiratoire, qui est régulier et s'accompagne
quelquefois d'un léger ronflement ;
3° La main qui recouvre la compresse éprouve la sensation d'une
évaporation froide, qui, chassée par l'expiration, vient passer entre
les espaces digitaux.
Ces trois signes sont pathognomoniques de la narcose complète.
Le sommeil obtenu en quelques instants s'accompagne d'une
résolution musculaire générale, quelquefois d'une légère con-
gestion de la face, qui ne va jamais jusqu'à la cyanose, d'un léger
rétrécissement de la pupille, parfois de mydriase, de convulsion
des globes oculaires généralement en haut, d'insensibilité de la
conjonctive, d'anéantissement de l'intelligence avec parfois relâche-
ment du sphincter vésical.
PROCÉDÉ DU MASQUE.
Supposons qu'on emploie l'appareil de Décolland. On procédera de
la façon suivante :
Avoir soin d'éloigner les lampes et le thermocautère des tubes
porte-ampoules préalablement chargés del'anesthésique à employer.
On placera le masque sur la figure du patient, et on devra l'y main-
tenir étroitement avec le plus grand soin. Il est très important, en
effet, que le patient ne respire pas d'air sur les bords du masque. On
invitera alors le patient à respirer naturellement, et l'on brisera à ce
moment une ampoule, en exerçant une pression sur le sommet d'un
des cylindres.
Le liquide aneslhésique s'échappant de l'ampoule brisée se répand
au fond du réservoir et s'y maintient à l'état liquide. En effet,
lorsque l'on brise une ampoule dans un vase ou même sur une simple
plaque de verre, on voit le chlorure d'éthyle rester sous la forme
liquide, grâce à l'abaissement de température produit par la volatili-
sation initiale. L'évaporation du liquide se fait ensuite progressive-
ment et avec une certaine lenteur.
CHLORURE D'ÉTHYLE. — PROCÉDÉ DU MASQUE. 67
De même, quaiul on brise une ampoule dans l'appareil, le chlorure
Fig:. 17. — Appareil pour ladminislration du chlorure d'éthyle.
d'élhyle projeté sur le fond de vase produit, par une première volati-
lisation, une réfrigération qui tient le liquide en suspens. Ce n'est
que progressivement,
la respiration s'elï'ec- j
tuant dans une vessie
annexée à ce vase, que
le malade absorbe l'a-
nesthésique. En effet,
le passage de l'air
d'expiration produi-
sant une élévation de
température amène
soudainement la vola-
tilisation progressive
du liquide. L'anesthé-
sie est ainsi rendue
possible avec 1 ou
2 centimètres cubes
de chlorure d'éthyle.
Cette anesthésie sur- ,^. ,„ .. ^ r i • • * *■ i ^^
Fig. ïi>. — Masque pour 1 administration du chlorure
vient très rapidement, déthyie.
en quelques secondes.
Elle est précédée d'une période d'agitation inconsciente prenant les
caractères d'une défense. Cet état' de tension des muscles disparaît
68
NOGUE. — ANESTHÉSIE.
au bout de trente secondes, mais persiste parfois beaucoup plus
longtemps chez les névropathes ou les alcooliques. Comme consé-
quence de ce tonus maxillaire, le trismus maxillaire n'est pas rare,
d'où la nécessité de mettre un bâillon quand il s'agit d'opérer dans
la bouche.
On a noté à cette période des mouvements fibrillaires des muscles.
Les pupilles sont rétrécies, mais la conscience et la sensibilité
persistent encore: le
malade réagit si on
le pince ; il répond si
on lui parle. Quelques
secondes plus tard, la
narcose est complète;
les rétlexes ont dis-
paru ; les pupilles di-
latées ne réagissent
plus à la lumière, les
muscles sont en réso-
lution. On note alors
une congestion légère
de la face, parfois un
peu de cyanose, de
salivation et de lar-
moiement.
Si la dose n'était
pas suffisante pour
obtenir l'anesthésie,
il suffirait de briser une seconde ampoule placée à l'avance dans
l'appareil, le piston abaissé indiquant celle des ampoules déjà utilisée.
Fig. 19. — Coupe du masque pour Fadministralion
du chlorure d'éthyle.
AVANTAGES ET INCONVÉNIENTS DU CHLORURE D'ÉTHYLE.
Les avantages du chlorure d'éthyle, comme anesthésique général,
dans les opérations de courte durée, sont reconnus par la majorité
des chirurgiens : anesthésie rapide sans troubles appréciables, réveil
immédiat sans accidents consécutifs. Mais, pour avoir une connais-
sance plus approfondie de son action, il était nécessaire de connaître
son mode de pénétration dans le sang, de déterminer sa répartition et
les conditions de son élimination.
La méthode dont se sont servis Nicloux et Camus (1) est basée sur
la connaissance des réactions qui accompagnent la combustion com-
plète du chlorure d'éthyle à l'état de gaz. Les expériences ont porté
soit sur des chiens soumis à l'absorption de mélanges gazeux titrés ou
(1) L. Camus et M. Nicloux, Le chlorure d'éthyle dans le sang au cours de
l'anestliésie.
AVANTAGES ET I^'CO^'YÉNIENTS DU CHLORURE D ETHYLE. 69
de vapeurs pures de chlorure d'éthyle. Le titre du mélange, la
quantité de vapeur otïerte à la respiration de l'animal de même que
le rythme et l'amplitude des mouvements respiratoires ont une
grande influence sur labsorption du chlorure d'éthyle. D'une façon
générale, l'aneslhésie se produit assez rapidement, et en même temps
on constate une brusque apparition de C-H^Cl dans le sang qui, dans
la phase d'anesthésie croissante, renferme environ 25 milligrammes
p. 100 centimètres cubes au moment, où disparaît la sensibilité.
Les analyses exécutées sur le sang prélevé pendant le phase
d'anesthésie décroissante donnent à peu près la même valeur.
La dose mortelle est très variable. Tantôt les animaux meurent
avec 45 milligrammes p. 100 dansle sangettantôtavecunedosequatre
fois plus forte. Ces dilïerences tiennent aux conditions expérimen-
tales, qui modifient considérablemenlle mécanisme delà mort; mais,
en somme, la grande volatilité du chlorure d'éthyle peut permettre
sans danger son introduction passagère dans le sang à très haute
dose, ce qui n'a pas lieu pour le chloroforme.
Pour ce qui est de l'élimination du chlorure d'éthyle, le retour
rapide à la sensibilité, quand cesse son administration, coïncide avec
une élimination rapide. Les analyses exécutées sur des prises de
sang très rapprochées montrent que le taux du chlorure d'éthyle
peut s'abaisser en moins d'une minute de 40 milligrammes à 10 mil-
ligrammes par centimètre cube de sang. L'état de la ventilation
pulmonaire, de la circulation et la durée de l'anesthésie ont une
grande influence sur la rapidité de l'élimination.
Le sang artériel, aucours de l'anesthésie, renferme plus de chlorure
d'éthyle que de sang veineux, mais, pendant l'élimination, les propor-
tions se renversent, et l'on constate ici, comme pour le chloroforme,
que les courbes se coupent. Si l'on provoque l'asphyxie soit en fer-
mant la trachée, soit en supprimant la respiration par une forte in-
toxication, lesangcesse d'éliminer l'anesthésique, et l'on peut voir la
décharge des organes se manifester par l'élévation du taux du chlo-
rure d'éthyle dans le sang veineux.
En résumé, les analyses faites au cours de l'anesthésie montrent
que le chlorure d'éthyle pénètre avec une grande rapidité dans le
sang, que son taux dans certaines conditions peut s'élever considéra-
blement sans danger pour l'organisme, car l'élimination est possible
en un temps extrêmement court.
Pratiquement, l'anesthésie par le chlorure d'éthyle offre une grande
sécurité, caria respiration artificielle dans les cas d'intoxication jouit
d'une efficacité exceptionnelle. Cependant la clinique nous montre
qu'il ne faut pas considérer le chlorure d'éthyle comme un agent
inoffensif. Sans être aussi nombreux que ceux du bromure d'éthyle,
les cas de mort s'élèvent déjà à un chiffre appréciable.
Le D"^ T. D. Luke, qui en a relevé exactement 17, conclut: « Voilà
70 NOGUÉ. — AXESTHESIE.
donc une liste de 17 cas connus et, étant donnée la jeunesse du chlorure
d'élhyle comme agent anesthésique, cette liste n'est-elle pas formi-
dable? Il esta remarquer que près de la moitié de ces cas de mort ont
eu lieuàproposd'opéralions dentaires, et il est à croire que le chlorure
d'élhvle est utilisé trop souvent pour remplacer le protoxyde d'azote,
qui serait bien préférable. C'est évidemment un excellent agent anes-
thésique, mais dont il importe beaucoup de connaître les indications.
Personnellement, je n'ai pas eu d'accident fatal avec le chlorure
d'éthyle et bien que, dans un cas ou deux, jai eu un arrêt temporaire
de la respiration, je m'en sers quotidiennement et avec une confiance
complète. Toutefois on ne saurait apporter trop de soin à son dosage
et, même quand on en n"a introduit qu'une dose modérée dans l'inha-
lateur, il faut surveiller très attentivement le début de l'anesthésie et
retirer l'appareil avant que la respiration ne soit devenue par trop ster-
toreuse et que les pupilles ne soient largement dilatées. Par-dessus
tout, il- est nécessaire, selon moi, que l'on ne se hasarde pas à admi-
nistrer un anesthésique agissant aussi rapidement que le chlorure
d'éthyle, si l'on n'a pas le sang-froid et les connaissances voulues
pour parera tous les accidents possibles (1). »
(1) T. D. LuKE, British med. Journal et Progrès dentaire, n» 1, 1906.
BROMURE D'ÉTHYLE. 71
VI. - BROMURE D'ÉTHYLE.
C'est un liquide incolore, très volatil, d'une odeur éthérée spéciale,
d'une saveur bridante, découvert par Serullaz en 18'29, employé
pour la première fois comme anesihésique en 1829 par Munneley (de
Leeds). La lumière le décompose, aussi doit-il être conservé dans des
flacons colorés et fermés h la lampe ou bouchés à l'émeri.
Le bromure d'éthyle est soluble dans Téther et l'alcool en toutes pro-
portions. Il bouta 49° et ne cristallise pas à O», ce qui le différencie du
bromure d'éthylène, corps toxique qui cristallise à cette température.
On l'obtient par plusieurs procédés : en faisant agir l'alcool rectifié
sur le brome en présence du phosphore; en faisant agir l'alcool et
l'acide sulfurique sur le bromure de potassium; en décomposant
Téthylate de sodium par le brome ; en faisant agir l'acide bromhy-
drique sur l'éthylène.
Le bromure d'éthyle doit être administré absolument pur. Heffter
et Duniont indiquent les moyens suivants de reconnaître cette
pureté : 1° versé sur la main, le brométhyle doit se vaporiser rapi-
dement et complètement sans laisser de résidu et en produisant une
sensation de froid intense ; 2° agité avec de l'eau dans un verre à
réaction, puis filtré, le produit aqueux de la filtration doit avoir une
réaction neutre et n'éprouver aucune modification par l'addition de
nitrate d'argent ; 3° une addition d'acide sulfurique concentré à du
bromure d'éthyle pur ne doit pas le colorer en brun ; si cette colo-
ration se manifeste ou bien encore si le produit prend sponta-
nément une teinte jaunâtre, c'est l'indice d'un commencement de
décomposition. Tant que l'addition d'un peu d'acide sulfurique
concentré ne provoque aucun changement de couleur, on peut con-
sidérer le produit comme sûrement bon et irréprochable.
D'après Lermoyez, le bromure d'éthyle que livre le commerce
est généralement de très mauvaise qualité et peut amener des acci-
dents graves. On ne doit accepter pour l'anesthésie qu'un produit qui
présente les qualités suivantes :
1° 11 doit être très volatil et, versé dans la main, s'évaporer com-
plètement et rapidement sans laisser de résidu ;
2o 11 doit être incolore; a-t-il une teinte jaunâtre ambrée, c'est qu'il
s'est décomposé, mettant en liberté une petite quantité de brome ; il
produit alors une vive irritation des voies aériennes ;
3° 11 doit posséder une odeur douce, éthérée. Un bromure d'éthyle
qui a une odeur alliacée est impur : il renferme de l'hydrogène phos-
phore, gaz toxique.
La pureté du bromure d'éthyle dépend : 1° de son mode de prépa-
ration : 2° de son mode de conservation.
1° Industriellement, le bromureest obtenu en distillant un mélange
72 NOGUÉ. — ANESTHESIE.
de brome, d'alcool absolu et de phosphore ; cette préparation donne
un produit impur. Il doit être préparé en décomposant Falcool devin
par lacidesulfurique pur en présence du bromure de potassium et
rectifié ensuite par distillation sur l'huile d'amandes douces.
2° La lumière, Ihumidité, le contact de l'air le décomposent. Il faut
n'user que d'un bromure contenu dans des tubes colorés, scellés à
la lampe. Même dans ces conditions, ce corps ne se conserve intact
que deux à trois semaines ; encore vaut-il mieux, s'il est possible,
quil ait été distillé les jours qui précèdent l'opération (1).
Depuis son emploi en 1829 par Nunneley et plus tard, en 1865, le
bromure d'éthyle n'avait guère été utilisé en chirurgie, quand, en
1877 et 1879, Lawrence Turnbull et Lewis (de Philadelphie), Terrillon
en France le remirent en honneur. Mais il ne se répandit réellement
qu'à partir de 1890, époque à laquelle les D""' Calmettes et Lubet-
Barbon l'adoptèrent systématiquement pour les opérations rhinolo-
giquesde courte durée.
PHYSIOLOGIE DU BROMURE D'ÉTHYLE.
Action sur le système nerveux. — La narcose brométhylique
parcourt les mêmes étapes que la narcose chloroformique : toutes
deux agissent d'abord sur le cerveau, puis sur le bulbe. Mais, avant
de paralyser chacun de ces centres, le chloroforme exerce sur eux
une irritation cliniquement appréciable. Le bromure d'éthyle, au con-
traire, brûle la période d'excitation (Lermoyez). Avec lui, la phase de
paralysie des centres nerveux est atteinte d'emblée sans être précé-
dée de la phase d'exaltation (Dastrej. La moelle, le bulbe et les
hémisphères cérébraux seraient donc plus sensibles à l'action du
bromure d'éthyle qu'à celle de l'éther ou du chloroforme.
Heureusement, si le bromure d'éthyle agit sur le cerveau avec une
rapidité en quelque sorte foudroyante (Lermoyez), il ne paralyse que
bien plus tard le centre médullaire.
Il remplit donc surtout les conditions d'un excellent analgésique.
Le sujet peut encore faire des mouvements, avoir toutes les appa-
rences de la sensibilité, alors qu'il est déjà insensible.
Action sur la circulation et la respiration. — Le bro-
mure d'éthyle détermine, comme l'éther, de la congestion de la
face, une accélération du pouls et une élévation de la pression san-
guine. C'est un vaso-dilatateur : en congestionnant la tête, il permet,
sans crainte de syncope, d'opérer les malades assis.
De plus le bromure d'éthyle, n'amenant pas de phase d'excitation
appréciable, n'expose pas à léventualité terrible du laryngo-réflexe.
Action sur le tube digestif, les glandes, le système muscu-
laire. — Les nausées et les vomissements sont assez fréquents après
l'inhalation de bromure d'éthyle. La sécrétion glandulaire est aug-
BROMURE D'ÉTHYLE. — INSTRUMENTATION.
73
mentéo : sudation al)ondante, larmoiement, ptyalisme. La résolution
musculaire est rarement complète.
Lebrométliyle s'élimine par les voies respiratoires.
INSTRUMENTATION.
En raison de la volatilité assez marquée du bromure d'éthyle, il
est bon de l'administrer à l'aide
d'un masque, qui empêche son
évaporation. Parmi les masques
Fig. 20. — Masque à bromure d'éthyle
de Gilles de Colocrne .
Fig. 21. — Masque de Gilles
(de Cologne).
les plus connus, on peut citer celui de Gilles (de Cologne), formé
de deux corbeilles en fil
d'archal, unies l'une à
l'autre par une charnière
et revêtues d'une flanelle
imperméable et d'une pièce
de caoutchouc. Pour verser
Tanesthésique, on relève la
corbeille extérieure (fig. 21)
et 21).
En France, la plupart des
chirurgiens se contentent
d'une compresse simple im-
perméabilisée. Quelques-
uns cependant font usage
des masques de Guyon ou
de Nicaise, utilisés pour
l'administration du chloro-
forme.
Dans le but de permettre
au patient de respirer une Fig. 22. — Appareil de Crésantigne.
certaine quantité d'air avec
le bromure d'éthyle, le D"" de Crésantigne (fig. 22) a préconisé un
appareil spécial, composé d'un masque inhalateur et d'un sac en caout-
74 NOGUE. — ANESTHESIE.
chouc pouvant contenir environ un demi-lilre dair atmosphérique.
L'iniialateur à réservoir d'air met donc à la disposition du sujet à
endormir une certaine quantité d'air, qui, contenu dans une vessie
souple fixée à l'extrémité d'un mouchoir épingle en forme de cor-
net, estinspirésansefTort, après s'êtrechargé de vapeurs aneslhésiques
au passage, y retourne lors de l'expiration pour y être repris et
ainsi de suite jusqu'à ce que l'insensibilité soit complète, ce qui arrive
rapidement.
TECHNIQUE DE L'ANESTHÉSIE.
Deux méthodes peuvent être employées : 1° la méthode des doses
massives ; 2" la méthode des doses fractionnées.
MÉTHODE DES DOSES MASSIVES.
La méthode des doses massives a été préconisée et employée
par le P'' Moritz-Schmidl (de Francfort). En France, Hartmann et
Bourbon en sont les protagonistes convaincus. Elle est ainsi
exposée par ces auteurs : « Ayant placé le malade convenablement et
préparé tout ce qui peut être nécessaire au cours de l'intervention,
car il faut être prêt à agir immédiatement, nous versons sur la com-
presse pliée 10 à 15 grammes de bromure d'éthyle et commençons
par faire faire au malade une inhalation à distance pour l'habituer à
l'odeur.Puis nous appliquons hermétiquement sur le nez et la bouche la
compresse disposée en cornet. L'agitation du début, lorsqu'elle a lieu,
du reste peu fréquente chez les gens sains et sans tare, est toujours
inconsciente. Les sujets ne gardent jamais un mauvais souve-
nir de ce début d'anesthésie. Vu la possibilité de cette agitation, il est
bon de faire maintenir le malade à ce moment. Cette agitation,
lorsqu'elle existe, ne dure, du reste, que quelques secondes: après
une dizaine d'inspirations, la narcose est complète, la respiration est
régulière et calme, la face est toujours un peu plus rosée que nor-
malement, parfois même vultueuse, sans être le moins du monde
cyanosée ; la pupille est, dans la majorité des cas, dilatée. Cessant
immédiatement et complètement l'inhalation du bromure d'éthyle,
nous laissons le malade respirera l'air libre et opérons, moins d'une
minute par conséquent après le début des inhalations. Nous insis-
tons sur ce fait qu'il faut ne donner le bromure d'éthyle que pendant
un temps extrêmement court. Pour peu qu'on continue son adminis-
tration, on voit souvent le malade entrer en contracture (raideur des
membres, du dos, trismus, etc.). En un mot, il faut opérer pendant la
première phase de l'anesthésiepar le bromure.
« Lorsque l'opération ne dure qu'un temps très court (deux minutes),
le malade se réveille tranquillement, reprenant immédiatement con-
naissance, sans ce malaise qui suit l'ingestion du chloroforme, quel-
BROMURE D'ÉTHYLE. — TECHNIQUE DE L'ANESTHÉSIE.
quetbis nuhne gîiîmoiil. Lorsqu'elle est plus longue et dépasse trois
minutes, il est bon de donner une nouvelle dose de bromure au
moment où le malade commence à se réveiller (contraction pupil-
laire, mouvements, etc.) ; on peut interroger le malade et renouveler
rinhalaliou sur son assurance qu'il commencée sentir un picotement.
« Deux inhalations d'air saturé de bromure suffisent pour per-
mettre de continuer l'opération. Nous avons été ainsi jusqu'à donner
trois doses succes-
sives pour des opéra-
tions d'une durée de
dix à quinze minutes ;
jamais nous n'avons
été au delà, préfé-
rant, pour les opéra-
tions d'une plus
longue durée, faire
suivre l'administra-
tion de bromure de
celle du chlorofor-
me. «
Lermoyez donne
ainsi les règles qui
doivent présider à
l'administration du
bromure d" et h vie.
Pour bien donner le
bromure d'éthyle, il
faut oublier les règles
de l'administration du chloroforme (Lubet-Barbon). Il faut d'emblée
sidérer le malade par une dose massive. Afin de ne pas le surprendre
trop brusquement, on peut, surtout si c'est un adulte, lui faire
d'abord sentir quelques gouttes ; puis, au bout de deux à trois
secondes, on lui administre d'un seul coup toute la quantité d'anes-
thésique nécessaire pour l'endormir : 5 à 10 grammes chez l'enfant,
10 à 20 grammes chez l'adulte sont des doses à ne pas dépasser.
Les vapeurs doivent être mélangées à la plus petite quantité
d'air possible, ce qui est facile à réaliser si on substitue à la compresse
classique un masque en forme de nid de pigeon, formé par un
squelette de fil de fer, garni de flanelle, qu'on peut même, pour plus
de sûreté, doubler extérieurement d'un tissu imperméable. Le masque
de Billroth, entièrement clos par une paroi métallique, est d'un
emploi commode chez l'adulte. Quel qu'il soit, le masque doit empri-
sonner exactement le nez et la bouche, laissant à découvert les yeux
qu'il est utile de surveiller.
Préalablement, on aura pris les mêmes précautions que pour
Fie
23. — Corbeille de Breuer pour l'administra Lion
du chlorure et du bromure d'éthyle.
76 NOGUÉ. — ANESTHESIE.
l'anesthésie chloroformique; la figure aura été enduite de vaseline et
les dents artificielles enlevées de la bouche. On s'assurera qu'aucun
vêtement ne serre la poitrine ni le cou.
Qu'il soit assis ou couché, dès l'application hermétique du masque,
le malade étoulTe et se débat : on doit le maintenir, sans violence.
Instinctivement, surtout si c'est un enfant, il se retient de respirer;
mais, dés que, vaincu par le besoin d'air, il a fait deux ou trois inspi-
rations, il se calme et, vers la huitième ou la dixième inspiration, il
s'endort. Vingt à quarante secondes suffisent pour obtenir le sommeil,
suivant le degré de nervosité et surtout d'anxiété du patient. En
tout cas, sous peine cVaccidents^ il faut commencer à opérer une
minute au plus après le début de Téthylisation. A ce moment, on
enlève le masque, et on ne le remet plus jusqu'à la fin de l'opération.
Dès la première inhalation, la face devient rouge, vultueuse : elle
se congestionne, mais ne doit pas se cyanoser. Les yeux demeurent
ouverts, hagards, fixes et parfois se convulsenten haut et en dedans.
Rapidement arrive \a phase de résolution musculaire ; la main lâche
l'objet qu'elle tenait, le bras soulevé retombe inerte, la tête se laisse
mouvoir passivement. Le malade ne résiste plus, l'anesthésie et
l'inconscience sont complètes : c'est la période où il faut opérer.
Si on laisse par mégarde le masque quelques secondes de plus,
la phase de contraction arrive : elle est gênante, car elle détermine
un trismus énergiquequi inlerditaux instruments l'accès du pharynx;
elle peut être dangereuse si la glotte se ferme ; l'asphyxie est le
danger qui menace surtout les éthylisés. Quand, au cours d'une
ablation de végétations adénoïdes, par exemple, on voit se produire
la contraction des mâchoires, il n'y a qu'à attendre que le malade,
se réveillant peu à peu, repasse par la phase de résolution ; mais, le
plus souvent alors le réveil revient si vite qu'on n'a pas le temps
d'opérer, tout est à recommencer.
Le réveil arrive ordinairement au bout d'une à deux minutes : il
est presque toujours calme.
Le malade ouvre lentement les yeux, regarde autour de lui d'un
air étonné, ne se rappelant pas ce qui s'est passé: il ne dort plus,
mais il est encore dans cet état de demi-inconscience où les enfants
les plus indociles se laissent aisément manier et qu'on peut, s'il est
nécessaire, encore utiliser pour achever l'opération ou faire un panse-
ment douloureux. BientcM cet état d'hébétude se dissipe; le malade
se lève, titube pendant quelques pas, puis s'alïermit sur ses jambes
et peut gagner seul son ht ou même rentrer à pied chez lui. Il
n'éprouve aucun malaise consécutif; il n'a pas mal de tête, il ne vomit
pas, ce qui ])ermet de l'endormir l'après-midi après son repas : toute-
fois l'expérience m'a montré que les éthylisalions calmes et rapides
se font surtout bien le matin àjeun.
Pendant deux ou trois jours, l'haleine du malade a une odeur
BROMURE D'ÉTHYLE. — TECHNIQUE DE L'ANESTHESIE. 77
alliactH\ qui montre (jue, si le bromure d'éthyle possède une action
immédiate, mais fugitive, son élimination n'est pas aussi rapide
qu'on pourrait le croire.
Modification de la technique usuelle. — Méthodes prolongées
et mixtes. — Méthode analgésique (Lermoyez) (1). — Donné
comme il vient dètre dit, le bromure déthyle est d'un maniement sûr
et commode, mais il ne convient alors qu'aux opérations extrêmement
courtes. Quelques chirurgiens l'emploient cependant pour des inter-
ventions dune durée dune demi-heure et plus. A ceux qui seraient
tentés de suivre leur exemple, il faut rappeler cette phrase de Dastre :
« L'action paralysante prédominante de cette substance doit nous
faire préjuger que, pour les opérations de longue durée, elle offrira
des dangers supérieurs à ceux de l'éther et du chloroforme. » Dès
lors pourquoi ne pas donner le chloroforme, qui, dans ces conditions,
est moins dangereux ?...
« Pour ma part, en présence des accidents mortels auxquels le bro-
mure d'éthyle a donné lieu depuis deux ans, j'ai une tendance à
rester en deçà plutôt qu'à aller au delà de la tolérance physiologique
et à obtenir avec ce corps moins l'anesthésie que V analgésie. J'ai dit
qu'entre le moment où, dès le début, il paralyse le cerveau et l'ins-
tant où, plus tardivement, il supprime l'influence médullaire, il
s'écoule un espace de temps appréciable ; c'est de cette période que
je cherche autant que possible de profiter pour opérer. Le malade ne
dort pas au vrai sens du mol, et, pour qui ne connaît que l'anesthésie
chloroformique, il semble être opéré à l'état de veille; mais il ne
sent pas, ce qui est capital pour lui, et il ne résiste pas, ce qui est
essentiel pour le chirurgien ; même si parfois il s'est plaint pendant
l'opération, jamais ensuite il ne se souvient de ce qui s'est passé.
Pour bien saisir ce moment, il faut surveiller attentivement les yeux
et, sans se préoccuper du plus ou moins de résolution musculaire,
cesser l'inhalation dès que la pupille commence à se dilater et la
conjonctive à s'injecter légèrement. Sur quelques centaines d'éthyli-
sations que j'ai faites avec Helme, jamais, quand nous avons pu ne
pas dépasser la phase d'analgésie — ce qui était le cas ordinaire —
nous n'avons observé le moindre accident, ni même éprouvé la plus
petite alerte. »
MÉTHODE DES DOSES FRACTIONNÉES.
Malgré l'opinion de Haffter, Abonyi, Hartmann, qui considèrent
cette façon d'administrer le bromure d'éthyle comme dépourvue de
danger, nul doute que la sidération brutale ne constitue un procédé
peu scientihque, en ce sens qu'elle ne permet aucune graduation des
(1) Lermoyez, De l'anesthésie par le bromure d'éthyle (Presse méd.).
78 NOGUE. — ANESTHESIE.
doses etquelle ne laisse aucune ressource en cas d'accident. Il s'est
trouvé des chirurgiens pour préconiser une mélhodeplus prudente, la
méthodedes doses fractionnées (Partsch, Mikulicz, Terrier et Péraire).
Quelques gouttes de bromure sont versées sur la compresse, et
celle-ci est maintenue collée pour ainsi dire sur la bouche du patient.
Dès que cette dose est évaporée ou inhalée, on en verse unenouvelle
et ainsi de suite jusqu'à l'obtention de la narcose. Il est bon de com-
mencer ici, comme pour le chloroforme, à présenter d'abord la com-
presse au malade afin de l'habituer à l'odeur.
L'anesthésie est complète au bout d'une minute environ.
Dans les opérations sur la bouche ouïe pharynx, il est prudent de
placer au préalable un bâillon en caoutchouc afin de lutter contre la
contracture généralement persistante des masséters.
Cette anesthésie se manifeste par la congestion de la face, la dila-
tation de la pupille, l'insensibilité de la conjonctive, le ronflement,
l'état de laisser-aller du patient, qui est manifeste pour un observa-
teur exercé, bien que la résolution musculaire n'existe pas.
Le réveil survient rapidement et parfois brusquement. Le retour à
la conscience n'est pas immédiat, comme dans l'anesthésie par le
protoxyde d'azote.
Les nausées et les vomissements ne sont pas rares. Parfois, pendant
une partie de la journée, le patient conserve un certain degré de tor-
peur intellectuelle et de la céphalée. Il estbon.aprèsl'acministrationdu
bromure d'éthyle, de laisser le patient couché pendant quelques heures.
Surtout chez les nerveux et les alcooliques, on note une période
d'excitation violente au début de l'anesthésie, mais passagère.
Le bromure d'éthyle sera réservé pour les opérations de courte durée.
Pour les opérations plus longues, rien ne permet de lui donner la préfé-
rence sur l'éther ou le chloroforme. L'opinion du P" Dastre est for-
melle à cet égard, et on ne saurait trop s'y conformer : « Le bromure
d'éthyle étant un vaso-dilatateur constitue un état d'infériorité vis-à-vis
du chloroforme au point de vue de l'économie du sang, particulière-
ment pour les opérations sur la face. Enfin l'action paralysante pré-
dominante de cette substance doit nous faire préjuger que, pour les
opérations de longue durée, elle offrira des dangers supérieurs à
ceux de l'éther et du chloroforme (1). »
Le bromure d'éthyle n'est pas sans avoir déjà causé plusieurs
accidents mortels. 2 cas survenus en Amérique ont été signalés par
Gubler et Labbé ; 3 cas ont été signalés par Gleich (1892) ; 1 par
Kœhler (1894) ; 1 par Suarez de Mendoza ( Duplay) ; 1 par M. Gui-
nard (2). En 1902, Seitz pouvait établir une statistique de 24 cas de
mort (3). Depuis cette époque, d'autres accidents sont survenus et
(1) Dasthk, Les anesthésiques, p. 193.
(2) GiiNARD, Soc. de chir., 18 fév. 1902.
(3) Seitz, Deutsche Monatsschrifl fur Zahnheilkunde. 1902.
PROPHYLAXIE DES ACCIDENTS BROMÉÏHYLIQUES. 79
monlri'iif avec ijuclle prudence il faut avoir recours à cet aneslhé-
sique.
En stomatologie, il sera exceptionnellement employé, pour cette
raison bien simple qu'il ne présente aucun avantage sur le chlorure
d'éthyle, d'un maniement plus aisé et moins dangereux.
PROPHYLAXIE DES ACCIDENTS BROMÉTHYLIQUES.
Le bromure d'éthyle a causé des accidents mortels : ce (serait
laisser planer sur lui une juste défiance que de vouloir les dissi-
muler ; tous les cas de mort qu'il provoque devraient être publiés
et non chuchotes. Dans presque tous les faits malheureux (celui de
Suarez de Mendoza fait exception), la mort est imputable à la faute
des opérateurs, qui ont enffreint une des règles suivantes :
1" Ne pas confondre le bromure d'éthyle avec le bromure d'élhylène;
2° N'employer que du bromure d'éthyle pur et fraîchement préparé ;
3" Administrer le bromure d'éthyle en masse ; quelques opérés qui
ont succombé avaient été endormis parla méthode des doses faibles
et continues;
A° Ne pas prolonycr r administration au delà d'une minute;
5° Ne faire au plus que deux reprises.
Il y a enfin certaines contre-indications et certaines idiosyncrasies
dont il faut tenir compte.
L'éthylisation est contre-indiquée chez les sujets atteints d'affec-
tions graves du cœur et des poumons ainsi que chez les rénaux.
Elle est très difficile chez les alcooliques, chez les nerveux, sur-
tout chez les sujets qui craignent de s'endormir. La chloroformisa-
tion a du reste les mêmes inconvénients.
h'àge des malades est également un facteur dont il faut se préoc-
cuper. La seconde enfance, de deux à seize ans, est la période d'élec-
tion de la vie pour donner le bromure d'éthyle. Chez l'adulte, le som-
meil est moins facilement obtenu. Il laisse souvent a sa suite une phase
d'excitation ébrieuse, qui peut durer plusieurs heures. Au-dessous
de deux ans, l'éthylisation est inutile, les petits sujets étant incons-
cients et faciles à manier; à cet âge, le chloroforme est si bien toléré
qu'il demeure encore le seul anesthésique de la première enfance.
En observant toutes ces précautions, on réduira au strict minimum
leschancesd'accidents, mais on ne les supprimera pas complètement.
Le bromure d'éthyle n'est pas l'anesthésique absolument inoffensif
qu'on s'était tout d'abord imaginé découvrir. Mais est-ce une raison
pour se montrer plus sévère vis-à-vis de lui que du chloroforme ? Le
premier est supérieur pour les opérations courtes, le second pour
les opérations longues. En admettant que tous deux aient une nocivité
égale, il faut, pour tous les cas indiqués, préférer l'éthylisation, plus
commode pour le chirurgien et moins pénible pour l'opéré.
80 NOGUÉ. - ANESTHESIE.
VII. - ÊTHER SULFURIQUE.
La première opération faite avec l'éther fut pratiquée par Morton
en septembre 1846. Il s'agissait d'une extraction dentaire. Peu après,
le 16 octobre de la même année, l'éther fut appliqué à la grande
chirurgie, à l'hôpital général du Massachusetts, dans une opération
faite par le D'' Warren. L'usage de Téther se répandit ensuite dans
toute l'Europe.
Décrit en 1540 par ValeriusCordus, sous le nom deXaphta vitrioli
et d'Oleam vitrioli diilce, Téther sulfurique est un liquide incolore,
très volatil, d'une odeur pénétrante spéciale. Très inflammable, il forme
avec l'oxygène de l'air un mélange détonnant en présence de tout
corps incandescent. Il bout à 35° C, se dissout dans 15 parties d'eau
et se mélange en toutes proportions avec l'alcool, le chloroforme,
les huiles éthérées. Son poids spécifique à 15o est de 0,720 à 0,722.
On le prépare en faisant réagir l'acide sulfurique sur l'alcool. Il
doit être soigneusement rectifié avant d'être utilisé pour l'anesthésie
générale.
ACTION DE L'ÉTHER SUR L'ORGANISME.
Des nombreuses recherches faites sur faction de l'éther, il résulte
que les inhalations d'éther provoquent presque toujours une éléva-
tion de la pression sanguine et une augmentation de la force du pouls,
du moins au début. Plus tard, quand la dose inhalée est très consi-
dérable, le cœur est déprimé. D'une façon générale, on peut dire de
l'éther qu'il agit moins sur le cœur que sur la respiration.
Dès qu'on fait respirer au patient les vapeurs déther, il se produit
des phénomènes réflexes de toux dus à l'irritation de ces vapeurs sur
les voies respiratoires supérieures. Au bout de quelques minutes,
l'organisme s'habitue à cette action et en même temps les effets anes-
thésiques commencent à se faire sentir : la physionomie exprime
l'étonnement et le calme. Mais bientôt survient la période d'excita-
tion. Le patient se débat plus ou moins violemment et crie : la face
est rouge et vultueuse. Peu à peu cette excitation diminue et fait
place au sommeil profond, qui s'accompagne de rontleraent et de
slertor. C'est la période chirurgicale, pendant laquelle il faut inter-
venir.
La zone maniable de l'éther, c'est-à-dire l'intervalle compris entre
la dose anesthésique et la dose mortelle, est représentée d'après les
recherches dePaulBert, par 40 grammes, tandis que. avec le chloro-
forme, elle n'est que de 12 grammes, et c'est ainsi qu'il faudrait expli-
quer l'immunité plus grande de l'éther.
Des recherches très précises de Maurice Nicloux il résulte que
ACTION DE L'ÉTHER SUR Î/ORGANISME.
81
le seuil de raneslhésie est atteint lorsque le sang artériel renferme
lOj îi 110 milligrammes d'éther pour 100 centimètres cubes, ranes-
lhésie déclarée est atteinte avec des doses oscillant entre 130 et
1 iO milligrammes, quelquefois davantage, et que la mort survient
avec des doses voisines de 1(>0 à 170 milligrammes. Les diflérences
50 60 70 80 90 100
Fiy. 24. — Courbe de pression sanguine dans l'anesthésie par l'éther.
entre les quantités d'éther dans le sang artériel et veineux au même
instant sont petites et en faveur du sang artériel.
L'éther s'élimine très rapidement dès le début de la cessation de
raneslhésie : en cinq minutes, la quantité dans le sang artériel baisse
environ de la moitié, puis la disparition de l'éther se fait progressi-
Fig. 25. — Courbes moyennes : à droite, celle du chloroforme ; à gauche,
celle de l'éther.
vement : après deux heures, on n'en trouve plus qu'une trace; après
quatre heures, il a complètement disparu.
Les expériences du même auteur ont montré que tous les tissus
renferment de l'éther en quantité notable au moment de la mort par
cetanesthésique; parmi eux, le cerveau et le bulbe, tenant vraisem-
blablement cette propriété de la forte proportion de substances de
composition chimique voisine de celle des graisses qu'ils contiennent,
sont ceux qui en renferment le plus. Le cerveau et le bulbe ren-
ferment la même proportion d'éther : or, dans l'anesthésie chlorofor-
mique, le bulbe renferme une fois et demie plus de chloroforme que le
Traité i>e stomatologie. VI. — 6
82
NOGUE.
ANESTHESIE.
veau. Le tissu adipeux renferme jusqu'à 400 milligrammes déther
pour 100 centimètres cubes.
Dans le sang, Téther se répartit dune façon à peu près uniforme
entre les globules et le plasma.
On a reprochée Télher dirriter les reins, mais Fueter et Roux ont
démontré qu'il n'y avait rien d'exact dans cette opinion, qui pouvait
s'appliquer aussi bien au chloroforme. L'albuminurie qu'il produit
parfois n'est que passagère.
Son action sur les voies respiratoires mérite plus d'attention.
Les bronchites et les pneumonies ne sont pas rares après son admi-
nistration. Aussi est-il bon de le rejeter chez les emphysémateux, les
vieillards et les enfants très jeunes.
ADMINISTRATION DE L'ÉTHER.
Etant donnée la grande volatilité de l'éLher. son aduinistration
nécessite une instrumentation spéciale. L'appareil de Morton fut le
Fig-. 26. — Appareil de Dieffenbach.
premier en usage en Amérique et en Angleterre. En Allemagne, on
se servait de l'appareil plus simple de Dieffenbach (fig. 26).
Aujourd'hui le nombre des instruments employés est considérable :
nous en citerons quelques-uns.
Le masque de Julliard{i'\g. 27 et 28) se compose dune monture en fil
deferrecouvorte extérieurement d'une toile cirée imperméable. L'inté-
rieur est garni de gaze hydrophile, au milieu de laquelle est une rosette
de flanelle qu'on arrose d'élher. Le D"^ Dumont (de Berne) a modifié le
masque afin de le rendre plus aseptique, en y ajoutant un second axe
intérieur tournant autour dune charnière : entre les deux, on place
la gaze et la flanelle, qui peuvent être changées à chaque narcose.
Le masque de Wanscher, très employé d'après Dumont en Alle-
magne, se compose d'un masque dans le genre des masques em-
ployés pour l'aneslhésie au protoxyde d'azote, masque muni en outre
d'un sac en caoutchouc communiquant avec lui. C'est dans (;e sac
ADMINISTRATION DE L'ÉTHER.
83
qu'on verse d'abord 100 à 150 centimètres cubes d'éther. Le masque
se place devant la bouche et le nez à une certaine distance. Celui de
Junker [ïig. '2{y est à peu près semblable.
Le masque de Wagner-Lomjard (fig. 30^, qui paraît très pratique et
Fig. 27. — Masque de Julliard.
rend de grands services. Voici comment le décrit le D"" Dumont.
Ce masque consiste en un manteau métallique A, fermé par un
couvercle en forme d'entonnoir B et pourvu, à l'autre extrémité, d'un
tuyau de gomme C, destiné à s'adapter sur le visage. Le couvercle
h entonnoir présente dans sa partie la plus profonde quelques trous
qu'une soupape à ressort en spirale a ferme intérieurement, de telle
sorte que l'air peut pénétrer de dehors en dedans, sans pouvoir s'échap-
Fig. 28. — Masque de Julliard, modifié par Dumont.
per de l'intérieur (soupape d'inspiration). Plus rapprochée de la face^
se trouve une soupape d'expiration 6. Entre les deux soupapes sont
tendus transversalement deux tamis métalliques très fins c et (/, le
supérieur pouvant être enlevé, entre lesquels on a mis un peu de
gaze. Le couvercle à entonnoir et la soupape d'inspiration servent
aussi à l'introduction de l'éther. Si, le patient étant couché horizon-
talement sur le dos, on verse de l'éther sur le couvercle à entonnoir,
84 NOGUE. — ANESTHESIE.
cet élher, au moment où la soupape a s'ouvre à la suite de Tinspi-
ration, coule clans l'intérieur du masque, tombe sur le tamis métal-
li({ue cl, sur la gaze et arrive, en grande partie, à cause de sa grande
fluidité, sur le tamis inférieur c, dont il mouille les fils et remplit les
mailles: l'air atmosphérique doit suivre le même chemin pendant
l'inspiration, pour arriver aux organes respiratoires. Par suite de ce
passage de l'air à travers les tamis métalliques couverts d'une couche
d'éther, la vaporisation de cet éther se fait avec une très grande
rapidité : les vapeurs d'éther se dégagent si vite qu'il est nécessaire,
au commencement de la narcose, de verser fréquemment de petites
quantités de liquide. Les malades inhalant non des vapeurs pures
d'éther, mais un gaz éthéré très finement mélangé par la disposition
Fig. 29. — Masque de Junker.
des tamis avec une grande quantité d'air, il en résulte que la sensa-
tion de suffocation fait entièrement défaut, et le libre accès d'un air
abondant est, avec la rapide expulsion de l'air expiré, la cause
évidente de l'absence ou du peu d'intensité de la période d'excitation.
Mais, si l'air atmosphérique est extrêmement humide, des obstacles
peuvent survenir, qui nuisent à la rapide production de la narcose.
Par suite du refroidissement intense de l'air dans l'intérieur du
masque, refroidissement dû à la rapide vaporisation de l'éther, il s'y
forme de l'eau condensée qui, le refrodissement continuant, se congèle
et couvre de nombreux petits cristaux de glace les tamis métalliques
et les petits morceaux de gaze. Ces petits cristaux s'attachent parfois
à la soupape d'inspiration et s'opposent ainsi à son libre fonctionne-
menl. Pour remédier à cet inconvénient, Longard s'est fait con-
slruire un thermophore annulaire, qui s'adapte exactement au cou-
vercle du masque. Immédiatement avant la narcose, on fait chauffer
le thermophore, pendant une à deux minutes, dans de l'eau bouil-
lante; puis on l'introduit dans le masque entre le tamis supérieur
et le couvercle. Grâce à ce moyen, le courant d'air atmosphérique
se chauffe et ne peut pas fournir d'eau condensée ou n'en peut
fournir que des quantités insignifiantes; il ne peut point se former
de cristaux de glace, et la soupape d'inspiration n'est plus le siège
d'une congélation. Depuis que Longard emploie ce procédé, il n'a
TECHNIQUE DE L'ANESÏHÉSIE PAR L'ÉTHER.
85
jamais plus ou à lutter, même par les temps les plus humides,
contre les perturba lions ci-dessus sit^nalées. Les avantages essen-
tiels du masque de Lonii^ard consistent en ce que, grâce à lui,
il ne se produit, au commencement de la narcose, ni cyanose,
ni excitation, en ce que le stade de la tolérance est atteint en
moyenne en trois à six minutes chez les enfants, les femmes et les
personnes non adonnéesà Tivrognerie, en cinq à huit minutes tout au
plus chez les buveurs. Chez les trois premières catégories de malades,
il ne se produit pas, en général, de période d'excitation, et, chez les
buveurs, elle atteint rarement l'intensité de l'excitation chlorofor-
mique. Ajoutez à cela que la consommation de Téther est extrêmement
faible, de sorte ([ue la période de la tolérance est le plus souvent
I ri.
Vig. 30. — Masque de Wagner-Longard.
atteinte avec 25 à 40 centimètres cubes d'éther tout au plus. Il est
très rare qu'il se manifeste de la salivation. Jusqu'ici Longard n'a
jamais observé d'etU'ets consécutifs fâcheux du côté des organes res-
piratoires.
TECHNIQUE DE L'ANESTHÉSIE PAR L'ÉTHER.
Le malade étant placé dans la position couchée, il est bon de lui
recommander de fermer les yeux et de respirer amplement et natu-
rellement par le nez. On verse dans le masque 25 à 30 centimètres
cubes d'éther, et on approche le masque du visage très lentement, de
façon à habituer les voies respiratoires à l'odeur de l'éther. Cela fait,
on peut appliquer le masque sur le visage et laisser le malade faire
quelques inspirations, pendant une ou deux minutes. Verser à ce
moment une nouvelle dose d'éther dans le masque et l'appliquer de
nouveau. Il est bon, de temps à autre, de soulever légèrement le
masque pour surveiller l'aspect du visage. En même temps, l'anes-
thésiste veille au fonctionnement régulier de la respiration. Dès que
86 NOGUE. — ANESTHESIE.
celle-ci n'est pas absolument normale, il faut laisser le patient faire
([uolques inhalations d'air pur.
Un grand nombre d'opérateurs ont modifié la manière d'admi-
nistrer l'éther. Le P'' Forgue donne à ce sujet les conseils suivants :
« Couvrir les yeux du malade d'un petit linge : lui recommander
de respirer largement, la bouche bien ouverte, et l'avertir qu'il
va éprouver une sensation d'étouffement qui durera quelques
secondes seulement : le patient ainsi prévenu ne cherche pas à
arracher immédiatement le masque. Ne plus lui parler désormais;
s'abstenir de ces interrogations, de ces pincements, de ces soulève-
mentsde membres qui troublent le sommeil commençant : conçoit-on
qu'on se puisse endormir dans ces conditions?
« Il faut que dans nos salles opératoires on prenne l'habitude de
l'ordre et du silence, et le service discipliné de Terrier peut servir
d'exemple. Verser dans le masque environ une cuillerée à soupe
déther, 'en arrosant les plis de la flanelle ; l'appliquer de nouveau et le
retirer successivement à quatre ou cinq reprises avec des intervalles de
deux à trois secondes, en faisant surveiller le pouls et la respiration.
Puis « bloquer », c'est-à-dire encadrer complètement la face : à ce
moment, le malade fait quelques efforts pour se dégager: résister et
ne point débloquer avant deux ou trois minutes. Au bout de ce
temps, verser très rapidement une quantité d'éther égale à la moitié
environ de la première dose.
« Nous avons vu Julliard couvrir alors le masque et la tête d'une
serviette destinée à contenir les vapeurs d'éther. Dans la plupart
des cas, chez les femmes surtout, on aura ainsi obtenu, quelque-
fois même avant la seconde dose, un état de stupéfaction, d'analgésie
pré-anesthésique qui peut être employé pour une intervention rapide :
nous avons ainsi opéré récemment, dans cette « pré-anesthésie », une
femme atteinte d'un kyste du maxillaire supérieur.
«Si cette période arrive avant la seconde dose, le second versement
d'éther doit être moins abondant. Profiter de cet état pour pincer
la langue et l'amener à une commissure. Chez le plus grand nombre
de femmes, chez beaucoup d'hommes non alcooliques, la seconde
ou la troisième dose a produit l'anesthésie complète. Il n'y a plus
qu'à l'entretenir par de petites quantités — quart de grande cuillerée
— versées quand l'opéré se remet à s'agiter; dans l'état d'anesthésie,
le bloquement ne doit plus être hermétique; «écouter» le malade
respirer et, de temps en temps, surtout si la respiration est bruyante,
écarter le masque à quelques centimètres ; l'éloigner tout à fait
quand le sommeil est profond, quand la respiration se ralentit, quand
le pouls faiblit, quand il y a des râles trachéaux intenses ou une
cyanose accentuée de la face : mais il ne faut s'émouvoir de ces
deux derniers incidents que s'ils présentent un caractère accusé. »
D'autres, comme Kronacher, pratiquent la méthode de Véthérisation
TECHNIQUE DE L'ANESTHÉSIE PAR L'ÉTHER. 87
inlermit lente (1). Il donne Téther par petites doses de 5 àôcenti-
mt'tres cubes et, quand Tanesthésie est obtenue, il enlève le masque
et opère. L'anesthésie dure ainsi dix minutes environ ; parfois le
patient lait des mouvements réflexes de défense, mais au réveil il n"a
généralement aucune conscience d'avoir souffert. Sudeck recom-
mande un procédé qu'il appelle opération dans la première ivresse
élhérée. On verse 30 à 40 centimètres cubes d'éther dans le masque,
et on l'ait faire au patient des mouvements inspiratoires profonds et
énergiques. Le chirurgien opère dès les premières inhalations
d'éther.
Dans ces deux procédés, il s'agit en somme d'une narcose incom-
plète, superficielle, qui évidemment n'a pas les avantages d'une anes-
thésie profonde, mais n'en a pas les inconvénientset peut, dans bien
des cas, rendre de réels services.
(1) Kronachub, Cenlralbla.ll fur Chir., 1901.
^^ XOGUÉ. — ANESTHÉSIE.
y///. - CHLOROFORME.
Le chloroforme, découvert en 1831 par Soubeyran en France et
Liebig en Allemagne, est un liquide incolore, très mobile et d'une
odeur éthérée pénétrante, d'une saveur piquante et sucrée. Il se
dissout difficilement dans l'eau, mais très facilement dans l'alcool et
l'éther. Il dissout les corps gras, le ricin et le soufre, le phosphore.
Il n'est pas inflammable au contact d'un corps incandescent. Dumas
en donna en 1833 la composition chimique:
Carbone 10,06 \
Hydrogène 0,85 ( = J00,00.
Chlore 89,10)
Sa densité est de 1,48 ; il bout à 60°, 8.
Le chloroforme est préparé en faisant agir l'alcool sur un mélange
de chlorure de chaux et de chaux éteinte. On l'obtient aussi à laide
du chloral; celui-ci serait préférable pour l'anesthésie.
On peut obtenir encore du chloroforme par le procédé d'Anschïitz,
en cristallisant du chloroforme salure à chaud avec du salicylate. En
chaulfant ensuite des cristaux de salicyl-chloroforme, on obtient
du chloroforme chimiquement pur. Pictet, en refroidissant le chloro-
forme au-dessous de 100°, le débarrasse de ses impuretés.
Le chloroforme anesthésique doit être absolument pur et présenter
pour cela les caractères suivants :
Se vaporiser sur une soucoupe sans laisser de résidu ;
Ne pas rougir le papier de tournesol ;
Ne pas se décolorer ;
Ne pas précipiter l'azotate d'argent, auquel cas il contiendrait de
l'acide chlorhydrique ;
Ne pas s'enflammer au contact d'un corps incandescent, ce qui
prouverait qu'il contient de l'éther ou de l'alcool ;
Ne pas se colorer par addition d'acide sulfurique concentré.
ChaulTé avec une solution de potasse, le chloroforme ne doit pas
brunir (réaction de l'aldéhyde).
Mélangé avec une solution diodure de cadmium amidonnée, la
solution ne doit pas se colorer en bleu, ni le chloroforme en violet
(réaction de chlore).
Le Pr Louvard recommande l'essai par l'acide sulfurique et
la formaline (3 centimètres cubes d'acide sulfurique concentré
avec II gouttes de formaline donnant une coloration brune quand le
chloroforme n'est pas tout à fait pur).
\von a indiqué le procédé suivant: le permanganate de potasse
en solution alcaline est rouge. Si le chloroforme est impur, il
réduit ce sel, et la solution passe au vert. La réaction est instantanée
ACTION DU CHLOROFORME SUR L'ORGANISME. 89
si les impuretés organiques sont en grande quantité. S'il y en a peu,
la réaction est plus lente à se produire.
Si le chloroibrnic est pur, la coloration rouge se conserve pendant
plus de vingt-quatre heures.
Le chloroforme pur se décompose sous l'action de la lumière en
acide chlorhydrique, chlore, acide iormique, etc. 11 faut donc le
conserver dans des endroits frais, à l'abri de la lumière et dans des
llacons absolument secs, colorés en jaune ou en noir. L'addition
d'alcool préserve le chloroforme de cette décomposition. Aussi cer-
taines pharmacopées, la suisse et l'allemande, ne livrent-elles au
commerce que du chloroforme contenant 1 p. 100 d'alcool.
ACTION DU CHLOROFORME SUR L'ORGANISME.
Tous les expérimentateurs sont d'accord pour affirmer que le chloro-
forme détermine un abaissement de la pression sanguine, accom-
pagné d'un refroidissement général. Sur la respiration, on note une
diminution de la fréquence et de l'intensité des mouvements respi-
ratoires. Au début parfois se produit un arrêt de la respiration en
expiration. Il s'agit là d'un phénomène d'ordre réflexe. D'autres fois,
l'arrêt de la respiration se fait à une période plus avancée de l'anes-
Ihésie, au moment de l'excitation: cet arrêt est dû à un obstacle
mécanique déterminé par l'application de la langue contre la paroi
postérieure du pharynx et de l'épiglotte vers les cartilages aryté-
noïdes.
L'arrêt de la respiration peut également se produire sans qu'il
existe aucun obstacle mécanique au passage de l'air : il s'agit dans
ce cas d'une action du chloroforme sur le centre respiratoire : c'est
l'asphyxie chloroformique caractérisée par l'arrêt brusque de la
respiration, avec teint bleuâtre et cyanotique des lèvres et de toute
la face.
Un autre effet du chloroforme sur le cœur qu'on a trop souvent
l'occasion d'observer, c'est la syncope chloroformique, si bien décrite
par Rappeler (1): « Sans aucun signe avant-coureur, ordinairement
même sans trouble essentiel de la respiration, la face du chloro-
formisé prend brusquement, comme par un coup de baguette magique,
une couleur cireuse, cadavérique ; les traits du visage s'affaissent,
la cornée perd son éclat ; les pupilles, dilatées au maximum, ne
réagissent absolument plus, et la mâchoire inférieure s'abaisse. En
même temps le pouls radial disparaît et les bruits du cœur cessent
d'être perceptibles. Les muscles sont relâchés et les membres, quand
on les soulève, retombent inertes. En même temps que le cœur cesse
de battre, on voit aussi disparaître les mouvements de larespiration ;
(1) Rappeler, trad. Dumont.
90 KOGUE. — ANESTHESIE.
parfois seulement quelques mouvements de la respiration irréguliers,
superficiels, saccadés, se manifestent encore après la cessation des
contractions du cœur. »
On a noté aussi, au début de l'administration, des cas de mort
subite par actions réflexes des vapeurs sur les ramifications du triju-
meau dans les fosses nasales ou du nerf laryngé supérieur dans le
larynx.
Tardivement le chloroforme peut déterminer des accidents qui se
manifestent par des vomissements répétés et le collapsus parfois
mortel. Il s'agirait ici d'une intoxication générale déterminant la
dégénérescence graisseuse du myocarde et des tissus hépatiques.
Fig. 31. — Courbes moyennes ; à gauche, celle de l'élher, établie d"après un
ensemble de trente-cinq courbes différentes ; à droite, celle du chloroforme,
établie d'après dix-huit courbes; ces diverses courbes ont été prises sur des
personnes saines, au-dessus de vingt ans, la durée de la narcose ayant été au
moins de cinquante minutes. L'horizontale N représente la hauteur normale de
la pression sanguine iDumont et Gathelin).
Les recherches de Maurice Nicloux ont nettement établi les
faits suivants : dans le sang artériel, les quantités de chloroforme sont
respectivement de 30 à 40 milligrammes pour 100 centimètres cubes
au seuil de l'anesthésie; de 50 milligrammes environ dans l'anes-
thésie déclarée et de 60 à 90 milligrammes au moment de la mort.
Le chloroforme s'élimine très rapidement dès la cessation de
l'anesthésie, puisque, en moins de cinq minutes, la quantité de chloro-
forme baisse environ de moitié. Ensuite la disparition du chloro-
forme du sang se fait plus lentement ; après trois heures, la quantité
dans le sang est de 7 milligrammes ; après sept heures, le chloroforme
a sinon entièrement, du moins presque complètement disparu du
sang.
Au moment de la mort, tous les tissus renferment du chloroforme
en quantité notable; mais, parmi eux, le cerveau et surtout le bulbe
TECHNIQUE ET MARCHE DE L'ANESTHÉSIE. 91
ot lamoellc sont ceux qui en renferment le plus. Dans le sang, ce sont
les globules (jui fixent plutôt le chlororornie que le plasma : ils en
retiennent 8j à 90 p. 100, et le plasma de 10 à 15 p. 100, c'est-à-dire
se[>t à huit lois moins.
TECHNIQUE ET MARCHE DE L'ANESTHÉSIE.
Le malade doit être à jeun. On le tranquillise autant que possible
et on lui recommande de respirer largement et naturellement. Le
silence absolu est de rigueur.
L'examen des organes a été fait précédemment et de préférence la
veille. L'anesthésiste s'assure avant de commencer qu'aucun obstacle
ne peut gêner le libre mouvement de la poitrine, qu'il n'existe dans
la bouche aucun appareil de prothèse.
Quelques instruments peuvent être utiles pendant Tanesthésie, et
il est bon que l'anesthésiste les ait à sa portée : ce sont des éponges,
pour éponger la salive ou les nuicosités de la gorge ou de la bouche,
montées sur des pinces, une pince à langue, un ouvre-bouche.
Nous décrirons le procédé de la compresse, celui que le médecin
emploie de préférence en France, où les appareils à dosage sont
encore peu répandus.
On se sert d'une compresse ordinaire d'hôpital pliée en plusieurs
doubles ou de deux mouchoirs ordinaires. Il est bon d'enduire de
vaseline la face du patient pour empêcher l'action caustique du
chloroforme sur la peau ou les muqueuses.
Cela fait, l'anesthésiste verse quelques gouttes de chloroforme sur
la compresse et approche cette compresse du visage du patient, mais
à une certaine distance, afin de l'habituer à l'odeur spéciale qui s'en
échappe. Dès ce moment, il n'aura plus à perdre de vue une seule
seconde le patient qui lui est confié. Son attention se fixera inces-
samment sur deux points : la respiration et la couleur du visage.
D'un doigt il peut également sentir les battements de l'artère tempo-
rale ; le changement de teinte du visage a la plus haute importance :
devient-elle violette, il faut redouter l'asphyxie; pâlit-elle, il faut
craindre la syncope cardiaque.
Après quelques inspirations, verser de nouveau quelques gouttes
de chloroforme sur la compresse et l'appliquer alors exactement sur
la bouche et le nez. Quand l'odeur du chloroforme disparaît, recom-
mencer la même manœuvre.
Après quelques mouvements d'intensité variable apparaît la période
d'excitation, qui fait rarement défaut. A cette période fait suite une
période de calme, pendant laquelle la respiration est normale et qui
précède l'anesthésie. Celle-ci est annoncée par certains signes qui
n'ont qu'une valeur relative, mais dont l'anesthésiste doit surveiller
l'apparition. Ce sont la diminution puis l'abolition de certains
92
^•OGUÉ. — A>-ESTHESIE.
réflexes tels que le réflexe palpébral, le réflexe crémastérien; la cornée
devient insensible à ralloiichement des doigts. On note des oscil-
lations des globes oculaires comme dans le nystagmus.
La pupille fournit des indications du plus haut intérêt. Dilatée
au début de lanestbésie, elle se contracte ensuite peu à peu et finit
par devenir insensible aux excitations lumineuses; si elle vient à se
dilater de nouveau brusquement, c'est que le réveil est proche.
Un bon signe de la narcose profonde est la perte des mouvements
associés des yeux ; tandis que l'un des deux globes oculaires occupe
une position, l'autre se meut en sens divers.
On ne dépense par cette méthode que 20 à 25 grammes de chloro-
forme.
Le patient est transporté après l'opération dans son lit et aban-
donné dans la position horizontale; il est inutile de cherchera
provoquer le réveil, qui se produit au bout de dix minutes à un quart
d'heure. Il est prudent alors d'administrer 1 centigramme de morphine
en injection hypodermique.
INSTRUMENTS DIVERS.
MACHINES A ANESTHESIER.
Au lieu de la simple compresse, on peut recourir à des instruments
plus commodes tels que les masques de Guyon (fig. 32) et de
Figr. 32. — Masque de Guyon.
Fig. 33. — Masque de Collin.
Collin f fig. 33) en France et le cornet de Raynaud (fig. 34), ceux
dEsmarch ou de Vajna (fig. 35) en Allemagne et en Autriche.
Ces masques permettent l'administration du chloroforme à doses
massives ou à doses fractionnées. Ils ne permettent pas le dosage de
l'anesthésique : mais les appareils imaginés pour obtenir ce dosage,
très rationnel en soi, sont généralement une complication sans avan-
tage pratique bien manifeste.
La machine à anesthésier du P' Raphaël Dubois (fig. 36j mesure
d'une manière mécanique le volume d'air et la proportion de
chloroforme qui lui est mélangée. Elle donne des mélanges de
10 p. 100. 8 p. 100, 6 p. 100. Elle se compose : 1° d'un corps
de pompe ; 2° d'un verseur automaticjue; 3" d'un vase évaporatoire.
CHLOROFORME.
INSTRUMENTS.
93
Le corps de pompe renferme un piston d'un modèle spécial, qui
est mis en mouvement par la manivelle /.
A lafinde chaque course de ce piston, un volume dair déterminé
a pénétré dans le corps de pompe, entraînant avec lui une quantité
exactement mesurée de chloro-
forme déversée dans le vase évapo-
ratoire i\ par la descente d'un
piston plongeur dans le récipient r,
contenant le chloroforme. Ce mé-
lange sera chassé du corps de
pompe dans la course inverse du
piston pendant qu'une nouvelle
quantité de mélange titré s'accu-
mulera dans l'appareil ; le débit
du mélange titré sera donc con-
tinu.
Il faut, pour faire fonctionner la machine, commencer par
remonter le piston plongeur au moyen du papillon qui se trouve
à la partie supérieure et que l'on relève en le serrant entre ses
doigts.
Le récipient qui doit contenir le chloroforme est ainsi dégagé; on
Vi's. 34.
Cornet de Raynaud.
Masque en verre de Vajna.
y verse le chloroforme par l'entonnoir a, jusqu'à ce que le récipient
soit plein, puis, en tournant la manivelle, on amène la surface infé-
rieure du piston en contact avec le chloroforme; on allume alors la
94
NOGCE.
AxXESTHESIE.
petite lampe à alcool, qui a pour but d'activer Tévaporation du chlo-
roforme et d'empêcher la réfrigération.
Le cadran régulateur est amené sur l'index 10 pour assurer le
mélange de 10 parties de chloroforme pour 100 litres d'air.
(Jn applique alors le masque inhalateurs, et on tourne la manivelle
toujours dans le même sens, de droite à gauche, par un mouvement
Fifr. 36. — Machine à aneslhésier du P'' R. Dubois.
lent et régulier, qui fait descendre progressivement le piston plongeur
dans le récipient, d'où il chasse la quantité voulue de chloroforme
dans le vase évaporatoire.
Suivant le cas, une fois l'anesthésie produite, on peut, pour faci-
liter les opérations sur la face, substituer au masque soit le tube
buccal u, soit le tube nasal /.
Dès que la résolution complète est obtenue (ce qui a lieu au bout
de sept à dix minutes au maximum), on amène le cadran du régula-
CHLOROFORME. — INSTRUMENTS. 95
leur au n° S (mélang-e à 8 p. 100) sans inlerrompro le jeu de la mani-
velle.
Si l'opération doit être de longue durée, on substitue, après cïn(.[
minutes environ, le n" 6 (mélange à (> p. 100), avec lequel Tanesthésie
est maintenue sans danger pendant toute la durée de l'opération.
Il est possible que, la provision de chloroforme s'épuise, ce qui
sera inditjué par la pénétration totale du plongeur dans le récipient.
11 suffit alors de le relever, comme il a été indiqué plus haut, et
de remplir le récipient daneslhésique par l'entonnoir.
Le mas( jue inhalateur ne porte aucune soupape, et le patient respire
lihi-ement dans un courant d'air anesthésique : si la machine cessait
de fonctionner, le seul inconvénient serait le réveil du malade, qui
respirerait alors de lair pur.
Les avantages de la méthode titrée en général sont, d'après le
P"" Dubois, les suivants :
1° Le chirurgien sait ce qu'il fait;
■2'^ Lanesthésie est régulière et continue, point important si Ton
veut éviter l'agitation et les vomissements;
3° La période d'agitation du début est supprimée ou tout au moins
atténuée, même chez les alcooliques;
4o Le chloroforme étant dilué dans la quantité d'air maxima
compatible avec l'anesthésie, les phénomènes d'irritation locale des
muqueuses nasale, buccale, pharyngienne et laryngienne (toux,
spasme, sutTocation) font défaut, et la syncope convulsive réflexe
du début toujours grave et parfois mortelle n'est plus à craindre;
5° Le mélange à 6 p. 100 étant le plus faible de tous, le patient est
toujours sur la limite du réveil, qui s'efïectue très vite quand on cesse
linhalation.
Appareil de Junker [l). — Employé pour ia première fois en 1867
par Richardson, cet appareil (fig. 37) se compose :
10 De la souftleriedu pulvérisateur à éther A ; 2° du flacon à chloro-
forme B ; 3° de l'embouchure C. Le tube adducteur de la soufflerie
est en communication avec un tube d'argent a, qui traverse le
couvercle à vis b du récipient de chloroforme et plonge jusqu'au
fond de ce récipient. Le flacon à chloroforme est gradué et est
couvert du cuir jusqu'à la bande t% qui permet de mesurer la quantité
de chloroforme qui a été consommée. L'embouchure C en caout-
chouc durci présente deux entailles, l'une profonde pour le nez,
l'autre plus superficielle pour le menton. Dans l'appendice /'se trouve
la soupape d'expiration g ; dans l'appendice h, qui fait communiquer
l'embouchure avec le flacon de chloroforme, sont disposées deux
soupapes K, pouvant se fermer au moyen du déplacement de l'an-
neau i et pouvant permettre à l'air atmosphérique d'entrer et
(1) DuMONT et Cathelin, loc. cil.
96
NOGUÉ. — ANESÏHESIE.
de diluer davantage le mélange dair et de chloroforme.
Cet appareil a été modifié par les fabricants Krohne et Sesemann
(fig.38) en ce que, par une ingénieuse division du ballon insufflateur,
on peut, chaque fois qu'on le comprime, déterminer exactement la
quantité de chloroforme qu'on fournit au malade. A cet effet, le bal-
lon se compose de trois petits ballonnets de dimensions diflerentes.
Selon que Ton comprime l'un ou lautre de ces ballonnets, on
fait évaporer plus ou moins de chloroforme. Dumont, qui s'est
Fig-. 37. — Appareil de Junker.
servi de cet appareil, a été frappé par le calme avec lequel les
patients s'endormaient et la faible quantité de chloroforme
absorbée.
Inhalateur Vernet-Harcourt. — 11 faut citer encore un appareil
en usage en Angleterre, l'inhalateur Vernet-Harcourt (fig. 39), basé
sur le principe posé par Horsley, que la proportion maxima de
chloroforme dans l'air inspiré ne doit pas dépasser 2 p. 100 : c'est
la propoi'tion suffisante et sûre (1). 11 se compose essentiellement
d'un tube central communiquant, à sa partie inférieure, avec un
masque en caoutchouc durci, à sa partie supérieure avec deux tubes
accolés, dont l'extrémité se recourbe en bas, pour se terminer par
deux petites soupapes protégées par des cages de verre. L'une de
ces soupapes fait communiquer le tube avec l'air extérieui", l'autre
(Il C. Jauvis, Presse méd., 10 fév. 1905.
CHLOROFORME.
INSTRUMENTS.
97
avec
conto
laisse
Al
un llacon à fond plat, muni de deux tubulures et destiné à
nir le chlcM-oforme : les soupapes sont orientées de façon à ne
r passer (juc lair inspiré.
union du tube vertical et des tubes latéraux, se trouve un ro-
binet en communication avec un ca-
dran extérieur portantune graduation
de 0 à 2, avec divisions intermé-
diaires en cinquième d'unité. Sur ce
cadran se meut un index qui règle
l'ouverture du robinet : quand il
marque (•, le malade ne respire que
de l'air ; quand il marque 2, il respire
Fij;
38. — Appareil de Krohne et Sesemann
avec soufflerie modifiée.
39. — Appareil de Vernet
Harcourt.
un mélange de 2 parties de vapeurs chloroformiques pour 98 parties
d'air; quand il marque 1, le mélange est dans la proportion de 1 p. 100.
Le flacon contenant le chloroforme présente deux parties: une
partie inférieure, conique, et une partie supérieure, cylindrique. On
remplit le flacon jusqu'au point d'union desdeux parties, et on intro-
duit dans le récipient deux perles creuses en verre coloré.
Le poids de ces deux perles, légèrement inégal, est calculé de telle
facjon qu'elles flottent toutes deux quand la température du chloro-
forme est inférieure à 13° C. : au-dessus de 15°, elles tombent au fond
du vase. Tant que la température du liquide se maintient entre ces
deu\' chiffres, la perle la plus lourde, colorée en bleue, flotte ^ entre
Traité de stomatologie.
VI. —
98 NOGUE. — ANESTHÉSIE.
deux eaux », près du fond, tandis que l'autre perle, colorée en rouge,
flotte près de la surface. C'est dans cette position que doivent se
trouver les deux perles pendant toute la durée de l'anesthésie.
Les dimensions du flacon ont été établies après de nombreuses
recherches et, dit l'inventeur, « le diamètre de la portion cylindrique
est proportionnel, d'une part, au nombre moyen, par minute, des
mouvements respiratoires, d'autre part, à la rapidité dévaporation
du chloroforme entre 13 et 15° ». « Pour corriger les variations dans
la fréquence des mouvements respiratoires, ajoute-t-il, les deux
tubulures du flacon sont placées au niveau et à quelque distance de
la surface du liquide. D'autre part, pour compenser la déperdition du
chloroforme par évaporation, le diamètre du récipient va en augmen-
tant vers la base. »
Après s'être assuré que les différentes pièces sont bien ajustées
et que les valves fonctionnent bien, on verse environ 45 centimètres
cubes de chloroforme dans le flacon, et on y introduit les perles de
verre. Cela fait, on applique soigneusement le masque sur la face
du patient. // est de la plus haute importance que l adaptation soit par-
faite.
On commence alors l'anesthésie en poussant très graduellement
lindex du chiffre 0 vers le chiffre 2; si le malade se débat violem-
ment, il ne faut pas ôter le masque mais diminuer la proportion de
chloroforme; on n'enlèvera l'appareil que s'il se produit de la
cyanose, auquel cas il est indiqué de laisser respirer de l'air pur
pendant quelques instants. On conduit d'ailleurs l'anesthésie selon
les règles ordinaires. Le plus souvent, le malade dort parfaitement
avec une proportion de chloroforme de 1,5, de 1 et mêmede'>,5 p. 100.
On veille à ce que les deux perles de verre soient dans la position in-
diquée plus haut. Pendant la chloroformisation, en efTet, le liquide a
une tendance à se refroidir du fait de l'évaporation, comme le dé-
montre la position des perles de verre. Il suffit dans ce cas de tenir
quelques instants le flacon dans la main pour ramener le chloroforme
à la température voulue. 11 importe de veiller à ce point de technique,
car à une température inférieure le patient respire une proportion
d'anesthésique inférieure à celle marquée par l'index et inversement.
En France, de nombreuses tentatives ont été faites, récemment,
pour obtenir des instruments permettant l'administration du chloro-
forme mélangé à l'air.
Appareil de Ricard. — L'appareil de Ricard {ûg. 40 à 43) se
compose :
1° D'un flacon de verre cylindrique de 8 centimètres de profondeur
sur 6 centimètres de diamètre, supporté par un pied métallique aussi.
Le couvercle est perforé, près de sa périphérie, par quatre orifices /,
juxtaposés, pouvant être fermés simultanément ou séparément, au
moyen d'un petit obturateur mobile. C'est par ces orifices que se règle
CHLOROFORME. — INSTRUMENTS.
99
la proportion d'air, mélangée au chloroforme, peiulanl l'anesthésie.
Du côté opposé à ces orifices, le couvercle est surmonté d'un
petit cylindre H, de 3 centimètres de haut sur 2 de diamètre. Ce
cylindre en verre est protégé par une armature métallique ; son
extrémité supérieure est destinée i\ recevoir le tube de caoutchouc
reliant l'appareil
au masque. A l'in-
térieur du cylindre
se voit un petit
tube métallique A
répondant en bas à
un orifice pratiqué
dans le couvercle
et surmonté d'une
soupape métal-
lique qui se soulève
et s'abaisse à cha-
que mouvement
d'inspiration.
Enfin, au centre
du couvercle est
une tige cylin-
drique E, creuse,
mobile, portant un
pas de vis sur le-
quel se meut un
curseur Car, muni
d'une flèche. Grâce
au curseur, cette
tige s'enfonce à
volonté dans l'inté-
rieur du flacon; sa
partie inférieure
fait corps avec une
lame horizontale
en forme de disque 0. Lorsque le curseur est au bas de sa course
(fig. 41), le disque s'applique très e^^actement sur le couvercle ména-
geant avec ce dernier un espace D, où l'air circule sans prendre con-
tact avec l'intérieur du flacon où se trouve le chloroforme C. Dans
cette position, l'air pénètre par les trous t, passe dans la chambre D
et ressort par le tube A, d'où il est aspiré par le malade.
Si on fait exécuter au curseur un tour entier (fig. 4-2), le disque 0
s'enfonce de 1 millimètre à l'intérieur du flacon. Dans cette seconde
position, l'air pénètre dans le récipient par la tige centrale E d'une
part, par les quatre orifices / d'autre part, arrive au contact du chlo-
Fig-. 40. — Appareil de Ricard (vue d'ensemble).
100
NOGUE. - ANESTHESIE.
roforme, remonte entre le disque et les parois du récipient et vient
se dégag^er par l'aspirateur A.
Plus le disque senfonce, plus l'air se charge de chloroforme,
surtout si l'on a soin d'obturer en même temps les quatre orifices t.
Lorsque le disque a été abaissé de 1 millimètre et que les quatre
Fig. 41. — Appareil de Ricard. Coupe
srhéniatique de l'appareil au repos.
Fig. 42. — .\ppareil de Ricard. Coupe
sciîématique de l'appareil en fonc-
tionnement.
.\, tube daspiration; B, cylindre de verre: C, chloroforme; D, espace clos
où circule l'air; Ciir, curseur; E, lige centrale; 00, disque.
orifices restent ouverts, la proportion de chloroforme est d'environ
0,50 p. 100; elle atteint à peine 2 p. 100 lorsque les quatre trous sont
obturés. Il n'est presque jamais Jj^esoin d'augmenter l'abaissement du
disque : une fois mis en marche, l'appareil se règle uniquement par
les quatre trous, qu'on ouvre ou ferme à volonté ;
2o D'un masque de caoutchouc en forme d'entonnoir, portant à sa
partie supérieure une pièce métallique munie d'une soupape d'expi-
ration : ce masque est relié par un tube de caoutchouc caurt au
récipient du chloroforme 1).
(1) F. Jayle et G. Berrlyer, Les nouveaux appareils à chloroformisation
(Presse méd., 8 fév. 1905, noil).
CHLOROFORME. — INSTRUMENTS.
101
L'appai'oil nost pas encombrant: son poids est (reuviron
100 grammes.
Mode (l'emploi. — On verse dans un récipient à peine 30 ou
40 grammes de chloroforme, car Tanestliésie avec l'appareil de Ricard
n'exige qu'une (juanlilé de narcotique très minime, et on ferme le
récipient. Le curseur est mis au bas de la course ; les quatre orifices
sont ouverts et on laisse le malade respirer pendant quelques secondes
de l'air pur. Au bout de ce temps, on fait exécuter un tour entier au
Fig. 43. — Appareil de Ricard en fonctionnement.
curseur et on maintient encore les quatre trous ouverts (fig. 43). Le
malade se familiarise peu à peu avec le chloroforme. La respiration
se régularise comme l'indique le bruit des deux soupapes d'inspiration
et d'expiration. Progressivement, on bouche un trou, puis deux, puis
trois, quatre s'il est nécessaire. L'anesthésie est relativement rapide.
On peut d'ailleurs l'accélérer ou la ralentir à volonté. Lorsque la
résolution est complète, il suffit d'obturer le premier orifice l seu-
lement pour maintenir l'anesthésie pendant la durée d une opération.
Appareil de Reynier. — Il se compose d'un récipient métallique
fermé par un couvercle à vis et d'un masque spécial. Ce masque, en
caoutchouc durci, porte une bordure de caoutchouc que l'on gonfle
à volonté de façon à l'appliquer sur le visage aussi exactement que
possible ; sur le couvercle du récipient se trouvent fixés :
1° Un aspirateur en forme de T. La branche verticale du T plonge
dans le récipient sans atteindre le niveau du chloroforme. Une des
102
NOGUÉ. — ANESTHESIE.
bronches horizontales A est reliée au masque, l'autre correspond à
lair libre. Celte dernière porte un petit ressort r, qui permet de fixer
un index de papier qui s'agite à chaque mouvement respiratoire du
malade dont il facilite la surveillance ({[g. 441 ;
2° Un thermomètre coudé Th, dont une des extrémités plonge dans
le chloroforme et dont l'autre porte trois traits superposés S, N, 1,
correspondant à 12-16° C. ;
3" Lu lube cylindrique de réglage R, qui permet de doser la
proportion d'air et de chlo-
roforme. Le réglage se fait au
moyen de ce tube, dont une
extrémité est dans le récipient
et dont l'autre, émergeant au-
dessus du couvercle, porte une
ouverture qu'on ouvre et ferme
à volonté, grâce à un obtura-
teur muni d'une aiguille qui
se déplace sur un cadran gra-
dué de 0 à 12. Lorsque l'ai-
guille est au 0, le malade
n'aspire que de l'air ; lors-
qu'elle est à 12, il aspire une
proportion de 11,6 p. 100 de
chloroforme.
Mode cVemploi. — On verse
dans le récipient 80 centi-
mètres cubes de chloroforme,
si l'opération doit durer deux
heures, 35 centimètres cubes
seulement si elle doit être de
courte durée, et on visse le
couvercle.
Appareil de Reynier.
A, embouchure ; R, ressort ; T/i, thermo-
mètre ; R, lube de réglage ; C, chloroforme.
On met l'aiguille au 0 du cadran pendant quelques secondes. On
la porte ensuite rapidement à la division 6 ; on l'y laisse quelques
secondes; puis on la meta 9 jusqu'à ce que le malade soit endormi.
L'anesthésie s'obtient ainsi en douze ou quinze minutes. Lorsque
l'anestlîésie est complète, il suffit de mettre l'aiguille à la division 5
pendant toute la durée de l'opération. Le mélange titré que respire
le malade lorsque l'aiguille est à 5 est sans danger (8 p. 100).
S'il s'agit d'un enfant, il suffit, pour obtenir l'anesthésie, de placer
l'aiguille sur le chilTre 6 et, pour la maintenir, de la laisser pendant
l'opération à la division 4.
Pour que les divisions que porte l'appareil correspondent aux titres
des mélanges, il est nécessaire que le chloroforme soit maintenu à
une température qui se trouve limitée sur le thermomètre par les
CHLOROFORME. — INSTRUMENTS.
1(13
traits N et I. Si la temjDéralure dépasse N, il suffit de plonger le réci-
pient dans l'eau froide pendant quelques instants. Si, au contraire,
la colonne mercurielle descend à la lettre I, on apj)liquc la main sur
le récipient jusqu'à ce que le mercure remonte au trait N.
Chloroforme et oxygène. Appareil de Roth-Draeger. — Neu-
doffer, à Vienne, et Kreutzmann, à San-I-'rancisco, eurent les premiers
l'idée de faire respirer de
R-,Q^
l'oxygène pendant laclilo-
roformisation. Wohlge-
mullîconsli-uisità cet effet
un appareil qui donna les
meilleurs résultais et fut
utilisé dans un grand
nombre d'hôpitaux alle-
mands. Cependant c'est
l'appareil de Roth-Draeger
qui l'emporte dans la fa-
veur des chirurgiens. Cet
appareilapourbut: I «d'ob-
tenir un mélange titré
d'oxygène et de chloro-
forme ; "20 de doser d'une
manière très précise la
quantité de chloroforme
administré.
Le maniement de cet
appareil est assez facile,
mais il ne faudrait pas
croire qu'il demande
moins d'attention que l'u-
sage de la compresse (1).
Le chloroformisateur doit
sans cesse observer le
faciès, la respiration, le Q, délenteur; O, robinet d'ouverture; P, mano-
réflexe COrnéen, etc. Sui- mètre marquant le débit d'oxygène par minute;
„ ■ 1 1 1 • . R, cadran indiquant le nombre de gouttes de
vaut les malades, suivant , , ,■ ■ . ^ n i -
' chlorotorme par minute; 1 , ilacon gradue ren-
ies temps de l'opération, fermant le chloroforme.
il devra tantôt augmenter,
tantôt diminuer le débit de l'anesthésie. Son souci constant sera
d'obtenir l'anesthésie avec un minimum de chloroforme.
L'ensemble de l'appareil se compose de deux parties : Tune consti-
tuée par le réservoir d'oxygène, l'autre par l'appareil proprement dit.
On utilise comme réservoir iFoxi/gène de longs et solides tubes
(1) F. Jayle, Nouvel appareil pour la chloroformisation (appareil Roth-
Draeger) {Presse méd ., 1902, p. 1219).
Fis. 45.
Appareil de Rolh-Draeger
(vue d'ensemble).
104
NOGL'E. — ANESTHESIE.
dacier, en for-
me d'obus, dans
lesquels le gaz
est comprimé et
maintenu à une
pression de 145
à 150 kilogram-
mes. Ces tubes
sont de deux
modèles : un
petit modèle qui
renferme COO li-
tres de g'az et
un grand mo-
dèle qui en con-
lient 1 700. Le
petit modèle est
. 1 1 D ., n suffisant pour
Appareil de Roth-Draeger. '
, ^ ^, une seule anes-
Q, O, P, R, T, L, comme dans la fi^-^ure > 45 ; , mano- ,i , •
mètre indiquant la quantité d'oxygène contenue dans Tobus : tliesie. L.es lU-
M, robinet d'ouverture et de fermeture de l'obus; V, nié- bes d OXVgène
langeur : I, sac de baudruche. ^^^^^ platsVleur
base et, par conséquent, peuvent
s'appuyer sur le sol. On les fixe
dhabiluiie sur un trépied roulant.
Le tube d'oxygène se termine
supérieurement par un robinet
d'ouverture et de fermeture. Sur
la partie supérieure et latérale de
l'obus, se trouve un orifice muni
d'un pas de vis, destiné à recevoir
l'appareil proprement dit.
Uappareil proprement dit se
réduit à un tube métallique dans
lequel passe le courant d'oxygène.
Une des extrémités de ce tube
porte une vis qui se fixe au réser-
voir d'oxygène ; l'autre extrémité
aboutit à un sac de baudruche.
Sur le tube sont greffées les diffé-
rentes pièces suivantes Tfig. 45 ^. . -, , r, .. t^
^ ^ ^ Fig^. 47. — Ajipareil de Roth-Draeg-er.
à 47 1
' R, cadran ; T, petite ampoule où se
a. Un petit robinet servant à forme la goutte de chlorol'orme qui tombe
ouvrir et fermer le courant d'oxv- en S; II, tube par lequel se fait laspira-
j ., ., " tion du chloroforme: G, flacon gradué ; B,
gène clans 1 appareil ; plateau mobile dans le sens de la flèche.
CHLOROFORME. — INSTRUMENTS. 105
(>. In (léleiilcur nnini (rune vis à aik'Lte qui permet de réduire la
pression du gaz de lô(» ivilogrammes i^ un demi-kilogramme et d'en
régler le débit ; ce détenteur est dû à Guglielminetti ;
c. Deux luanomèlres, dont l'un indique la quantité d'oxygène
qui passe dans l'appareil par minute ^3 litres en moyenne), et l'autre
la (juantilé de gaz renfermée dans le réservoir d'acier.
d. Un tube en verre S où tombe le chloroforme ; on voit chaque
goutte tomber ; on l'entend aussi, car, en tombant, elle produit un petit
bruit caractéristique. Ce tube est surmonté d'un cadran sur lequel
une aiguille indique le nombre de gouttes qui tombent par minute
(de 0 à 75). Le chloroforme est contenu dans un flacon en verre
gradué de forme spéciale ;
e. Une partie renflée mélangeur, où se mêlent oxygène et chloro-
forme.
Les vapeurs de chloroforme oxygéné s'accumulent temporairement
dans le sac de baudruche et sont aspirées par l'intermédiaire d'un
long tube de caoutchouc et d'un masque. Ce dernier est en métal
et facilement stérilisable ; il porte un petit orifice permettant au
malade de respirer de l'air en même temps (jue le mélange d'oxygène
pur (environ 5 litres d'air pour 3 litres d'oxygène).
Le masque est en outre percé d'un orifice circulaire, muni d'une
valve de mica qui s'ouvre à l'expiration et se ferme à l'inspiration.
Le jeu de cette valve produit un bruit qui facilite la surveillance de
la respiration.
Le fonctionnement de l'appareil est le suivant : l'oxygène passe
sous pression dans le tube de métal grelTé sur le réservoir, attire à la
manière d'une trompe à eau le chloroforme contenu dans le flacon
gradué : l'oxygène et le chloroforme se mélangent dans le sac de bau-
druche d'où ils sont aspirés.
Mode d'emploi. — Avant de se servir de l'appareil, il faut mettre
20 à 30 grammes de chloroforme dans le flacon et bien serrer les vis
qui assujettissent l'appareil au réservoir. On ouvre le robinet qui
surmonte le réservoir et le petit robinet. Immédiatement les
aiguilles des deux manomètres vont brusquement à l'extrémité de
leur cadran, indiquant que la pression est beaucoup trop forte et le
débit trop intense.
On règle alors les deux en même temps, en actionnant la vis à
ailette du détenteur jusqu'à ce que le manomètre du débit d'oxygène
marque 3 litres et l'autre 1 700 litres, si nous supposons que le tube
d'oxygène employé est du grand modèle et serve pour la première fois.
A ce moment, on met le masque sur le visage du malade (il est pré-
férable, au début, de maintenir le masque avec la main et de ne
l'assujettir avec la petite lanière de caoutchouc ad hoc que quand le
malade dort), et on place l'aiguille sur le cadran du débit du chloro-
forme au chiffre 15 pendant une à deux minutes. Le malade n'a nulle
lOG NOGUÉ. — ANESTHESIE.
sensation détonn'emenl : il est si peu gêné par Todeurdu chloroforme
qu'il respire sans appréhension et naturellement. Au bout de deux
minutes environ, on augmente progressivement la dose de chloro-
forme jusque XL\ ou L gouttes. On ne peut donner de règle fixe :
certains malades s'endorment vite et bien avec XXX gouttes,
d'autres exigent davantage; c'est affaire d'habitude de la part du
chloroformisateur.
Lorsque la résolution est complète, généralement au bout de dix à
douze minutes, il suffit de X à XV gouttes en moyennepar minute poiu'
maintenir l'anesthésie pendant toute la durée de l'opération.
Quand l'opération est terminée, on met l'aiguille au 0 et on
laisse le malade respirer de l'oxygène et de l'air pendant quelques
minutes, puis on ferme le robinet de débit d'oxygène, le robinet ou
écrou supérieur du réservoir et le détenteur.
NARCOSES PAU MÉLANGES. 107
IX. - NARCOSES PAR MÉLANGES OU COMBINAISONS
DE DIVERS ANESTHËSIQUES.
On a cluMvlié, en associant ensenible clans des proportions déter-
minées, certains anesthésiques, à snpprimer les inconvénients les
pins man|nants des nns ponr laisser prédominer leurs avantages.
T.es mélanges les plus connus sont les suivants :
Mélange de Billroth. — Ce mélange, préconisé par le célèbre
chirurgien de Vienne, comprend :
Éther .-^ \ i pa,tie.
Alcool (
Chlorolorme 3 parties.
Mélange anglais A. C. E. — Préconisé par le D'- Harley et très
usité aujourtlhui, il se compose:
Alcool 1 partie.
Chloroforme 2 parties.
Ether 3 -
Mélange de Reynès. — Le D"^ Reynès (de Marseille) recommande
la formule suivante :
Chlorolorme 2 parties .
f,?"""^ ââjl partie.
Lther (
Mélange de Schleich. — Dans la composition de ce mélange
entrent le chlorure d'éthyle pour 2 parties, le chloroforme pour 3
et Téther pour 2. Tony-Champ (1) lui reconnaît les avantages
suivants : 1° il peut être substitué à Téther et au chloroforme:
2° sa toxicité serait moindre que celle du chloroforme et il ne pré-
senterait pas les inconvénients de Téther ; 3° la zone maniable étant
beaucoup plus étendue que celle du chloroforme, il permettrait de
maintenir les malades au seuil de Tanesthésie et de réduire au mini-
mum la dose d'anesthésique; 4° s'élimmanttrès rapidement, il donne
lieu très rarement à des vomissements.
Somnoforme. — Le D"" Rolland (de Bordeaux) a préconisé sous ce
nom le mélange suivant :
Bromure déthyle 5 grammes .
Chlorure déthyle 60 —
Chlorure de méthyle 35 —
On peut l'employer soit à Taide d'un mouchoir plié avec une bande
de papier épais, formant une sorte de cornet. Au fond de ce cornet,
on place un morceau de coton. On verse sur ce coton 5 grammes de
(1) Thèse de Paris, 1909.
108
NOGUE.
ANESTHÉSIE.
somnoforme. Le cornet liermétiquement appliqué sur la face, on
invile le malade à respirer. Au bout de quelques inspirations, Fanes-
thésie est obtenue.
Masque du D^ Robinson. — On peut employer des masques plus
perfectionnés. Tel est le masque du D'' Robinson. Il se compose d'une
sorte d'entonnoir en verre dont la partie évasée, recouverte d'un bour-
relet pneumatique, s'applique hermétiquement sur la face. Au sommet
de l'entonnoir est un cylindre terminé par un ballon en caoutchouc ou
une vessie. Sur un côté de ce cylindre se trouve un boîtier métallique
Fig. 48. — Masque de Field Robinson, boîte mélallique ouverte.
Fig. 49. — Masque de la même boîte fermée.
qui s'ouvre vivement quand on appuie sur un ressort découvrant une
tige centrale, sur laquelle on peut faire effort pour briser le bec des
ampoules. Cette tige traverse longitudinalement le tube de verre et
se fixe par une vis à l'extrémité libre qui reçoitle ballon et maintient à
Tautre extrémité, c'est-à-direau fond du masque, un diaphragme formé
de sixouhuitépaisseurs de gaze aseptique. On projette l'anesthésique
soit directement sur ce diaphragme, soit dans l'intérieur du boîtier.
Un autre masque, dit masque physiologique, se compose également
d'un entonnoir en celluloïd, dont un bourrelet pneumatique
recouvre la partie évasée. Au sommet de cet entonnoir, se fixe
l'extrémité ouverte d'un tube métallique, don! l'autre extrémité est
terminée par une vessie servant de réservoir d'air. Pour l'expiration
se trouve encore sur le corps de ce tube une soupape qui permet la
NARCOSES PAR MÉLANGES. 109
sortie do Tair expiré. Knfin, sur ce premier tube, se fixe un second
tube plus petit que l'on ferme avec une capsule. On introduit dans
ce tube une ampoule ; on ferme, on presse un ressort qui rompt
l'ampoule, cl le licjuide passe de ce petit tube dans le gros, où il
s'évapore et se mélange avec l'air inspiré.
Voici comment Marcel Cavalié et Bardon décrivent la technique
de ce mode d'anesthésie. Pendant que l'opérateur prépare ses ins-
truments, l'anesthésiste par quelques bonnes paroles réconforte le
patient. 11 lui montre comment il doit souffler et respirer dans le
masque et, sans avoir versé d'anesthésique, il lui fait répéter cet exer-
cice. Quand ces préliminaires sont compris, l'opération commence.
L'opérateur place l'ouvre-bouche, et immédiatement l'anesthésiste
verse 3 à 5 centimètres cubes de somnoforme dans le masque, qu'il
applique sans brusquerie ni précipitation sur la face du sujet.
A ce moment, l'anesthésiste est placé en arrière et à droite du
patient. Il lient le masque de la main droite et, de la main gauche, il
embrasse le menton du patient. Cette position lui permet de main-
tenir l'opéré et de surveiller son anesthésie, car il arrive parfois
qu'après les premières inspirations le sujet est saisi, qu'il hésite ou
cesse de respirer.
L'anesthésiste doit en ce cas, ou après les deux ou trois premières
inspirations, retirer complètement le masque pour que le patient
puisse respirer une ou deux fois à l'air libre ; puis il réapplique le
masque et le laisse sur la face jusqu'à l'anesthésie confirmée. Cette
anesthésie se divise en deux périodes :
1° La période d' induction, pendant laquelle le sujet passe de l'étatde
veille à l'état de sommeil anesthésique, présente parfois une excita-
tion plus ou moins grande suivant qu'on a affaire à des sujets ner-
veusement prédisposés ;
"2° La période de résolution, que l'on atteint plus ou moins dans les
anesthésies légères.
Il suffit, pour suivre les progrès de l'induction, de surveiller la pau-
pière du patient qui exécute de petits mouvements qui peu à peu
s'atténuent et disparaissent. C'est le moment de la soulever avec
l'index de la main gauche et d'appliquer délicatement le médius sur
la conjonctive.
Si l'anesthésie n'est pas obtenue, la paupière se ferme: mais en
continuant l'induction et en laissant le doigt sur la conjonctive, on
voit que le mouvement de défense s'épuise et disparaît. C'est le
moment d'opérer.
Il serait trop long de décrire toutes les combinaisons qui ont été
maginées dans l'administration des anesthésiques. Citons les prin-
cipales :
Xarcose par l'alcool et le chloroforme :
Narcose par le bromure d^éthy le et le chloroforme ;
110
NO GUE.
ANESTHESIE.
Narcose par le chloroforme et l'élher ou inversement ;
Narcose par le bromure tVéthyle et iéther ;
Narcose par le chlorure d'éthyle et Véther;
Protoxyde d'azote et éther. — Celte méthode, imaginée par
Clover, est très employée en Angleterre. Elle consiste à con-
sidérer le malade avec le protoxyde d'azote et à continuer ensuite
sans transition lanesthésie par Téther. On évite ainsi la période
d'excitation de l'éther, et en quelques secondes on plonge le malade
Fisî. 50.
Appareil de Clover pour l'administration du protoxyde d'azote
et de l'éther.
dans le sommeil anesthésique : il y a donc bénéfice pour le patient et
pour l'opérateur à se servir de ce procédé.
L'appareil ifig. 50j se compose dune bouteille métallique de pro-
toxyde d'azote et d'un récipient contenant un peu deau chaude desti-
née à combattre les etîets frigorifiques du protoxyde. La seconde partie
de l'appareil se compose d'un récipient destiné à contenir l'éther et
pouvant être suspendu au cou de laneslhésiste à l'aide d'un crochet.
Ce récipient communique avec une embouchure par lintermédiaire
d'un tube recouvert d'un ballon de caoutchouc destiné à recevoir
le gaz. Près de l'embouchure, se trouve un robinet qui permet de
donner alternativement au malade soit du protoxyde, soit de l'éther,
NARCOSES PAR MELANGES.
111
soil de Tair. Diulley-Buxloii a modifié un peu cet appareil, donl le
principe el le manieinenl restent les mêmes (fig. 51).
Fig. 51. — Appareil de Dudley-Bu.\ton.
Récemment, Ombrédanne a préconisé une méthode d'anesthésie
Fig. 52. — Coupe de l'appareil dOmbrédaune.
générale par un mélange d'éther, d'air pur el d'acide carbonique,
administré à l'aide d'un appareil spécial (fig, 52). D'après Nélaton,
112 NOGUÉ. — ANESTHESIE.
qui l'a employée dans 300 cas, l'anesthésie a été comparable à celle
du chloroforme. Delbet et Lucas Championnière n'ont pas été très
satisfaits de cette méthode nouvelle.
Pour pallier aux dangers de certains anesthésiques généraux, les
physiologistes ont préconisé l'administration préventive de certaines
substances. C'est ainsi que Claude Bernard, dès 1869, recommandait
Tinjection de morphine avant les inhalations de chloroforme, suppri-
mant ainsi la période d'excitation et les dangers de la syncope initiale,
mais augmentant les risques d'une syncope respiratoire.
Dastre et Morat ont préconisé l'injection d'atropine et de morphine ;
Forné, Tadminislrationdu chloral.
ANESTHÉSIE PAR LA VOIE TRACHÉALE.
113
X. - ADMINISTRATION DES A NES THES IQU ES
PAR D'AUTRES VOIES QUE LA VOIE BUCCO-NASALE.
ANESTHÉSIE PAR LA VOIE TRACHÉALE.
Dansun certain nombre d'opérations portant sur la face et en parti-
culier sur le nez, le maxillaire, la cavité buccale, etc., l'application de
masque gène considérablement le chirurgien.
Aussi a-t-on cherché à supprimer le masque et à le remplacer par
une canule permettant de faire pénétrerdirectement les vapeurs anes-
Ihésiques dans la tranchée. Claude Bernard avait déjà ainsi introduit
dans les voies respiratoires du chloroforme liquide chez les animaux.
Fiff. 53.
Appareil de Trendelenburg- modifié.
Au lieu de faire inhaler le chloroforme par la bouche, on ouvre la
trachée et on l'introduit directement dans le poumon par l'ouver-
ture que Ion a pratiquée. En administrant le chloroforme de
cette manière, on ne provoque jamais d'agitation ni de contractions
spasmodiques, et le sang artériel conserve toujours son aspect rutilant
ordinaire. Si ce procédé n'exigeait pas une trachéotomie, ce serait
certainement le meilleur de tous à employer.
Ce moyen a été maintes fois employé chez l'homme. Le chirurgien
tantôt pratique une trachéotomie préventive et introduit par l'orifice
une canule à trachéotomie adaptée à un appareil de Trendelenburg.
Cette canule est munie d'un ballonnet que l'on peut gonfler d'air pour
obturer toute la lumière laryngée autour de la canule et obliger le
malade à respirer par cette voie.
Dans d'autres cas, au lieu de faire la trachéotomie, on introduit un
tube spécial dans le larynx. Tel est le tube laryngien de Krishaber.
Doyen enFrancefaitl'inhalation laryngée à l'aide du tube d'O'Dwyer
et de l'entonnoir de Trendelenburg (fig. 53).
Tk
AITE DE STOMATOLOGIE.
VL —
U'« NOGL'É. — ANESTHÉSIE.
D'autres se sont servis de tubes naso-pharyngiens pour faire inhaler
le chloroforme. Tels sont J.-L. Faure (de Paris), Crile (de Cleveland),
Adam (de Xancy). Ce dernier procédait ainsi : un courant dair, après
avoir barboté dans du chloroforme, est envoyé dans le naso-pharynx
à l'aide d'une sonde nasale. Le malade malheureusement respire ainsi
un air qui est saturé de chloroforme, même si on actionne le souffleur
aussi peu que possible. La grosse difficulté de cette méthode est
donc le réglage et le danger auquel elle expose de donner trop de
chloroforme.
Barthélémy et Dufour (de Nancy) ont tourné cette difficulté en se
servant de l'appareil de Vernon Harcourt armé d'une canule laryngée
(fig. 54j (1). Voici comment ils
procèdent : une soufflerie à main
aboutit à une tubulure du vase à
chloroforme, dont l'autre embou-
chure est en relation avec une des
soupapes d'inspiration.
La même soufflerie commande en
outre directement l'autre soupape
d'inspiration : celle-ci ne laisse donc
passer que de l'air pur. La propor-
tion d'air pur et d'air chargé de
chloroforme est réglée par l'index
Fig. 54. - Appareil de Vernon- du disque central auquelaboutissent
Harcourt. les deux courants ; ils s'y réunissent
dans le tube médian, qui se termine
par une sonde urélrale deGelly du calibre 18. Cette sonde, introduite
dans le larynx, n'obture pas la glotte, et le malade peut respirer
librement à côté. De cette façon, on est rigoureusement maître du
mélange que l'on fait absorber en totalité chaque fois qu'on actionne
la soufflerie, et dès qu'on cesse de l'actionner le malade respire de
l'air pur. Le mélange ou Tair injectés se stérilisent et se dessèchent
à travers des tampons d'ouate hydrophile interposés dans les tubes.
Pour épargner au malade la sensation désagréable de l'introduction
de la sonde, et surtout pour éviter des réflexes qui pourraient être
dangereux, cet appareil ne doit servir qu'à l'entretien de l'anesthésie
obtenue par les procédés habituels. Il permet en outre d'injecter
au besoin, à un moment donné, de l'air pur, c'est-à-dire de faire
une respiration artificielle : il suffit de mettre l'index au 0.
Les premiers essais sur le chien ont pleinement réussi ; l'animal a
pu être maintenu pendant une heure dans une anesthésie très régulière,
ce qui d'ailleurs est particulièrement difficile à obtenir chez le chien
par la méthode ordinaire. Il'a toléré la sonde laryngée sans aucun
(1) Barthélémy et Dufour, L'anesthésie dans la chirurgie de la face ^Presse
méd., 27 juillet 1907, n" 60).
ANESTHESIE PAR LA VOIE RECTALE. 115
accident réflexe et n'a présenté aucun des accidents pulmonaires
post-anesthésiques qu'on aurait pu craindre en raison de la pro-
jection directe du mélange chlorol'ormique dans l'appareil respi-
ratoire.
Chez l'homme, l'introduction d'une sonde dans la larynx est prati-
quement plus difficile que chez le chien. En raison de ce fait et par
prudence, on essaya d'abord d'introduire simplement la sonde dans
le pharynx. Mais alors, même en actionnant autant que possible la
soufflerie, il était impossible d'entretenir l'anesthésie, car l'appareil
d'Harcourt ne peut donner plus de 2 p. 100 de chloroforme. Il fallait
donc en revenir à l'injection directe dans le larynx.
Le premier essai clinique du procédé fut fait dans le service du
P*^ Gross chez une malade atteinte de néoplasme propagé au
maxillaire inférieur. Il s'agissait de réséquer la branche horizontale
gauche. Aussitôt l'anesthésie obtenue aveclemasque et le flacon, on
tenta l'introduction de la sonde dans le larynx. On mit ensuite en
marche l'appareil et, après quelques tâtonnements prudents, on put
maintenir une anesthésie très régulière et sans le moindre incident.
L'index de l'appareil dut être laissé tout le temps à 2 p. 100, c'est-à-
dire à la dose maxima. La soufflerie était actionnée à chaque inspi-
ration. Il n'était même pas besoin de se préoccuper de relever l'angle
de la mâchoire comme on le fait d'habitude pour ouvrir la glotte,
puisqu'elle se trouvait toujours maintenue ouverte par la sonde. Le
chloroformisateur, tenant l'appareil accroché à sa ceinture, pouvait
s'éloigner du lit chaque fois qu'il était une cause de gêne pour le
chirurgien. Au moment de l'incision buccale, un tampon placé dans
le pharynx à côté delà sonde et souvent renouvelé empêchait le sang
de couler dans la trachée. Le réveil s'effectua très rapidement : la
quantité de chloroforme inhalée avait été minime, puisque rien ne
s'était perdu : 10 grammes en trois quarts d'heure. Il n'y eut aucun
accident du côté des voies respiratoires, malgré le grand âge de la
malade, qui avait soixante-treize ans,
ANESTHÉSIE PAR LA VOIE RECTALE.
L'anesthésie par la voie rectale présenterait de très grands avantages
dans toutes les opérations sur la face en général et plus particulière-
ment sur le bucco-pharynx, les maxillaires et le nez. Il est possible
de l'obtenir pratiquement. Roux avait signalé ce mode d'anesthésie
dès 1847. Pirogoff (de Saint-Pétersbourg), qui l'appliqua le premier
sur ses malades, avait fait construire pour cela une sorte de clysoir
à pompe entouré d'un cylindre destiné à contenir de l'eau chauffée
à 40°. La vapeur éthérée pénétrait dans le rectum par l'intermédiaire
d'un tuyau élastique et d'un embout spécial. D'après Pirogofï, à peine
ces vapeurs avaient-elles pénétré dans le rectum, au bout de une à
116
NOGUE.
ANESTHESIE.
deux minutes, on pouvait constater Todeur éthérée de l'haleine, et
Tanesthésie survenait rapidement sans excitation.
Dudley-Buxton administre d'abord l'éther par la bouche, puis il con-
tinue la narcose par le rectum. L'appareil (fig. 55) se compose d'un
vase dans lequel on verse l'éther et qui plonge dans un second vase
contenant de l'eau à 49°. Sur le trajet du tube de caoutchouc qui va
du récipient à éther à l'embout rectal, se trouve un petit ballon en
Fig. 55. — Appareil de Dudley-Buxton pour l'anesthésie rectale.
verre empêchant la pénétration dans le rectum de toute parcelle
liquide de l'anesthésique. La rapidité de l'anesthésie serait très
variable; tantôt trois minutes suffisent, tantôt il faut attendre vingt-
cinq à trente minutes.
E. Vidal (d'Arras) emploie la technique suivante (1).
1° Préparation du malade (d'importance capitale). — La veille,
un purgatif débarrasse l'intestin. Le matin de bonne heure, lavement
abondant : 2 litres d'eau bouillie tiède contenant 8 grammes de
bicarbonate de soude. Trente minutes avant l'intervention, piqûre
de spartéo-morphine.
2° Instrumentation. — Un soufflet S, de préférence à soupape,
communique par un tube I avec le flacon àtrois tubulures E, contenant
de l'éther pur (fig. 56 et 57).
Le tube I plonge au fond du liquide que traversera donc le courant
(1) Vidal (d'Arrasj, L'anesthésie générale par voie rectale (Presse méd.,
5 déc. 1906, no 97, p. 787).
ANESTHESIE PAR LA VOIE RECTALE.
117
d'air. II est un tube de sûreté à mercure; K est le tube abducteur
emportant l'air saturé ou vapeur d'éther vers le flacon réchaulîeur
vide R, qui plonge dans l'eau à 39°. De là le courant gagne run des
orifices d'une canule rectale, stérilisable, à double courant G, intro-
duite dans le rectum du malade, ressort par le second orifice, d'où
un tube de caoutchouc le conduit dans le flacon A, contenant de
ralcool; le tube terminal y plonge d'environ 3 centimètres.
L'éther en excès se trouve ainsi en grande partie absorbé. Le
sommeil s'obtient en général sans agitation appréciable en quinze ou
vingt minutes.
3° Quelques points à signaler tout spécialement. — a. Le malade ne
7
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lEiz
"-^
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-Sr.
Fig. 56. — Schéma du dispositif d'ensemble de l'appareil de Vidal.
doit pas se gonfler : l'issue du gaz doit demeurer parfaitement
libre ;
6. La présence de l'air mélangé aux vapeurs d'éther est indis-
pensable. Il semble que la saturation du sang veineux par l'éther ne
se fasse bien que s'il peut s'oxygéner en même temps : d'où l'emploi
du soufflet;
c. La présence du flacon réchauffeur R est strictement indispen-
sable : le courant gazeux est en effet très refroidi par la volatilisation
du liquide ; une certaine quan-
tité d'éther est de plus mécani-
quement entraînée : deux causes
graves d'irritation rectale qu'il
faut absolument éviter.
4" Suites opératoires. —
Nulles : une selle sans liquide
dans la journée, quelquefois
deux.
Legueu, L. Morel et H. Verlier, qui ont fait une étude minutieuse
de l'anesthésie rectale, envisagent ainsi ses avantages et ses incon-
vénients. Les avantages consistent en un réveil plus rapide, en
l'absence d'irritation pulmonaire, ce qui a une grosse importance
quand il s'agit d'une intervention sur la plèvre ou le thorax, une
absorption moindre d'anesthésique, libération du champ opératoire
pour les interventions sur la tête et le cou. Les inconvénients de la
méthode sont les troubles cardio-respiratoires, plus nombreux que
Fig. 57. — Détail de la canule G.
118 NOGUÉ. — ANESTHÉSIE.
dans les autres modes d'anesthésies, la fréquence des sensations
douloureuses préanesthésiques et, après l'opération, la fréquence des
accidents intestinaux (ténesme intense, colique, diarrhée dysen-
térique) et même lésions mécaniques (perforation intestinale).
L'anesthésie rectale est formellement contre-indiquée en cas
d'affection aiguë ou chronique de l'intestin, de même que dans les
interventions sur le péritoine, le périnée et les organes génitaux.
Malgré les avantages que présenterait cette méthode, un grand
nombre d'auteurs en ont signalé les nombreux inconvénients. En
Amérique, on a signalé des cas de mort. Mais les accidents qui appa-
raissent trop fréquemment sontle météorisme, la diarrhée, le ténesme,
les coliques, le collapsus.
NARCOSE GÉNÉRALE PAR INJECTION DE L'ANESTHÉSIQUE. 119
XI. - NARCOSE GÉNÉRALE PAR INJECTION INTRA-
VEINEUSE OU SOUS-CUTANÉE DE LA SUBSTANCE
ANESTHÉSIQUE.
Claude Bernard pensait que les substances volatiles introduites
dans l'organisme par une autre voie que la voie pulmonaire ne pou-
vaient que difficilement produire l'anesthésie, du moins chez les ani-
maux à sang chaud. L'injection sous-cutanée d'une solution de chlo-
roforme ou d'éther sous l'eau procure l'anesthésie chez les grenouilles.
Chez d'autres animaux, tels que les mammifères, dit l'illustre physio-
logiste, ce procédé ne réussit pas. L'injection sous la peau d'une
solution de chloroforme ou d'éther ne produit pas du tout l'anesthésie.
En voici la raison : pour qu'une substance quelconque agisse sur
l'organisme, il faut qu'elle pénètre dans le sang, et il ne suffit pas
même qu'elle entre dans le sang veineux, il faut qu'elle arrive dans
le sang artériel. C'est là une condition absolument indispensable. On
peut administrer le chloroforme par mille moyens divers ; mais au
fond tous ces procédés se ramènent toujours à introduire le chloro-
forme dans le sang artériel. Le sang conduit alors le chloroforme
jusqu'à l'élément nerveux sensitif, sur lequel s'exerce l'action élective
des agents anesthésiques. Si on injecte chez un lapin ou un chien du
chloroforme dissous dans l'eau, le chloroforme pénétrera du tissu
cellulaire sous-cutané dans les veines, qui le conduiront au cœur
droit, d'où il sera lancé avec le sang noir dans l'artère pulmonaire, et
il arrivera ainsi aux poumons. Là le chloroforme ou l'éther, qui sont
des substances éminemment volatiles, s'exhalent dans l'atmosphère
avecl'acide carbonique, et, lorsque le sang continuerason circuit, en
retournant au cœur gauche par les veines pulmonaires et ensuite
dans l'aorte et ses subdivisions, il n'en contiendra plus du tout, ou du
moins il n'en contiendra qu'une proportion trop faible pour exercer
une action anesthésique sensible.
Mais peut-être était-il possible d'introduire dans l'organisme une
quantité suffisante de substance anesthésique pour que, malgré l'exha-
laison pulmonaire, il en reste encore une proportion suffisante dans
le sang pour agir sur les centres nerveux.
C'est bien ce que des recherches récentes semblent démontrer. Le
P^'M.-L. Burkhardt (l),de l'Université de VViirzbourg, a obtenu une
anesthésie complète par injection intraveineuse d'une solution de
chloroforme non seulement chez les animaux à sang chaud, lapins,
chiens et chats, mais encore chez l'homme.
Il se sert pour cela d'une solution physiologique de chlorure de
(1) M. L. Burkhardt, Miinch. med . Wochenschr., 17 août 1909.
120 >^OGUE. — ANESTHESIE.
sodium saturée de chloroforme. Cette solution contient 0gr,96, ou bien
0",63 de chloroforme pour 100 centimètres cubes de sérum. Cette
solution serait toujours bien supportée. Son introduction dans les
veines ne détermine, à rencontre de ce qu'on observe dansl'anesthésie
chloroformique par inhalation, aucun affaiblissement de la pression
sanguine. Ce fait remarquable pourrait s'expliquer par l'action
hypertensive de l'injection intraveineuse massive du liquide. On
nota, après cesexpériences, chez certains desanimaux anesthésiés, de
l'albuminurie, de la cylindrurieet parfois même de l'hémoglobinurie;
mais tous ces accidents ne furent que transitoires et n'entraînèrent
aucune conséquence fâcheuse.
Si la solution saturée est parfaitement tolérée, par contre une solu-
tion sursaturée, contenant du chloroforme en gouttelettes, est dan-
gereuse pour tous les animaux, chez lesquels elle peut provoquer
la mort par arrêt brusque sur le cœur.
Voici les phénomènes observés pendant les expériences. Lorsque,
à travers une canule en verre fixée dans la veine jugulaire et reliée par
un court tube en caoutchouc à un récipient en verre de forme cylin-
drique et gradué, on fait couler lentement la solution saturée de chlo-
roforme dans le sérum physiologique, l'animal, d'abord tranquille,
manifeste bientôt une légère inquiétude. Cette période correspondrait
à la période d'excitation qu'on observe dans l'administration du chlo-
roforme parla voie pulmonaire. Au bout de quelques minutes, de
cinq à dix en moyenne, les réflexes disparaissent, la respiration
devient parfaitement régulière et l'anesthésie complète est obtenue.
Si l'on interrompt alors l'écoulement du sérum chloroformé dans
lajugulaire, l'anesthésie générale persiste pendant une à trois minutes.
Elle tend ensuite à se dissiper rapidement, ainsi que l'annonce la réap-
parition du réflexe cornéen. Mais, chose remarquable, il suffit alors,
pour empêcher le retour à l'état normal et maintenir le sommeil anes-
thésique, de laisser pénétrer l'eau chloroformée dans la veine en
quantité minime. Le sommeil profond peut être ainsi maintenu pen-
dant une heure.
Les lapins et les chiens, après cette narcose profonde et prolongée,
se remettent très rapidement. Les chats, dont la susceptibilité à
l'égard du chloroforme est bien connue, succombent parfois.
Le procédé paraissait donc efficace et aussi peu dangereux que
les procédés habituels d'administration du chloroforme. Aussi
Burkhardt n'hésita-t-il pas, après de très nombreuses expériences
chez les animaux, à l'essayer chez l'homme. Dans les quatre obser-
vations que rapporte M. Wlad.de Holstein(l), l'anesthésie fut parfaite.
La période dite de tolérance avec abolition complète des réflexes
s'établit dans la narcose intraveineuse plus tardivement que dans
(1) Wlad. de Hoi.stein, Bull, méd., sept. 1909.
L\J1-CTI0N INTRAVEINEUSE DE CHLORAL. 121
la narcose par inlialation. Il faut compter quinze à seizeminulespour
arriver à l'anesthésie complète. Mais M. Burkhardt suggère qu'on
peut en hi\ler la venue en recouvrant légèrement le nez et la bouche du
patient avec une compresse de tarlatane qui empêche Télimination
trop grande du chloroforme avec Facide carbonique expiré, ou plutôt
qui détermine une inhalation par la voie pulmonaire du chloroforme
expiré, inhalation qui contribuerait naturellementà hâter l'anesthésie.
La réalité de l'exhalation pulmonaire n'est plus en effet à démontrer.
Ce procédé de narcose ne présenterai t , au dire de l'auteur, aucun danger
et serait particulièrement utile dans les opérations portant sur la
face et la bouche.
INJECTION INTRAVEINEUSE DE CHLORAL.
Découvert en 1831 par Liebig, le chloral fut étudié par Liebreich,
qui démontra que, sous l'influence des alcalis et des carbonates alcalins,
il se dédoublait en chloroforme et en acide formique. Cette produc-
tion de chloroforme donna à Liebreich l'idée d'utiliser ce corps pour
donner naissance, au milieu de l'économie, à du chloroforme ((ui
agirait comme anesthésique. Les expériences sur les animaux lui
démontrèrent qu'en effet il se produisait des phénomènes semblables
à ceux de l'anesthésie. Claude Bernard, qui reprit ces expériences,
pensa que le chloral n'agissait que comme hypnotique. Personne au
contraire soutint la théorie de Liebreich.
Oré (de Bordeaux), en 1872, appliqua chez l'homme la méthode des
injections intraveineuses de chloral en solution à O^^SS p. 100. Il
injectait 4 à 16 grammes de la solution et obtenait une anesthésie
absolue. Mais la crainte delà formation de caillots a fait abandonner
cette méthode.
Récemment, Maurice Nicloux a repris l'étude de la décomposi-
tion de chloral, et voici les conclusions auxquelles ses expériences
l'ont conduit :
« M'étant assuré d'abord : 1° qu'une solution de chloral additionnée
d'acide tartrique et de cinq fois son volume dalcool n'est pas décom-
posée à l'ébullition ; 2° que le dosage du chloroforme dans le sang
n'est pas influencé par la présence du chloral, j'ai entrepris des
expériences très simples qui ont consisté à injecter par voie intra-
veineuse l'hydrate de chloral et, une fois l'anesthésie obtenue, à
rechercher le chloroforme dans le sang. Mes expériences m'ont
permis de conclure que l'action du chloral est bien spécifique et que
l'anesthésie par cette substance ne peut être due au chloroforme qui
proviendrait de sa décomposition. »
122 NOGUE. — ANESTHESIE.
NARCOSE PAR LA SCOPOLAMINE ET LA MORPHINE.
Cette méthode a été imaginée par Schneiderlin. Il employait le
bromhydrate de scopolamine aux doses de 0sr,0003 avec Os'",01 de
morphine, en injection sous-cutanée. Korff, qui a modifié un peu ces
doses, conseille de faire, quatre heures avant Topera tion, une première
injection de Oe^Ol de morphine et de 12 milligrammes de scopo-
lamine : deux heures après, seconde injection et, une demi-heure
avant l'opération, troisième injection des mêmes doses. Quelquefois
on a, après ces injections, fait inhaler quelques gouttes de chloroforme.
L'anesthésie serait paisible et prolongée. D'après Bez, le danger de
cette méthode serait l'arrêt possible de la respiration dû à l'action
de la morphine. Aussi conseille-t-il de réduire la proportion de cette
substance et de n'administrer qu'une proportion de 2 de morphine
pour 4à 5 de scopolamine.
AGENTS ANESTHÉSIQUES PEU EMPLOYÉS. 123
///. - AGENTS ANESTHÉSIQUES PEU EMPLOYÉS.
Pental. — Encore appelé amylène, triméthyl-éthylène, isoamy-
lène-ji, le pental est un liquide très volatil, d'une odeur analogue
à celle de l'essence de moutarde, inflammable, insoluble dans l'eau,
soluble en toute proportion dans l'éther, l'alcool et le chloroforme.
Appliqué pour la première t'ois à l'anesthésie générale par Snow
en 1856 et préconisé ensuite par von Mering en 1887, Hollander,
en 1891, en reprit l'étude et trouva qu'il produisait l'anesthésie dans
l'espace de cinquante à quatre-vingt-dix secondes sans excitation
ni nausées. Sur 200anesthésies, il n'observa aucun accident. D'autres
chirurgiens l'expérimentèrent à leur tour. Sick, en 1893, publia2 cas
de mort. Brener, sur 120 narcoses, eut un accident grave qui mit en
péril la vie du malade ; d'autres auteurs ont signalé des accidents
plus ou moins "inquiétants.
Il est donc actuellement prudent de se montrer très réservé quant
à l'emploi de cet anesthésique.
Alcool. — Il a été expérimenté par Mathaï (de Dantzig) sur les ani-
maux. On fait chaufl'er l'alcool à 50 à 60° et on le fait inhaler à l'aide
d'un masque, en ayant soin d'administrer immédiatement avant un
lavement d'une solution de un tiers d'alcool dans deux tiers d'eau (1).
Acide carbonique. — L'acide carbonique a été proposé comme
anesthésique général par Ozanam. L'homme et les animaux supé-
rieurs peuvent sans aucun inconvénient respirer de l'air contenant
des proportions de 1, 2, 3, i, 5 p. 100 d'acide carbonique (2).
Rappelons que les inhalations systématiques de gaz acide carbo-
nique n'augmentent pas de la plus petite quanti té le gaz contenu dans
le sang, mais, en élevant la pression partielledu CO^dans le poumon,
empêchent la décarbonisation normale du sang etl'obligent à retenir
une plus grande masse de son propre acide carbonique.
Chez les animaux, 20 p. 100 d'acide carbonique produisent de
l'excitation du côté des centres nerveux respiratoires, vaso-constric-
teurs et accélérateurs du cœur, sudoripares, salivaires, etc., mais non
de vrais symptômes d'empoisonnement. L'animal pourra continuer
à vivre dans ce milieu pendant plusieurs heures.
Cependant les animaux finissent par mourir dans un mélange
gazeux modérément riche enCO^ si on les y laisse pendant plusieurs
jours.
Les animaux peuvent résister pendant plusieurs heures dans un
mélange de 30 p. 100, pendant une demi-Ijeure et davantage dans
un milieu de 60p. 100.
Gréhant dit que, pour étudier l'empoisonnement par l'acide carbo-
(1) Mathaï, Zeniralblatt fur C/i/r., 1899.
(2) Dict. de physiologie, art. Acide carbonique.
124 NOGUÉ. — ANESTHÉSIE.
nique, il faut prendre des mélanges à 60 p, 100, mais contenant une
proportion d'oxygène égale à celle que contient Tair.
Paul Bert admet que la mort survient quand l'acide carbonique
atteint 100 centimètres cubes p. 100 dans le sang artériel et 120 cen-
timètres cubes p. 100 dans le sang veineux.
Dans Tempoisonnement par l'acide carbonique, les phénomènes
d'excitation sont peu intenses, car l'anesthésie est complète en quel-
ques secondes. Par contre, les phénomènes de paralysie finale sont
extrêmement lents à se produire. Les centres de la sensibilité et du
mouvement sont pris les premiers, mais les centres respiratoires et
cardiaques résistent beaucoup, parfois pendantplus de deux heures.
Fredericq (de Liège) distingue deux périodes :
1" Un stade d'excitation d'une durée moyenne de trente-cinq
secondes ; les pupilles se contractent ;
2° Un stade de /zarcose caractérisé dès le début par de l'insensibilité
et de la paralysie. Sa durée est de une demi-heure à deux heures, si
on emploie des doses de 60 à 70 p. 100.
D'après Fredericq etHester, à 20 p. 100 seulement on n'observe
que des phénomènes d'excitation, mais les animaux vivent dans ce
milieu des journées entières.
A 30 p. 100, aux phénomènes dexcitation succèdent rapidement
les phénomènes de narcose ; mais la mort n'arrive qu'au bout de plu-
sieurs heures.
ANESTHÉSIE PAR LE MAGNÉTISME. 125
XIII. - ANESTHÉSIE GÉNÉRALE PAR LES AGENTS
PHYSIQUES.
ANESTHÉSIE PAR LE MAGNÉTISME.
Mesmer et ses élèves avaient nettement affirmé la possibilité de
pratiquer sans douleur des opérations chirurgicales pendant le som-
meil hypnotique, mais le côté charlatanesque de leur pratique avait
jeté par avance le discrédit sur toutes leurs affirmations, du moins
auprès des savants. A tel point que TAcadémie, en 1774, avait con-
damné la méthode. Mais, le 16 avril 1829, Jules Cloquet fit à
l'Académie une communication' sensationnelle : il avait réussi à
enlever un sein cancéreux à une femme endormie par des passes
magnétiques. 11 s'agissait dune femme de soixante-quatre ans, d'une
constitution éminemment nerveuse, très irritable et facilement sen-
sible à l'action du magnétisme. Le médecin de la malade ayant déjà,
dans un autre but, réussi à l'endormir ainsi proposa à .Jules Cloquet
d'employer cette méthode. « Cloquet (1) n'y voyant aucun incon-
vénient, bien que persuadé que la malade se réveillerait au premier
coup de bistouri, l'opération fut fixée : la veille et l'avant-veille,
la malade fut somnambulisée plusieurs fois par Chapelain, qui,
dans cet état, la disposait à supporter sans crainte l'opération,
tandis qu'à son réveil elle en repoussait l'idée avec horreur. Le
jour fixé, Jules Cloquet, arrivant à dix heures et demie, trouva
la malade habillée et assise dans un fauteuil, dans l'attitude d'une
personne paisiblement livrée au sommeil naturel; il y avait une heure
à peu près qu'elle était revenue delà messe, qu'elle entendait habi-
tuellement à la même heure, et Chapelain l'avait mise sous le
sommeil magnétique depuis son retour. La malade parla avec beau-
coup de calme de l'opération qu'elle allait subir. Tout étant disposé
pour l'opérer, elle se déshabilla elle-même, s'assit sur une chaise.
Chapelain soutint le bras droit; le bras gauche fut laissé pendant sur
le côté du corps. Pailloux fut chargé de présenter les instruments
et de faire les ligatures. Une première incision, partant du creux
de l'aisselle, fut dirigée au-dessus de la tumeur jusqu'à la face
interne de la mamelle ; la seconde, commencée au même point,
cerna la tumeur par en bas et fut conduite à la rencontre de la pre-
mière. Les ganglions engorgés furent disséqués et enlevés avec
beaucoup de précaution, à raison de leur voisinage de l'artère axil-
laire, et la tumeur fut extirpée : la durée de l'opération a été de
dix à douze minutes; pendant ce temps, la malade a continué à
(1) Arch. gén. de med., t. XX, l^'- série, 1829.
126 NOGUE. — ANESTHESIE.
s'entretenir tranquillement avec Topérateur et n'a pas donné le plus
léger signe de sensibilité. Aucun mouvement dans les membres ou
dans les traits, aucun changement dans la respiration, ni dans la
voix, ni dans le pouls ne s'est manifesté ; la malade n'a cessé de
présenter cet état d'abandon et d'impassibilité automatique qu'elle
offrait à l'arrivée de Cloquet ; on n'a pas été obligé de la contenir,
mais seulement de la soutenir ; une ligature a été appliquée sur
l'artère thoracique latérale, ouverte pendant l'extraction des gan-
glions: mais, chose digne d'observation, lorsque le chirurgien vint
laver la peau, aux environs de la plaie, avec une éponge imbibée
d'eau, la malade manifesta des sensations semblables à celles pro-
duites par le chatouillement et dit plusieurs fois avec hilarité :
« Eh! finissez, ne me chatouillez pas. » La plaie étant réunie par des
agglutinatifs et pansée, l'opérée fut mise au lit, toujours dans
l'état de somnambulisme, dans lequel on la laissa quarante-huit
heures.
« Une heure après l'opération, il se manifesta une légère hémorragie
qui n'eut pas de suites. Le premier appareil fut levé trois jours après
l'opération, la plaie fut nettoyée et pansée de nouveau; la malade ne
manifesta aucune sensibilité ni douleur; le pouls conserva son rythme
habituel. Après ce pansement, Chapelain réveilla la malade, dont le
sommeil magnétique durait depuis deux jours. Elle ne parut avoir au-
cune idée, aucun sentiment de ce qui s'était passé; mais, en appre-
nant qu'elle avait été opérée, et voyant ses enfants autour d'elle, elle
éprouva une émotion très vive, que Chapelain fit cesser aussitôt.
De nombreuses expériences suivirent. En 1839, Naudet fit l'extrac-
tion d'une dent chez une patiente soumise à l'anesthésie magnétique.
Ward, en 1842, pratique une amputation de cuisse. En 1845, Esdaille,
à Calcutta, rapporte plus de 300 observations. En 1847, Ribaud et Kiary
(de Poitiers) enlevèrent une volumineuse tumeur de la mâchoire. Braid,
en 1843, annonce qu'il a réussi, en faisant regarder fixement un objet
brillant placé entre les deux yeux, en dedans de la vision distincte,
à plonger des femmes dans un sommeil absolument semblable au
somnambulisme. Broca, en 1859, opéra ainsi une jeune femme d'un
abcès volumineux de la marge de l'anus.
En chirurgie dentaire, l'hypnose a été maintes fois utilisée et sou-
vent avec succès. Andrieu a publié l'observation d'une femme hysté-
rique qui fut anesthésiée dans son service de la Charité et à laquelle
les premières et deuxièmes grosses molaires inférieures du côté droit
furent extraites sans le moindre tressaillement de la part de la
patiente. A son réveil, elle dit n'avoir rien senti. En l'examinant de
nouveau, le D"" Andrieu s'aperçut qu'un léger fragment alvéolaire
était détaché et ne tenait que peu à la gencive. Avec une pince, il
saisit le fragment et l'enleva. La malade éprouva une douleur suffi-
sante pour prouver que la sensibilité était revenue.
ANESTHÉSIE GÉNÉRALE PAR LA LUMIERE BLEUE. 127
Tiirner, on 1890, a publiô de nombreuses observations d'extractions
dentaires laites pendant Thypnose déterminée par le D'' J. Milne
Bramwel (1). Une entre autres était une jeune fille atteinte dune
afleclion valvulaire, et qui avait très mal supporté le protoxyde
d'azote et léther et fut hynoptisée sans difficultés. Deux molaires
à droite, deux molaires à gauche et une bicuspide inférieure, toutes
présentant de sérieuses difficultés, furent extraites sans douleur et
sans accidents consécutifs.
D'après J. Milne Bramwel, la méthode aurait de nombreux avan-
tages : 1" possibilité, quand l'anesthésie a été obtenue, de recom-
mencer l'opération à n'importe quel moment; 2" la possibilité de
replonger le patient dans l'hypnose sans recommencer les manœuvres
nécessaires simplement par un ordre verbal; 3° inutilité de la présense
de l'hypnotiseur, un ordre écrit pouvant être suffisant; 4° inutilité
du jeûne préalable ou de toute autre précaution ; 5" absence de toute
appréhension grâce à la suggestion ; 6" agrément et innocuité absolue
de l'hypnose; 7° possibilité de prolonger indéfiniment le sommeil et
de le faire cesser à volonté ; 8° possibilité de faire prendre au patient
n'importe quelle position sur une simple parole ; 9° possibilité de
suggérer l'analgésie seule, toutes les autres formes de la sensibilité
restant intactes; 10° possibilité, dans la parturition, d'augmenter ou
de diminuer l'action des muscles volontaires; 11° absence de tout
trouble après le réveil ; 1 '2° prévention possible de toute douleur après
l'opération ou pendant les pansements subséquents; 13" possibilité
d'une guérison plus rapide par suite de l'absence de douleur.
Malgré tous ces avantages, l'hypnotisme ne saurait être considéré
comme une méthode pratique d'anesthésie générale. C'est un agent
encore infidèle et auquel, d'ailleurs, un nombre considérable de
patients sont réfractaires. Mais, dans certains cas particuliers, il faut
savoir l'utiliser.
ANESTHÉSIE GÉNÉRALE PAR LA LUMIÈRE BLEUE.
L'action remarquable des couleurs sur les plantes et sur les animaux
est aujourd'hui admise par tous les savants. On sait en particulier
que le bleu jouit de propriétés nettement sédatives sur le système
nerveux.
Frappé de ces faits, le D'" Redard (de Genève) institua une série
d'expériences à la suite desquelles il découvrit que la lumière bleue
avait une action analgésique très prononcée sur le trijumeau et
qu'une opération de courte durée plus particulièrement sur les
dents pouvait se faire dans son rayon d'action. Il put ainsi faire de
fl) D"" J. Milne Bramweli-, Hypnotic Aneslhesia [The Practilionner ; spécial
number : jabilee of aneslhesia, oct.lS96),
128
XOGUÉ.
AXESTHESIE.
nombreuses avulsions avec plein succès. Dans 20 a 25 p. 100 des cas
cependant, lanalgésie ne put être obtenue.
Le D'' Redard se sert d une lampe électrique à incandescence de
16 bougies fixée à un réflecteur métallique. Le patient est prié de fixer
ses regards sur l'ampoule bleue ou violette. Il importe qu'il tienne les
yeux grands ouverts. On affirme au patient quil ne sentira rien s'il
regarde fixement l'ampoule. La distance entre la lumière et l'ampoule
doit être de 15 centimètres. Le tout doit être recouvert d'un voile bleu
afin d'éviter la lumière difTuse du jour. Au bout de trois minutes,
l'insensibilité est complète, mais elle dure peu de temps.
Fig. 58. — Avant ranestliésie. Patient, opérateur (Di" Redard) réflecteur
et ampoule éclairée. La main droite tient un voile bleu.
On a attribué les effets obtenus à une simple suggestion hypnotique.
Redard répond qu'il n'a obtenu avec les lumières rouges et jaunes,
tout en employant la même technique, aucun résultat. Il en est réduit
à supposer que c'est par l'intermédiaire du nerf optique que le cer-
veau serait influencé.
Ces expériences, accueillies avec scepticisme en France, on été
reprises en Angleterre par Harvey Hilliard (1). « Avant d'essayer la
méthode, dit cet auteur, j'ai voulu l'appliquer sur moi-même, et j'ai
noté les elTets suivants, qui ont été corroborés par deux amis sans
préjugés et qui avaient également consenti à servir de sujets. La
(1) Harvey Hilliard, Analgésie par la lumière bleue {British dental Journal,
1905, et Progrès dentaire, 1904, n» 2).
ANESTHESIE GEiNÉRALE PAU J.A LUMIÈRE BLEUE.
129
lumière bleue a une inlluence calmante très manifeste : elle invite
à fermer les yeux et à dormir; puis, au bout de quelques minutes,
elle atténue la sensibilité à la douleur; par exemple, on ne distingue
pas aisément la différence entre une légère pression faite avec le
bout du petit doigt et une piqûre d'aiguille, et on pourrait introduire
des aiguilles chirurgicales dans la face, les lèvres, les gencives, les
bras et en faire couler du sang, sans déterminer de douleur réelle, à
moins d'exercer une pression plus profonde. L'analgésie m'a paru
être beaucoup plus complète sur Faire de distribution des nerfs
crâniens que sur les extrémités. Quand, par exemple, le bras était
Fis
59. —
Pendant rancsthésie. Voile bleu recouvrant l'éclairage et la tête
du patient.
piqué une première fois, la douleur n'était ressentie que si l'on
faisait immédiatement une nouvelle piqûre; la sensation doulou-
reuse était beaucoup plus marquée. Le premier stimulus semble
réveiller le sensorium qui devenait somnolent et, par suite, un second
stimulus succédant rapidement au premier était perçu plus facile-
ment. D'un autre côté, sur la surface de distribution des nerfs crâ-
niens, une suite de légers stimulus ou un seul stimulus beaucoup
plus fort est nécessaire pour rappeler la sensibilité normale.
Dans l'application à l'extraction des dents, les résultats ont été
variables sans qu'il ait été possible de découvrir les raisons de cette
variabilité. Dans certains cas, il se produisit une analgésie très satis-
faisante accompagnée d'une tendance manifeste au sommeil, avec les
yeux clos et un atïaiblissement de la conscience qui se manifestait
Traité de stomatologie. VI. — 9
130 >OGUE. — ANESTHÉSIE.
seulement après deux minutes et demie d'application des rayons bleus,
tandis que, dans d'autres, on n'observait que peu d'effet après une
période bien plus longue. Dans les cas les plus favorables, lanal-
gésie était fugitive, c'est-à-dire ne durait que le temps nécessaire à
trois ou quatre extractions rapides.
L'opinion de Harvey Hilliard est que, dans les cas favorables, il
serait possible d'obtenir le sommeil avec une anesthésie parfaite, à
condition de soumettrele sujet à l'influence des rayons bleus pendant
un temps suffisant.
Quant à la variabilité des résultats, ajoute-t-il,ilest certain que les
sujets qui sont excités, nerveux, craintifs, et qui n'obéissent pas aux
instructions, qui, au lieu de tenir les yeux fixés sur la lampe, cligno-
tent sans cesse et se préoccupent de tout ce qui se passe autour
d'eux, sont à peu près réfractairesà l'action des rayons bleus. Une
large proportion des insuccès portait sur des individus de cette caté-
gorie, qui avaient quelques connaissances ou une expérience per-
sonnelle de l'anesthésie par le protoxyde d'azote, qui ne pouvaient
croire qu'ils pourraient perdre la sensibilité à la douleur sans perdre
en même tempsla conscience. D'autres, par contre, évidemment fort
dociles, présentèrent des résultats très peu satisfaisants. Il parut
possible d'expliquer cela parla forme vraiment primitivede l'appareil,
qui ne permettait pas de maintenir la lumière fixée immuablement
à une distance invariable des yeux du sujet ou bien à l'angle focal
exact, c'est-à-dire qu'à un moment la lumière pouvait se projeter
convenablement dans les yeux, ce qui est nécessaire au succès, et à
d'autres elle ne pouvait parvenir jusqu'à eux. Autre inconvénient :
très peu de ventilation est possible derrière le voile épais, qui est
indispensable pour exclure toute lumière blanche ; aussi le sujet est-il
obligé de respirer de l'air vicié. Cet air s'échauffe aussi beaucoup au
contact de la lampe, ce qui est désagréable pour le patient etle force
à clignoter ou fermer les yeux. 11 est facile de prendre, à tort, cette
occlusion des yeux pour un signe précurseur de la narcose. Pour
éviter cet excès de chaleur, la respiration d'un air vicié et l'incerti-
tude de la direction convenable de la lumière, Harvey Hilliard fît
construire un appareil composé de deux lampes bleues, placées
dans un masque en étain s'adaptant sur le nez du sujet et autour
des orbites, de manière à laisser le nez et la bouche à découvert.
tout en excluant absolument la lumière du jour. Les lampes étaient
tout à fait voisines des yeux, n'en étant séparées que par une
lentille. Les résultats ne furent pas meilleurs.
Dans quelques cas, on put faire deux ou trois extractions sans
grande douleur, mais, dans d'autres, il n'y eut évidemment aucune
anesthésie, et alors l'opération était arrêtée dès que le patient mani-
festait de la souffrance. Les signes qui indiquent que l'analgésie est
suffisante sont la dilatation de la pupille et la fermeture des paupières.
ANESTHESIE GENERALE PAR LA LUMIERE BLEUE. 131
La dilatation des pupilles s'observe dans la plupart des cas heureux,
quand les patients avaient maintenu les yeux ouverts et fixés fermement
sur la lampe durant rap{)licalion des rayons. Elle persistait pendant
les premiers moments de l'opération, malgré l'exposition du sujet à
la pleine lumière du jour. Quand la pupille se contracte, il faut arrêter
l'opération. Cependant, dans certains cas heureux, les paupières se
ferment après quelques minutes d'application des rayons, et l'on n'a
plus alors de moyen satisfaisant de s'assurer si oui ou non le sujel
est insensible à la douleur : seule, la durée d'application des rayons
peut servir de guide.
Les meilleurs résultatss'obtiennentavec des sujets de tempérament
calme, dépourvus de nervosité et peu craintifs, ayant assez d'intel-
ligence pour comprendre que l'analgésie peut se produire sans perte
de conscience et qui savent obéir aux prescriptions de l'anesthésiste.
La salle d'opération et son voisinage doivent être aussi tranquilles
que possible; aucune conversation ne doit être permise entre les
assistants. La confiance du patient est essentielle : ainsi ceux qui, en
attendantleurtour, ont écouté des récits alarmants sur les opérations
et les anesthésiques et en ont été impressionnés à l'extrême sont des
sujets auxquels la méthode ne saurait convenir.
Que l'anesthésie puisse survenir réellement dans les conditions
favorables, les faits sont là pour le prouver.
Redard cite les deux observations suivantes, choisies parmi un
très grand nombre d'autres :
1° Jeune homme de vingt ans, bien portant, désire faire extraire
une bicuspide gauche atteinte de périodontite. Très craintif, il ne
se décide à prendre place dans le fauteuil d'opération qu'à la prière
de son père et avec l'affirmation qu'il ne sera procédé à aucune opé-
ration sans son consentement. Exposition à la lumière bleue pendant
trois minutes environ, extraction, pas de douleur. Ce jeune homme
ne veut pas croire que l'opération a été pratiquée, et c'est seulement
après s'être palpé et s'être examiné au miroir qu'il est convaincu que
sa dent a été extraite :
2<» Femme de soixante-trois ans, névralgie du côté gauche déter-
minée par une dent de sagesse très cariée. Extraction de la dent
après deux minutes d'exposition à la lumière bleue. Vacillement
de la pupille avec tendance à la dilatation au moment où elle est
soustraite à la lumière. La malade déclare n'avoir pas senti de
douleur.
Harvey Hilliard cite les faits suivants : d'abord une femme qui,
atteinte d'une maladie de cœur, avait déjà mal supporté leprotoxyde
d'azote et qui avait été malade ensuite, fut si satisfaite des propriétés
analgésiques de la lumière bleue que, après une première expérience
de cette méthode, elle revint s'y soumettre deux autres fois pour se
faire enlever des racines.
J32 NOGUE. — ANESTHÉSIE.
L'n homme, après l'application des rayons, n'ayant éprouvé aucune
douleur de l'ablation d'une molaire, revint, une fois l'écoulement du
sang arrêté, s'en faire enlever deux autres.
J'ai vu extraire sans douleur jusqu'à neuf racines sous l'influence
des rayons. J'ai rencontré des personnes qui, ayant subi successive-
ment l'action du protoxyde d'azote et celle de la lumière bleue, expri-
maient leur préférence pour la dernière : et d'autres qui, ayant eu des
dents extraites sous l'influence de ces rayons et sans aucun anes-
Ihésique, affirmaient qu'elles aimaient mieux la première manière.
Harvey Hilliard pense donc que, les expériences de lord Avebury
ayant montré que les rayons de lumière à partir de rextrême-violet
du spectre influençaient très nettement les insectes, il est au moins
concevable qu'ils puissent affecter des êtres d'une organisation supé-
rieure et, par conséquent, plus sensibles. Les résultats positifs obtenus
avec l'enveloppement de la tète du sujet dans un voile bleu, la lampe
et le réflecteur en dedans, peuvent en partie dépendre de l'effet
narcotique de l'air vicié que le sujet est obligé de respirer durant
<{uelques minutes.
.Je considère, termine cet expérimentateiu", cette méthode comme
n'ayant, pour l'instant, qu'un intérêt purement scientifique : mais, selon
moi, elle a plus d'importance qu'on ne le croirait à première vue, car
il est admissible qu'avec une lampe convenable n émettant que des
rayons bleus, violets etullra-violets, on pourrait obtenir de meilleurs
et de plus sûrs résultats.
SOMMEIL ÉLECTRIQUE.
Le 21 juillet 1902, Stéphane Leduc (de Nantes) annonçait qu'il
avait réussi à produire le sommeil chez les animaux à l'aide d'un
courant électrique de basse tension (1).
La technique comporte les appareils suivants :
1° Une source de courant continu ;
2° Un réducteur de potentiel ;
3° Un interrupteur Leduc pour modifier à volonté le nombre des
interruptions et la période de passage du courant ;
4° Une voltmètre;
5° Un milliampèremètre ;
6° Un interrupteur ordinaire intercalé dans le circuit pour fermer
ou rompre brusquement le courant.
Pour obtenir la période désirée, le milliampèremètre intercalé dans
le circuit donne toutes les facilités possibles; il permet de régler la
période. Soit la période de 1 '10 choisie, c'est-à-dire une période
pendant laquelle la durée du passage du courant est représentée par 1
(1) Acad. des sciences, 21 juillet 1902. Production du sommeil et de l'anesthésie
générale et locale par les courants électriques.
SOMMi:iL KLECTKlQUi:. i-Vi
et la (luivr (lo Moii-passage par 9. On délermine d'abord TinUMisilé
du courant l'ourni par la source d'rleclricilé, rinlerrupLenr n'élanl
pas en marche ; en un mot on détermine linlensité du courant
conlinu, lanimal étant remplacé provisoirement dans le circuit par-
une résistance de 2 000 ohms environ. Puis on met en marche
rinlerrupteur et ,
avec la maiietle qui
rco-le la j)osition du
lialai mobile, on tait
varier la position de
celui-ci svu' hi pente
(h' la roue jusqu'à ce
que le milliampère-
mèlre n'indi({ue plus
(pie le l/lUderinlen-
sité du courant con-
linu. On a la période
de 1/10 (1).
Un rhéostat inter-
calé dans le circuit
de la dynamo permet
de régler la vitesse
de la rotation de la roue et, par suite, le nombre des interrujttions à
la seconde.
On a reconnu que le rythme de 110 interruptions à la seconde
est celui avec lequel on produit le mieux le sommeil.
D'après M"'= L. Robinovitch, pour obtenir un sommeil électrique
tranquille, il faut se servir d'accumulateurs comme source électrique
pour le courant qui doit passer à travers l'animal, recourir à une
source distincte d'électricité pour actionner l'interrupteur. Il faut
appliquer la cathode à la tète et l'anode au train postérieur de l'animal.
On peut employer, pour obtenir le sommeil, la méthode brusque et
la méthode graduelle. Celte dernière est la seule à conseiller. Voici
comment le même auteur en décrit la technique et la marche.
« L'expérience étant disposée comme nous venons de l'indiquer,
la durée de la période réglée à 1/10, ainsi que la vitesse de rotation
de l'interrupteur (110 par seconde), elle réducteur de potentiel étant
à 0, la cathode appliquée sur la tète de l'animal et l'anode bifurquée
aux deux cuisses, on commence à déplacer la manette du réducteur
de potentiel.
«L'animal montre d'abord quelques signes de surprise; il dresse
les oreilles, puis il a l'air inquiet; l'intensité du courant continuant à
augmenter, il essaie de s'enfuir, mais il ne crie pas, et il ne semble
00. — Appareil poiialif d 'induction pour l'aradi-
sation des nerfs phréniques.
(1) D' Louise G. Robinovitch, Sommeil électrique. Thèse de Paris, 1906.
134 NOGUE. — ANESTHESIE.
pas souffrir. L'animal passe ensuite par une phase convulsive légère ;
sa nuque se raidit, il a des tremblements dans les pattes et dans la
l'ace, puis il tombe sur le flanc. Graduellement la raideur disparaît,
l'animal fait encore quelques efforts pour souleverlatête, qui retombe
aussitôt sur la table : il ferme les yeux et il parait endormi. Il est
tranquille, à peine quelques légers tremblements dans les pattes
antérieures, une légère trémulation dans les muscles de la face; la
respiration et les battements cardiaques continuent régulièrement.
Le voltmètre marque ordinairement alors de 5 à 0 volts et le
milliampèremètre 1 millinmpère. L'animal va rester dans cet état
aussi longtemps qu'on le voudra. »
Cette méthode d'anesthésie a été appliquée à l'homme en 1902, et le
sujet fut le P'" Leduc lui-même, qui a fait ainsi qu'il suit le récit de
cette mémorable expérience :
« Nous nous sommes soumis nous-même à l'inhibition cérébrale
électrique. Une grande électrode, formée de coton hydrophile
imprégné d'une solution de chlorure de sodium et d'une lame
métallique, était placée sur le front et serrée autour de la tète ; cette
électrode constituait la cathode ; une très grande électrode faite de
la même manière était fixée sur les reins par une bande élastique.
Le courant passant cent fois par seconde pendant un dixième de pé-
riode est établi graduellement. La sensation produite par l'excitation
des nerfs superficiels, tout en étant désagréable, est facilement sup-
portable: elle se calme avec le temps, comme la sensation produite
avec un courantcontinu et, après avoir passé un maximum, diminue
malgré l'augmentation de la force électro-motrice. La face est rouge ;
il se produit des contractions légères des muscles du visage, du cou
et même de l'avant-bras, et quelques trémulations fibrillaires ; puis
on sent un fourmillement à l'extrémité des doigts et dans les mains ;
ce fourmillement s'étend aux orteils et auxpieds; l'inhibition atteint
d'iabord les centres du langage ; puis les centres moteurs sont complè-
tement inhibés ; le sujet est dans l'impossibilité de réagir aux excita-
tions même les plus douloureuses ; il ne peut plus communiquer avec
les expérimentateurs.
« Les membres, sans être dans une résolution complète, ne pré-
sentent aucune raideur; il se produit quelques gémissements ne
correspondante aucune impression, mais semblant causés par l'exci-
tation des muscles du larynx.
« Dans nosexpériences, le pouls resta absolument inaltéré, la respi-
ration fut un peu gênée. Lorsque le courant était au maximum, nous
entendions encore comme dans un rêve ce qui se disait autour de nous :
nous avions conscience de notre impuissanceà nous mouvoir et à com-
muniquer avec nos collègues: nous sentions les contacts, les pince-
ments, les piqûres de l'avant-bras, mais les sensations étaient émous-
sées.couimecelles d'un membre profondémentengourdi. L'impression
SOMMEIL ÉLECTRIQUL:. 135
la plus pénible est de suivre la dissociation et la disparition successive
des facultés. Cette impression est identique à celle d'un cauchemar
<lans lequel, en présence d'un immense danger, on sent que l'on ne
peutniproféierun cri, ni accomplir un mouvement. Cependant nous
avons toujours pensé suffisamment pour regretter que nos collègues
ne poussassent pas plus loin le courant pour achever l'inhibition.
Après une première expérience, nous recommençâmes pour aller
plus loin: cette fois encore, nos collègues, croyant l'inhibition
complète, arrêtèrentavant l'anéantissementabsolu de la conscience et
l'entière suppression de la sensibilité.
« La force électromotrice fut élevée à 35 volts, l'intensité dans le
circuit interrompu à 4 milliampères. Dans les deux séances consé-
i'utives, nous restâmes vingt minutes sous l'influence du courant.
Le réveil fut instantané ; l'effet consécutif ne fut qu'une sensation de
mieux être. •>
Le sommeil électrique chez les animaux a pu être prolongé pendant
huit heures vingt.
Les caractéristiques du sommeil électrique sont les suivantes : les
pupilles sont contractées, le rythme respiratoire est à peu près
normal ; la pression artérielle est augmentée. Les réflexes cutanés
semblent exagéré (L. Robinovitch).
Tuffier et Jardy ont appliqué le sommeil électrique à la chirur-
gie expérimentale. Leurs conclusions méritent d'être citées : « On
sait combien dangeureuse est l'anesthésie opératoire chez le chien :
la mortalité est élevée, excepté parla méthode de Dastre et Morat. Il
est donc intéressant de démontrer que le sommeil électrique donne,
avec une mortalité nulle et une sécurité parfaite, une anesthésie
absolue longtemps prolongée. Sur une série de sept animaux ayant
subi plusieurs anelshésies et même l'un d'eux plusieurs inter-
ventions, tous ayant subi des opérations graves, qui produisent
généralement un choc notable, tous ont eu un réveil instantané,
se sont levés, ont pu marcher et même courir cinq minutes
après l'opération. Il semble donc acquis que l'électricité peut,
sous forme de courant Leduc, être un anesthésique de premier
ordre (1) et, nous ajouterons, nullement dangereux. Dans nos deux
dernières expériences, nous avons, à dessein, fait tenir la manette du
réducteur de potentiel par une main inexpérimentée, et cependant
l'anesthésie a été parfaite. Il y a en effet une marge très considérable
entre le sommeil et la mort : dès que le courant, plus exactement
l'intensité, devient trop élevé, des contractions généralisées appa-
raissent, puis la respiration s'arrête, le cœur demeurant normal; il
suffit alors de ramener de quelques spirales en arrière la manette
du réducteur pour rétablir immédiatement le rythme respiratoire
(1) D""* Tuffier et Jardy, Les applications du sommeil électrique à la chirurgie
expérimentale [Presse méd.).
136 NOGUÉ. — ANESTHI'SIE.
normal. L'apnée ne peut être que le fait d'une inaltenlion de Tanes-
Ihésisteet ne durera quautant qu'elle. Pour arrêter le cœur, il faudrait
pousser l'intensité infiniment plus haut. Dans nos expériences, nous
avons atteint 14 milliampères sans amener l'inhibition cardiaque :
c'est le triple de l'intensité qui détermine le sommeil. Une surveil-
lance même un peu distraite permet donc d'opérer sans crainte.
Nous avons appliqué deux fois seulement le sommeil électrique
en chirurgie; nous avons suivi exactement les précautions indiquées
par le P'" Leduc, et nous avons pu observer les phénomènes qu'il
a si bien décrits dans son auto-observation. Les sensations
accusées par le malade avant le sommeil sont très analogues à celles
que produit le chloroforme; elles nous ont même paru plus désa-
gréables et peut-être plus longues. Il nous semble que les dispo-
sitifs actuels doivent être modifiés ou aidés par un anesthésique autre,
la morphine ou le chloral, par exemple.
ACCIDENTS DE LA NARCOSE. 137
XIV. - ACCIDENTS DE LA NARCOSE.
Même entre les mains des hommes les plus expérimentés, les anes-
thésiques généraux peuvent déterminer des accidents graves, souvent
mortels. On ne saurait sans erreur mettre ces accidents sur le compte
des impuretés des agents employés. « Il y a, dit M. Dastre, une
tendance très générale des chirurgiens à accuser Timpurelé du
chloroforme de tous les méfaits de Tanesthésie. C'est là une opinion
commode peut-être, puisqu'elle exonère l'opérateur d'une partie de
sa responsabilité, mais en tout cas très exagérée et abusive, car le
chloroforme le plus pur est encore capable de produire tous les
accidents que l'on attribue à ses impuretés. La suspicion du
chirurgien relativement aux altérations du chloroforme a une
conséquence favorable, c'est de l'amener à n'employer qu'un produit
pur. Mais, au point de vue de la théorie, ce serait un préjugé fâcheux
de croire que les accidents sont causés plus souvent parles impuretés
queparl'agentlui-même. » Et cesjudicieuses observations sont vraies
pour tous les anesthésiques.
Accidents pulmonaires. — Les accidents les plus graves de
l'anesthésie sont les accidents du côté du poumon et du côté du
cœur.
La syncope pulmonaire parésique ou adynamique est un phénomène
ordinairement tardif dans la narcose. Elle est annoncée par une dila-
tation brusque de la pupille avec absence du réflexe rétinien. Elle
entraîne l'asphyxie, La respiration devient lente, paresseuse, superfi-
cielle, sans déplacement apparent des côtes, puis tout à coup, sans
autre manifestation extérieure, elle se suspend détinitiveraent; c'est
y apnée toxique de Dastre.
A cette forme d'arrêt de la respiration qui survient dans le cours
de la narcose, il faut ajouter une autre forme également redoutable,
c'est la syncope respiratoire convulsive ou primitive, encore appelée
laryngo-réftexe. Elle se produit tout à fait au début. « On vient de
placer le chloroforme devant la bouche et les narines du patient, il
fait une ou deux respirations qui le suffoquent, se raidit dans une
secousse convulsive, étend ses bras pour repousser la compresse et
tombe foudroyé. La démonstration du mécanisme de cetaccident aété
fournie par Paul Bert. Cet arrêt respiratoire foudroyant est dû à
l'excitation, réfléchie sur le bulbe, des nerfs sensitifs (trijumeau,
laryngé) des premières voies aériennes, par l'agent anesthésique.
L'accident ne se produit plus lorsque, sur un animal trachéotomisé,
on fait pénétrer les vapeurs anesthésiques dans la trachée au-dessous
du larynx. On peut imputer à cet arrêt laryngo-réflexe quelques-uns
des cas de mort observés par les chirurgiens au début des inhalations.
Il constitue un des dangers les plus redoutables de la méthode d'anes-
138 NOGUE. — ANESTHESIE.
thésiepar sidération, c'est-à-dire par mélanges concentrés. // ne pré-
sente Jamais avec les mélanges à titre moyen » (R. Dubois).
Dastre admet une troisième forme de syncope respiratoire, qu'il
nomme syncope automatique et qui serait due à une excitation bul-
baire par ragent toxique: elle peut survenir lentement ou au contraire
brusquement par un spasme tétanique de la glotte.
Ces trois formes de syncope sont dites syncopes blanches parce
<iue, au point de vue clinique, elles sont caractérisées par la pâleur de
la face.
Les syncopes rouges ou congestiues, caractérisées au contraire par
la rougeur de la face, sont dues à des obstacles mécaniques tels que
introduction du sang dans la trachée, spasme de la glotte, chute de
la base de la langue. Ils s'accompagnent d'agitation, de cyanose de
la face.
Accidents cardiaques. — Les accidents cardiaques déterminés
par les anesthésiques sont les plus redoutables en ce qu'ils se pro-
duisent brusquement et qu'ils sont généralement irrémédiables.
Raph. Dubois classe les syncopes cardiaques primitives en trois
groupes :
1° Syncope cardiaque psychique ou d'origine cérébrale. — Elle
peut être due à la peur seule, à l'émotion déterminée par une douleur
vive. Vulpian a cité plusieurs cas où ces causes pouvaient être incri-
minées :
a. L'histoire du malade de Desault, qui mourut au moment même
où ce chirurgien indiquait avec son doigt la place où devrait porter
le bistouri ;
b. Celle de Simpson, qui, la première fois qu'il voulut employer
le chloroforme pour le substituer à l'éther, eut son flacon renversé et
brisé : force lui fut de faire l'opération sans le secours d'un anes-
thésique;àla première incision, lemaladepâlitetmourutsubitement;
c. Celle du malade de Verneuil : la mort survint sans chloroforme
alors que le chirurgien écartait les lèvres dune incision faite pour
ouvrir un abcès du cou :
d. Celle de Cazeneu ve (de Bordeaux), qui, devant amputer un malade,
lui mit sous le nez une compresse sur laquelle on n'avait rien versé :
le malade mourut de syncope.
Ce sont là des observations classiques, et Ion pourrait en citer bien
d'autres. Dans le domaine de l'expérimentation, on voit des faits
analogues, et Vulpian a vu ses animaux succomber à une syncope
subite avant qu'on les ait opérés, pendant qu'on les attachait par
<'xemple.
2o Syncope cardiaque réflexe. — Un réflexe sensitif violent peut
déterminer l'arrêt brusque du cœur : c'est ce qui se produit dans le
cas d'excitation decertains nerfs sensitifs, tels que ceux de la région
abdominale ou anale dans le cours d'une anesthésie incomplète.
ACCIDENTS DE I.A NARCOSl'. 139
3" Syncope cardiaque par action mécanique due à un changement
subit dans l'état statique du corps. — Une autre forme de syncope
cardiaque est celle (]ui siirvieiil brusquement dans le cours de Tanes-
thésie par action directe du chloroforme sur le bulbe. La mort peut
«'gaiement survenir dans toutes les narcoses accompagnant les
«grandes opérations par alï'aiblissement général des fonctions. C'est la
forme adynamique de Perrin.
On a vu enfin survenir des accidents tout à fait imprévus, dont le
mécanisme reste encore obscur.
Certains auteurs, entre autres Paltauf, Kundrat, ont signalé un rap-
port fréquent entre Thyperplasie du thymus et du système lymphatique
•en général et la mort par les anesthésiques. D'après Laqueur, un gon-
flement notable des follicules de la base de la langue indiquerait
l'existence d'un thymus hypertrophié et commanderait lapins grande
prudence.
Les anesthésiques généraux peuvent déterminer des accidents
tardifs parfois graves et même mortels. L'éther peut déterminer des
inflammations de voies respiratoires, des troubles fonctionnels des
reins. lien est de même du chloroforme qu'on accuse de provoquer
dans certains cas la dégénérescence graisseuse du cœur, du foie et
•des reins, se manifestant par des vomissements répétés, des accidents
circulatoires et du collapsus.
Pendant le cours de la narcose, il est bon de surveiller constamment
l'apparition des signes précurseurs des accidents. Raph. Dubois
les indique ainsi :
Le pouls s'arrête en général brusquement; parfois cependant l'arrêt
<iu pouls est précédé de modifications dans son rythme : tremble-
ments, intermittences.
Si la face pâlit ou si le sang s'accumule dans les veines, il y a
menace de syncope. Si le sang cesse subitement de couler à la surface
d'une plaie, la syncope cardiaque est déjà produite.
La syncope respiratoire s'annonce par une dilatation brusque de la
pupille avec absence du réflexe pupillaire. La pâleur de la face avec
respiration superficielle est aussi un indice d'apnée toxique et de
danger de mort immédiate.
L'accélération de la respiration, quand celle-ci est en même temps
irrégulière, intermittente, stertoreuse, indique des troubles du côté
du bulbe.
La suspension de la respiration par raideur des muscles n'est
inquiétante qu'accompagnée de lividité et d'intermittences du pouls.
La respiration convulsive indique l'obstacle à l'entrée de l'air du
côté des cordes vocales.
La respiration stertoreuse ou ronflante peut parfois être inqui('-
lante.
Le bruit laryngo-stertoreux est produit par les vibrations des replis
IkO NOGUE. — ANESTHESIE.
aryléno-épiglottiques : il précède souvent rocclusion totale de la
glotte.
Dans les mouvements illusoires de la poitrine ou respiration bé-
gayante, il y a encore des mouvements de la cage thoracique et du
diaphragme, et l'on peut croire que la respiration continue alors
qu'elle est arrêtée. Ce phénomène tient au défaut de coordination des
muscles expirateurs et inspirateurs et non à un obstacle laryngo-
trachéen, car il se produit chez les animaux trachéotomisés : c'est
un symptôme inquiétant auquel il faut de suite remédier.
Traitement des accidents de la narcose. — Syncope respira-
toire. — Quand cet accident se produit, il faut immf'diatcment faire
l'inversion totale du malade, c'est-à-dire le placer dans la position
déclive, la tète pendante, à un niveau inférieur à celui du bassin et
pratiquer la respiration artificielle.
Plusieurs méthodes peuvent être employées.
Procédé de Sylvester. — Le procédé de Sylvester est le plus simple.
La langue étant maintenue hors de la bouche par une pince, le chirur-
gien, se plaçant derrière le malade, lui saisit les avant-bras au-dessous
du coude et les tire en haut jusqu'au-dessus de la tête. Les bras ainsi
maintenus pendant deux secondes déterminent le mouvement d'ins-
piration du thorax. Les bras sont ensuite ramenés doucement en bas
et serrés contre la poitrine pendant deux secondes, le gauche venant
empiéter vers la ligne médiane au niveau du cœur. On détermine ainsi
un mouvement d'expiration. 11 faut répéter les mouvements quinze
fois par minute et continuer les manœuvres pendant plusieurs heures.
Tractions rythmées de la langue. — Cette méthode, préconisée
par Laborde, rend de grands services et ne doit pas être négligée.
Les tractions agissent en excitant le centre respiratoire par irritation
du glosso-pharyngien ou du laryngé supérieur.
Insufflation pulmonaire. — Laborde a également conseillé l'insuf-
llalion à l'aide d'un masque spécial et d'un soufflet. Le masque
s'applique hermétiquement sur la face et est muni d'un tube aplati
qu'on peut enfoncer jusqu'au niveau de l'ouverture supérieure de la
glotte, en cas d'occlusion de l'isthme du gosier par la langue gonflée
et rétractée. Le soufflet est muni d'un système de graduation qui
permet de n'insuffler que la quantité normale d'air.
Massage direct du coeur. — Ce procédé a été imaginé par Maas-
Kônig : la main appuyée à plat sur la région du cœur produit des
secousses rythmiques deux fois plus rapides environ que les bat-
tements du pouls. Le pouls réapparaît bientôt, et le sang, se remet-
tant à circuler, excite le centre respiratoire. Cette méthode, au dire
de Koblanck, serait des plus efficace.
Faradisation des nerfs phrénioues. — D'après Perrin la faradisation
des nerfs pliréniques présente le grand avantage de mettre en action
le diaphragme et de fournir une respiration aussi profonde et aussi
ACCIDENTS DE LA NARCOSE. 141
complète (jue possible. On se sert pour cela d'un appareil d'induction
portatif ou du chariot de Dubois-Reymond. On place un des pôles de
l'appareil vers le milieu du bord externe du muscle sterno-mastoïdien
et l'autre à la base du thorax. A intervalles réguliers, quinze à dix-
huitfois par minute, on interrompt le courant. Vulpian conseillait de
pratiquer ainsi la faradisalion dans le cas de syncope respiratoire
seule, le cœur continuant à battre. Appliquer l'un des pôles sur la
face ou le cou, l'autre à la partie supérieure de l'abdomen ; les
courants induits provoquent une inspiration ; on les suspend, la
poitrine revient à la position expiralrice ; on les fait passer de
nouveau, ce qui détermine une nouvelle inspiration et ainsi de suite.
Frictions sèches. — Dans tous les accidents respiratoires, il
faudra toujours ramener la circulation cutanée par des frictions
énergique.^, des enveloppements dans des couvertures chaudes, etc.
Attouchements nu larynx. — Escalier, utilisant la sensibilité
spéciale de la partie supérieure du larynx, conseille de pratiquer
avec l'index profondément enfoncé dans la gorge des attouchements
du larynx : cette irritation réagit sur les centres nerveux et réveille
ainsi par action réflexe les mouvements respiratoires.
Trachéotomie. — C'est un moyen extrême qui permet de faire
l'insufflation directe de l'air dans la trachée. L'incision faite, on
introduit dans la trachée une canule à soupape
latérale, qui permet à l'air de s'échapper au dehors.
On pourrait, à défaut de cette canule, employer une
sonde. François-Franck, qui a vu des malades C
sauvés par cette méthode, conseille vivement l'emploi
de cette canule, dont la partie EFGH est intro-
duite dans la trachée. A la partie ABCD on adapte
un tube en caoutchouc résistant relié à un simple
soufflet à pédale de petite capacité, de 1 décimètre
cube. La partie DJFG, grâce au soulèvement de la
soupape, permet à l'air expiré de sortir (fig. 61).
Insufflation de bouche a bouche. — C'est un j^^,^g à soupape
moyen insuffisant auquel il ne faut recourir qu'à pour irachéoto-
défaut de tout instrument permettant une insufflation ""*^'
plus abondante et plus puissante.
Inhalations d'oxygène. — Il est bon, en pratiquant la respiration
artificielle, de faire inhaler au patient de l'oxygène contenu dans des
ballons de caoutchouc ou comprimé dans des récipients d'acier.
Inhalations de nitrite d'amyle. — Burrall a vivement préconisé,
pour combattre les accidents de lachloroformisation, les inhalations
de nitrite d'amyle, à la dose de IV à V gouttes sur une compresse.
Le nitrite d'amyle agirait comme vaso-dilatateur et combattrait
ainsi très efficacement 1 anémie cérébrale.
Syncope cardiaque. — Dès que le poulsfaiblitet que les mouvements
E
3
F J
142 NOGUE. — ANESTHESIE.
du cœur menacent de s'arrêter, on peut appliquer sur la région
précordiale le marteau de Mayor (marteau trempé dans Teau
bouillante!.
On pourra également appliquer une bande d'Esmarch sur un des
membres inférieurs.
Transfusions sous-clta.nées ol intraveineuses. — De nombreux
auteurs ont recommandé les injections sous-cutanées de solution de
sel marin. Kocher leur préfère la transfusion intraveineuse massive
(2 litres) de solution chloruro-sodique normale.
Injections sous-cutanées d'éther et de caféine, — A la moindre
menace du côté du cœur, on n'hésitera pas à pratiquer des injections-
sous-cutanées d'éther et de caféine, qui pourraient être plusieurs fois
renouvelées dans le cours de la journée.
CHOIX DES ANESTHÉSIQUES GÉNÉRAUX EN STOMATOLOGIE. 14;i
XV. - CHOIX DES ANESTHÉSIQUES GÉNÉRAUX
EN STOMATOLOGIE.
S'il est une branche de la médecine où la question de l'emploi des
anesllîésiques se pose quotidiennement, c'est bien la stomatologie.
La sensibilité extrême du système dentaire, sensibilité que l'état
pathologique exaspère encore, l'appréhension insurmontable des
patients, légilimenl souvent la narcose. Mais, contrairement à la
pratique des Américains et des Anglais, nous pensons que, sauf pour
les grandes interventions et pour certains cas particuliers, l'anes-
thésie locale doit être en stomatologie la règle, l'anesthésie générale
l'exceplion.
Quand celle-ci cependant est indiquée, le premier devoir du
médecin est de choisir, parmi les anesthésiques, celui qui fait courir
le moins de dangers, ensuite d'administrer cet anesthésique selon les
règles établies.
Pour être fixé sur les dangers d'un anesthésique, les statistiques,
quoi qu'on en puisse dire, sont encore les documents les plus sûrs,
puisqu'elles sont le reflet de l'expérience clinique. Les résultats
qu'elles nous fournissent sont d'ailleurs en parfait accord avec les
données de la physiologie.
La statistique du P*" E. Andrew, établie en 1880, nous fait connaître
la mortalité observée sur 200 893 anesthésies :
Élher 1 cas de mort dans 23 204 administrât.
Chloroforme 1 — 2 723 —
Mél. d'éther et de chloroforme. . . 1 — 5 588 —
Bichlorure de méthylène J — 75 000
Protoxyde d'azote G — 75 000 —
Celle de Roger Williams, concernant l'hôpital Saint-Bartholomew
de Londres, montre que de 1878 à 1887, sur 26949 anesthésies, on a
noté :
14 581 anesthésies à l'éther avec 3 cas de mort.
12 368 anesthésies au chloroforme avec 10 décès.
par conséquent 1 décès pour 4 860 narcoses à l'éther et 1 décès pour
1 236 narcoses au chloroforme.
Celle de Gurlt, établie de 1890 à 1895, nous donne :
Chloroforme 201 224 narcoses avec 88 cas de mort.
Éther 42 141 — 7 décès.
soit 1 cas de mort sur 2286 narcoses au chloroforme et 1 cas de
mort sur 6620 narcoses à l'éther.
144 NOGUE. — ANESTHÉSIE.
Enfin la plus récente statistique faite aux États-Unis en 1900
indique :
Ether 1 cas de mort sur 16 675 narcoses.
Chloroforme 1 — 3 789 —
Parmi les autres anesthésiques employés en chirurgie dentaire, il
faut citer le bromure d'éthyle. Nous ne possédons pas de statistique
précise sur cetagent, mais nous pouvons affirmer que, parmi les laryn-
gologistes, qui l'emploient couramment, les cas de morts survenus
ont été très nombreux. Déjà, en 1892. Gubler et Labbé en signalaient
2 cas; en Amérique, Gleich en publiait 3 cas; Kœhler, 1 cas; Suarez,
1 cas, et Guinard, en 1902, 1 autre cas. Depuis cette époque, les acci-
dents mortels se sont multipliés, et à Paris seulement, dans ces der-
nières années, on en a compté plusieurs autres.
Le chlorure d'éthyle, plus récemment préconisé, possède déjà un
passif très chargé. En 1906, le D"" T.-D. Luke lui attribue 17 cas de
mort, dont il indique soigneusement la source. Comme le dit cet
éminent anesthésiste, « étant donnée la jeunesse du chlorure d'éthyle,
cette liste n'est-elle pas formidable et de nature à faire réfléchir sur
l'emploi de cet agent. L'idée que le chlorure d'éthyle est une sorte de
protoxyde d'azote glorifié que l'on peut emporter dans la poche de son
habit semble assez prédominante, et le caractère hautement toxique
de cette substance n'est pas suffisamment reconnu « ! Peut-être
y a-t-ii cependant ici quelque exagération, et Maurice Nicloux
lui accorde une innocuité au moins égale à celle du protoxyde
d'azote.
Celui-ci, en effet, est de tous les anesthésiques généraux celui qui
fait courir le moins de dangers. En 1887. Colton, celui-là même qui
avait anesthésié Horace Wells, avait fait sans un seul accident
155000 narcoses; Thomas (de Philadelphie), 144000. D'après Horatio
Wood, il se pratiquerait chaque année aux États-Unis 750 000 anes-
thésiesproto-azotées. Enfin Beltrami (de Marseille), qui a récemment
repris l'étude de cet agent dans une excellente thèse, n'a relevé que
12 cas de mort dans le monde entier depuis la découverte de l'anes-
thésie, et, si l'on dépouille soigneusement les observations, ces
12 casse réduiraient même à 6. Or ce chiffre s'applique à 10000000 de
narcoses. Si l'on veut bien se rappeler que cet agent a été pendant
très longtemps administré à l'état impur et par des mains inexpéri-
mentées, on conviendra qu'il est bien de tous les anesthésiques géné-
raux le moins dangereux. Aujourd'hui, le protoxyde d'azote esl
devenu transportable grâce à la liquéfaction et fourni au médecin
par le chimiste à l'état de pureté parfaite. De plus il est possible de
l'administrer avec de l'oxygène, ce qui diminue considérablement
les risques d'asphyxie.
Nous pouvons donc, d'après les données de la clinique aussi bien
CHOIX DES ANESTHÉSIQUES GÉNÉRAUX EN STOMATOLOGIE. 145
que d'après les recherches de laboratoire, classer les aneslhésiques
généraux selon les dangers auxquels ils exposent dans l'ordre
suivant :
Chloroforme ;
Mélanj^e d'éther et de chloroforme;
Éther ;
Bromure d'éthyle;
Chlorure d'éthyle ;
Protoxyde d'azote.
Ces divers agents n'ont pas les mêmes indications. D'une façon
générale, on peut dire que les trois premiers sont réservés aux opéra-
tions de longue durée et les trois autres aux interventions courtes de
petite chirurgie.
En chirurgie dentaire, les anesthésiques de longue durée ne seront
qu'exceptionnellement indiqués : dans les grandes interventions sur
les maxillaires, le voile du palais et les accidents de la dent de sagesse
accompagnés de trismus. Iln'existeaucune raison sérieuse de recourir
à ces agents, qui sont précisément les plus toxiques, quand il s'agit
d'une opération de courte durée.
Récemment survenait en Angleterre un cas de mort chez une
femme de cinquante et un ans : le médecin avait administré d'abord
le protoxyde d'azote, ensuite l'éther et enfin quelques bouffées de
chloroforme ; tout cela pour une opération dentaire : la malade suc-
comba à une syncope cardiaque après l'extraction de cinq à six dents.
Vraiment, soumettre ainsi de gaité de cœur une femme de cet âge
à tous les risques de trois anesthésiques successifs, pour une opéra-
tion aussi banale, nous semble aller contre les règles de la plus
élémentaire prudence. Il était ici indiqué plutôt de ne faire appel
qu'au protoxyde, quitte, si cela eut été nécessaire, à recommencer la
narcose deux ou trois fois de suite. Cette conduite eut fait courir à la
malade le minimum de risques, tandis que la méthode employée était
de toutes la plus dangereuse.
Le premier devoir de l'opérateur est donc de faire un choix judicieux
de l'agent anesthésique. Aux opérations longues et difficiles, l'éther
et le chloroforme; aux opérations courtes, les autres anesthésiques.
Voilà donc une première sélection faite.
S'agit-il d'une opération de la première catégorie ? Nous avons le
choix entre deux agents également utilisables. Mais pouvons-nous les
employer indifféremment l'un ou l'autre? Non. L'expérience, en effet,
nous démontre que l'un d'eux fait courir au patient moins de risques
que l'autre : c'est donc le moins dangereux que nous devons choisir.
En l'occurrence, c'est l'éther. Certes, l'éther est moins agréable à res-
pirer, il déterminera plus de nausées et de vomissements; il est d'une
administration plus difficile. Mais toutes ces considérations secon-
daires doivent céder le pas à ce fait brutal : il est moins dangereux.
Le chloroforme, en effet, malgré son maniement plus facile et tous
Traité de stomatologie. VI. — iU
146 NOGUE. — ANESTHÉSIE.
ses autresavantages, sera réservé à des cas exceptionnels, tant à cause
de son action spéciale sur le cœur que des risques d'une syncope
initiale laryngo-réflexe. Encore sera-t-il prudent, dans ces cas excep-
tionnels, de l'administrer avec des appareils permettant un mélange
en proportions réglables avec Toxygène et l'air.
S'agit-il, au contraire, d'une opération de courte durée ? Nous avons
les anesthésiques du second groupe : bromure d'éthyle, chlorure
d'éthyle et protoxyde d'azote ; ce sont les trois seuls agents utilisa-
bles pour nous.
Nous ne parlons pas des anesthésiques désignés sous des noms de
fantaisie et qui sont des mélanges en proportions plus ou moins
heureuses des divers agents liquides. Ce sont là des préparations qui
participent aux avantages et aux inconvénients de chacun des agents
entrant dans leur composition. Elles ne sauraient offrir de garanties
supérieures. Au contraire, nous pensons que l'opérateur aura tout
avantage à recourir à des anesthésiques sans mélange, dont il con-
naîtra exactement les effets et dont il pourra, par conséquent, mieux
apprécier les indications et mieux surveiller laction physiologique.
Dans ce second groupe, nous éliminons le bromure d'éthyle, qui est
le plus dangereux des trois et qui peut d'ailleurs être, dans tous les
cas, remplacé par le chlorure d'éthyle. Restent donc ce dernier
agent et le protoxyde d'azote. Le chlorure d'éthyle est d'une adminis-
tration infiniment plus aisée, puisque, à défaut d'un appareil spécial il
peut être administré avec une simple compresse. Il procure une
anesthésie d'une durée légèrement plus longue que le protoxyde
d'azote. Mais, pour lui comme pour le chloroforme, nous dirons que
tous ces avantages doivent disparaître devant ce fait brutal que, des
deux, c'est lui le plus dangereux. Évidemment le protoxyde d'azote
nécessite un appareil un peu volumineux, d'un maniement qui peut
paraître compliqué. Mais c'est de tous les anesthésiques connus celui
qui nous offre la plus grande sécurité, même administré pur, sécurité
augmentée encore par l'adjonction d'oxygène. N'oublions jamais que
des centaines de mille narcoses ont été faites avec lui sans le moindre
incident. Devant ces considérations d'ordre supérieur, que devraient
peser les convenances personnelles? Offrant le minimum de risques,
c'est donc à lui qu'il faudrait toujours avoir recours dans les opérations
de courte durée. Et cela est tellement admis dans certains pays que
nos confrères d'Angleterre et d'Amérique n'hésitent pas à préférer,
même pour de simples extractions dentaires banales, l'anesthésie
protoazotée à la simple anesthésie locale par la cocaïne ou ses suc-
cédanés: ce faisant, ils croient de très bonne foi faire courir à leurs
patients des dangers infiniment moindres.
Et cette opinion n'est pas seulement celle des dentistes. Le
D'' Dudley Buxton, un des plus éminents anesthésistes de Londres,
n'hésite pas à laisser les dentistes user librement du protoxyde
CHOIX DES ANKSTHÉSIQUES GÉNÉRAUX EN STOMATOLOGIE. 147
d'azote, decrainle quecetleinterdiclion ne les pousseàutiliserd'autres
agents tels que la cocaïne, qu'il juge plus dangereuse. Mais, pour
comparer des choses vraiment comparables entre elles, constatons,
que les charlatans qui inondent nos rues de leur réclame n'emploient,
malgré les noms mirifiques dont ils le couvrent, d'autre anesthé-
sique général que le protoxyde d'azote. C'est qu'ils savent bien,
malgré l'opinion si répandue parmi les médecins, qu'avec le protoxyde
d'azote eux et leurs patients courent le minimum de danger !
Nul doute que le choix judicieux de l'anesthésique n'épargne au
praticien bien des mécomptes. Malheureusement, malgré les précau-
tions les plus minutieuses, malgré l'administration la plus habile
du moins dangereux des anesthésiques, un accident peut toujours
arriver. C'est qu'à côté des causes connues, affections du myocarde,
des valvules, lésions graves des poumons, des reins, hypertrophie
du thymus, combien de facteurs dont l'influence nous échappe ! Et
c'est précisément cette lacune dans nos connaissances qui nous défend
de donner à aucun des anesthésiques connus l'épithèle d'inoffensif.
Nous savons qu'avec le meilleur il peut exister quelque risque, et la
possibilité de ce risque, si minime soit-il, doit toujours être présente
à notre esprit. Et cela doit nous inciter à redoubler de précautions,
à toujours considérer la narcose comme une chose grave par les
multiples et difficiles problèmes qu'elle soulève, par la respon-
sabilité énorme qu'elle fait peser sur nous et dont jamais trop de
savoir et de conscience ne saurait légitimer l'application. Avec
sir Francis Cruise, nous dirons que, dans cette importante question,
le médecin doit savoir s'inspirer toujours du vieil adage : Salus
popuji suprema lex.
148 NOGUE. — ANESTHESIE.
XVI. -ANESTHÉSIE LOCALE.
Tandis que, dans l'anesthésie générale, l'agent arrive au contact des
centres nerveux et les annihile, dans l'anesthésie locale, c'est sur un
territoire limité que l'agent porte son action, la conscience et l'intelli-
gence restant intactes. Les dangers inhérents à la narcose devaient
fatalement pousser les chirurgiens à multiplier les applications de
l'anesthésie localisée. Aussi de grands progrès ont-ils été accomplis
dans cette voie, au point même que cette méthode, dans certaines
branches de la chirurgie, est devenue la règle. L'anesthésie rachi-
dienne, qui n'est qu'une extension du même procédé est venue aussi
élargir son domaine.
Il est probable que ses progrès ne s'arrêteront pas là et, s'il est
actuellement chimérique d'espérer se passer delà narcose, nul doute
qu'on y aura plus rarement recours, à moins qu'on n'arrive à la
rendre complètement inoffensive.
En ce qui concerne la stomatologie, l'anesthésie locale est d'une
nécessité quotidienne, et nous devons nous efforcer d'étendre encore
ses applications pour le plus grand bien de nos patients.
Dans ce domaine spécial, elle a fait dans ces dernières années des
progrès considérables qui permettent de fonder sur son avenir les
plus belles espérances. Aussi donnerons-nous à cette étude la plus
grande extension et n'hésiterons-nous pas à décrire parfois des
procédés techniques appliqués sur d'autres régions que les maxillaires
ou les dents, mais qui, par comparaison, peuvent nous rendre les
plus grands services, et dont la connaissance, par conséquent, nous
paraît utile et même nécessaire.
Méthodes pour obtenir l'anesthésie locale. — Il existe de
nombreux moyens pour obtenir l'anesthésie localisée, moyens aussi
intéressants en eux-mêmes les uns que les autres, mais d'une impor-
tance pratique bien différente. Si l'on envisage la question à ce der-
nier point de vue, on peut dire que deux grandes méthodes do-
minent toutes les autres : l'anesthésie locale par réfrigération et
l'anesthésie locale par injection dans les tissus de l'agent anesthé-
sique. A cette dernière méthode se rattache l'anesthésie rachidienne.
D'autres procédés : application de narcotiques, compressions diverses,
applications de l'électricité, nous arrêteront également, bien qu'ils
n'aient en réalité pournous qu'une utilité bien restreinte.
ANESTHÉSIE PAR RÉFRIGÉRATION. 149
. —ANESTHÉSIE PAR UÉFRIGÉRATION.
L'action du froid comme aneslhésique local avait été
reconnue par Larrey etHunter, sans cependant qu'il en résultât des
applications pratiques. Ce fut un chirurgien anglais, James Arnott
(de Brighton), qui le premier appliqua systématiquement la glace
dans les opérations. Venu en France, il poursuivit ses expériences
avec Velpeau et, grâce à des mélanges réfrigérants de glace et de sel
marin, il obtint une anesthésie remarquable. C'est ainsi que Ad. Ri-
chard réussit la désarticulation de deux doigts après les avoir réfrigérés
et rendus localement insensibles. Ce dernier ajoutait à la glace et au
sel marin un cinquième de chlorhydrate d'ammoniaque. Il avait
obtenu ainsi un abaissement de température de 1G° au-dessous de 0,
maintenu pendant sept minutes sans aucun inconvénient.
D'après Perrin, la réfrigération ainsi produite ne détermine aucun
accident sur les tissus, au point que, chez un malade atteint d'ongle
incarné, le mélange réfrigérant ayant été laissé trop longtemps en
place, l'orteil était complètement gelé, glacé, terne et sonore; l'opé-
ration n'amena pas une goutte de sang ; mais, au bout de dix minutes
environ, l'écoulement se fit, avec une sensation de brûlure, et il n'y
eut aucun accident consécutif. Il faut, pour que la réfrigération ait
toute son activité, que le mélange soit aussi intime que possible : pour
cela, il fautpiler la glaceet ajouter peu à peu le sel, en continuante
piler ; le tissu qui sert d'enveloppe doit être poreux et non impermé-
able, afin de favoriser l'écoulement de l'eau, qui, si elle ne pouvait
s'échapper, élèverait rapidement la température.
On conçoit que cette méthode ne puisse être applicable dans toutes
les régions du corps. Telle par exemple la région buccale. Plusieurs
chirurgiens cependant ont essayé de l'utiliser pour l'extraction des
dents, mais la nécessité de maintenir un certain temps la glace dans la
bouche constituait une très grande difficulté. Rottenstein avait fait
construire un tube dont une des extrémités, découpée de façon à
s'appliquer facilement sur la bouche et les alvéoles, était remplie
de glace repoussée, au fur et à mesure qu'elle fondait, par un ressort
à boudin. Mais cet instrument ne donna pas les résultats espérés.
On eut alors recours à des réfrigérents d'un maniement plus facile.
Simpson et Nunneley cherchèrent à anesthésier avec l'éther les points
à opérer, mais l'application simple de l'éther ne donna que des
résultats médiocres jusqu'au jour où Richet père eut l'idée d'activer
l'évaporation de l'éther à l'aide d'instruments spéciaux.
Éthérisation localisée. — Richet laissait tomber goutte à goutte
l'éther sur la partie à opérer, tandis qu'un aide activait l'évaporation
au moyen d'un soufflet ordinaire.
Guérard imagina un appareil permettant de projeter directement
l'éther sur la partie à anesthésier et d'en provoquer l'évaporation
4 50 NOGUÉ. — ANESÏHÉSIE.
rapide. C'était une petite seringue mobile, à long bec, munie d'un
robinet. Cette seringue, remplie d'éther, se plaçait sur un support
portant un ressort à boudin, sur lequel venait s'appuyer la tète du
piston de la seringue. Dès qu'on ouvrait le robinet, le ressort à
boudin poussait le piston, et l'éther était projeté sur la peau : à cet
appareil était adapté un soufflet ordinaire, que l'on faisait marcher
en même temps. Les résultats obtenus furent satisfaisants.
Mais la vulgarisation de l'éther comme anesthésique local date de
l'appareil de Richardson. Cet appareil se compose d'un flacon conte-
nant l'éther, muni d'une tubulure fermée par un bouchon à travers
lequel passe un système tubulé destiné à produire la pulvérisation.
Ce système se compose de deux tubes métalliques d'inégale longueur,
d'inégal diamètre et placés l'un dans l'autre, sans juxtaposition. Leur
extrémité supérieure, située à 2 centimètres l'une de l'autre, est
effilée: par son extrémité inférieure, l'un des deux tubes, celui qui a
le plus petit diamètre, plonge dans l'éther; l'autre, qui lui sert de
manchon, n'atteint pas la surface du liquide. Le courant d'air est
fourni et entretenu d'une façon continue par deux poires en caout-
chouc, reliées entre elles par un tube de communication : l'une des
poires, munie d'une soupape, fait l'office de soufflet, l'autre de réser-
voir à air. Cette dernière est en communication médiate avec le
flacon.
Pour faire fonctionner l'appareil, on met en mouvement la poire à
soupape avec la main : l'air est ainsi projeté d'abord dans la seconde
poire, puis dans le flacon, dont la pression augmente. Cet excès de
pression fait monter le liquide dans la partie supérieure du petit tube,
en môme temps qu'il établit un courant de dedans en dehors à
travers l'espace ménagé entre les deux tubes. Il résulte de cette
disposition ingénieuse que le liquide anesthésique, au fur et à mesure
qu'il s'écoule par l'orifice supérieur du tube interne, est enveloppé
par un courant d'air et divisé à l'infini. L'air comprimé dans la seconde
poire transforme la force de projection intermittente en une force de
projection continue. On conçoit aisément que l'activité du soufflet
peut être variée au gré de l'opérateur (Jamain).
Mathieu a modifié heureusement l'appareil de Richardson. Le
système d'envoi et de régulation de l'air est le même. Le flacon est
renversé de manière à favoriser la sortie de l'éther, qui s'échappe
tout naturellement et qui est saisi par le courant d'air et divisé à
l'infini.
L'éther ainsi projeté sur la peau amène rapidement l'insensibilité
de la surface; l'anesthésie atteint peu à peu les tissus sous-jacents.
La sensation éprouvée au début et pendant la projection varie natu-
rellement suivant les parties sur lesquelles elle agit.
Au lieu d'employer l'éther pur, on a conseillé divers mélanges.
Richardson lui-même avait proposé la formule suivante :
ANESTHÉSIE PAR RÉFRIGÉRATION. 151
Étlier sulfurique 75 grammes.
Acide phonique 05'^,30
Dobish a recommandé le mélange suivant :
Chloroforme 10 gramme s.
Éther sulfurique 15 —
Menthol 1 —
Schleich :
Elhcr sulfurique 100 grammes.
Essence de pétrole 25 —
Cette méthode est applicable en stomatologie. Cependant on peut
lui faire un reproche grave : celui de nécessiter un temps trop long
pour anesthésier les tissus, surtout les tissus humides de la bouche.
Elle a, en réalité, cédé le pas à des méthodes similaires, mais dans
lesquelles l'éther est remplacé par des liquides plus volatils.
Citons encore pour mémoire le procédé de Leclerc, qui consiste à
refroidir le pulvérisateur à éther dans un mélange réfrigérant et à
ne pratiquer la pulvérisation qu'après quinze minutes de refroidisse-
ment.
Celui de von Lesser faitagir rétherindireclement : Téther, manié
à l'aide d'un appareil de Richardson, sert à refroidir des plaques
métalliques d'un métal bon conducteur ; ces plaques, qui affectent
des formes diverses selon la région où on veut les appliquer, sont mises
ensuite en contact avec cette région.
Pulvérisation de chlorure d'éthyle. — Rotteinstein, dès 1866,
avait proposé à la Société allemande de médecine de Paris l'emploi
d'un mélange de chlorure d'éthyle et d'éther pur en pulvérisation pour
obtenir l'anesthésie locale. Cependant l'usage du chlorure d'éthyle ne
se répandit que beaucoup plus tard.
Comme on le sait, le chlorure d'éthyle, chloréthyle, ou éther éthyl-
chlorhydrique, est un liquide incolore d'un goût sucré, entrant en
ébullition à -|- 10°, soit 25° plus bas que l'éther ordinaire. La
chaleur de la main suffît donc pour provoquer son évaporation rapide
sans le secours d'un pulvérisateur quelconque.
On le trouve dans le commerce sous forme d'ampoules en verre
munies d'une fermeture avis métallique ou d'une fermeture automa-
tique à ressort.
L'abaissement de température produit parl'évaporation du chlorure
d'éthyle peut atteindre — 39°. C'est un corps inflammable avec
lequel il est impossible de faire usage du thermo ou de l'éleclro-
cautère.
La surface sur laquelle le jet de chlorure d'éthyle est projeté
devient rose, puis rouge intense, et enfin blanche et parcheminée.
Cette réfrigération ne s'obtient qu'assez lentement. Elle n'est n
douloureuse, ni désagréable.
152 rsOGUE. — AXESTHESIE.
Pulvérisation de chlorure de méthyle. — Le chlorure de
méthyle, éther méthylchlorhydrique ou formine monochloré, est
un gaz incolore qui se liquéfie sous une pression de 6 atmosphères
ou une température de — 36°. Il bout à — 23°, 7. Aussi est-il nécessaire
de le conserver dans des récipients métalliques à parois épaisses pour
le maintenir à l'état liquide. Ce récipient est recouvert extérieure-
ment d'une enveloppe de cuir et muni d'une vis qui permet la pro-
jection du jet fin.
L'évaporation de chlorure de méthyle est très rapide et détermine
une réfrigération pouvant atteindre — 55° ou — 60°. Aussi est-il
nécessaire de ne pas prolonger l'action de ce liquide sur les tissus,
si l'on veut éviter des accidents de sphacèle.
C'est précisément la crainte de ces accidents qui fit imaginer par
le D"" Bailly le procédé du stypage.
Stypage. — C'est une méthode de réfrigération locale basée sur
l'évaporation rapide de chlorure de méthyle emmagasiné, à l'état
liquide, dans un corps spongieux.
Il faut disposer pour cela des instruments suivants :
a. Une source de chlorure de méthyle ;
b. Des tampons spongieux, récepteurs du liquide frigorifère;
c. Des pinces isolantes [stypes) destinées au maniement des
tampons :
d. Du thermo-isolateur d'Arsonval et Bailly.
La source de chlorure méthyle est généralement un siphon métal-
lique à parois épaisses : on peut également se servir du thermo-
isolateur, qui permet de conserverie chlorure de méthyle liquide
à l'air libre pendant plusieurs heures ; cet appareil est composé
d'un récipient transparent formé de deux tubes concentriques en
verre, dans l'intervalle desquels a été fait le vide sec. Le tube
intérieur sert à recevoir le chlorure de méthyle, qui se trouve isolé
de la chaleur extérieure par le vide sec.
Les tampons sont formés d'ouate au centre, de bourre de soie à
la périphérie, l'ensemble étant recouvert de gaze de soie : ils sont
de formes et de dimensions diverses. L'imprégnation des gros
tampons se fait ])ar le jet direct du chlorure de méthyle ; les petits
se plongent dans le liquide du thermo-isolateur.
Les stypes étaient des instruments porte-tampons de formes
diverses, à manche d'ébonite.
Le tampon bien imbibé de chlorure de méthyle est promené sur
les parties à anesthésier : la peau devient blanche, puis insensible.
On peut ainsi doser pour ainsi dire avec un peu d'habitude le refroi-
dissement.
Lebrun a utilisé le procédé pour l'anesthésie dentaire en se
servant d'un double stype imaginé par Martin. C'est un stype à
deux branches, réunies par une charnière, pour pouvoir anesthésier
ANESTHÉSIE PAR RÉFRIGÉRATION. 153
à la fois les deux côtés de la dent : il faut, de plus, que les tampons
soient enveloppés dans une feuille de gutta-percha très mince
pour éviter Tadhérence du coton à la muqueuse.
Voici comment on agit après avoir pris les précautions suivantes,
qu'il faut toujours observer dans le slypage : 1° ne jamais se servir
d'un tampon humide ; 2° l'imprégner de chlorure de méthyle
proportionnellement à l'étendue du stypage ; 3" essuyer, étancher,
dessécher la surface qui va être stypée.
On recueille donc dans le thermo-isolateur une petite quantité de
chlorure de méthyle ; on y plonge un des tampons pendant un
certain temps, de façon à bien l'imprégner de la substance anesthé-
sique, puis on le retire et on le remplace immédiatement pendant
quelques secondes par le second tampon. On découvre ensuite
rapidement les deux tampons de gutta-percha laminée, et, saisissant
la dent au niveau de son collet, entre les deux tampons, on serre
fortement les branches de la pince et on la maintient dessus jusqu'au
moment où se produit, au lieu d'application, une tache blanche
parcheminée. Si, quand on enlève la pince, on s'aperçoit que l'on
n'est pas parvenu à produire le parcheminement, on replace
pendant quelques secondes l'appareil. L'anesthésie est très rapide-
ment complète (1).
Galippe a préconisé une autre méthode qui consiste à verser
dans un verre ou dans le thermo-isolateur un mélange de chlorure
de méthyle et d'éther. On trempe dans le liquide des tampons
d'ouate entourés de bourre de soie, et on les applique sur la gencive
pendant deux à cinq minutes.
Galippe n'a que très rarement observé la mortification de la
muqueuse, et, quand elle s'est produite, elle était absolument super-
ficielle et semblable à celle que détermine une simple application
d'iode.
Pulvérisation de bromure d'éthyle. — Le bromure d'éthyle a
été également employé pour produire la réfrigération des tissus.
C'est un corps volatil qui fond à 41°. Terrillon le premier utilisa ses
propriétés, et Dominique Tourreil, dans sa thèse, en précisa les
applications.
On l'emploie à l'aide du pulvérisateur de Richardson. Il présente
sur l'éther et le chlorure d'éthyle un certain nombre d'avantages,
entre autres celui de n'être pas inflammable.
Mélanges de chlorure de méthyle et de chlorure d'éthyle
(coryl, anesthyle). — Chacun des corps précédents présentait, au
point de vue de ses applications dans la pratique, de grands incon-
vénients. C'est ainsi que le chlorure de méthyle est difficile à mani-
puler, qu'il risque de déterminer la formation d'escarres, tandis
(1) Journ. de méd. et de chir. pratiques, 10 avril 1892.
1Ô4 NOGUÉ. — ANESTHÉSIE.
que le chlorure d'éthyle, par la lenteur de son évaporalion, ne donne
qu'une réfrigération légère et tardive. Il était à présumer que le
mélange judicieux de ces deux corps donnerait un produit
réunissant les qualités de chacun d'eux, en réduisant au minimum
leurs inconvénients respectifs. De là la création de mélanges
divers auxquels les fabricants ont donné des noms fantaisistes, dont
les plus connus sont le coryl et l'anesthyle.
Le coryl est un liquide d'une odeur agréable, dont le point
d'ébullition est voisin de 0°. 11 est maintenu liquide dans des
réservoirs métalliques sous une pression qui, à la température
ordinaire, atteint environ 3 atmosphères. Il est inflammable.
On emploie le coryl à l'aide d'un appareil spécial muni d'ajutages
de formes variées permettant de projeter le jet sur les diverses
parties de la bouche. Un réservoir de 500 à 1000 grammes permet
de remplir l'appareil de pulvérisation quand sa provision est
épuisée. La réfrigération est obtenue très rapidement en quinze
secondes environ.
L'anesthyle, combiné par le D"" Bengué, est un mélange de
chlorure d'éthyle et de chlorure de méthyle dans la proportion de
] p. 5. Comme le coryl, l'anesthyle est renfermé dans des réservoirs
métalliques munis d'ajutages divers, qui en font un appareil très pra-
tique. Il détermine une anesthésie rapide et sans danger pour les
tissus.
D'autres mélanges du même genre sont utilisés à l'étranger sous
les noms d'anesthol, de météthyle, etc. Ils ne constituent ni
une invention nouvelle, ni un progrès réel.
Technique opératoire. — Qu'il s'agisse de chlorure d'éthyle ou
d'un des mélanges sus-mentionnés, la manière d'agir est sensible'
ment la même. Elle présente, en ce qui concerne son application à
l'art dentaire, certaines difficultés.
Il faut d'abord s'assurer qu'il n'existe pas dans la région où doit
porter le jet de liquide réfrigérant une dent atteinte de carie. Ce
jet, en etfet, venant frapper une pulpe à découvert ou une dentine
sensible, provoque une douleur aiguë, d'où mouvement de réaction
violent de la part du patient et impossibilité de mener l'opération
à bonne fin. Il sera prudent, dans ces cas, de protéger la dent malade
avec un peu de paraffine ou de coton hydrophile.
Indiquer ensuite au patient ce qui va se passer, afin que l'arrivée
brusque de ce jet de liquide ne le surprenne pas et ne l'effraye pas.
Sécher alors soigneusement toute la région et maintenir de
chaque côté de la dent un tampon d'ouate ydrophile à l'aide des
deux doigts de la main gauche.
Projeter à ce moment le jet directement sur la gencive. Il est
cependant une précaution à prendre : c'est d'éviter de projeter ce
jet sur les yeux ou sur la face du patient. Le mieux, pour cela, c'est de
am:stiiésie hau rhkrigéhation. 155
projeter d'abord ce jet sur sa pi'oprc main, afin de bien se rendre
compte de sa direction exacte. On le porte alors très aisément sur
le point choisi de la gencive. Il est nécessaire de maintenir l'orifice
du pulvérisateur à une certaine distance, que seule l'expérience
permettra d'apprécier. Si cet orifice est trop près, le liquide s'écoule
sur la gencive en excès sans aucun avantage ; s'il est trop éloigné,
la pulvérisation se fait, mais en avant des tissus. Il faut que cette
pulvérisation se fasse sur les I issus mêmes. Au bout de quelques
secondes, la gencive blanchit en un point très limité. On promène
alors le jet tout autour de ce point jusqu'à ce que la tache blanche
s'étende autour de la dent. Il est bon de prolonger encore la
pulvérisation pour obtenir une réfrigération suffisante.
D'autres corps ont été employés encore pour obtenir la réfrigé-
ration.
Citons, parmi eux, l'acide carbonique, sous ses trois formes :
liquide, solide et gazeuse, et le sulfure de carbone.
Acide carbonique liquide. — On l'utilise en appliquant sur les
tissus des récipients métalliques de formes diverses contenant
l'acide carbonique liquide. Le premier phénomène observé est
une anémie du tissu accompagnée d'une légère sensation de brû-
lure et bientôt suivie d'une anesthésie qui dure une à deux mi-
nutes.
L'acide carbonique solide est obtenu par la pulvérisation d'un
jet d'acide liquide dans une boîte métallique ou dans un petit sac
de laine. Il se forme bientôt un amas neigeux, qu'on met dans un
moule métallique, où on le comprime avec un marteau. En prome-
nant le cône d'acide carbonique sur le tissu, on obtient une anes-
thésie très marquée.
Cette action anesthésique du froid sur les tissus est très réelle et
peut rendre dans la pratique de grands services. En stomatologie, on
l'utilisera surtout pour l'ouverture des abcès gingivaux, quand la
fluctuation est très nette, c'est-à-dire quand les tissus à inciser ont
une très faible épaisseur. On pourra l'appliquer en outre à l'extrac-
tion des dents de lait chez les enfants, où elle procure une
anesthésie suffisante, et encore quand il s'agira chez l'adulte
d'extraire des racines très accessibles et peu solidement implantées.
Enfin on peut également appliquer la réfrigération comme adjuvant
de l'anesthésie par injection. Mais on ne saurait compter obtenir
une analgésie parfaite quand il s'agira d'extraire une dent solidement
adhérente au maxillaire. C'est que la réfrigération n'agit que super-
ficiellement et ne saurait de ce fait constituer une méthode appli-
cable à la majorité des cas.
On peut se demander si l'action de la vapeur anesthésique sur
les extrémités nerveuses est une action chimique, anesthésique ou
bien une action réfrigérante. La question, dit Ch. Richet, n'est
156 NOGUE. — ANESÏHESIE.
pas facile à résoudre (1). « On admet, en général, que Tévaporation de
rétheragit surtout par le froid produit. Mais je pencherais à croire
qu'on fait trop bon marché de l'action locale de la vapeur d'éther. La
peau, même parfaitement intacte, absorbe les gaz et les vapeurs des
liquides volatils. C'est une démonstration qui a été faite bien des
fois par les physiologistes. Il suffit d'avoir manié de Téther pour
que les mains en conservent encore l'odeur pendant quelque temps,
de sorte que nous pouvons regarder non seulement comme possible,
mais même comme nécessaire, le pénétration d'une certaine
quantité d'éther à travers la peau. Ainsi les nerfs de la peau étant
en contact avec l'éther sont anesthésiés par une sorte d'inhibition
locale, sans que les centres nerveux aient reçu l'atteinte d'une
quantité de poison suffisante pour anéantir leur activité. Dans les
expériences préliminaires qu'il faisait avec l'éther, mon père avait
remarqué que, si l'on fait la compression circulaire du doigt (de
manière à empêcher la circulation d'enlever l'éther dont la peau est
imbibée et qui s'est probablement combiné aux cellules nerveuses
du derme), l'anesthésie survient plus facilement. Il est d'ailleurs
vraisemblable que le froid, en ralentissant énormément la circulation,
et presque en l'abolissant, a pour effet de ne pas permettre au sang
d'enlever l'éther qui a pénétré dans le derme. Par conséquent, le
froid agit non seulement en tant que froid, mais encore comme
agent retardateur de la circulation : ce qui favorise l'imbibition par
le derme. Il est probable que tous les liquides volatils à basse tem-
pérature, ainsi que tous les gaz projetés sur la peau à l'état liquide,
agissant par réfrigération, d'une part et, d'autre pari, parimbibition
du derme, sont capables, quels qu'ils soient, de produire l'anesthésie
locale. « Le même auteur ajoute : « En physiologie, on a aussi utilisé
la réfrigération, et cela non seulement par pulvérisation locale de
telle ou telle partie du corps, comme dans la pratique chirurgicale,
mais encore en agissant directement sur les centres nerveux.
R. Dubois a anesthésié des tortues et des grenouilles, spécialement
des vipères, en refroidissant l'encéphale au moyen d'un jet d'éther. »
Quoique nous nous soyons toujours servi du mot anesthésié pour
ces phénomènes, le mot analgésie serait évidemment plus exact. Il
semble que la sensibilité tactile à la pression ne puisse dispa-
raître que très tardivement, tandis que l'algesthésie disparaît
assez vite. Encore faut-il distinguer dans la sensibilité tactile deux
phases: une première, qui est la //ne.sse du toucher — celle-ci disparaît
tout de suite — et une autre qui donne une vague notion du toucher
— celle-ci disparaît lentement. La sensibilité à la douleur disparaît
après la finesse du tact, mais longtemps avant que toute sensibilité
à la pression ait disparu. On rapprochera ces faits de ceux qui ont
(1) Gh. Richet, Dictionnaire de physiologie : Anesthésié et Aneslhàsiques.
ANESTHESIE PAR REFRIGERATION. 157
été observrs d'abord par Longel (1847), puis par beaucoup de
physiologistes, sur les effets des substances anesthésiques directe-
ment appliquées sur les tissus nerveux. La sensibilité et la molilité
ne sont pas atteintes en même temps. Surtout on a bien constaté que
l'excitabilité d'un nerf périt avant la conductibilité. Autrement dit,
un nerf empoisonné localement peut encore conduire l'excitation,
alors que, si cette excitation est portée directement sur le point
empoisonné, elle n'a plus aucun effet excitateur.
Sulfure de carbone. — Ce corps a été utilisé comme anesthé-
sique local par Delcominète (de Nancy). Il agirait comme réfri-
gérant, et, toutes choses égales d'ailleurs, il produirait, d'après Perrin,
un abaissement de température plus considérable que l'éther. L'é-
vaporation rapide du sulfure de carbone produit une cuisson assez
vive avant de déterminer l'anesthésie. Au lieu de provoquer l'anémie
des tissus, c'est un état congestif qu'il provoque. On peut l'utiliser
en pulvérisation, en se servant de l'appareil de Richardson.
158 NOGUE. — ANESTIIESIE.
II. — AAESTHÉSIE PAR COMPRESSION ET DIVERS
AGENTS.
Anestliésie par compression. — Les anciens chirurgiens
avaient parfaitement observé que la compression était capable de
produire l'anesthésie locale. Nul doute même qu'ils ne missent
couramment ce procédé en pratique, dénués qu'ils étaient de mé-
thodes plus parfaites. Ils pratiquaient la compression circulaire de
la totalité d'un membre et aussi la compression directe des troncs
nerveux. C'est ainsi qu'en 1781 James Moore avait préconisé l'emploi
d'un compresseur de la cuisse capable de faire sentir son action à
la fois sur le nerf sciatique et sur le nerf crural.
Mais la compression directe des troncs nerveux profonds est difficile
à réaliser et ne saurait constituer une méthode efficace d'anesthésie.
Seule la compression des filets nerveux superficiels pourrait donner
des résultats appréciables. C'est ainsi que les bijoutiers utilisent cette
méthode quand ils veulent percer le lobule de l'oreille et les chirur-
giens quand ils veulent pratiquer une piqûre hypodermique ou une
incision des téguments.
La compression agit en supprimant l'irrigation sanguine dans les
tissus. La démonstration expérimentale de ce fait a été donnée par
Maurel et Abelous. Découvrant l'aorte abdominale d'un lapin, ils
l'isolent et la compriment de manière à arrêter sûrement toute circu-
lation dans le train postérieur. Or quelques minutes suffisent pour
voiries membres inférieurs perdre leur sensibilité et leurs muscles
tomber en résolution. Cependant, même lorsque cette résolution est
complète, l'excitation électrique prouve que les muscles ont conservé
leur contractilité et les filets nerveux leur double conductibilité.
Qu'on supprime ensuite la compression, et on voit revenir la contrac-
tilité d'abord et plus tard la sensibilité : l'irrigation sanguine est
donc indispensable aux fonctions des divers éléments histologiques.
Dans cette irrigation, les terminaisons nerveuses sensitives perdent
leur sensibilité, les fibres musculaires, leur contractilité, etc. De
tous les éléments histologiques, ce sont les terminaisons sensitives
qui souffrent les premières de la suppression de cette irrigation. Dans
ces expériences, la circulation avait été supprimée d'une manière
complète, aussi bien dans les capillaires que dans les gros vaisseaux,
A l'aide d'injections de poudre de lycopode dans des artères, ces
auteurs ont réussi à supprimer la circulation dans les capillaires : ils
ont vu que, sous l'influence de cette suppression partielle de la circu-
lation, les téguments perdent leur sensibilité et les muscles entrent
en résolution.
Pratiquement, d'ailleurs, on voit la ligature d'un doigt amener
rapidement l'anesthésie de la région sous-jacente, dans laquelle la
circulation se trouve de ce fait entravée.
ANESTHÉSIE PAR COMPRESSION. 159
Au point de vue stomalologique, il est difficile d'appli(juer la com-
pression aux nerl's des mâchoires. Nous avons cependant tenté la
chose à l'aide de pinces spéciales à cran, dont les mors recouverts
de caoutchouc penuettaiont d'opérer une pression progressive sur
les tissus. Les résultats n'ont pas été encourageants par suite de la
douleur très vive déterminée par la pression des mors.
Ancsthésie locale par les narcotiques. — Ce procédé d'anes-
thésie locale, encore appelé narcolisation, consiste à appliquer sur les
muqueuses de la peau un narcotique, tel que la belladone ou
l'opium, en vue de suspendre la sensibilité.
Malheureusement, ces substances ne jouissent que d'une action
anesthésique locale très faible. En outre, la peau les absorbe diffici-
lement, protégée qu'elle est par la couche cornée de son épiderme. Il
faudra donc, pour activer l'absorption, enlever cette couche cornée.
Pour cela, on a préconisé l'emploi du vésicatoire : dans la phlyclène,
onintroduitle narcotique, le mettant ainsi directement en contact avec
la surface plus absorbante du derme. Cette méthode endermique n'a
donné dans la pratique aucun résultat appréciable d'anesthésie locale.
On a eu recours sans plus de succès à l'application sur la peau de
pommades contenant la belladone ou l'opium.
Quant aux muqueuses, leur pouvoir absorbant est infiniment plus
considérable ; quand on applique sur elles un médicament actif, son
action sur l'organisme ne tarde pas à se faire sentir. Si l'opium et la
belladone ne donnent dans ce cas aucun résultat c'est que leur action,
anesthésique locale est extrêmement faible.
Aussi faut-il renoncer d'une façon générale à l'anesthésie locale
par les narcotiques. En stomatologie surtout, ils ne nous rendront
aucun service, et noas avons pour les remplacer comme anesthé-
siques locaux des médicaments autrement actifs.
Ancsthésie par l'acide phénique. — L'acide phénique en
solution concentrée (85 p. 100, par exemple) jouit de propriétés
anesthésiques très nettes. Malheureusement il est en même temps
très caustique, et ne doit être manié qu'avec une grande prudence.
Bell, Squibb, Andrew H.Smith l'ont préconisé comme anesthésique
local. Si l'on badigeonne la peau à l'aide d'un pinceau imbibé d'acide
phénique, il se produit une sensation très nette de brûlure. Les tégu-
ments blanchissent, se plissent et deviennent insensibles.
Cette action est surtout très nette sur les muqueuses. L'anesthésie
est parfaite, mais très superficielle. Cette propriété de l'acide phénique
est fréquemment utilisée en stomatologie. Mais on associe générale-
ment à l'acide phénique d'autres substances, qui, tout en jouissant de
propriétés également anesthésiques, diminuent sa causticité. Tels
sont la cocaïne, le menthol, le chloral ou le camphre.
Mais toutes les préparations contenant l'acide phénique en solu-
tion concentrée doivent être utilisées sur des surfaces très restreintes
160 >OGUE. — ANESTHESIE.
et appliquées très légèrement. Malgré toutes les précautions prises,
il n'est pas rare de voir une couche plus ou moins profonde et plus ou
moins étendue d'épiderme se sphacéler.
Anesthésîe locale par l'acide carbonique g-azeux. —
Le gaz acide carbonique a été très anciennement utilisé comme
anesthésique local. Percival Pott s'en était servi dès 1772 pour cal-
mer les douleurs des ulcérations cancéreuses. Ingenhouz et Beddoes
reconnurent en 1784 son action sédative très nette sur la peau. Follin,
vers 1860, reprit cette étude et préconisa ce gaz en douches vaginales
comme calmant.
Son action sur la peau est très peu marquée. Brown-Sequard
a réussi à rendre insensibles les muqueuses de la gorge et du
larynx sous l'action d'un jet d'acide carbonique. Gellé a, par le
même moyen, calmé les violentes douleurs de l'otalgie.
Fordos a eu l'idée d'ajouter à l'acide carbonique les vapeurs du
chloroforme pour renforcer son action anesthésique.
Acide carbonique en solution sous pression. — On a égale-
ment cherché à utiliser l'acide carbonique en solution sous pression,
et on s'est servi pour cela des siphons d'eau de Seltz artificielle.
En projetant à 10 centimètres de distance le contenu de deux à
trois siphons d'eau de Seltz sur une région limitée de la peau, on a
obtenu une anesthésie qui persista pendant quatre à cinq minutes.
ANESTHÉSIE LOCALE PAR L'ÉLECTRICITl'. 161
III. — AAKSTIIKSIE LOCALE PAU L'ÉLECTRICITÉ.
Dos Icntalivcs furcnl lailos en Amérique pour obtenir l'anesLliésie
locale par le courant électrique dans l'extraction des dents. Le den-
tiste Francis faisait passer un courant galvanique à travers la dent
par l'intermédiaire du davier en communication avec le pôle négatif,
tandis que le pôle positif était tenu à la main par le patient. Cette
découverte suscita un grand enthousiasme à Philadelphie en 1858.
Une commission fut nommée et déclara la méthode dune efficacité
réelle. Malheureusement les expériences conduites d'une façon scien-
tifique furent loin d'être aussi concluantes. Ainsi, à Londres,
le président du Collège des dentistes, Matlheus, déclara que « le
galvanisme agit en produisant une diversion à la douleur, mais
non une véritable insensibilité w.Magitot.àsontour, àlasuile d'obser-
vations nombreuses dans les hôpitaux de Paris, termina ainsi son
rapport :
1" Les opérations chirurgicales et en particulier les extractions
dentaires sont susceptibles de causer des douleurs infiniment variées
d'intensité, suivant les sujets et les conditions opératoires;
2° Les opérations chirurgicales effectuées avec l'intervention du
courant électrique ont présenté les mêmes variations de douleurs
que dans les opérations ordinaires;
3° Toutefois le passage brusque du courant électrique a produit
chez certains sujets une impression si imprévue et si spéciale qu'elle
a pu servir de diversion à la douleur, d'ailleurs légère, d'une opéra-
tion rapide ;
4° En définitive, le courant électrique ne saurait être considéré
comme un agent anesthésique.
Richardson eut l'idée d'aider à la pénétration des médicaments
dans les tissus avec le courant électrique. C'est la méthode qu'il
appela narcotisme vollaiqiie. Il utilisait surtout les narcotiques ; le
mélange dont il se servait était le suivant :
Teinture d'aconit. 00 grammes.
Extrait d'aconit 1 gramme.
Chloroforme 12 grammes.
Le> expériences faites à l'école de médecine de Crosvenor Place
donnèrent des résultats concluants, tant chez l'homme que chez les
animaux : malheureusement l'anesthésie n'était obtenue qu'après
une heure. Cette action du courant fut d'ailleurs mise en doute par
le P'' Waller, qui déclara, à la suite de ses expériences, que
l'électricité ne jouait dans ces phénomènes aucun rôle et que les
effets observés devaient être attribués exclusivement à l'application
des médicaments narcotiques sur la peau.
Quand la coca'ine fut entrée dans la pratique, ces essais furent
Traité de stomatologie. VL — 11
162 NOGUÉ. — ANESTHESIE.
repris sous le nom de cataphorèse par Harries en 1890. Le procédé
est basé sur le c» transport « qui s'opère du pôle positif au pôle néga-
tif du courant continu. En formant l'électrode positif par un tampon
recouvert de flanelle bien imbibé de la solution de cocaïne à
10 p. 100, le passage du courant détermine l'absorption de la cocaïne.
Harries emploie un courant de 2.5 milliampères, qu'il maintient pen-
dant quarante minutes. Le courant passe pendant tout ce temps dans
le même sens sans mouvement.
Si la cataphorèse n'a pas donné en stomatologie des résultats bien
probants pour l'extraction des dents, elle a pu rendre quelques ser-
vices pour obtenir Tanesthésie de la dentine. Nous étudierons en
détail, dans un chapitre spécial, la technique de cette méthode.
En 1893, Oudin fit dans le service dentaire de la Charité, avec
Cruet, des expériences sur l'anesthésie par les courants de haute
fréquence . La dent à extraire et même une partie de la gencive étaient
coiflees dun tampon d'ouate hydrophile humide et comprimée
sous une plaque de caoutchouc en contact avec un des fils conduc-
teurs. L'autre électrode, terminé par un tampon d'ouate humide, était
appliqué sur la peau. On faisait passer le courant pendant cinq à
six minutes sans que le sujet ressentît la moindre impression.
« Vino-t-cinq opérations d'extraction furent ainsi faites en trois
séances. Mon ami le D"" Oudin interpréta, je crois, les résultats
obtenus un peu plus favorablement que moi. Ces résultats furent,
à mon sens, insuffisamment démonstratifs. L'appareil était d'ailleurs
bruyant, encombrant. Pour ma part, je ne continuai pas l'expé-
rience » (Cruet^.
Analgésie par V électricité . — Se basant sur les expériences
de dArsonval, qui à laide des courants de haute fréquence et
de haute intensité, avait obtenu l'anesthésie de la peau, Régnier
et H. Didsbury ont essayé d'appliquer cette méthode à la pratique
stomatologique.
L'appareil utilisé est celui du P"" d'Arsonval, construit par
Caifl'e. Il comprend essentiellement une bobine de 30 centimètres
d'étincelle avec interrupteur Contremoulin et condensateur à
pétrole, relié à un résonnateur Oudin.
L'électrode correspondant à la dent est constituée par un moulage
ens/e/i/de larégionàanesthésier. Ce moulage est revêtu, àl'intérieur,
de poudre métallique et d'une mince feuille d'étain. Pour absorber
la chaleur développée par le courant, cette feuille d'étain est encore
enduite d'une couche de pâte d'amiante humide. Le courant est alors
amené dans ce mbule. Un galvanomètre placé sur la partie du
circuit qui joint le résonnateur à lélcctrode indique, pendant toute
la durée de la séance, l'intensité du courant.
L'insuffisance de l'anesthésie dans ce procédé tient, dans la
plupart des cas. aux deux causes physiques suivantes : 1° insuffisance
ANESTHÉSIE LOCALE PAR L'ÉLECTRICITÉ. 16iî
tlu l'ontucl de réleclrode et de la dent (soiL parce que le moule n'est
pas bien appliqué, soit parce que le dégraissage de la gencive n'a pas
été suffisamment l'ail) ; 2° intensité trop faible du courant.
En outre, bien ipie le courant de haute fréquence, lorsqu'il est
convenablement réglé, n'éveille aucune sensation, il arrive parfois
que des personnes pusillanimes ou nerveuses, effrayées par l'aspect
de l'appareil et le bruit dé la décharge du condensateur, ne laissent
pas terminer l'application, et le résultat se trouve ainsi forcément
modifié.
Enfin il faut veiller soigneusement à ce que tous les conducteurs
soient bien montés, dans l'ordre voulu, sur les appareils, faute de
quoi le courant passe mal et ne produit pas l'effet attendu.
Afin d'éviter des dérivations préjudiciables au malade, il est
indispensable que celui-ci soit placé dans un siège entièrement
dépourvu de pièces métalliques.
Les résultats obtenus par Régnier et Didsbury sont ainsi indi-
qués par ces auteurs :
a. Les dents monoradiculaires, non atteintes de périostite, sont
enlevées avec l'indolence la plus absolue, après une application
électrique de trois à cinq minutes, avec une intensité de 150 à 200 mil-
liampères ;
b. Lesdentspolyradiculaires, non atteintes de périostite, exigentune
application un peu plus longue et une intensité de "200 à 250 milliam-
pères;
c. Les dents atteintes de périostite aiguë ou chronique sont beau-
coupplus rebelles à l'anesthésie. Sur ce point, de nouvelles recherches
sont nécessaires. Il y a lieu, notamment, de se demander s'il ne
faudrait pas en pareil cas ajouter à l'action électrique celle d'un autre
agent.
I6i ^OGL'E. — ANESÏHESIE.
IV. — AXESTHÉSIE LOCALE PAR INJECTION
DE LK>T IDES DANS LES TISSES
On peut dire que l'aneslliésie locale n'est vraiment entrée dans le
domaine chirurgical que du jour où les propriétés de la cocaïne
furent connues. Seule, la pénétration dans les tissus de la solution
cocainique réalisa Tarrèt de toute sensibilité. Aujourd'hui, d'autres
corps, dérivés de la cocaïne ou synthétiquement créés par la chimie,
partagent avec elle les propriétés anesthésiques. Mais la présence
dans le liquide injecté de substances vraiment anesthésiques n'est
pas indispensable. Avant la découverte même de la cocaïne, des
tentatives couronnées de succès avaient été faites pour réaliser la
suspension de la sensibilité par injection intratissulaire de liquides
absolumentneutres, comme l'eau par exemple. Postérieurement même
à celte découverte, d'autres recherches furent entreprises pour
déterminer la part respective dans cette suppression de la sensibilité
du médicament anesthésique et du véhicule lui-même. C'est ainsi
que furent appréciées les propriétés anesthésiques de leau distillée,
de l'eau alcoolisée, des solutions à basse température, etc.
ANESTHÉSIE LOCALE PAR INJECTION D'EAU
Burney Yeo et Griflilh furent les premiers à utiliser les injections
sous-cutanées d'eau pour obtenir l'anesthésie locale en 1858. Halstead
(de Baltimore) aurait, d'après Dawbarn, employé avec succès l'eau
comme anesthésique local jusqu'en 1885.
En France, à la suite d'une observation du P"" Potain, que l'injec-
tion sous-cutanée d'eau produisait la cessation de la douleur, on
utilisâtes injections comme méthode d'aneslhésieà maintes reprises.
Schleich arriva aux mêmes résultats à la suite de recherches
entreprises pour déterminer la limite d'extrême dilution à laquelle
une solution de cocaïne exerce encore ses effets analgésiants. Il fut
ainsi amené à se demander si l'injection dans les tissus dun liquide
indilférent ne produisait pas les mômes résultats. Des expériences
faites sur lui-même et sur deux de ses aides confirmèrent cette
hypothèse. L'injection d'eau dans l'épaisseur du derme déterminait
une anesthésie locale sur toute la région où cette injection produi-
sait de rœdème blanc. Schleich agissait ainsi : après désinfection
de la peau, il remplissait la seringue d'eau stérilisée et procédait
ensuite à l'injection. Mais cette injection était plus ou moins doulou-
reuse suivant la région où elle était faite et suivant la rapidité avec
laquelle on opérait. Ainsi une injection faite lentement à la face
externe de l'avant-bras était presque indolore, tandis que la même
injection faite à la face interne de ce même avant-bras était ordinai-
rement très douloureuse. Pour supprimer toute sensation de douleur.
ANESTHÉSIE LOCALE PAU LNJEGTION DANS LES TLSSUS. 1G5
il faul (Mîiployer concomilamnuMil avi'c linjeclion le spray d'éllier
(élliiM" suiruri(iue, i pai'lies ; essence tle pétrole, 1 i)ai'lie). i^eiidant
une demi-minute, on dirige le jet de vapeur sur la légion de la peau
que l'on veut aneslhésier, puis, tout en continuant la pulvérisation,
on enfonce l'aiguille parallèlement à la direction delà peau, et Ion a
soin de rester dans l'épaisseur du derme. On voit alors se produire
un œdème cutané et, au bout d'une demi-minute environ, la zone
occu|)ée par cet œdème est devenue tout à fait insensible; on peut
l'inciser sans la moindre douleur.
Malheureusement Schleich trouva que l'eau pure déterminait dans
la pratique, aussi bien pendant qu'après l'injection, des douleurs
trop grandes, et il abandonna cette mélhodepour sa méthode d'infil-
tration par une solution extrêmement étendue de cocaïne (1891),
méthode qui donne d'ailleurs entre les mains des chirurgiens
d'excellents résultats et que nous étudierons plus loin.
Les applications de l'eau stérilisée pour obtenir l'aneslhésie locale
ont été étudiées par le D'' Samuel G. Gant (1), spécialement dans
la chirurgie du rectum. 11 ne fait usage que d'eau stérilisée pure sans
adjonction d'aucune solution saline et l'emploie de préférence chaude.
Après avoir pincé fortement la peau entre le pouce et l'index pour
diminuer la douleur de la piqûre, l'aiguille est introduite dans les
couches de la peau, et un peu d'eau est lentement injectée. Elle doit
produire une petite distension localisée semblable à une ampoule.
En même temps qu'apparaît cette ampoule, l'anesthésie de la pea'u
sur\ient. On fait une nouvelle injection,et ainsi de suite, en ayant soin
de ne pas passer complèlement au travers de la peau. Quand la
seringue est vide, onla remplit de nouveau, et on injecte de l'eau
jusqu'à ce que la distension soit complète dans toute la région à
inciser. On fait alors des injections dans la région sous-dermique
rapidement, jusqu'à ce qu'une arête rigide, blanchâtre, de la grosseur
de l'index, se produise. Cela fait, on peut inciser la peau et le tissu
sous-culané sans douleur.
Anesthésie par injection dans les tissus de liquides à basse
température. — Le grand reproche qu'on peut faire à la méthode de
réfrigération, c'est, d'une façon générale, de ne donner qu'une anes-
thésie limitée à la surface des tissus et de déterminer parfois la forma-
lion d'escarres par mortification. Dans notre spécialité, elle est passible
en outre de quelques autres critiques. La réfrigération est souvent dou-
loureuse, surtout quand elle se fait sentir sur une pulpe à découvert ;
elle est souvent dune application difficile dans la bouche. Elle est en-
fin très incertaine dans ses effets et très limitée dans ses indications.
Etait-il possible de porter cette aciion du froid dans la profondeur
des tissus et d'en prolonger à volonté la durée? C'est par l'affirmative
(1) Samvel g. Gant, Stérile watcr aneslhesia in the office treatment of rectal
diseases. (A>;(-)'or/i ineJ. Journ., 23 jan\-., 1904).
166 NOGUE. — ANESTHESIE.
que répond le D^ Marc Lélang. en faisant connaître une nouvelle
méthode des plus originale, dont voici les grandes lignes.
Par un moyen quelconque, mélange réfrigérant, pulvérisation,
on refroidit au degré voulu un liquide convenable placé dans une
éprouvette. On remplit une seringue de Pravaz de ce liquide et on
l'injecte avec les précautions ordinaires dans la région à anesthésier.
Il se produit immédiatement une anestliésie complète, superficielle
ou profonde, qu'on peutprolongerà volonté enrenouvelantlinjection.
Pour cela on prépare un mélange réfrigérant composé de 8 parties
de sulfate de soude et de 5 parties d'acide chlorhydrique, qui
produit un abaissement de température de — 27°. Au milieu du
mélange, on place un tube à essai rempli d'eau salée, dans lequel
plonge une seringue de Pravaz remplie du même liquide et un
thermomètre qui indique les progrès constants du refroidissement.
Quand la température est descendue à environ 10", on retire la
seringue, dont le contenu est à une température voisine de 0»,
et on fait une injection d'un ou plusieurs centimètres cubes dans
la région à anesthésier. Le sujet n'éprouve aucune douleur autre que
celle de la piqûre de l'aiguille ; aucune induration ne se manifeste
au point injecté, et cependant l'anesthésie est complète et durable.
Des expériences nombreuses, faites sur les cobayes, Létang a pu
déduire des faits très instructifs auxquels, à notre avis, on n'a pas
donné l'attention qu'ils méritaient. C'est ainsi que, ayant étudié
l'action nocive produite parla constitution chimique des substances
et par l'action même du froid, il a trouvé qu'il y avait parfois un
véritable antagonisme entre ces deux effets. L'injection rapide,
par exemple, de 10 centimètres cubes d'eau pure à + 1° provoque
de très légères lésions dans les tissus : or ces lésions ne se produisent
pas si l'on ajoute à l'eau une goutte d'éther. Ici l'action mécanique
du froid a été neutralisée par l'action chimique de l'éther. Ainsi la
limite inférieure de la réfrii^ération inofïensive est variable selon la
nature du produit employé, ce qui fait que certaines substances sont
de ce fait à rechercher ou à éliminer.
Il résulte de ces expériences que toute injection d'eau distillée faite
à une température supérieure à 75° provoque des lésions de brûlure
graves dans les tissus, si bien que la recherche de la sensibilité est
impossible, la sensation de brûlure dépassant toutes les autres.
L'injection de la même substance entre des limites de température
variant de 40 à 75° provoque une vive douleur, et la sensibilité de la
région ainsi traitée est plus élevée qu'à l'état normal (action de
vaso-constriction jusqu'à 50». de vaso-dilatation au-dessus i.
Si Ion fait varier la température de l'injection entre 15 et 40°, on
constate une très légère diminution de la sensibilité autour du point
piqué, à la condition toutefois que le volume d'eau soit assez consi-
dérable; dans le cas contraire, il y aurait plutôt exagération de la
ANESTHESIE LOCALE PAR LXJECTION DANS LES TISSUS. 167
sensibilité. L'action aneslhcsique devient très appréciable quand la
température descend au-dessous de 10°. Elle se manifeste bien
nettement à + 1^'. Elle est à peu près complète à — 5°; elle devient
pratiquement absolue à — 10°. Cette étude a été faite avec une
substance incong-elable au-dessous de 0° et n'ayant presque pas
d'action propre par elle-même, comme la solution de sel marin.
Le diagramme de la figure 61 rend compte de ces résultais. Il in-
dique des elïets bien différents de ceux obtenus par desimpies varia-
Injecti,
alqL
e
\
Fort
N
léqt
)re
\
\
\
80°
lége.
70°
re
60'
50°
UO'
s^
20°
]0°
F"
"
20°
30°
proi
ionc
ie
r\
abs
oliie
\
\
Fig. 62. — Diagramme de Marc Létang-.
Les mots douleur, légère, forte ou aiguë, s'appliquent à la fois à la sensation
qne pi-oduit l'injection et à celle produite par l'excitation électrique.
Au contraire, les mots anesLhésie légère, prononcée, absolue, signifient unique-
ment perte de la sensibilité aux courants électriques d'induction.
lions de température agissant sur la peau ou les muqueuses. Bien que
ces recherches aient porté sur l'appréciation des diverses sensibilités
à l'excitation électrique, à celle de la chaleur ou du pincement, on n'a
figuré qu'un seul trait, représentant la courbe de la sensibilité aux
courants d'une bobine d'induction, l'anesthésie à cette excitation étant
la plus difficile à obtenir. La seule inspection de ce diagramme
montre que l'intensité des diverses anesthésies est sensiblement
proportionnelle à la quantité de chaleur soustraite à l'organisme.
Le choix du liquide injectable présentait quelques difficultés,
Létang avait d'abord adopté le mélange par parties égales d'eau et
de glycérine, comme remplissant toutes les conditions de facile
préparation, de facile emploi, d'innocuité très grande: mais, après de
nombreux essais, il dut le mettre, à cause de sa causticité trop grande,
au second rang et lui préférer la solution au tiers qui lui semble la
168 NOGUE. — ANESTHÉSIE.
meilleure: pour empêcher qu'elle ne se congèle vers 0°, il faut seulement
lui ajouter 2 p. 100 d'éther à 66". Quant à la solution deau dans
léther, elle a le défaut davoir une chaleur spécifique très faible et
d'avoir une action trop énergique sur lorganisrae pour qu'on puisse
l'employer à de fortes doses.
La formule suivante peut être recommandée :
Eau distillée bouillante 100 grammes.
Glycérine neutre pure 100 —
Éther à 66° 2 —
F. S. A, une solution pour injections interstitielles à — 10.
Cette solution se conserve bien et peut, du reste, être préparée
partout extemporanément et aseptiquement avec de l'eau bouillante.
Elle oxyde assez peu les aiguilles dacier pour que l'emploi des
aiguilles en'métal inoxydable ne soit pas indispensable. On peut sans
inconvénient faire avec elles jusqu'à dix injections de 10 centimètres
cubes chacune.
Pour réaliser dans la pratique cette réfrigération, Lélang avait
établi un appareil composé de deux parties :
1° L n pulvérisateur spécial à acide carbonique avec lequel on
obtenait en quelques secondes un froid intense;
2° Lne seringue à injections interstitielles de 4 centimètres cubes
munie d'un thermomètre.
Le pulvérisateur contenait 100 grammes dacide carbonique, dont
le jet. avant de s'échapper à l'air libre, passait dans une caisse en
bois renfermant la seringue, dispositif qui permettait de diminuer
notablement la dépense d'acide et de maintenir la basse température
atteinte pendant un temps très long.
Au lieu de se servir de cet appareil à acide carbonique, on peut
employer des ampoules de chlorure d'éthyle ; mais, dans ce cas, il
faut, pour obtenir la réfrigération, deux à trois minutes, et c'est à peine
si l'on peut faire descendre le thermomètre au-dessous de — 3», ce
qui est pratiquement insuffisant.
Anesthésie par injection d'eau alcoolisée. — Nous avons, pen-
dant longtemps, poursuivi des expériences danesthésie locale par
injections de solutions d'eau alcoolisée. Ces injections furent faites
dansla régiondes gencives. Les solutions employées étaient formées
d'eau stérilisée et d'alcool rectifié : 6ô et 45 p. 100 d'alcool.
La solution d'alcool à 65 p. 100, injectée dans lestissus gingivaux,
. déterminait au moment de la pénétration une douleur assez vive, qui
se prolongeait pendant quatre à cinq minutes pour disparaître
ensuite. L'aneslhésie était manifeste une ou deux minutes après
l'injection. Dans un grand nombre de cas, elle permit l'extraction
de dents très solidement implantées sans douleurappréciable. parfois
même avec une anesthésie absolue.
L'injection des solutions d'alcool à 45 p. 100 était infiniment
ANESTHÉSIE PAR INJECTION DANS LES TISSUS. 169
moins douloureuse et 1res bien suj)porl('C. MalluMircusement l'ancs-
thésie (|u'elle déterininail était peu marquée.
Sur lôO observations, nous n'eûmes à noter, ni intlammation des
tissus intéressés, ni accidents consécutifs. Quelques patients
accusèrent des douleurs post-opératoires assez vives.
S'ilcst impossible de compter sur Tinjeclion d'eau alcoolisée pour
obtenir une anesthésie locale suffisante dans la pratique, nul doute
que radjonclion de Talcool dans certaines solutions anesthésiques ne
puisse renforciM- Faction du médicament, en permettant ainsi l'emploi
de doses moindres.
ANESTHÉSIE PAR INJECTION DANS LES TISSUS
DE MÉDICAMENTS ANESTHÉSIQUES.
Nous avons vu que Tanesthésie locale pratique date de la décou-
verte du premier corps jouissant de propriétés anesthésiques, de la
cocaïne. Il ne s'agit donc plus ici irinjection de substances neutres
sans action sur l'organisme autre que l'action locale, mais bien de
substances actives d'un m^aniement délicat, souvent dangereux.
De là la nécessité de connaître, pour chacune d'elles, l'ac-
tion physiologicjue sur la plupart des grands organes, la posologie
précise. Une étude complète de chaque anesthésique local est donc
absolument nécessaire. La cocaïne, la première en date et la mieux
étudiée, pourra servir de prototype ; mais il n'en est pas moins
nécessaire de connaître les autres : eucaïne, stovaïne, novocaïne, adré-
naline, etc. Nous serons ainsi à même de juger de leurs indications ou
contre-indications, de les appliquer aveclaprudence indispensable et
de combattre avec chance de succès les accidents parfois graves
qu'elles peuvent déterminer.
COCAÏXE.
On extrait la cocaïne, dit le P'" Reclus, des feuilles d'un arbuste,
VErythroxyluin coca, un cocalier abondant au Pérou, en Bolivie
et dans la République de l'Equateur. La zone de l'Amérique
où il croît spontanément ne s'étend guère que du 2Ce degré de
latitude sud au 12^- degré de latitude nord. Il croît de préférence
sur les collines rocailleuses des Andes, à des altitudes de 600 à
1 600 mètres ; il est délicat, sensible au changement de température,
ce qui en rend difficile la culture industrielle, activement poussée
dansles vallées de la Magdalena. Onl'a acclimaté dans l'ancien monde
à Ceylan et dans les Indes anglaises. Dès la troisième année de la
plantation, on peut commencer la cueillette des feuilles, que l'on fait
sécher au soleil et doii l'on retire la cocaïne brute, expédiée ensuite
à Hambourg, son grand et presque unique marché en Europe.
La cocaïne est un alcaloïde, « éther méthylique de l'acide cocayl-
170 NOGUÉ. — ANESTHÉSIE.
benzoyl-oxypropionique », qu'on désigne aussi sous le nom peut-
être meilleur de « mélhyl-benzoyl-ecgoninc ». Elle n'est connue que
depuis un demi-siècle : Wackenroder, en 1852, et Gaedeke, en 1854,
isolèrent un produit cristallisé, qu'ils prirent à tort pour la substance
active du cocalier : celle-ci ne fut découverte qu'en 1857 par Maclagan ;
deux ans plus tard, en 1859, Nieman la retrouve de son côté et
la signala au monde savant sous le vocable de cocaïne, qui devait lui
rester. Encore fallut-il plusieurs années pour connaître les merveil-
leux effets de la substance nouvelle.
Cependant voilà trois siècles et demi que les conquistadores
avaient parlé de la planle sacrée qui figure sur Técu de la Bolivie ;
il semblait qu'elle était la richesse du pays et servait aux Indiens
à payer leur tribut de guerre. Quelques pincées de ces feuilles, ma-
cérées avec de la chaux, rendaient le Quichona, l'Aymara, capables
d'endurer la faim : avec elles, ils pouvaient affronter le soroche ou
mal des montagnes el traverser sans fatigue les plateaux péruviens
aussi hauts que le mont Blanc.
Mais à tout cela on ne crut guère, et il faut atteindre la seconde
moitié du xix^ siècle pour trouver un premier travail sur les pro-
priétés physiologiques des feuilles de coca. En 1859, à la suite de
l'absorption d'une infusion de coca, Montegazza avait constaté sur
lui-même l'accroissement de la fréquence du pouls et des mouve-
ments respiratoires : des doses plus élevées avaient provoqué de la
congestion cérébrale, du délire et de? hallucinations. Schroff,
en 1862, obtenait des résultats analogues ainsi que Isaac Ott en 1876;
en 1877, Conpard observait sur les malades adonnés au vin de
Mariani une certaine anesthésie de la gorge : il voulut la reproduire
et se procura d'abord de l'extrait de coca aussi liquide et aussi
concentré que possible, dont il badigeonnait les tissus enflammés
par la laryngite et les pharyngites douloureuses ; il eut même l'idée
d'anesthésier ainsi les cordes vocales pour permettre à Rosapelly de
faire ses expériences sur la phonation ; puis, dès 1882, avec le
concours de Laborde, il étudia non plus le coca, mais son alcaloïde,
la cocaïne : malheureusement ces recherches ne furent publiées
qu'après le retentissant travail communiqué, en 1884, au Congrès
d'Heidelberg et où Karl Kôller prouvait que les instillations de
cocaïne sur la muqueuse oculaire analgésient la cornée, la con-
jonctive et permettent d'y porter l'instrument tranchant sans provo-
quer de douleurs. En France, Terrier répète ces expériences, dont il
fait part à ses collègues de la Société de chirurgie, et de ce jour
l'analgésie des muqueuses par les badigeonnages de cocaïne entre
dans la pratique courante.
On eut alors l'idée, un peu partout, d'injecter avec la
seringue de Pravaz l'alcaloïde sous la. peau, dans les mailles du
tissu cellulaire, et on obtint une analgésie suffisante pour tenter,
ANESTHÉSIE PAR INJECTION DANS LES TISSUS. 171
«ans éveilltM' de trop grandes douleurs, qiielques opérai ions de
pelile chiruri>ie. Chacun voulut en essayer; mais on i^^norail loul
delà cocaïne el môme sa puissance loxique ; on fixail au hasard
cl comme <( au pelil bonheur » les doses à injecter et le titre des
solutions. Il en résulta des désastres retentissants : plusieurs morts
furenl sii>nalées presque simultanément en divers points de l'Europe,
et répouvanle fut telle que celle substance parut à jamais proscrite
■des services de chirurgie.
Non seulement, disait-on, la cocaïne peut luer, mais ce poison, en
réactif sur l'organisme humain, n'est soumis à aucune loi, elTarbi-
Iraire le plus décourageant préside à ses effets : parfois une dose
insignifiante amène les accidents le plus redoutables, tandis que
des quantités massives sont tolérées sans inconvénients. L'analgésie
elle-même reste problématique et, si une injection jugule toute
douleur pour une intervention petite ou grande sur certains individus,
sur d'autres la même injection, pour la même intervention, est
souvent inefficace (I).
Préparation. — La cocaïne proprement dite est composée de
plusieurs alcaloïdes, dont les plus connus sont : la cocaïne /, la
cocaïne <:/, la benzol-ecgonine, la cinnamyl-ecgonine, la cinnamyl-
cocaïne, les Iruxillines, la Iropacocaïne et l'hygrine.
V La seule utilisée en médecine est la cocaïne gauche ou méthyl-
benzolecgonine. On l'obtient par deux procédés : l'extraction el la
synthèse.
1° Extraction. — C'est à la méthode due à M. Bignon, pharmacien à
Lima, que l'on a recours en Amérique pour extraire la cocaïne des
feuilles de coca.
Les feuilles, à l'état pulvérulent, sont intimement mélangées à
une solution de carbonate de sodium ; puis on ajoute du pétrole
dislillable entre 200 et 250°, et l'on agite le tout d'une manière con-
tinue, pendant quelques heures, à une température tiède; sous l'in-
fluence du réactif alcalin, les alcaloïdes de la coca sont déplacés de
leurs combinaisons salines et se dissolvent dans l'hydrocarbure.
Le résidu est enfermé dans des sacs d'étofic assez résistants pour
subir la pression qui permettra de séparer les liquides de la masse
solide ; des liquides recueillis on obtiendra, par décantation,
la dissolution des alcaloïdes dans l'hydrocarbure, que l'on neutra-
lisera en l'agitant avec une solution aqueuse d'acide chlorhydrique :
on obtiendra alors par évaporalion et refroidissement le chlorhy-
drate de cocaïne, que l'on traitera par la dessiccation et la pression.
Les chlorhydrates ainsi obtenus sont repris par l'eau, puis décom-
posés par l'ammoniaque, qui précipite les bases libres ; celles-ci
séchées prennent le nom de cocaïne brute.
{]) D'' Paul Reclus, L'ancsLliésie localis^-e par la cocaïne, Paris, 1903.
172 NOGUE. — ANESTHESIE.
La cocaïne brûle conlienl 80 à 95 p. 100 de cocaïne / et 20 à
15 p. 100 de cocaïne d, d'isatropyl-cocaïne, de benzoyl-ecgonine, de
Iruxillines et d'hygrine.
On dissout alors la cocaïne brute dans l'alcool ; on neutralise en
ajoutant une solution alcoolique d'acide chlorhydrique, et l'on obtient
ainsi le chlorhydrate decocaïne cristallisé séparé des autres bases qui
restent dans la liqueur alcoolique.
2° Synthèse. — La cocaïne est un éther méthylique et benzoïque
de l'ecgonine gauche : elle est retirée des résidus du traitement de la
cocaïne brute en les dissolvant dans un excès d'acide chlorhydrique
et en portant la solution à l'ébullition pendant une heure ; on filtre,
on concentre la liqueur, on isole le chlorhydrate d'ecgonine par
cristallisation ; on termine la séparation de ce sel en ajoutant de
l'alcool et de l'éther aux eaux mères, puis on le traite par un alcali
pour obtenir la base.
On prend une molécule d'ecgonine en solution aqueuse saturée à
chaud avec un peu plus d'une molécule d'anhydride benzoïque ; on
chautl'e pendant une heure, on laisse refroidir, on épuise la masse,
orictallidpe ^n nnrtjp. nar de l'éther qui enlève l'anhydride benzoïque
en excès et l'acide benzoïque formé.
Le résidu, traité par un peu d'eau, dissout l'ecgonine et laisse son
éther benzoïque en suspension; la benzoyl-ecgonine est transformée
en méthyl -benzoyl-ecgonine par l'action de l'iodure de méthyle en
solution alcoolique alcalinisée (procédé de Liebermann et Giesel).
En remontant de la tropine à la cocaïne, on passe par les corps
suivants ( 1 ) :
1" Tropinone, pseudo-lropine, tropacocaïne ;
2° Ecgonine, benzoyl-ecgonine, éther mélhylique de l'ecgonine,
cocaïne.
Tous ces alcaloïdes ont été étudiés parles physiologistes, qui les
ont classés en quatre groupes :
1° Le groupe de la tropine et de ses dérivés immédiats (benzoyl-tro-
pine et homotropine) comprend les mydria tiques non anesthésiques ;
2° Le groupe de la pseudo-tropine : tropacocaïne, comprend des
anesthésiques locaux non mydriatiques ;
3° Le groupe de l'ecgonine : éther mélhylique, benzoyl-ecgonine,
comprend des corps intermédiaires entre la tropine et la cocaïne, peu
ou pas mydriatiques, non anesthésiques;
4° La cocaïne est en même temps mydrialique et anesihésique.
Quels enseignements pouvons-nous relirerdes faits qui ont amené
cette division ?
Nous conslalons surtout une difCérence très intéressante entre les
dérivés immédiats de la tropine et ceux de la pseudo-tropine. Chi-
(1) Ernest Fouhm-au, Bull, des sciences pfiann., sept. 1904.
ANESTHÉSIE PAR INJECTION DANS LES TISSLS. 173
mi(|ucnient, ces deux séries no se dislingnenl rune dcraulre<|ue par
la position de roxydrile dans Tespace, la pseudo-lropine élanl la
forme slahlede la Iropine. Mais celte simple isomérie stéréo^éomé-
Irique entraîne des perlurbalions considérables dans l'action physio-
lo<>iquc. On pourrait coniparerla tropine et lapseudo-tropine à deux
naviresconstruitsidentiquemmentsur le même modèle, auxquels un
gouvernail res|>eclif imprimerait des directions opposées. Poussant
plusloin la comparaison, on pourrait dire que, de même que l'action
du gouvernail peut être contrariée par celle des rames ou des voiles,
de même on ixnit diriger la molécule Iropi nique dans le sens de
lanalgésie locale, en accummulanl sur elle certains groupements
dont aucun ne suffit à lui seul.
Voilà donc deux enseignements bien distincts, que Ton peut résumer
ainsi.
Dans certains cas, la molécule primitive, par exemple la pseudo-
tropine, est pour ainsi dire en puissance d'anesthésie ; elle est, pour
parler un langage médical, candidate à l'action analgésique locale.
Il suffitde lui adjoindre un seul groupement bien choisi pour obtenir
un corps éminemment actif.
Dans d'autres cas, comme, par exemple, celui de la tropine, la
molécule a besoin d'être surchargée de certains groupements agissant
dans le même sens anesthésique.
Il est très important d'ajouter que ces groupements ne peuvent
être répartis d'une manière quelconque. Wiltslaetter a, en effet,
préparé une cocaïne synthétique, la cocaïne, dans laquelle le
carboxyle et Toxydrile, tous deux éthérifiés de la même façon que
dans la cocaïne, se trouvent placés sur le même atome de carbone:
CfiH5_C00. ,C02.CH3
CH0.C0.CGH3 \/
/ \ /\
CH2 ^CH.CO^CHa / \
il CH^ CH^
I I
Cocaïne ordinaire. Cocaïne a.
en position para relativement à l'azote.
Cette cocaïne y. contenant par consécpient toutes les chaînes latérales
delà cocaïne^ mais dans un ordre différent, est dépourvue de toute
action anesthésique.
Propriétés physiques de la cocaïne. — Cristallisai ion. —
Prismes rhomboïdaux à quatre ou six pans, dans l'alcool.
Solution. — Peu soluble dans l'eau; 1700 dans l'eau à li»; très
soluble dans l'alcool et l'éther ; soluble dans i'oléonaphte, l'huile
d'olive, l'huile d'arachide (Poinsot, Vigier).
Fusion. — Fond à 98°.
Odeur. — Sans odeur.
Saveur. — Amère.
174 NOGUÉ. — AXESTHESIE.
Le sol anhydre, employé en médecine, esl 1res soluble dans l'eau
et dans l'alcool.
Lorsqu'on mel la cocaïne en contactavec l'épiderme normal, môme
en solutions concentrées (solution hydro-alcoolique à "20 p. 100), on
n'observe aucune action générale ou locale. C'est que cet épiderme
forme une barrière infranchissable pour la pénétration du médica-
ment. Mais, si Ton détermine sur cette surface imperméable une
perte de substance, on voit de suite son action se manifester. Il en
est de même quand la cocaïne est mise au contact d'une muqueuse.
Il se produit une vaso-constriction intense, et de rosée la muqueuse
devient blanche. Nulle part cette action n'est aussi nette que sur la
piluitaire. En môme temps que l'anémie des tissus se produit l'anes-
Ihésie. 11 était naturel de penser que la perle de la sensibilité était
sous la dépendance de la vaso-conslriclion. Mais Arloing ne tarda
pas à démontrer qu'il n'en était rien. Pour cela, chez un lapin
dont l'œil a été insensibilisé par la cocaïne, il coupe le cordon sym-
pathique du même côté : aussitôt on voit une vascularisation consi-
dérable remplacer l'anémie, et cependant la sensibilité reste abolie.
L'insensibilité persiste pendant trois à quatre minutes, puis dispa-
raît progressivement : les tissus reprennent leur coloration normale. Il
en est de môme si l'on fait pénétrer la cocaïne dans l'épaisseur des tis-
sus, en franchissant la barrière épidermique avec l'aiguille de Pravaz.
« La cocaïne, le type le plus parfait des anesthésiques locaux,
possède la plu[»arldes propriétés qui caractérisent les anesthésiques
généraux et doit de ce chef être rapprochée du protoxyde d'azote,
du chloroforme et de l'élher. Introduite dans l'organisme, elle
retentit sur tous les éléments anatomiques et sur toutes les activités
physiologiques, qu'elle excite d'abord et qu'elle paralyse ensuite.
Cette action est temporaire : elle ne fait qu'arrêter, pour un
moment, les phénomènes qui se reproduisent lorsqu'on éloigne
l'agent perturbateur. La cocaïne à dose faible retarde la fermen-
tation et la germination ; à dose forte, elle la suspend; elle exerce
une action universelle sur le protoplasma vivant, ce qui est un des
principaux attributs des véritables anesthésiques » (Reclus).
Cependant cette aneslhésie générale ne survient qu'à la fin,
comme un phénomène ultime de l'intoxication, alors que la vitalité
de l'animal est gravement atteinte. Et encore, même à ces doses con-
sidérables, elle n'anesthésie pas complètement les centres nerveux.
Action sur les animaux.— L'action générale de la cocaïne sur les
animaux varie selon l'espèce d'animal sur laquelle on expérimente.
Anrep avait montré que la cocaïne chez, les animaux à sang chaud,
déterminait une action excitante des plus marquée sur les centres
nerveux. Mais ces phénomènes ne s'observent guère chez les ani-
maux à sang froid, par exemple chez les grenouilles. Chez le même
animal ù sang chaud, augmentons les doses : les phénomènes d'exci-
AXESTIŒSIE PAR INJECTION DANS LES TISSUS. 17S
talion aiigmenleiil. rapidement et les convulsions apparaissent. A
partir de ce moment, on obtient des piiénomènes vérilablement
toxiques. On pourrait peut-être appeler dose phi/siologiqiie la dose
d'alcaloïde capable d'exalter simplement les fonctions physiolo-
giques de ranimai sans les perturber, c'est-à-dire sans donner nais-
sance à des convulsions (Delbosc).
A côté de ces phénomènes dominants, il s'en produit d'autres de
même origine, mais qu'on peut considérer comme accessoires.
Vulpian a noté chez le chien une propulsion des globes oculaires,
de la mydriase et un agrandissement des paupières, résultat abso-
lument semblable à celui que l'on obtient en faradisant le bout
supérieur du cordon cervical sympathique coupé entravers. Vulpian
croyait en elï'et que la cocaïne excitait tout d'abord les origines
cervicales du sympathique, c'est-à-dire la moelle. Cette excitation
avait pour conséquence une constriction des vaisseaux, qui lui per-
mettait de com])rendre l'élévation de la pression sanguine. Cette
élévation succédait d'ailleurs à un abaissement primitif, dû à un
effet direct de la cocaïne sur les parois du cœur.
Laborde croyait également à une excitation des filets vaso-
constricteurs du grand sympathique, car il avait observé sur le lapin
une anémie constante des vaisseaux auriculaires.
La fréquence excessive des battements du cœur doit être
expliquée de la même façon. Aussi tous ces phénomènes, joints à
l'hyperexcitabilité réflexe, sont une preuve non douteuse de l'action
de la cocaïne sur la moelle.
Mais les autres parties de l'axe encéphalo-médullaire sont égale-
ment influencées. On doit penser tout naturellement au bulbe, en
présence des modifications apportées dans le rythme respiratoire et à
l'encéphale pour expliquer l'impulsion motrice inévitable qui anime
un animal cocaïnisé. Il est bon de remarquer que cette action sur
l'encéphale est beaucoup plus manifeste chez l'homme, dont les facul-
tés psychiques sont notablement augmentées et même perturbées.
On peut conclure que la cocaïne à dose physiologique est
un excitant de l'axe encéphalo-médullaire, avec prédominance peut-
être médullaire.
Chez les animaux à sang chaud, dès qu'on injecte une dose
suffisante de cocaïne, on voit apparaître les convulsions. Cette dose
varie avec la taille de l'animal. Avec deux animaux de même espèce,
mais de poids différent, celui qui pèse le moins est toujours plus
sensible à l'action de la cocaïne, même la dose de cocaïne étant
proportionnellement la même (Delbosc). La raison est que le rapport
entre le poids total du corps et le poids du cerveau est à l'avantage
du plus petit. Ce rapport est très important, et cette importance va
être mise en relief par l'étude comparative des doses de cocaïne
nécessaires pour produire des convulsions suivant l'espèce animale.
176 NOGUE. — ANESTHESIE.
Voici les résultats obtenus par les expérimentateurs :
Cobaye : injections dans le tissu celiulaire ou le péritoine.
Compain, Paris, 1SS6 0,02 cocaïne: légère excitation.
Delb'osc — 1889 0.03 — excitation.
— — 0,06 — vi%^e excitation.
— -- 0,07 — convulsions, survie.
— — 0,08 — convulsion, mort.
— — 0.08 — — —
Laborde — 1889 0,08 — — —
Dose convulsivante : 0,07 par kilogramme d'animal.
Lapin : injections dans le péritoine.
Delbosc 1889 0.03 de cocaïne : rien.
— 0,10 — excitation.
— 0,12 — excitation.
0,15 — vive excitation.
— 0,15 — convulsions, survie.
— 0,18 — vive excitation.
0,18 — con\iilsions, survie.
— 0,20 — — —
— , 0,20 ' — convulsions, mort.
— 0,20 — — —
— 0,20 — — —
Dose convulsivante 0,18 par kilogramme d'animal.
Si maintenant on recherche chez chacun de ces animaux ayant
servi aux expériences quel est le rapport existant entre le poids
moyen de son cerveau rapporté au kilogramme de son poids, on
trouve (Delbosc) :
Poids du cerveau
rapporté au Dose
kilo d animal. convulsivante.
Lapin : 4 0,18
Cobaye 7 0,07
Du simple examen de ce tableau résulte ce fait que la dose de
cocaïne nécessaire pour produire des convulsions est d'autant plus
petite que la masse cérébrale est plus grande.
Il est intéressant de rechercher si cette loi se vérifie chez l'homme.
C'est ce que Delbosc a essayé de faire.
Tout d'abord, dit-il, il nous est facile de trouver une des inconnues.
En eiTel, d'après Cuvier, le rapport moyen entre la masse cérébrale
de l'homme et le poids total de son corps est de un vingt-huitième, ce
qui donne 35, en rapportant cette proportion au kilogramme d'animal.
Lorsqu'on emploie une quantité de cocaïne supérieure à celle qui
est capable de provoquer des mouvements épileptiformes, l'animal
est souvent tué. Il suffit en effet de se reporter aux tableaux précé-
dents pour voir que la dose mortelle suit la dose convulsivante. La
même loi préside d'ailleurs à l'évolution de ces deux phénomènes;
et pour tuer un animal, il faudra une quantité de cocaïne d'autant
moindre que le cerveau sera plus développé.
Action de la cocaïne sur 1 homme. — D'une façon générale, on
peut dire que laclion <le la cocaïne à dose toxique sur l'homme se
manifeste par une extrême pâleur de la face, par une décoloration
ANESTIli:SIE PAR IXJEGTION DANS LES TISSUS. 177
Ires marinico dt's muqueuses et des extrémités accompagnée de
relVoidisseinenl. Accélération et intermittences des battements du
cœur, fréquence de la respiration, angoisse précordiale, perte
incomplète de la connaissance avec sentiment de fin prochaine, sont
les phénomènes concomitants. A une dose plus élevée Os',20 chez
l'adulte), les convulsions peuvent apparaître.
Prenons maintenant avec Delbosc ces phénomènes un à un, et
nous verrons qu'ils peuvent être expliqués par l'action de la cocaïne
sur le système nerveux et plus particulièrement par excitation de
Taxe encéphalo-médullaire.
Dans l'intoxication légère, la moelle sera la première et souvent la
seule prise. D'où la pâleur de la face et des téguments, car c'est
dans la moelle que se trouvent principalement les origines du grand
sympathique, et l'on sait, d'après Dastre, que les phénomènes de la
circulation se trouvent sous la dépendance de ce système sympa-
thique. On conç^oit alors que l'excitation de la moelle due à la
cocaïne se manifeste, grâce aux filets vaso-constricteurs, par une
diminution notable du calibre des vaisseaux. En effet, la pâleur des
téguments est quelquefois poussée à l'extrême.
On conçoit que, sous celte même influence, la circulation de l'en-
céphale soit modifiée. Schilling en a eu la preuve directe : dans
un cas d'empoisonnement, il a examiné le fond de l'œil àl'ophtal-
moscope et a trouvé que les vaisseaux de la rétine étaient à peine
visibles.
C'est encore à l'influence prédominante de la cocaïne sur l'axe
médullaire que sont dus les troubles circulatoires. Car l'excitation
de la moelle cervico-dorsale, dans laquelle le sympathique prend ses
fibres cardiaques, produit une précipitation des mouvements du
cœur qui les amène au taux de 150 à 160 par minute. On comprend
de même que la pression sanguine s'élève dans les premiers moments
pour baisser aussitôt, caries battements du cœur, quoique nombreux,
sont très petits, perdant en force ce qu'ils gagnent en vitesse.
Cette excitation du grand sympathique peut encore expliquer
bien des phénomènes. Sous son influence, tous les organes à
muscles lisses peuvent se contracter, et cette action se manifestera
plus particulièrement sur la pupille, qui se dilatera ; sur l'estomac,
dont les contractions seront parfois augmentées jusqu'à produire
le vomissement; sur l'intestin, dont le péristaltisme pourra aller
jusqu'à l'effet purgatif.
D'autres fois, les phénomènes médullaires passeront inaperçus ou
même n'existeront pas ; les etîetsde lacocaïnese localiseront sur le
bulbe ; alors on verra la respiration s'accélérer grâce à l'excitation
directe des origines du pneumogastrique (Mosso). Dans les premiers
moments, la fréquence des contractions diaphragmatiques devient
extrême : les mouvements sont petits, précipités, saccadés,
Thaité de stomatologie. VI. — 12
178 XOGUÉ. — ANESTHÉSIE.
puis se ralenlissenl progressivement par épuisement nerveux.
Si, au contraire, la cocaïne porte son action sur rcncéphale, on
voit alors éclater la série des phénomènes psychiques. Le sujet pourra
avoir des attendrissements subits, puis sans transition des accès de
fureur. Parfois ses facultés intellectuelles seront surexcitées au
plus haut degré: il se rappellera tout à coup des faits qui s'é-
taient passés il y a vingt et trente ans et qu'il avait totalement
oubliés.
Enfin, si la dose de cocaïne est trop forte, on voit tout à coup
éclater des phénomènes plus graves : des convulsions. Les mouve-
ments toniques d"abord et cloniques ensuite deviennent plus
violents à mesure qu'on se rapproche de la terminaison fatale.
Pendant cette période convulsive, on peut voir la face se cyanoser,
la respiration s'embarrasser : les battements du cœur deviennent de
moins en moins perceptibles elle malade meurt.
Le premier effet de la cocaïne est de provoquer une contraction
des tuniques vasculaires : les cellules sensitives insuffisamment
nourries perdent ensuite toutes fonctions physiologiques.
Arloing (1) a prouvé que ces deux phénomènes étaient absolu-
ment indépendants. Il rapporte d'abord l'anémie, la pâleur des
tissus à une excitation de filets vaso-constricteurs du grand sympa-
thique. Il suffit, en effet, de cocaïniser l'œil d'un lapin et de faire
ensuite la section du sympathique cervical pour voir une vascula-
risation énorme de la conjonctive succéder à l'anémie de cette
membrane. Et cependant l'œil reste toujours insensible. Dès lors, il
faut renoncer à expliquer l'analgésie par la constriction des
vaisseaux. Arloing croit à une action directe sur les fibres termi-
nales sensitives. Et cette opinion n'est pas une simple hypothèse :
il l'appuie sur les expériences suivantes :
Un fragment de nerf sciatique d'une grenouille est immergé dans
une solution forte de cocaïne. Le nerf devient brun jaunâtre, et on
trouve à lexaraen microscopique que tout le contenu des fibres
nerveuses est coagulé, dissocié. Un autre fragment de nerf immergé
pendant le même temps dans de l'eau distillée ne présente de coa-
gulation qu'au voisinage de la gaine de Sclnvann. Il faut donc
admettre que la cocaïne agit en altérant le protoplasma des
éléments nerveux.
D'ailleurs, il est à remarquer que, dans un nerf mixte, les fibres
sensitives sont les premières atteintes ; les fibres motrices ne le sont
que secondairement. Feinberg a vu que la cocaïne, appliquée sur
un nerf mis à nu, produit une anesthésie locale qui se propage à la
périphérie, tandis que le bout central du nerf et sa motilité restent
intactes.
(1) Arloi.ng, l.yon méd., 17 mai 1885. — Delbosc, Thèse de Paris, 1889.
ANESTHESIE PAR INJECTION DANS LES TISSUS. 179
Parfois, après une application locale de cocaïne, on obtient iine
analgésie généralisée ù tout le tégument. Laborde, qui le
premier (1) a vu le phénomène, renonce à l'expliquer : il se contente
de faire remarquer que lesystème nerveuxcentral n'est pas influencé,
car lexcitubililédii tronc nerveux est conservée et même augmentée.
Brown-Séquard (2) croit que ce phénomène doit être rapproché
de ce cas cité par Richet en 184G, et dans lequel une simple cauté-
risation au fer rouge produisit une analgésie non seulement du
point touché, mais encore du corps tout entier.
Les opinions sont actuellement divisées sur la question de
savoir si Tanesthésie produite par la cocaïne est le résultat du
trouble vaso-moteur (les artérioles se contractant sous son
influence, les filaments nerveux se trouveraient anémiés), ou si la
cocaïne paralyse directement les extrémités nerveuses, soit de sensi-
bilité, du toucher, soit de sens spécial, car elle fait disparaître la
faculté du goût et de l'odorat, aussi bien que la perception du
toucher et de la douleur. Quand on administre la cocaïne à la dose
et de la façon voulues pour afl'ecter toute l'économie, le cerveau
paraît s'exciter, le cœur être stimulé et la pression sanguine
augmenter. Les doses délétères tuent par asphyxie, la respiration
cessant et le cœur s'arrêtant en diastole ; mais ce fait n'a pas encore
été observé chez l'homme, la quantité nécessaire au dénouement
fatal étant très considérable.
Cet agent diminue toutes les sécrétions et, bien qu'au début les
mouvements de l'intestin soient légèrement stimulés, des doses plus
fortes ou la continuation, du médicament amènent de la paresse
intestinale, la dyspepsie et la constipation. Les échanges molécu-
laires s'atténuent, et la quantité de l'urine diminue parallèlement ;
la température semble s'élever un peu. On a constaté la production
de l'albuminurie et la présence du sucre dans l'urine. C'est probable-
ment par les reins que la cocaïne s'élimine. On ne sait rien de
positif relativement à son action sur la fibre musculaire.
« Brown-Séquard considère l'effet de la cocaïne comme un nouvel
exemple d'action inhibitrice, ses expériences l'ayant convaincu que
la cocaïne agit sur les centres nerveux par l'intermédiaire des nerfs
périphériques. Les phénomènes qui résultent de l'injection de
la cocaïne au niveau du larynx sont, pour lui, les mêmes que ceux
produits par l'application d'un jet d'acide carbonique sur la
membrane muqueuse de cet organe. Deux minutes après l'injection,
il y a une anesthésie généralisée et une analgésie des différentes
plaies faites sur le corps de l'animal. L'anesthésie cutanée ne dure
que quelques minutes, mais l'analgésie des plaies persiste même
encore le lendemain. Si l'on fait de nouvelles blessures, celles-ci,
(J) Laborde, Soc. de hiol., 24 déc. 1884.
(2) Brown-Séquard, Soc. de biol., 14 mars 1885.
180 NOGUÉ. — ANESTHÉSIE.
loin cl'tMre analgésiques, deviennent au contraire hyperalgésiques.
Ce qui prouverait que la cocaïne agit sur les centres nerveux et
particulièrement sur le cervelet, c'est que des injections de cette
substance produisent quelquefois un mouvement de roulement du
côté opposé à l'injection et d'autres fois un mouvement tournant.
D'autres expériences de Brown-Séquard prouvent l'action inhibi-
trice de la cocaïne : quand la dose injectée était assez grande pour
produire des convulsions, il suffisait de tirer ou de fléchir fortement
les doigts de pieds pour arrêter immédiatement les convulsions.
Chez les animaux qui mouraient dans ces conditions, la tempéra-
ture du corps après la mort s'élevait jusqu'à 44°.
Le mécanisme de l'action anesthésiante de la cocaïne n'est pas
explicable, d'après Ch. Richet, par ses effets vaso-constricteurs.
L'anémie qu'on observe constamment après une injection de cocaïne
ne suffit pas pour rendre compte de l'insensibilité, et cela pour
plusieurs raisons: d'abord parce que l'insensibilité survient plus
vite que ne pourrait le faire l'anémie, ensuite parce que l'anémie
n'est jamais complète. Les tissus, quoique insensibles, saignent
encore quand on les incise. Enfin, dans la cornée, par exemple, il
n'y a pas de vaisseaux sanguins; et cependant nous voyons qu'elle
devient insensible du fait de la cocaïne. Il faut donc admettre, ce
qui est d'ailleurs très rationnel, que la cocaïne, portant son action
sur les terminaisons nerveuses, les empoisonne directement et non
par le mécanisme de l'anémie. D'ailleurs, en physiologie, l'explica-
tion mécanique des intoxications par les effets vaso-moteurs est bien
rarement exacte. Presque jamais ni l'anémie, ni la congestion ne
suffisent pour expliquer les symptômes observés.
D'après Gabriel Pouchet (1), l'action paralysante de la cocaïne n'a
absolument rien de spécifique sur les terminaisons nerveuses comme
on l'avait admis à un moment donné : on avait cru que la cocaïne
exerçait son action exclusivement sur les terminaisons nerveuses
sensitives, que les terminaisons motrices n'étaient en aucune façon
touchées, et on avait traduit cette interprétation par une image qui,
comme beaucoup de figures de rhétorique, n'était pas exacte :
on avait appelé la cocaïne un curare sensilif; c'est une expression
pittoresque jusqu'à un certain point, mais absolument dépourvue
de vérité.
Ce qui est vrai, c'est que la cocaïne suspend l'activité de tous les
éléments vivants au contact desquels on la met à dose suffisante.
C'est un véritable poison protoplasmique : toutes les variétés du pro-
toplasma sont touchées par la cocaïne, à la condition que cette
cocaïne agisse sur ce protoplasma, quel qu'il soit, à une dose et à un
degré de dilution suffisants. On peut dire que c'est un poison paraly-
(1) P'' Gabriel Pouchet, Cours de pharmacologie et de matière médicale de
la Faculté de médecine de Paris, 1899.
ANESTHESIE PAR IXJECTION DANS LES TISSUS. 181
sant banal, aussi bien des terminaisons nerveuses motrices que des ter-
minaisons nerveuses sensitives, aussi bien des nerfs périphériques de
toutes catégoriesquc des centresnerveux, aussi biendeséléments mus-
culaires que des éléments glandulaires, aussi bien des cellules épithé-
liales vibratiles que des leucocytes ; enfin, pour ce qui regarde le
protoplasma végétal, la cocaïne est un poison de toutes les cellules,
de tous les microbes, de tout ce qu'on peut imaginer de vivant
(G. Pouchet).-
Sous rinfluence de la cocaïne mise au contact d'un tronc nerveux,
ainsi que Ta démontré François-Franck dans une série de
recherches extrêmement précises, on peut obtenir une section phy-
siologique progressive et transitoire des nerfs, en déterminant une
véritable action paralysante locale; un cordon nerveux quelconque,
qu'il soit centripète ou centrifuge, qu'il appartienne au système
cérébro-spinal, ou bien au sympathique, peut être fonctionnellement
sectionné dans une zone très limitée, par une application locale de
5 à 10 milligrammes de cocaïne suivant, bien entendu, le volume du
nerf et le mode d'application. Cette action suspensive locale peut
s'observer très bien même sur les nerfs moteurs et sur les nerfs
exclusivement moteurs, et c'est François-Franck qui en a donné le
premier la preuve en montrant que, chez le chien, par exemple, le
phrénique pouvait être inhibé par la cocaïne et empêcher tout
mouvement du diaphragme.
Cette paralysie que produit ainsi le contact d'une solution de
cocaïne avec le tronc nerveux s'élablit progressivement ; elle survient
très rapidement lorsque la cocaïne est introduite par voie d'injection
interstitielle dans la gaine celluleuse; mais il faut avoir soin de ne
pasdéterminerde traumatisme des tubes nerveux ; au point de vue de
la pratique de la chirurgie, c'est extrêmement difficile. Cela n'a que
peu d'importance quand on faitde la physiologie expérimentale ; on en
est quitte, si on a un accident, pour recommencer son expérience;
mais il en est autrement dans la pratique chirurgicale. Celte action
paralysante se produit aussi, mais avec lenteur, lorsque, au lieu de
faire l'injection dans la gaine celluleuse, on fait simplement un
enveloppement du nerf dans de la ouate hydrophile imbibée d'une
solution de cocaïne; on observe alors une perle de la conductibilité
nerveuse, et cela à la suite d'une très courte période d'excitation;
cette perte de conductibilité s'accuse alors, au point de vue péri-
phérique, par l'apparition graduelle de modifications fonctionnelles
résultant de l'isolement des organes périphériques innervés. C'est
ainsi, par exemple, que, si on fait une injection dans la gaine cellu-
leuse des phréniques, ou si on enveloppe les deux phréniques d'un
chien avec un peu d'ouate hydrophile imprégnée d'une solution
de chlorhydrate de cocaïne, on voit cesser peu à peu les con-
tractions du diaphragme, par suite de la disparition des propriétés
182 NOGUE. — ANESTHESIE.
fonctionnelles du nerf ainsi mis au contact de la cocaïne.
La perte d'activité est complète, comme Ta montré François-
Franck, et cela dans les deux sens; elle équivaut véritablement à
une section, et elle s'étend environ à l ou2 centimètres au maximum
au-dessus et au-dessous de la zone cocaïnée, toutes précautions étant
prises, bien entendu, pour éviter la diffusion, Fimbibition qui pour-
rait se faire des tissus avoisinants. Cet isolement du nerf, — ce résultat
que François-Franck a très bien caractérisé au point de vue expérimen-
tal par le nom de section physiologique, — persiste pendant un temps
variable, bien entendu, avec la dose de cocaïne; puis la restitution à
l'état primitif, à l'état normal, se fait graduellement, et cela après
une phase très courte d'augmentation de l'excitabilité, phase qui est,
dans la période de retour, équivalente à ce qu'est, au début, la période
d'excitation.
La réparation est parfaitement complète, absolue; il ne reste
véritablement pas la moindre trace de l'action de la cocaïne sur
le nerf, et François-Franck part de là pour en conclure qu'il ne
s'agit pas d'une combinaison fixe entre le protoplasma et la co-
caïne, pas plus que d'une altération histologique des centres
nerveux; c'est une véritable action de contact, une action physico-
chimique, peut-être même simplement une action mécanique.
Au point de vue de l'expérimentation, le principal avantage de
cette section physiologique consiste surtout dans ce fait qu'on peut
obtenir la survie des animaux sur lesquels on a pratiqué une opé-
ration de ce genre et qu'on peut recommencer cette opération dans
des conditions absolument identiques. La cocaïnisation locale peut
donc, comme l'a fait ressortir François-Franck, être utilisée dans
tous les cas où la section était nécessaire, et cela quel que soit le
nerf sur lequel on veuille agir, et sans que l'animal syr lequel on
opère soit définitivement sacrifié.
Enfin, au point de vue de la chirurgie humaine, elle a tous les
avantages que nous venons de voir tout à l'heure : la possibilité
d'opérer une région qui est absolument dépourvue de sensibilité, et
même de mouvement jusqu'à un certain point, puisque l'action mo-
trice elle-même est éteinte sous l'influence de la cocaïne.
Mais, pour tirer le meilleur parti de la cocaïne au point de vue de
son application à la physiologie opératoire, il est nécessaire de réa-
liser certaines conditions qui, si elles sont différentes, comme cela
semble évident a priori^ des conditions dans lesquelles on peut se
trouver au point de vue de la pratique chirurgicale, n'en sont pas
moins intéressantes, parce qu'elles montrent comment on a pu arriver
à établir la technique des opérations chirurgicales en se basant sur
les résultats de cette technique physiologique et de l'expérimonlation
sur les animaux.
La dose doit être suffisante pour paralyser localement le nerf et
ANESTHÉSIE PAR INJECTION DANS LES TISSUS. 183
insuriisanle pour provoquer des troubles généraux à la suite de son
absorption; c'est là, également, l'idéal de son emploi au point de
vue de la chirurgie. Un fait que l'expérimentation physiologique
seule pouvait apprendre et (pii a une importance considérable au
point de vue de l'application à la chirurgie humaine, c'est celui-ci :
la quantité de cocaïne nécessaire pour obtenir cette action inhibi-
trice sur le nerf ne varie pas suivant la taille des sujets, comme on pour-
rait se l'imaginer au premier abord ; elle est dilTérente, par exemple,
chez le cobaye, chez le chien, chez la grenouille: mais elle
varie étroitement suivant le volume et la consistance des tissus
nerveux.
Le contact de la solulion de cocaïne doit être exactement limite
au nerf qu'il s'agit de supprimer fonctionnellement, et c'est ainsi,
par exemple, que la cocaïnisalion involontaire et accidentelle des
phréniques, lorsqu'on veut arriver à cocaïniser la pneumogastrique
chez le chien, peut arrivera déterminer l'arrêt des contractions du
diaphragme, d'où résulte l'arrêt des mouvements respiratoires, par
suite de la cocaïnisation en masse, non seulement des vagues, mais
encore des phréniques qui leur sont accolés. De plus, lorsqu'on ne
réalise pas cette action du simple contact sur un tissu nerveux, on
s'expose à l'absorption et aux accidents généraux qui peuvent résul-
ter de cette absorption. Ce sont là précisément les inconvénients
que Kummer (de 'Vienne) avait mis en évidence, à la suite de ce qu'il
appelait les injections perdues, c'est-à-dire les injections faites dans
les cas où l'anesthésie n'était pas suivie d'une opération sanglante
donnant issue, par le sang qui s'écoulait, à une quantité plus ou
moins considérable de la solution de cocaïne introduite dans
l'économie.
Enfin il y a une solution de choix pour cette expérimentation physio-
logique, solution de choix dont le titre, naturellement, diflere, dans
une notable mesure, de celui qui est nécessaire pour obtenir l'anes-
thésie en chirurgie humaine : cette solution de choix est au titre de
1 p. 20 ; c'est une de ces solutions de richesse extrême dont il faudrait
se garder de faire usage dans la pratique habituelle. IV gouttes
de cette solution équivalent à 1 centigramme de chlorhydrate de
cocaïne. Les expériences de François-Franck ont montré qu'il fallait
des quantités variables de cette solution de cocaïne pour déterminer
chez un môme animal, chez un chien de taille moyenne par exemple,
et en quelques secondes, la perte locale de l'excitabilité et de la con-
ductibilité nerveuses par injection dans la gaine celluleuse. Ainsi,
III gouttes de cette solution sont suffisantes pour déterminer
l'inhibition du vago-sympathique ; IV gouttes sont nécessaires
pour déterminer l'inhibition du sciatique ; II gouttes suffisent
pour déterminer la disparition des propriétés fonctionnelles des
récurrents, du laryngé supérieur, du phrénique ; I goutte enfin
184 NOGUÉ, — AXESTHESIE.
suffit pour la corde du tympan, pour riiypoglosse, pour les branches
supérieures (iriennes et carolidiennes) du ganglion cervical supé-
rieur, pour le nerf vertébral, etc.
Pour apprécier l'étendue de la zone insensibilisée par la cocaïne,
François-Franck injectait dans la gaine celluleuse du nerf une
solution de son chlorhydrate colorée avec une substance douée d"un
pouvoir colorant intense : cela permettait de localiser exactement
les régions en contact direct avec la cocaïne et d'acquérir une notion
approximative de l'étendue de la zone imprégnée, toutes réserves
faites pour une différence possible entre l'affinité des éléments ner-
veux, d'une part pour la matière colorante, d'autre part pour la
cocaïne.
Il ressort des intéressantes recherches de Maurel les faits sui-
vants, auxquels on n'a pas à notre avis prêté toute l'attention qu'ils
méritent :
1° Tous les agents physiques ou chimiques capables de donner
la forme sphérique aux leucocytes, dans les mêmes conditions,
sont capables de produire l'anesthésie;
2° Pour tous ces agents, il y a une concordance aussi exacte que
possible entre les degrés de température ou les titres qui donnent la
forme sphérique aux leucocytes et les degrés ou les titres qui pro-
voquent l'anesthésie;
3° Par conséquent, vu cette concordance, il est probable que le
troubles circulatoires dépendant des modifications subies par les
leucocytes sous l'influence de ces agents entrent pour une part im-
portante dans la production de l'anesthésie;
A° Enfin la cocaïne étant comprise parmi les substances pouvant
produire cette modification, il est probable qu'au moins une
partie de son action anesthésique doit s'expliquer par ce méca-
nisme.
Mais comment celte action de la cocaïne sur le leucocyte peut-elle
déterminer l'anesthésie? Leslcucocytesdevenus sphériques diminuent
la circulation capillaire. Or, dès qu'il y a dans les tissus suppression
de l'irrigation sanguine, il y a anesthésie. Quand on comprime l'aorte
abdominale de manière à supprimer complètement la circulation dans
le train postérieur d'un animal, le premier phénomène observé est la
perte de la sensibilité. C'est-à-dire que, de tous les éléments histolo-
giques de ce membre inférieur, ce sont les terminaisons sensitives qui
ont le plus besoin de l'irrigation sanguine et par conséquent les pre-
mières qui, après sa suppression, perdent leur fonction. Depuis
quelques minutes déjà les excitations cutanées sont peu senties que
les fibres musculaires se contractent encore el que les filets nerveux
mixtes conservent leurdouble conductibilité. C'est cette plus grande
sensibilité des terminaisons sensitives à la suppression de la circula-
tion qui permet d'isoler la sensibilité des autres fonctions, et c'est
ANESTIIÉSIE PAR INJECTION DANS LES TISSUS. 185
parce queraclion de la cocaïne est avant tout mécanique qu'elle est
anestliésique.
Kn outre, son action sur les leucocytes est augmentée par celle sur
les vaso-moteurs. On a même pu croire que cette action vaso-con-
slriclive était sulfisante pour produire Tanesthésie. Mais les expé-
riences d'Arloing ont montré que l'on pouvait éviter la contraction des
vaisseaux sans supprimer leurs propriétés anesthésiques.
Cette action de la cocaïne peut-elle expliquer comment les divers
auteurs ont été conduits à la théorie du curare sensitif ou à l'action
de la cocaïne sur les centres nerveux? Maurel pense que cette
explication est désormais des plus facile.
L'expérience fondamentale sur laquelle repose la théorie du curare
sensitif est la suivante : si Ton injecte de la cocaïne dans un membre
inférieur, les téguments perdent leur sensibilité, et les troncs ner-
veux conservent la leur. L'action as la cocaïne s'exercerait donc
spécialement sur les extrémités sensilives.
.Mais on obtient les mêmes résultats soit après les injections hypo-
dermiques, soit après les injections intra-artérielles. Si, dans les con-
ditions où ces expériences ont été faites, la sensibilité disparaît, tan-
dis que les fonctions des muscles et des nerfs persistent, c'est que
les terminaisons nerveuses sensitives sont les éléments dont la fonc-
tion a le plus besoin de l'irrigation sanguine. Le même fait se passe
toutes les fois que cette irrigation sanguine est supprimée, et cela
quelle qu'en soit la cause, si bien que la compression artérielle et
l'injection artérielle de poudre inerte conduisentaux mêmes résultats.
Il s'agit donc ici d'une action sur la circulation et non sur les termi-
naisons sensitives, sur lesquelles la compression et la poudre de
lycopode ne peuvent en exercer aucune.
Si l'on sectionne la moelle épinière au niveau de la quatrième ver-
tèbre et qu'on injecte de la cocaïne dans le tronc, on voit la sensibilité
persister moins longtemps dans le train antérieur que dans le train pos-
térieur. D'où Ton conclut que c'est sur la moelle qu'agit la cocaïne, et
ce qui le prouverait, c'est que ce sont les parties du corps desservies
par la portion de la moelle non soumise à l'action de la cocaïne qui
conservent la sensibilité. Les auteurs de l'expérience font eux-mêmes
remarquer qu'en sectionnant la moelle ils sectionnent forcément ses
vaisseaux.
Or la cocaïne, par son action sur les leucocytes et les petits vais-
seaux, en diminuant la circulation, exerce vme influence sur toutes
les parties de l'organisme : elle tend à diminuer les fonctions de tous
les tissus et organes. Dans la première expérience, elle exertjait seu-
lement son action sur la circulation d'un membre, et son action se
faisait seulement sentir sur le membre. Dans la dernière expérience,
au contraire, la cocaïne exerce son action sur la circulation de tout
l'organisme, sauf sur la circulation d'une partie de la moelle, et
186 NOGUÉ. — ANESTHESIE.
forcément celle-ci échappe seule à son influence. Il est vrai que la
cocaïne agit sur les tissus du train postérieur, mais il paraît évident
que le pouvoir excito-moteur de ces tissus doit se manifester d'une
manière plus énergique, puisque, pour le train antérieur, la cocaïne
agit non seulement sur les tissus, comme pour le train postérieur,
mais de plus sur l'organe central des réflexes, sur la moelle épinière.
Ces résultats s'expliquent donc par l'action de la cocaïne sur la
respiration.
II en est de même pour l'expérience dans laquelle on ne laisse
communiquer le train postérieur avec le tronc que par ses filets ner-
veux, et dans laquelle, après avoir mjecté de la cocaïne dans le
tronc, on voit ces filets nerveux perdre leur conductibilité.
Dans cette expérience, les filets nerveux perdent leur conductibilité
motrice sous l'influence d'une condition indépendante de la cocaïne
et seulement parce que la circulation est supprimée par la ligature
depuis un certain temps; ils perdent leur conductibilité sensitive
parce que, sous l'influence de la cocaïne, la circulation de la moelle
se faisant mal, cet organe perd ses fonctions comme les autres.
La perte de la double conductibilité des troncs nerveux par l'action
directe de la cocaïne s'explique de la même manière : on sait, en
effet, que l'on peut supprimer la sensibilité d'une région encocaïnant
directement les filets nerveux qui la desservent. Or ici encore
l'explication se présente d'elle-même.
La cocaïne supprime la fonction de ce nerf parce que, en agissant
localement, elle supprime sa circulation.
C'est enfin de la même manière qu'il faut expliquer les expériences
faites sur la substance cérébrale, lorsque la cocaïne a été mise direc-
tement en contact avec elle. Si l'on voit la cocaïne manifester son
action après le contact avec les centres nerveux, ce n'est pas qu'elle
ait une action élective sur eux. C'est que là, comme partout, elle
agit sur la circulaiton de ces centres, et que ces centres, comme
les autres organes, ne fonctionnent plus quand on supprime leur
irrigation.
En somme, toutes ces expériences s'expliquent parle même méca-
nisme, La cocaïne n'agit électivement ni sur les terminaisons sen-
sitivcs, ni sur les nerfs, ni sur les centres nerveux. Elle n'a d'action
élective que sur les leucocytes et les vaso-moteurs. Mais, par contre,
grâce à ces deux éléments, elle agit sur la circulation et, en la sup-
primant, elle peut agir indifféremment sur tous les tissus, sur tous
les organes, parce qu'il n'est pas de tissu, pas d'organe, qui n'ait
une circulation et qui puisse fonctionner sans elle.
Quant à l'opinion de Daslre, qui en était arrivé à rapprocher la
cocaïne des anesthésiques généraux, les expériences de Maurel
tendent à prouver que c'est par le même mécanisme que la cocaïne
que les anesthésiques généraux exercent leur action. Ces derniers.
ANESTHESIE PAR INJECTION DANS LES TISSUS. 187
comme la cocaïne, n'agii-aiont qu'en supi)i'imant les oxydations.
C'est là une théorie séduisante. JMaurel l'appuie d'arguments dont
la valeur ne saurait être négligée.
Toxicité. — La cocaïne, de mèmeque certains autres toxiques, dit
Maurel, présente ce fait singulier que sa toxicité peut se manifes-
ter à des doses très éloignées les unes des autres, selon le motle
d'administration. Tandis que, en elTet,par la voie stomacale on peut
atteindre la dose de O^^SO à I gramme prise en une seule fois sans
donner la mort, on a vu cette mort se produire avec des doses beau-
coup plus faibles, telles que O^"", 20 et même Os^Lj, lorsque l'adminis-
tration a eu lieu par la voie hypodermique. Les mêmes différences
se retrouvent pour l'apparition des accidents plus faibles, indiquant
seulement que les doses médicamenteuses ont été dépassées.
Ces dilïérences déjà si tranchées, constatées par la clinique chez
l'homme, s'accusent encore bien davantage quand on se place sur le
terrain expérimental. Sur les animaux, ce n'est plus par des doses
quatre à vingt fois plus élevées que se manifeste cette différence,
mais par l'écart considérable de 1 à 25. En effet, tandis qu'il faut
Os%25 de chlorhydrate de cocaïne pour tuer 1 kilogramme de lapin
en donnant le sel par la voie hypodermique ou stomacale, il suffit
de 05'',0l de ce même sel injecté à certain titre dans les veines pour
tuer la même quantité du même animal.
Cette différence considérable entre les doses mortelles selon le
mode d'administration conduit donc à cette conclusion qu'il est
possible que la cocaïne puisse tuer par deux mécanismes diffé-
rents.
Il est évident, d'abord, qu'une différence si grande ne peut s'ex-
pliquer par la moindre quantité de toxique que la voie stomacale
ferait pénétrer dans le sang. Lorsqu'on injecte à un animal par la
voie stomacale Os^lS à Os'',20 de chlorhydrate de cocaïne par kilo-
gramme de poids, dans les quinze à vingt minutes qui suivent, le
sang de cet animal contient plus de Og'',01 de ce sel, quantité qui
cependant le tue instantanément dès qu'on l'injecte à un titre donné
dans un point quelconque de son système veineux général.
Ainsi cette différence considérable dans les doses mortelles de
cocaïne, dans les deux cas, ne saurait être expliquée par la quantité
de cocaïne contenue dans le sang, puisque cette quantité est sûre-
ment plus considérable dans le premier cas, où il survit, que dans le
second, où il meurt.
Cette différence des résultats ne saurait non plus trouver son
explication par la ditTérence dans la voie d'administration, de quelque
manière que cette différence soit interprétée.
S'il en était ainsi, si la ditTérence de toxicité de la cocaïne tenait
seulement à la différence des voies d'administration, on verrait cette
différence être constante : elle ne l'est pas.
188 NOGUE. — ANESTHESIE.
Si, en effet, quand on adminislre la cocaïne par la voie stomacale,
la quantité nécessaire pour amener la mort reste toujours sensible-
ment la même, il n'en est pas de même pour les morts et les accidents
constatés chez l'homme après l'administration par la voie hypoder-
mique. Au contraire, ces accidents et ces morts ne constituent heu-
reusement que de rares exceptions, et, jusqu'à présent, seul le hasard
le plus capricieux semble présider à leur apparition.
Une même quantité administrée par le même procédé dans la
même région, au même titre, reste inofTensive chez certains sujets
et provoque des accidents chez un autre. Le même sujet chez lequel
on a injecté souvent la cocaïne à une dose donnée, sans inconvénient,
est pris d'accidents inquiétants après une administration absolument
identique aux précédentes.
Enfin chez les animaux, à la condition de suivre certaines indi-
cations, la quantité de cocaïne nécessaire pour tuer l'animal reste
la même, que le toxique soit donné par les voies stomacales ou par
la voie hypodermique.
Les différences constatées chez l'homme ne peuvent être expli-
quées par les différences des voies d'administration.
Ainsi donc, les différences de résultats observées chez l'homme,
sous l'influence de la cocaïne, ne pouvant être expliquées ni par
les quantités de cocaïne contenues dans le sang, ni par la voie
d'administration, on est conduit de nouveau à cette conclusion,
de plus en plus probable, qu'il s'agit réellement là de deux méca-
nismes différents. Les faits suivants, du reste, vont apporter un
nouvel appui à cette conclusioa (Alaurel).
Si, en effet, en restant dans le domaine clinique, l'un de ces deux
genres de mort, celui par les petites doses, semble n'être que le jeu
du hasard, il prend au contraire un singulier caractère de certitude
quand on se place sur le terrain expérimental. Sur ce terrain, les
caractères des deux genres de mort s'accentuent, et la différence
de leurs mécanismes, sans que nous puissions encore pénétrer ces
mécanismes, ressort plus nettement.
Nous pouvons à volonté produire les deux morts et à des doses
sûres. Pour tuer un kilogramme de lapin parla voie stomacale ou
la voie hypodermique, il faut arriver à environ Ob', 25 de sel de
cocaïne, et tout aussi sûrement, nous pouvons tuer la même
quantité de cet animal en injectant dans ses veines 0''",01 de ce
même sel à un titre donné.
Ici, on le voit, le second genre de mort se dégage de ses obscu-
rités. Pour donner la mort d'une manière certaine avec les petites
doses, il faut injecter le toxique dans le système veineux : d'où
cette conclusion probable que, dans les cas d'injection hypo-
dermique suivie d'accidents, l'injection a dû exceptionnellement
pénétrer dans les vaisseaux.
AXESTHESIE PAR INJECTION DANS LES TISSUS. 189
Ainsi, pour produire la mort par ijeliles doses, la pénélralion vou-
lue ou involontaire de la cocaïne dans le système veineux est indis-
pensable : sans cette pénétration, elle ne peut avoir lieu. Mais celte
pénétration suffit-elle ? Non, car si Ton fait arriver dans les veines
la cocaïne en solution étendue, on évite ces accidents. Ce qui fait
donc le danger des injections intraveineuses, c'est-à-dire les acci-
dents ou les morts sous l'influence des petites doses, c'est surtout
le titre des solutions injectées. Tandis que le lapin succombe
instantanément sous l'influence d'une injection intraveineuse de
O-*", 01 de chlorhydrate de cocaïne par kilogramme de poids en
solution à 1 p. 10, on peut, à la condition d'employer des solutions
étendues, injecter dans les mêmes veines des quantités trois ou
quatre fois plus fortes, sans produire de graves accidents.
D'une série d'expériences des plus minutieuses, Maurel a pu
déduire des faits intéresssants qu'on peut ainsi résumer :
Si l'on étudie l'action de la cocaïne sur les éléments figurés du
sang, on trouve que les injections faites au titre de Og'V20 p, 100
tuent les leucocytes très rapidement, tandis qu'à partir de Os"", 10 et
au-dessous les leucocytes résistent pendant quelques heures et
que jusqu'au titre de Os'", 02 p. 100 et peut-être au delà, ces titres suf-
fisent pour leur donner une tendance marquée vers la forme sphé-
rique. Quant aux hématies, même les fortes doses de 1 gramme
p. 100 sont sans action sur elles. Donc, si la cocaïne agit sur le
sang, c'est par l'intermédiaire des leucocytes qu'elle exerce son
action.
De plus il existe une certaine concordance entre les quantités de
cocaïne suffisantes pour produire les phénomènes d'intoxication
chez l'homme et celles qui sont nécessaires pour imprimer des
modifications sensibles à la totalité, ou tout au moins à une partie
notable de ses leucocytes.
C'est cette forme globuleuse des leucocytes qui va, d'après Mau-
rel, jouer un rôle si considérable dans les accidents toxiques.
Sous l'influence de la cocaïne administrée à la limite des doses
toxiques, les leucocytes perdent leur forme étalée et prennent une
forme subglobuleuse, qui incontestablement doit gêner la cir-
culation.
Que l'on suppose, par exemple, un vaisseau d'un calibre de 12 a
sur la paroi interne duquel rampe un leucocyte. Tant que cet
élément sera étalé, son épaisseur ne dépassant pas 3 a, il laissera
un espace de 9 u., permettant aux hématies de passer ; mais qu'au
contraire ce leucocyte prenne une forme subglobuleuse faisant
ainsi une saillie de 6 à 8 a dans l'intérieur du vaisseau, qu'en même
temps sa consistance augmente, et ce vaisseau deviendra infran-
chissable pour ces mêmes éléments. Or les vaisseaux de ce calibre
ne sont pas rares; ils sont forcément presque aussi nombreux que
190 KOGUÉ. — ANESTHESIE.
les capillaires et répandus dans tous les tissus el dans tous les
organes. Celle gène de la circulalion sera donc générale : elle se
produira dans la loLalilé de l'organisme . Or, clant donné que lissus
et organes perdent leur fonclion quand la circulalion leur manque,
on comprendra quels troubles considérables cette gène de la cir-
culation peut entraîner dans toutes les fonctions et quel danger
elle devient pour Torganisme, pour peu qu'elle s'accentue.
Aussi, vu ces considérations sur la circulation des capillaires
ei des petits vaisseaux, vu Timporlance bien connue de cette cir-
culalion sur le fonctionnement régulier des lissus et des organes ;
vu enfin les conclusions des expériences monlrant que la mort, sous
rinfluence de la cocaïne, n'arrive qu'aux doses suffisantes pour
imprimer aux leucocytes mobiles des modifications qui doivent
forcément gêner la circulalion de ces tissus et organes, on peut
conclure : qu'il est probable que les modifications que la cocaïne
imprime aux leucocytes mobiles interviennent dans la mort par
cet agent, au moins dans les cas d'empoisonnement par la voie
stomacale.
La suite des expériences faites par les voies hypodermiques intra-
veineuse ou inlra-artéi'ielle est venue confirmer ces résultats.
Quand la mort survient par saturation de l'organisme, l'anatomie
pathologique montre très nettement qu'il existe une contraction des
petits vaisseaux presque complète et un arrêt ou une gêne de
la circulalion des hématies par les leucocytes qui, prenant une forme
globuleuse et devenant plus consistants, diminuent le calibre de
ces vaisseaux ou l'obstruent complètement.
Mais la mort peut survenir, sans pour cela qu'on ait injecté chez
l'homme des doses toxiques : elle a été observée sous l'influence
de doses relativement minimes. C'est alors la mort par accident.
Lorsque la cocaïne pénètre dans le torrent circulatoire à un
titre non toxique pour les leucocytes, il faut donc, pour que cetagent
fasse sentir son action, que la quantité ayant pénétré dans l'orga-
nisme soit telle que la totalité de sa partie liquide contienne la
cocaïne à un titre qui puisse influencer les leucocytes. La cocaïne
n'agit alors qu'après saturation de l'organisme. C'est la mort par satu-
ration : el il suffit dans ces cas que les leucocytes aient une tendance
mari|uée vers la forme sphérique pour conduire à ce résultat.
Au contraire, quand la cocaïne arrive dans le sang à un titre
fortement toxique pour les leucocytes, ceux-ci, déjà en contact,
perdent leur adhérence, deviennent sphériques et rigides, sont
emportés par le torrent circulatoire el peuvent produire la mort
comme de véritables embolies.
C'est exactement ce qui se produit quand on injecte dans les
veines d'un animal une poudre inerte, telle ({ue la poudre de lyco-
pode : les symptômes et les lésions anatomiques sont les mêmes
ANESTIIÉSIE PAU IXJECTIOxN DANS LES TISSUS. 191
que ceux qu'on observe dans la mort par injeclion intraveineuse
de eocaïne à un litre fortement leucocyticide. C'est dans les troubles
delà circulation pulmonaire qu'il faut en chercher la cause.
Si on injecte la cocaïne aux mêmes doses, mais à un litre incapable
de rendre les leucocytes sphériques, la mort ne se produit pas :
c'est donc le titre et non la dose qui constitue le danger de
ces injections intraveineuses.
Enfin, si la mort accidentelle par la cocaïne est souvent d'ordre
mécanique, si ce toxique n'intervient que pour transformer les
leucocytes en embolies inertes qui vont obstruer les capillaires
pulmonaires, n'était-il pas possible de rendre ces injections intra-
veineuses inoQ'ensives, môme quand elles sont faites à un titre
très toxique, en filtrant le sang- et en le débarrassant des leucocytes
devenus sphériques avant leur arrivée au poumon?
En effet, si l'on injecte la cocaïne dans les artères (fémorale,
rjnale, etc.), les leucocytes rendus sphériques sont arrêtés dans le
système capillaire et ne peuvent arriver au poumon. 11 n'y a donc
pas d'embolie. Dans ces cas cependant, la cocaïne, après avoir
exercé son action sur les leucocytes, reste bien dans le sang, et
elle ne perd aucune de ses propriétés. Mais elle ne fait sentir son
action que lorsque la quantité injectée a mis la totalité des liqui-
des de l'organisme à un titre suffisant pour agir sur les leuco-
cytes. Nous retombons dans le cas de mort par saturation. Dans
l'autre, rappelons-le, la mort est due à la suppression de l'acte res-
piratoire, qui elle-même reconnaît pour cause la suppression de
la sensibilité de la surface pulmonaire. Les leucocytes emboliques,
en supprimant les échanges du tissu pulmonaire, suppriment sa
sensibilité à son excitant naturel, et, le réflexe respiratoire étant
ainsi suspendu dans son acte initial, la respiration s'arrête ; c'est
la mort par embolie pulmonaire.
Intoxication. — Il faut bien connaître le tableau d'une intoxi-
cation par la cocaïne. Le P"' Reclus, avec sa profonde expé-
rience et son grand talent, nous l'expose ainsi :
L'intoxication débute par une sorte d'ivresse que traduisent de la
loquacité, des fusées de rire, de l'attendrissement, puis souvent aussi
de la fureur, des hallucinations de la vue et de l'ouïe, un délire
bruyant que suspendent des vertiges, des lipothymies et parfois
la syncope totale ; la face est d'une pâleur livide et couverte de sueur
froide. S'il n'y a pas de syncope ou si le patient revient à lui, il
est pris de tremblements et de convulsions toniques ou cloniques
qui, lorsqu'elles atteignent certains muscles essentiels, tels que
le diaphragme, peuvent provoquer un danger immédiat. On observe
en même temps des nausées, des vertiges, une dilatation de la
pupille, puis le collapsus vient et le malade meurt.
On a signalé des troubles, moins graves, mais qui prennent sou-
192 NOGUÉ. — ANESTHESIE.
vent une marche chronique, des défaillances intellectuelles, une
perle de mémoire, de Tinsomnie, des cardialgies rebelles, de
l'anémie persistante, une démarche spasmodique, une exagération
des réflexes, de la maladresse musculaire, du ténesme rectal et
viscéral, de la polyurie. Enfin on a constaté qu'une simple injec-
tion pouvait, chez un prédisposé, éveiller une psychose post-
opératoire.
Nous avons vu que la cocaïne avait, au delà de certaines doses,
une action toxique très nette chez Fhomme comme chez les ani-
maux. Ces doses, seules l'expérimentation et la clinique pouvaient
les déterminer avec une suffisante précision.
Aussi, au début de l'anesthésie cocaïnique, certains accidents
dus à l'imprudence des opérateurs survinrent, dont quelques-
uns retentirent au point de jeter le discrédit sur ce précieux
agent.
Le plus célèbre fut celui du P'' Kolommin. qui injecta dans le rec-
tum d'une malade la dose énorme de ls'",50 de cocaïne : la patiente
mourut et de désespoir le malheureux chirurgien se suicida. Baratoux
a rapporté l'histoire dun pharmacien qui, se croyant atteint de
diphtérie, se fit dans la gorge pendant plusieurs heures des pulvérisa-
tions de cocaïne. Après une série de syncopes, il succomba. Abadie a
cité l'observation d'une femme de soixante-douze ans, déjà frappée
d'apoplexie depuis trois mois, qui subit dans la paupière inférieure
une injection de 0g'",04 de cocaïne : l'opération terminée, la malade
se leva en titubant, pour s'affaisser sur le sol. j\Ialgré des injections
d'éthèr et de caféine, cette malade mourut cinq heures après.
Delbosc, dans son excellente thèse de 1889, a relevé tous les
cas d'intoxication connus à celte époque sous la forme de tableaux
qu'il est intéressant de reproduire.
ANESTHESIE PAR INJECTION DANS LES TISSUS.
193
ODSERVATEIUS.
PHÉNOMÈNES OnSERVKS.
Mosi:.
Adams Frost {Trihiine méd.,
Pâleur de la face, sueurs pro-
0,0005
1" janv. 1888).
fuses, pouls petit et ralenti.
Zicm [AlUf. med,Cenlralzeilun(j,
Pâleur de la face, embarras de
0,004
188â, n"90).
la respiration.
Heuse {Tribune méd., 1"" janv.
Dyspnée, vomissements.
0,0045
1888\
Mayerhaiiseri {Frunce méd.
Céphalalgie, sécheresse de la
0,005
27 févr. 1886).
gorge, nausées; puis agitation,
inappétence pendant 48 heures.
Call [Soc. médico-chirurgicale de
Mouvements convuisifs.
0,005
Madrid , cité par Mattison
dans Therapeulic Gazelle, du
16 janv. 1888k
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Céphalalgie, malaise, titubalion,
perte de l'appélit.
0,005
Mowat {Lancet, 13 oct. 1888).
Petitesse du pouls, convulsions.
0,0075
Tipton {Tribune mèd., l'"' janv.
Pùleur de la face, vomissements,
0.008
1888).
petitesse du pouls.
Reich [Paris méd., 6 levr. 1886).
Tremblements, vertiges, sueurs
froides.
0,01
GoculeL [Art c/ert/.are, janv. 1888,
Pâleur de la face, syncope, puis
0,01
p. 644).
convulsions et contractures.
Ducourneau {Art dentaire, avril
Stupeur, angoisse.
0,01
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Knapp (Paris méd., 8 févr. 1886).
Lividité cadavérique, sueurs.
0,011
Id.
Pâleur de la face.
0,012
Reich (Paris méd., 6 févr. 1886).
Défaillance, vomissements.
0,012
Hall et Halster {Gaz. méd. de
Vertiges, vomissements.
0,012à0,014
Paris, 1883, n° 4).
Howel ^^'ay {Tribune méd.,
4 cas dïntoxication.
0,012 à, 0015
le-- janv. 1888).
Galezowski ( 7Vi6. méd., l>'''janv.
Titubation, embarras paralytique
0,015
1888).
de la langue pendant 30 heures.
Cosmos, 11 fév. 1888
Syncope, accidents graves pen-
dant 1 heure.
0,015
Bresgen [Trib. méd., l<^'' janv.
Xausées. troubles dans la marche,
0,015
1888).
e-tcitation suivie de dépression.
Griswald {Trib. méd., l^'" janv.
Défaillance, vertige, pouls fili-
0,018
1888).
forme, troubles de la vue, syn-
cope.
Blodgett {Boston med. and sur-
Défaillance, sueurs froides, inter-
0,018
çfical Journal, cité par Matti-
valle de collapsus profond avec
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perte de connaissance, délire.
Stevens {France méd., 27 févr.
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Préterre (La cocaïne en chirurgie
Mouvements convuisifs, troubles
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Résolution musculaire, troubles
0,02
schr., 1888, p. 583).
de la circulation, angoisse,
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Meyer et Bardet (Bull, de thé-
Syncope.
0,02
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Stevens {France méd., 27 févr.
Défaillance, vertiges.
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1886).
i
Traité de stom.\tologie.
VI.
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194
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Paralysie partielle, enil^arras de
la respiration, incapacité de
parole et de déglutition.
Céphalalgie, nausées, troubles
visuele, pleurs abondants.
Nausées, difficulté de respirer,
embarras de la parole: ensuite
pleurs, suivis d'accès d'hUarité.
Dilatation de la pupille, séche-
resse de la gorge; troubles de
la vue pendant une semaine.
\ausées,crampes dans les mollets,
fièvre pendant la nuit.
Mort.
Sensation d'étouTemcnt, impos-
sibilité d'avaler, prostration,
aphonie, faiblesse dans les
jaml)es.
3 heures de coUapsus voisin du
coma.
Difficulté d"avaler, trouble de la
vision, faiblesse dans les
jambes.
Sueurs et refroidissement des
extrémités.
\'ertiges, nausées, diarrhée.
Sueurs froides, nausées, vomis-
sements.
Pâleur, angoisse précordiale,
troubles circulatoires.
Accélération des battements du
cœur, état marqué d'hilarité.
Palpitation, sentiment de suffo-
cation, excitation générale et
loquacité.
Syncope de 3 minutes.
Délire, refroidissement des extré-
mités.
Troubles de la vue et syncope.
Deux heures et demie de syncope
Délire, troubles de la circulation
et de la respiration.
Tendance à la syncope pendant
six heures.
Convulsions.
Étouffement, tremblement ner-
veux, faiblesse dans les jambes,
pleurs.
Pâleur, vertiges, dyspnée, vomis-
sements.
Vertiges, vomissements, oppres-
sion.
0,03
0,03
0,03
0,0314
0,04
0,05
0,03
0,05
0,05
0,05
0.05
0,05
0,06
0,06
0,06
0,06
0,06
0,06
0,064
0,064
0,065
0,05
0,07
0,07
0,08
ANESTHESIE l'AU INJECTIO.N DANS LES TISSUS.
195
oi!sni»VATi:iiiis.
riii:>OMi:NES ousebves.
Prétorre (Cocaïne en chiriM-^io
dentaire, p. 55).
Sclmyder (Corresp. Blall. f. sch.
.i-irzsie, cité par Mattison,
loc. cil.).
Pitts {Lancet, 1S87, 24 déc.)
PnHerre (Cocaïne en chirurgie
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Kolomin (Therap. Monatshefte,
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Bulletin méd., 24 févr. 1889.
Ricci (Deutsche med. Wochen-
schr., 1887, n» 81, p. 894).
MontaUi (Sperimenlale sept.
1888, p. 294).
Céphalalgie, nausées, troubles
visuels.
Mouvements convulsifs, refroi-
dissement des extrémités.
Troubles de la circulation et de
la respiration, vomissements.
Coustriction à la gorge, engour-
dissement des pieds, prostra-
tion, syncope.
Douleurs lombaires, vertiges,
coUapsus pendant une heui-e.
Vertiges, prostration, dyspnée,
faiblesse du pouls.
Syncope, raideur des extrémités.
Excitation cérébrale, analgésie
généralisée.
Syncope et convulsions.
N'ertiges, tendances syncopales.
Convulsions pendant demi-heure .
Excitation cérébrale: accès de
fureur et d'attendrissement.
Troubles de la respiration, réso-
lution musculaire.
Délire, amaurose pendant 4 h.
Dyspnée, dysphagie et agrj-pnce
pendant 20 heures.
Nausées, état de collapsus.
Troubles respiratoires, nausées
crampes dans les jambes, liai
lucinations.
Confusions des idées, imminence
de suffocation.
Convulsions, syncope de 5 mi-
nutes.
Nausées, incohérences de la pa
rôle et des idées.
Agitation, subdelirium, troubles
intellectuels sui\is de céi^lia
lalgie.
.Mort,
lîlat demi-comateux, contracture
musculaire généralisée.
10 heures de collapsus.
Mort.
Mort.
Excitation extrême, gesticula-
tions choréiques, accélération
du pouls et de la respiration;
4 jours plus tard, retour des
mêmes accidents.
Mort.
O.OS
0,09
0,09
0,10
0,10
0,10
0,10
0,10
0,115
0,12
0,12
0,15
0,15
0,18
0,20
0,24
0,25
0,25
0.30
0,30
0,65
0,75
1 S»-.
1 gr-
1,04
1,25
1,25
1,50
196 NOGUÉ. — ANESTHESIE.
Depuis, d'autres cas de morl oui été signalés et même des cas
d'intoxication grave avec des doses minimes.
<c En somme, dit Reclus, les accidents graves imputables à
la cocaïne sont dus à des doses invraisemblables. Certes nous ne
prétendons pas toujours innocenter les faibles doses : il est possible
que les 5, 10, 15, '20 centigrammes que nous employons d'habi-
tude puissent provoquer des accidents légers ou redoutables.
Pourquoi cet alcaloïde échapperait-il à la commune loi? Sans qu'on
ait dépassé les quantités ordinaires, la morphine, l'atropine, la
strychnine ont souvent provoqué des intoxications. Il faut compter
avec les idiosyncrasies, les susceptibilités particulières, et nous ne
saurions tro}> recommander la plus extrême prudence. ■■
On ne saurait, en elTet, trop insister sur ce dernier conseil. C'est
que les cas d'idiosyncrasie se présentent fréquemment dans la
clientèle. Hallopeau accuse une dose de 8 milligrammes d'avoir
occasionné des accidents qui durèrent plusieurs mois. Marsat (de
BéthuneV qui s'en est servi journellement pendant deux ans pour
l'extraction des dents, a observé chez un grand nombre d'individus
de petits accidents, tels que pâleur de la face, transpiration abon-
dante, vertiges, voire même des alertes assez sérieuses : tachy-
cardies, syncopes, convulsions épileptiformes. Chez un homme
de dix-neuf ans, robuste et sans antécédents nerveux, il observa,
cinq minutes après l'injection de 1 centigramme de cocaïne, de la
pâleur de la l'ace, de la dilatation des pupilles, de la moiteur de
la peau. Puis légère rougeur des pommettes, persistance de la
dilatation j)upillaire, raideur de la nuque, contractures musculaires
généralisées aux jambes, à l'annulaire, au petit doigt et enfin à la
face et aux lèvres. Pendant toute la durée de cette crise, le malade
ne perdit pas connaissance : aucune trace de salive dans la bouche,
et la langue sèche avait l'aspect d'une langue de chat.
On rappelle souvent l'intéressante observation de Hugenschmidt
pour montrer quelle peut être rinfluence de l'imagination sur un
malade. Notre confrère est appelé pour administrer la cocaïne à une
dame d'une soixantaine d'années pour une opération dentaire dou-
loureuse. Il la trouve très surexcitée et persuadée, d'après le récit
d'un médecin, que le médicament dont on va se servir est des plus
dangereux. Dans de telles conditions, Hugenschmidt refuse d'admi-
nistrer la cocaïne : mais, pressé par sa cliente, il fait semblant d'accéder
à son désir et injecte X gouttes d'eau distillée. En moins de trente
secondes, la malade se plaignait de douleurs terribles dans la tète, se
levait rapidement, faisait quelques pas et tombaitdans un fauteuil en
criant : « .Je meurs! « Puis survint une syncope qui dura une demi-
heure.
Traitement de l'intoxication cocaïnique. — Si nous partons de
cette hypothèse de Maurelque tout le danger de la cocaïne provient
ANESTHÉSIE PAR INJECTION DANS LES TISSUS. 197
do rombolie pulmonaire, riiulication la plus nette est la nécessité de
la respiration artificielle. Ce qu'il faut, c'est faire pénétrer dans le
san^" une quantité doxygène suffisante pour entretenir la vie des
éléments histologiques : sans cela, aux dangers de rombolie pulmo-
naire se joindra bientôt celui du défaut de fonction de tous les
éléments.
On fera donc la respiration artificielle par tractions rylhmées de
la langue. Elle devra élre continuée sans répit et parfois fort long-
temps.
En effet deux cas peuvent se présenter. Il peut se faire que les
leucocytes emboliques n'aient pas été tués par la cocaïne. Or, dans
ce cas, on verra les accidents disparaître rapidement. La circulation,
quoique faible, se faisant toujours, les leucocytes se trouvent bientôt
dans un sang moins chargé de cocaïne, et ils ne tarderont pas à
reprendre leur mobilité et leur souplesse. La perméabilité des capil-
laires pulmonaires se trouve ainsi rétablie et, avec cette |)erméabilité,
la sensibilité de la surface pulmonaire, ce qui rendra dès lors la
respiration artificielle inutile.
Dans le second cas, lorsque les leucocytes emboliques auront été
tués, l'intervention devra èlre plus prolongée. L'obstacle mécanique
qu'ils constituent ne pourra disparaître que par leur désagrégation.
Or parfois une heure et peut-èlre plusieurs heures seront nécessaires
pour que cette désagrégation ait lieu.
Mais la respiration artificielle n'est pas la seule indication. La
cocaïne agit en outre en contractant fortement les petits vaisseaux.
Il faudra donc faire appel aux vaso-dilatateurs et, en premier lieu, à
la chaleur. Ne serait-il pas avantageux de faire respirer de l'air à
40° (Maurel)?
Enfin il faudrait faciliter la perméabilité des capillaires par l'emploi
des agents capables d'exagérer l'impulsion cardiaque.
Quand il s'agit des accidents produits par la saturation de l'orga-
nisme, il faudrait connaître un agent qui fût l'antidote de la cocaïne.
Mais cet agent n'a pas été découvert; on peut utiliser ici cette notion
que les températures élevées rendent les leucocytes plus résistants
à l'intoxication cocaïnique. Il faudra donc réchauffer le malade par
tous les moyens possibles, boissons chaudes, bains chauds, etc. ;
administrer les agents vaso-dilatateurs, les médicaments cardiaques.
Tenant compte que la toxicité de la cocaïne est proportionnelle non
à la quantité contenue dans l'organisme, mais au litre auquel cette
quantité met le sang (Maurel), il paraît indiqué de faire pénétrer dans
le torrent circulatoire la plus grande quantité d'eau possible pour
diminuer ainsi le degré de la solution sanguine. Les boissons abon
dantes agiront en diminuant la dose de cocaïne contenue dans
une quantitédonnée de sang. Mais, en outre, ces boissons abondantes
répondront à une indication tout aussi importante, celle de favoriser
193 NOGUÉ. — AXESTHÉSIE.
rélimiualion du toxique. Cette élimination devra être obtenue par
trois voies :
a. Les purgatifs qui, en diminuant le plasma sanguin, débarrassent
l'organisme dune quantité proportionnelle de cocaïne;
h. Les diurétiques, qui augmentent l'élimination rénale;
c. Les sudorifiques, qui produisent du côté de la peau le mêmfr
résultat que les diurétiques du côté du rein.
Comme traitement de l'intoxication cocaïnique, on a proposé Ifr
nitrite d'amyle en inhalations à la dose de III à IV gouttes. C'est un
vaso-dilatateur énergique. Cependant la pratique n'a guère sanc-
tionné les données de la théorie.
On ne saurait compter sur l'action de médicaments antagonistes,
qui restent d'ailleurs encore à découvrir. Le mieux, comme le conseille
Legrand,àlasuite de son maître Reclus, c'est de s'en tenir aux moyens
que le bon sens conseille : coucher le malade dans le décubitus
horizontal, la tête légèrement renversée en arrière ; pratiquer sur le
visage et la poitrine des flagellations avec des compresses trempées
dans de l'eau chaude ou de l'eau froide, faire absorber du café relevé
de quelques cuillerées de rhum ou de cognac, injecter sous la peau
de la caféine et de l'éther, friclionner vigoureusement tout le corps
et, le cas échéant, recourir sans relâche à la respiration artificielle, car
on l'a vue ramener lejeu normal des poumons, qui se ralentissait tout
à coup.
Titre des solutions cocaïniques. — Doses. — C'est le
P"" Reclus qui, après des années de patientes recherches, a pu for-
muler les règles de l'anesthésie cocaïnique. Ces règles, il les a
résumées dans cette formule lapidaire qu'il sera prudent de toujours-
observer: dose faible, titre faible, injection traçante.
Le titre de la solution a une importance extrême. Au début de
l'anesthésie cocaïnique, on employait couramment les solutions à
5 et même 10 p. 100; mais ce titre a été de plus en plus réduit^
et aujourd'hui on n'emploie plus que les solutions à 1 p. 100 et ù
1 p. 200.
Ce titre joue d'abord un rôle au point de vue de la toxicité. Une
solution concentrée à un titre déterminé est aussi toxique qu'une
solution étendue qui introduirait dans le même temps cinq à six fois
autant de cocaïne que la première dans l'épiderme. Il semble que la
saturation exagérée d'une petite portion de l'organisme ait par elle-
même des conséquences toxiques graves, et cela tout à fait indépen-
damment de la saturation totale qui l'accompagne. Ce phénomène»
très curieux au point de vue physiologique, a été observé très nette-
ment sous l'influence de la cocaïne; mais on l'a vu se reproduire
aussi avec d'autres substances (G. Pouchet'j.
Le titre de la solution joue un rôle important dans la rapidité,,
dans lintensité et dans la durée de l'anesthésie (Reclus). Avec les
ANESÏHÉSIE PAR INJECTION DANS LES TISSUS. 199
solutions i\ "JO, 10 et même 5 p. 100, on pouvait saisir rinslrument
tranchant dès l'injeclion finie, l'analgésie étant immédiate; elle est
encore presque immédiate avec les solutions à 2 p. 100. Mais avec les
solutions actuelles à 0,5 p. 100, un plus long- temps est nécessaire :
il faut attendre au moins deux à trois minutes avant d'intervenir,
sous peine de provoquer de la douleur.
Avec les solutions à 0,5 p. 100, on obtient une analgésie complète,
mais la sensibilité tactile est conservée. Il en est de même de la
sensibilité thermique.
La durée de l'anesthésie est également beaucoup moindre avec
les solutions à 0,5 p. 100 qu'avec les solutions au vingtième : avec ces
dernières, on avait pu prolonger les opérations pendant plus d'une
heure.
Notre solution préférée, dit le P"" Reclus, et recommandée
est 0,5 p. 100. Cependant, pour les tissus très sensibles, tégument
interne et externe, peau et muqueuse, et chez des personnes très
impressionnables, on pourrait encore user quelquefois de solutions
à 1 p. 100; mais, pour les aponévroses, beaucoup mieux innervées
cependant qu'on semble le croire, pour les muscles et pour le périoste,
j'ai toujours, dans toutes les circonstances, eu recours aux injections
à 0,5 p. 100 seulement, mais peut-être injectées plus largement que
mes anciennes solutions à 1 p. 100. J'ai, comme disent mes élèves, la
seringue plus u facile».
Quant aux doses, elles sont évidemment très variables selon bien
des circonstances. Reclus n'hésite pas à pousser les doses jusqu'à
4, 6, 10, 15 seringues et même 19 seringues de la solution à 1 p. 100,
le double avec la solution moitié moindre, ce qui représente une dose
d'alcaloïde allant jusqu'à 19 centigrammes. Reclus recommande
de ne jamais atteindre 20 centigrammes, se basant sur ce fait qu'on a
observé un cas de mort après une injection de 22 centigrammes.
Il estime que, en prenant toutes les précautions qu'il indique, il
n'y a aucun danger au-dessous de ces doses.
En stomatologie, on ne saurait conseiller ces doses élevées. C'est
que, dans notre spécialité, il n'est guère possible d'opérer comme
le conseille Reclus dans la position couchée. Force est donc de
réduire les doses à leur minimum. Nous pensons donc que la dose de
1 centigramme doit être la dose habituelle. Mieux vaut également
adopter la dilution de 0,5 p. 100. Dans ces conditions, 1 centi-
mètre cube contient Og'',005, et on utilise une seringue de la
capacité de 2 centimètres cubes : une seringue entière représente
1 centigramme. Parfois 1 centimètre cube de liquide est suffisant
autour de certaines dents; d'autres fois on peut aller jusqu'à la
seringue complète. Une trop grande quantité de liquide ne saurait
en elfet être injectée dans les tissus gingivaux sans inconvénients
(tluxions consécutives, œdème, etc.).
200 . ^OGUE. — ANESTHÉSIE.
Contre-indications de la cocaïne. — La cocaïne est contre-
indiquée chez lesenlanls au-dessous de huit à dix ans ; encore con-
viendra-t-il, quand on en fait usage au-dessous de quinze à seize ans,
de se montrer très circonspect.
Elle est contre-indiquée chez tous les affaiblis, les cachectiques,
les vieillards, les artérioscléreux et chez toute personne présentant
quelques lésions cardiaques.
Il sera particulièrement sage de ne jamais l'administrer aux
brightiques et de se montrer très prudent chez les emphyséma-
teux.
Gabriel Pouchet a excellemment formulé les contre-indications
de la cocaïne.
Tout d'abord, dit-il, une contre-indication, c'est celle miseenavant
par une Commission de l'Académie de médecine qui s'est occupée,
en 1891, d'étudier les conditions dans lesquelles devait se pratiquer
l'analgésie par la cocaïne. Ces conditions sont relativesà l'état névro-
pathique de l'individu.
Il y a des individus chez lesquels il est impossible de faire usage de
certains médicaments, parcequ'ils ont, au sujet de ces médicaments,
uneterreur, une aversion plus oumoins justifiée et qu'on estàpeu près
sûr de voir se développer chez eux, sous l'influence non seulement
d'une dose très minime, mais même de pilules de mie de pain, des
accidents plus ou moins graves. Dans ce cas, il est bon de s'abstenir
de l'usage de la cocaïne.
On a ditqu'il était illogique de pratiquer des injections de cocaïne
dans les tissus sans vitalité, dans des tissus en état d'asphyxie ou
bien atteints de troubles trophiques. Cette manière de voir, de
l'avis de Pouchet, serait en concordance avec l'action nécrosante
de la cocaïne dans certaines circonstances.
D'autre part, Reclus insiste beaucoup sur ce fait que, dans ce
qu'il appelle les opérations non réglées, la cocaïne est plutôt nuisible
qu'utile. Par opérations non réglées, il faut entendre celles dans
lesquelles on peut se trouver exposé à aller beaucoup plus loin qu'on
ne pensait. Par exemple, quand, dans une opération pour néoplasme,
on peut se trouver entraîné à poursuivre des ganglions plus ou
moins éloignés.
Un autre inconvénient peut résulter de la trop grande étendue du
champ opératoire, à moins que ce champ ne soit superficiel, qu'il n'y
ait pas plusieurs plans de tissus à analgésier.
Enfin, dans les tissus ulcérés, le liquide peuts'échapper sans servir
utilement à l'anesthésie. Cela se produit surtout lorsqu'on introduit
des solutions de cocaïne chez desindividus affectés de gingivo-périos-
tite ou bien d'adénite tuberculeuse suppurée, ou bien lorsqu'on veut
se servir de cocaïne pour l'analgésie de fistules anales multiples.
En pareilles circonstances, on risque de ne produire qu'une analgésie
ANESTHÉSIE. PAR INJECTION DANS LES TISSUS. 201
insullisante par suite de lecoulement Irop rapide, eu dehors des
tissus, de la solution de cocaïne : ou bien encore on risque des
accidents d'inloxication générale à cause de l'absorption trop
intense.
En résumé, les opérations irrégulières, telles que Reclus les
dépeint : celles à foyer mal délimité, capables de déterminer des
surprises pour l'opérateur, ou bien celles qui doivent se faire sur un
champ opératoire trop étendu à étages superposés, nécessitant
l'emploi d'une trop grande quantité de cocaïne , ou bien l'emploi de
cocaïne dans des tissus ulcérés, déjà enflammés: toutes ces circon-
stances sont autant de contre-indications à l'emploi de la cocaïne.
Elles mettent l'opérateur dans l'obligation d'avoir recours auxhypno-
aneslhésiques, à moins cependant que l'âge, la faiblesse du malade,
l'état de déchéance organique ou des stases d'origine cardiaque ou
pulmonaire ne viennent constituer des contre-indications encore plus
impérieuses à l'emploi des hypno-anesthésiques.
Anesthésie cocaïnique par infiltration. Méthode de
Schleich. — En 1892, Schleich fit connaître son procédé danesthésie
par infiltration basé sur l'observation de Liebreich, qu'on peut
obtenir une anesthésie locale, précédée d'une période d'hyperes-
Ihésie, par une simple injection sous-cutanée d'eau distillée.
Il se produit une papule fortement saillante à la surface de l'épi-
derme. Si, au lieu d'eau distillée, on injecte du sérum physiologique
(chlorure de sodium à (\ p. 1000), il n'y a ni hyperesthésie,ni
anesthésie.
Schleich pensa que, entre l'eau distillée produisant une hyperes-
thésie puis une anesthésie, et la solution de sérum physiologique ne
produisant ni l'une ni l'autre, ildevaitexister une solution de chlorure
de sodium à un titre particulier ne déterminant pas d'hyperesthésie,
mais capable cependant de produire l'anesthésie, et en effet il aurait
réalisé cette solution en faisant dissoudre du chlorure de sodium
dans de l'eau dans la proportion de 2 p. 1000. Bien plus, lorsqu'au
lieu d'expérimenter avec des solutions de sels inofl'ensifs, comme
le chlorure de sodium, on utilise des solutions de cocaïne, il observa
que l'action aneslhésiante de la cocaïne était variable suivant le titre
des solutions, la technique du procédé restant toujours la même, c'est-à-
dire des gouttelettes étant introduites sous l'épiderme dans l'épais-
seur du derme.
En parlant du titre de 1 p. 100 de chlorhydrate de cocaïne et en
abaissant peu à peu le titre des solutions, il arriva à remarquer que
la solution de cocaïne à 2 centigrammes pour 100 grammes d'eau
déterminait une anesthésie aussi nette, aussi intense que celle produite
par une solution de cocaïne à 1 p. 100. Avec des solutions plus faibles,
c'est-à-dire d'une teneur moindre que 2 centigrammes de chlorhydrate
de cocaïne pour 200 grammes d'eau, il avait bien de l'anesthésie,
202 NOGUE. — ANESÏHESIE.
mais cette aneslhésie était précédée d'une période plus accentuée
d'hvpereslhésie.
Enfin, avec des solutions de cocaïne, de richesse supérieure à
2 p. 100 (il essaya les solutions de 2 à 4 p. 100), il y avait des modifi-
cations diverses des sensations douloureuses, suivies d'anesthésie ;
il en était de même avec les solutions de chlorure de sodium à des
litres différents, mais supérieurs à G p. 1000 ou inférieurs à 2 p. 1000.
La solution de chlorure de sodium à 2 p. 1 000 détermine au
début non pas Ihyperesthésie, mais de la paresthésie, c'est-à-
dire une modification dans la pei-ception ressentie, n'allant pas jus-
qu'à la douleur, et qui consiste en une sensation de tension, de dé-
mangeaison, qui est bientôt remplacée par une anesthésie absolument
complète.
La solution de chlorure de sodium à 2 p. 1 000 réalise donc pour
Schleich un véritable anesthésique local; mais il fait cette restriction
quel'aneslhésie locale ainsi obtenue se réalise surtout dans les tissus
sains et que, lorsque les tissus ne sont pas dans leur état d'intégrité
parfaite, il est nécessaire de faire intervenir une substance agissant
d'une façon physico-chimique sur les terminaisons nerveuses sensi-
tives. 11 fait alors intervenir la cocaïne et même, comme nous allons
le voir dans un moment, la morphine. Il aurait observé, en effet, que
cette solution de chlorure de sodium à 2 p. 1000 est capable, lors-
qu'on y fait dissoudre de la cocaïne, de déterminer une anesthésie
aussi considérable que celle produite par la solution de cocaïne à
1 p. 100, mais à des titres de cocaïne infiniment inférieurs. Ainsi le
titre de la solution de cocaïne suffisant pour produire lanesthésie,
c'est-à-dire 2 centigrammes de cocaïne pour 100 grammes d'eau,
peut être réduit de moitié, soit à 1 centigramme, quand on opère la
dissolution dans une solution de chlorure de sodium à 2 p. 1 000
au lieu d'eau distillée.
Schleich montra également que le chlorure de sodium n'était pas
la seule substance capable de d terminer ainsi de l'anesthésie :
qu'une solution de sucre à 3 p. 100, une solution de bromure de
potassium au même titre, une solution de caféine à 2 p. 100, seraient
également capables de déterminer une anesthésie plus ou moins
considérable. Mais, pour toutes ces substances, de même que
pour la morphine et pour la cocaïne, il y aurait un titre optimum
de solution qui serait celui auquel il faudrait s'arrêter pour réaliser
de la meilleure faron possible l'anesthésie chirurgicale. Ainsi, pour
ce qui concerne exclusivement la cocaïne, on observerait une pares-
thésie préalable avec une solution de cocaïne à 1 centigramme
p. 100 et au-dessous, tandis qu'on observe une anesthésie locale
pure et simple avec des solutions dont le titre varie de 2 centi-
grammes jusqu'à 2 grammes p. 100, et enfin l'anesthésie
douloureuse, c'est-à-dire l'anesthésie précédée de la période
ANESTHÊSIE PAR INJECTION DANS LES TISSUS. 203
d'hyporosthésie avec une solution dont le litre est supérieur à
2 grammes p. JOO.
Le phénol est seulement anesthésique au titre de 2 centigrammes
î\ 1 gramme p. 100; tandis qu'au titre de 2 à 5 grammes p. 100 il
détermine une très vive douleur.
Schleich remarqua également que le chlorhydrate de morphine
en solution à 10 centigrammes p. 100 était capable de donner des
solutions anesthésiques produisant sensiblement les mêmes efTets
que la solution de cocaïne à 2 centigrammes p. 100.
Pour lui, lorsqu'il s'agit des tissus sains et de solution de chlorure
de sodium exclusivement, l'action anesthésianle ainsi obtenue peut
être interprétée grâce à l'intervention de trois facteurs : d'abord
une ischémie assez notable des tissus infdtrés par le liquide qu'on y
injecte ; ensuite une compression, assez notable également, des
rameaux nerveux sensitifs qui plongent dans ces tissus infdtrés,
et enfin la température du liquide qui viendrait jouer un rôle égale-
ment, car, toujours d'après Schleich, l'action anesthésique est
d'autant plus marciuée que le liquide en question est injecté à une
température plus basse, ceci, bien entendu, dans certaines limites
et relativement à la température normale physiologique : la tempé-
rature la plus basse à laquelle il fait ses injections est comprise
entre 10 et 12° C.
Il a recommandé trois solutions à des litres différents. Il les
appelle: solution forte, solution moyenne et solution faillie; elles
sont ainsi composées :
Forte. Moyenne. Faible.
Chlorhydrate de cocaïne 08S20 0«%10 Oe'.OlO
Chlorhydrate de moiphinc 0^^,02 08%02 0'!%005
Chloruie de sodium 0g'',20 Os^iO 08',200
Eau distillée 100 gr. 100 gr. 100 gr.
En somme, ces solutions diffèrent entre elles surtout par la
proportion de cocaïne, la quantité de morphine étant plus petite
aussi dans la solution faible, mais dans une moindre proportion que
la cocaïne.
Pour une seule opération, Schleich admet qu'on peut aller jusqu'à
injecter 25 centimètres cubes de la solution forte, 50 centimètres
cubes de la solution moyenne et 500 centimètres cubes, c'est-à-dire
un demi-litre, de la solution faible.
A son avis, la solution forte et la solution faible doivent être
réservées pour des cas particuliers: c'est la solution moyenne, c'est-à^
dire la solution à 10 centigrammes de cocaïne, 2 centigrammes de
chlorhydi-ate de morphine, 20 centigrammes de chlorure de sodium
pour 100 grammes d'eau, qui est celle avec laquelle il pratique la
presque totalité, ou la grande majorité tout au moins, de ses
opérations.
204 >'OGUE. — ANESTHESIE.
La solution forte doit être réservée pour les cas suivants : lorsque
la solution moyenne détermine de la douleur, lorsque les tissus à
aneslhésier sont déjà le siège d'une inflammation aiguë, ou bien
lorsqu'on opère dans un tissu cicatriciel en présence de névromes,
lorsqu'il y a une hyperesthésie généralisée. Daprès Schleich, ces
cas seraient assez rares.
Quant à la solution faible, il ne faut l'employer que dans les
circonstances suivantes : lorsque, après l'usage soit de la solution
forte, soit de la solution moyenne, on approche de la dose maxima
qu'il est prudent de ne pas dépasser, cest-à-dire lorsqu'on a em-
ployé 20 centimètres cubes de la solution forte, ou 40 centimètres
cubes de la solution moyenne. Il est alors prudent de continuer
avec la solution faible, pour ne pas atteindre tout de suite, en
quelques seringues seulement, les 25 grammes que Schleich donne
comme limite de la solution forte ou les 50 grammes qu'il donne
comme limite de la solution moyenne.
Au point de vue pratique, il aurait été très commode de pouvoir
condenser sous un petit volume le mélange des sels nécessaires et de
préparer des comprimés comme on le fait maintenant pour un
certain nombre de sels minéraux ou organiques, comprimés qu'il
eût été très simple de faire dissoudre dans la quantité voulue d'eau
distillée pour réaliser ainsi extemporanément la composition de ces
liquides. Malheureusement toutes les tentatives faites jusqu'ici pour
obtenir des comprimés présentant la composition voulue ont échoué
complètement, et on est obligé de préparer des solutions fraîches
à chaque opération.
Pour employer ces solutions, Schleich recommande également
une technique particulière, qu'il est absolument indispensable,
d'après lui, de suivre point par point si l'on ne veut pas aboutir à
un échec dans l'emploi de la méthode.
Il faudrait d'abord faire l'insensibilisation superficielle de la
région par la vaporisation soitd'éther, soit de chlorure d'éthyle, ou
bien, lorsque la région ne se prête pas à ce mode d'insensibilisation,
par l'application circonscrite d'une solution phéniquée forte (solu-
tion à 5 ou même 10 p. 100), ou bien encore par le badigeonnage préa-
lable d'une solution de cocaïne. C'est ainsi, par exemple, que, pour
le vagin, le rectum, la cavité buccale, il est impossible de faire au
préalable l'insensibilisation de la muqueuse avec un jet de chlorure
d'éthyle ou d'éther, et l'on est obligé d'avoir recours à l'attouchement
«vec la solution phéniquée ou avec un cristal de coca'ine. Il importe
beaucoup que la première piqûre ne développe aucune douleur. Le
jet de vapeur anesthésique, lorsque l'opération doit porter sur les
tissus enflammés, doit être dirigé progressivement de la partie
saine du tissu vers la partie enflammée.
Enfoncer alors l'aiguille de la seringue lentement et juste assez
ANESTHÉSIE PAR INJECTION DANS LES TISSUS, 205
pour riH-ouvrir (Milièrement rorifice de la canule. On prali(iue alors
une pression légère, et on voit se former, autour de laiguille, une
papule qui saccroit peu à peu à la périphérie : lorsque la dimension
de celte papule est à peu près égale à celle d'une pièce de 60 cen-
times, — et il est indispensable d'attendre ce moment, — on retire la
seringue et on l'enfonce de nouveau presque à la périphérie de cette
première papule, de façon à en produire une seconde, dont les bords
soient tangents ou même empiètent un peu sur les bords de la pre-
mière. On arrive ainsi à produire un chapelet de papules qui se
succèdent et qui indiquent le trajet que doit suivre l'instrument
tranchant.
Ensuite il faut faire Tanesthésie des couches profondes. D'après
Schleich, cette anesthésie doit se faire après avoir pratiqué des
incisions préalables lorsqu'il s'agit d'aller au delà des couches
musculaires ou aponévrotiques, à moins que les couches pro-
fondes à atteindre ne soient par trop éloignées de la peau.
Par ces procédés et avec ces solutions, on pourrait arriver à
anesthésier jusqu'au périoste et jusqu'à la moelle osseuse même,
en faisant des injections sous-périostées, en introduisant quelques
gouttes de la solution de cocaïne au contact de la moelle osseuse
après effraction préalable d'une fraction de l'os. Quant aux tissus
nerveux d'un volume un peu considérable qu'on pourrait rencontrer
sur sa route pendant le cours de l'opération et qu'il faudrait anes-
thésier, Schleich n'a pas l'air d'avoir ici grande confiance dans sa
solution de cocaïne, car il recommande de les toucher de préférence
avec une solution phéniquée à 5 p. 100, ou bien de pratiquer dans la
gaine celluleuse du nerf, suivant le procédé utilisé par François-
Franck pour l'expérimentation physiologique, l'injection d'une ou
deux gouttes de la solution cocaïnée.
Si, en pratiquant cette injection de solution cocaïnée dans la
gaine celluleuse des nerfs, on était absolument sûr de ne pas blesser
les éléments nerveux, ce serait très simple ; mais, en raison des
phénomènes graves qui pourraient résulter d'une lésion accidentelle
bien difficile à éviter en toute certitude, mieux vaut recourir à la
solution phéniquée à 5 p. 100 (G. Pouchet).
L'anesthésie persiste pendant une durée de quinze à vingt minutes,
et Schleich dit qu'il ne lui est jamais arrivé d'être obligé de recom-
mencer l'insensibilisation des couches superficielles pour faire les
sutures terminales.
L'opinion du D"" H. Braun (de Leipzig) (1) sur l'anesthésie par
infiltration mérite d'être citée :
« Je me suis livré à une série de recherches en vue de définir les
différents facteurs physiologiques dont il convient de tenir compte
(1) H. Braun, XXVII<^ Congrès de la Soc. de chir., 13 avril 1898.
206 >.OGUÉ. — ANESTHÉSIE.
relativement à l'action de Tanesthésie par infiltration ; je m'occu-
perai en premier lieu de FefTet produit par l'injection des solutions
aqueuses en général.
« Le premier de ces facteurs réside dans la température de la
solution et le second, qui est en même temps le plus important, dans
la pression osmotique. Cette dernière dépend de la concentration
de la solution et correspond de ce fait au point de congélation,
c'est-à-dire que toutes les solutions ayant la même température
de congélation provoquent dans les tissus la même pression osmo-
tique. Plus ce point de congélation se rapproche de celui des
tissus de l'organisme humain, plus la solution est indifférente.
En prenant les solutions de chlorure de sodium, jai trouvé
que la solution indifférente est représentée par une concentration
de 0,9 p. 100.
« Pour la cocaïne, la solution indifférente au point de vue osmo-
tique serait de 5,8 p. 100, Plus une solution s'éloigne de la concen-
tration indifférente, plus elle irrite les tissus, en produisant ulté-
rieurement un certain degré d'anesthésie. Celle-ci atteint son
maximum avec l'injection d'eau absolument pure.
u Celte aneslhésie est cependant de beaucoup inférieure à celle que
détermine l'injection de certains alcaloïdes possédant le pouvoir
spécifique de l'anesthésie locale. Les seuls qui peuvent entrer en
ligne de compte sont la cocaïne et Teucaïne. Leur puissance anes-
thésiante se manifeste de la manière la plus nette quand on les
dissout dans une solution physiologique de chlorure de sodium,
et ils atteignent leur effet maximum lorsqu'on les injecte à la tem-
pérature du corps, sans que toutefois la température de la solution
soit capable de modifier sensiblement leur action. Je considère que
l'adjonction d'une petite quantité de morphine, préconisée par
Schleich, ne présente aucun avantage, la morphine n'agissant
pas sur les terminaisons périphériques des nerfs sensibles : elle
paraîtrait plutôt nuisible, en ce sens qu'elle provoque facilement un
œdème local considérable, tel qu'on l'observe parfois après les
piqûres de morphine. La réfrigération préalable du point d'injection
n'est pas à recommander, puisque cette manœuvre est plus doulou-
reuse que l'introduction de la canule elle-même.
« Relativement à l'anesthésie locale par infiltration, j'estime qu'elle
constitue la méthode de choix en raison de son innocuité, qui a
cependant pour inconvénient de donner une consistance uniforme
aux divers tissus, et je la crois pour cette raison contre-indiquée
dans l'extirpation des néoplasmes malins, ainsi que pour le traite-
ment des suppurations diffuses. »
Avantages et inconvéxien'ts de la méthode de Schleich. — Les
avantages de la méthode de Schleich sont considérables du fait
qu'ils permettent l'anesthésie d'un champ opératoire très étendu
ANESTHESII-: PAR INJECTION DANS LES TISSUS. 207
avec uno ([uanliU' iniiiiiiK; de cocaïne. En outre, les hémorragies
sont considérablement diminuées dans les tissus infiltrés.
Mais il y a également des inconvénients, et ces inconvénients ont
déjù depuis longtemps été mis en évidence dans le pays même où
la méthode a pris naissance. En dehors du temps assez considérable
que demande la mise en œuvre de la méthode de Schleich, — car la
série de piqûres qu'il est nécessaire de faire, le trajet qu'il faut
suivre, la préparation des solutions, tout cela demande un temps
assez considérable, — en dehors de tout cela, il y a encore d'autres
inconvénients. Le plus important est certainement l'œdème que ce
procédé d'infdtration détermine dans la région qu'on veut anesthé-
sier, œdème qui voile cette région d'une façon plus ou moins
marquée, qui dissocie les tissus, qui peut même, dans certains cas,
<létruire les rapports anatomiques et faire qu'un nerf, une artère,
une veine arrivent à échapper au milieu de l'infUlration ou du moins
à n'être retrouvés qu'avec une certaine difficulté. Ce sont là des
points sur lesquels Hofmeister, en 1896, avait déjà insisté et qui
font qu'en somme la méthode de Schleich ne présente pas d'avan-
tages sur la méthode de Heclus, au contraire.
Enfin, un dernier point sur lequel il est nécessaire d'insister, est
celui-ci : lorsqu'on veut avoir recours à la méthode de Schleich, il
est important, pour pratiquer la constrictionavec une bande élasticjue,
que cette constriction soit faite après l'infiltration, l'injection j^ouvant
sans cela devenir très difficile, parce que le sang ne peut plus être
expulsé facilement dans la région dont la circulation a été suspendue
par la bande servant à exercer la constriction : l'injection devient
alors douloureuse.
Enfin il y a des difficultés particulières qu'on rencontre dans les
tissus enflammés ou dans les tissus scléreux, et les différents chirur-
giens qui ont employé les procédés de Schleich sont à peu près
unanimes pour reconnaître que, dans les tissus scléreux, il est
extrêmement difficile d'employer cette méthode par infiltration,
parce que la résistance de ces tissus est telle qu'on fait éclater le
corps de la seringue, ou bien que la canule lâche le corps de la
seringue, et qu'on rencontre des difficultés assez considérables si
l'on veut vaincre la pression énorme qu'il arrive d'être obligé de
surmonter pour infiltrer certains tissus.
En stomatologie, la méthode de Schleich est passible des mômes
reproches. Les tissus gingivaux sont d'une consistance générale-
ment très ferme, et on éprouve des difficultés marquées à y
faire pénétrer de grandes quantités de liquide. Nous ne pouvions
cependant la passer sous silence, en raison de l'intérêt qu'elle
présente en elle-même et des notions nouvelles qu'elle nous
fournit.
Préparation des solutions de cocaïne : stérilisation. — Il
208 NOGUÉ. — ANESTHÉSIE.
est possible de préparer soi-même extern poranément la solution de
cocaïne au moment de s'en servir. Il suffit, pour cela, d'avoir titré
d'avance à 1 centigramme de petits paquets de cocaïne. On trouve
éo-alement dans le commerce des comprimés de cocaïne dosés.
Dans une cupule de porcelaine, on fait bouillir un peu d'eau, puis,
à l'aide de la seringue préalablement stérilisée, on aspire 2 centi-
mètres cubes de cette eau, qu'on chasse ensuite dans une seconde
cupule. Il suffit d'y faire dissoudre la cocaïne et de reprendre alors
la solution dans la même seringue.
Ce procédé qui, dans la pratique, est suffisant, a l'inconvénient
d'être un peu long et surtout d'exposer à une erreur de dosage
toujours possible.
Il est préférable d'avoir recours à des préparations titrées
d'avance et stérilisées. La stérilisation, pratiquée dans un labo-
ratoire, oiïre toujours plus de garanties que la simple ébullition. Et
on conçoit l'importance qu'il y a pour l'opérateur à n'injecter dans les
tissus qu'un liquide parfaitement aseptique. Mais, avec la stérili-
sation à l'autoclave, on pouvait craindre, quand il s'agissait d'alca-
loïdes, que la chaleur ne les modifiât plus ou moins. C'est d'ailleurs
le reproche que les chirurgiens avaient fait aux solutions ainsi
stérilisées.
Sur ces entrefaites, Hérissey a démontré que, malgré l'opinion
courante, les solutions aqueuses de cocaïne peuvent, dans l'auto-
clave, être portées à la température de 115° et même de 120°;
il n'y a point de décomposition, il n'y a point de dédoublement, et la
cocaïne reste la cocaïne. En etlet, si, avant et après le chauffage, on
examine au polarimèlre la solution mise en expérience, on ne
constate aucune différence dans la rotation gauche observée; puis
les essais chimiques ne décèlent aucun changement du sel dissous
enfin l'emploi d'une telle solution procure une anesthésie excellente,
comme nous l'avons prouvé par une série d'opérations sur des
malades porteurs de lésions bilatérales : double hernie, double vari-
cocèle, double hydrocèle, paquet variqueux des deux jambes.
J'injectais d'un côté (D"" Reclus) la cocaïne stérilisée, de l'autre côté
la cocaïne non stérilisée et, des deux côtés, le résultat était le même ;
insensibilité totale des tissus, que le bistouri divisait sans provoquer
la moindre douleur. Cette triple preuve est suffisante, et la stérili-
sation des solutions de cocaïne à l'autoclave était un fait désormais
acquis.
Ces solutions, stérilisées à l'autoclave et maintenues dans des
tubes scellés, conservent presque indéfiniment leurs propriétés
analgésiantes : elles deviennent ainsi un médicament de réserve,
qu'on peut emporter dans une expédition. En juin 1900, Reclus
fit une cure radicale de hernie avec une solution stérilisée et
conservée en tube scellé depuis plus de vingt mois; en 1900, il fit
ANESTHESIE PAR INJECTION DANS LES TISSUS. 209
une lifaslrotomie avec de hi cocaïne scellée depuis plusdc (juatre ans
et demi : mais il ne faut pas oublier que tout (lacon ouvert peut
s'ensemencer, et au bout de quelques jours les moisissures n'y sont
pas rares.
Quelles alléralions celle flore y provoque-t-elle ? Toujours est-il
que, verslafin de la première semaine, l'action analgésique de cette
cocaïne exposée au contact de l'air est déjà atTaiblie, et, en été, des
solutions de bonnes marques cessent d'èlre analgésiques au bout de
trois semaines. Donc la solution de cocaïne stérilisée pourra être
vieille de plusieurs années le cas échéant, mais le flacon qui la ren-
ferme neseraouverl qu'au moment de l'opération et ne servira que
pour une opération.
Dans le service du P'' Reclus, les solutions de cocaïne se
préparent ainsi : le sel en quantité voulue, 20 centigrammes d'ordi-
naire, est dissous dans 40 centimètres cubes d'eau distillée pour la
solution à 0,5 p. 100. La solution est enfermée dans des ampoules
soigneusement nettoyées, rigoureusement aseptiques et que l'on
scelle à la lampe. Puis on les place dans l'autoclave et on les y
maintient pendant vingt ou trente minutes, à la température ordi-
naire de stérilisation à chaleur humide, c'est-à-dire ItO à 115°.
A défaut dautoclave, il suffirait de stériliser les ampoules en
les plongeant dans un bain tl'eau bouillante, ou mieux dans une solu-
tion saline quelconque, dont la température d'ébullition dépasse
100°. Lorsqu'il n'est pas nécessaire de transporter la solution à
une grande distance , on peut éviter l'emploi d'ampoules scellées et
placer la solution stérilisée dans de petits flacons de capacité conve-
nable et bouchés avec un tampon d'ouate aseptique (Reclus).
Mais bientôt d'autres expérimentateurs reprirent la question et
arrivèrent à des conclusions diff"érentes. Dufour et Ribault(l)
constatèrent que le dédoublement de la cocaïne était très facile dans
des verres très alcalins comme il s'en trouve beaucoup dans le com-
merce. Si Arnaud et Hérissey n'avaient pas observé ce dédou-
blement, c'est qu'ils avaient eu à leur disposition des verres exception-
nellement neutres.
Les expériences de Dufour et Ribault ont porté sur trois
verres d'alcalinité dift'érente, tous très utilisés pour la stérilisation et
la conservation des solutions pour injections hypodermiques. Les
flacons, remplis d'eau distillée neutre, furent soumis, les uns à une
température de ISO-^ environ dans l'autoclave, pendant deux heures,
les autres à une température de 99°, 5 seulement, également à l'auto-
clave et pendant une heure; d'autres enfin furent stérilisés au bain-
marie bouillant : on employa pour cette dernière expérience les
verres les plus alcalins.
(1) Dufour et Ribault, Bull, des sciences pharm., juin 1904.
Traité de stomatologie. VI. — 14
210 NOGUE — ANESTIIESIE.
Or il résulte des déterminations très précises faites par les auteurs-
qu'une partie de la cocaïne est toujours dédoublée (en benzoylecoo-
nine et ecgonine), quels que soientle procédé et le verre employés,
mais que ce dédoublement peut être considéré comme négligeable,
au point de vue pratique, avec des verres cédant à l'eau très peu;
d'alcali ou avec des verres relativement très alcalins lorsque la tem-
pérature reste au voisinage de 100° ; l'emploi d'une température plus
élevée devient, par contre, dangereux avec des verres moyennement
alcalins.
Phénate de cocaïne. — Le phénate de cocaïne, d'après le-
D"" von OEfele (de Hengersberg), présenterait sur le chlorhydrate
certains avantages. Tandis que ce dernier présente un degré très
grand de solubilité, le phénate au contraire est peu soluble : il
s'ensuit qu'il n'est pas absorbé dans l'organisme et que, par
suite, son action anesthésiante sur les tissus est plus considérable.
Il serait de même beaucoup moins toxique pour les mêmes raisons.
En outre ce phénate de cocaïne serait plus antiseptique que le-
chlorliydrate.
Von CEfele préconise la préparation suivante :
Phénale de cocaïne 10 centigrammes.
Faire dissoudre dans ;
Alcool 5 parties.
Ajouter :
Eau distillée j fçrammes.
F. S.A. — Injecter le contenu d'une à trois seringues de Pravaz de cette solution^
Voici l'opinion de Reclus sur ce sel : « Nous avons eu fréquem-
ment recours aux injections de phénate de cocaïne : ce sel ne nous a
rendu ni plus ni moins de services que le chlorhydrate. Aussi
l'aurions-nous adopté lorsque nous ne savions pas encore stériliser
nos solutions, si, dans quelques cas de cure radicale de hernie et
d'hydrocèle, dans une résection du scrotum pour varicocèle, nous
n'avions noté sur le trajet anesthésié et de chaque côté de l'inci-
sion une petite bande de sphacèle qui ulcéra les couches superfi-
cielles du derme; cet accident n'a jamais eu de gravité, mais il a
retardé de quelques jours la cicatrisation, et c'est pourquoi nous
avons abandonné le phénate de cocaïne pour nous en tenir au
chlorhydrate. »
Quelques dentistes ont persisté à remployer, et plusieurs dis-
solvent le phénate dans l'huile ou dans la vaseline. Legrand ra-
conte qu'il fit un jour l'expérience sur lui et que, pendant plus d'un
an, l'injection resta intacte, sans résorption aucune dans l'épaisseur
des tissus.
Cocaïne base. — Il est possible d'utiliser la cocaïne elle-même au
lieu de l'un de ses sels. Pour cela, il faut la dissoudre dans l'huile
COCAÏNE BASE. 211
(huile d'olive, huile trarachide, oléonaphle). Cette préjDaratioii a
cHé préconisée par Poinsot père. La solution est contenue dans de
petits tubes. Elle doit être légèrement chaufl'ée au bain-nuirie avant
l'usage.
11 est nécessaire de se servir d'une seringue à ailettes, car le liquide
pénètre dilTicileuient dans les tissus. Il est bon d'attendre cinq à
sept minutes après l'injection avant d'intervenir : ce n'est, en effet,
qu'après ce laps de temps que l'anesthésie est complète. On aura
soin, l'avulsion pratiquée, de masser la gencive, de telle sorte que-
par l'orifice dupertuis fait par l'aiguille, sorte l'excès d'huile.
Les solutions courantes de cocaïne base et de phénylcocaïne sont
à 5 p. 100; la quantité injectable sans aucun trouble est de 3 centi-
mètres cubes. Le malade peut èlre indifféremmentassisou couché; il
n'est pas nécessaire qu'il ait mangé ou pris un cordial avant ou après
l'injection ; il peut, l'opération terminée, vaquer à ses occupations; la
réparation des tissus lésés par l'extraction se fait normalement ; quant
à la petite induration persistant après l'injection, on peut facilement
l'éviter en faisant un massage concentrique par rapport à l'orifice
d'entrée de l'aiguille; l'action peu toxique de ces solutionsparaît être
due non seulement au véhicule huileux qui les rend peu diffusibles et,
par conséquent, plus efficaces localement, mais encore à la forme
base de la cocaïne età sa combinaison phéniquée, qui rendent sa com-
position plus anesthésique en même temps qu'antiseptique ; on évite
les accidents phéniqués en ne se servant que de l'acide pliénique
synthétique, c'est-à-dire chimiquement pur.
Précautions à prendre dans l'anesthésie cocaïnique. — Ces
précautions sont les suivantes : tout d'abord, la position hoi'i-
zontale du malade, à laquelle Reclus attache la plus haute impor-
tance, au point de l'élever au rang d'un des « commandements » de
l'injection cocaïnique. Il estime, en effet, que c'est parce que cette
précaution n'a pas été prise qu'on a vu si souvent survenir la syncope
dans les opérations sur le cuir chevelu, sur la face et la bouche.
Il ne croit pas à une zone dangereuse siégeant dans cette région,
mais pense que la position assise facilite la vaso-constriction céré-
brale, tandis que le décubilus horizontal facilite l'accès du sang dans
le cerveau.
Et, en effet, il n'est pas rare qu'avec des doses minimes de
cocaïne et même avec des injections d'eau ou d'alcool on note, quand
le malade est assis, une pâleur subite de la face et une tendance à la
lipothymie.
Il est préférable, en outre, que le malade ne soit pas à jeun et
prenne une tasse de café chaud.
Ce qu'on peut observer encore à des doses thérapeutiques, c'est
une légère excitation n'allant jusqu'à la fureur que lorsque les doses
ont été exagérées.
212 NOGUE. — ANESTHESIE.
Cependant on a pu quelquefois observer, une ou deux heures
après l'administration de faibles doses de cocaïne, des vertiges avec
tendance aux lipothymies.
Il ne faut pas ignorer, en outre, qu'on a eu parfois des alertes, des
accidents même assez marqués, avec des doses minimes de 1, 2 cen-
tigrammes et même avec quelques milligrammes.
Ce qui montre qu'il faut toujours, avec un médicament aussi actif,
prendre les plus grandes précautions et déployer la plus grande
prudence.
ADRÉXALIXE.
En raison de l'importance prise par l'adrénaline dans Tanesthésie
locale et en particulier en art dentaire, nous nous étendrons assez
longuement sur cette substance, bien qu'elle ne puisse être consi-
dérée comme un véritable anesthésique local.
L'adrénaline (synonymie: rénaline, supra ré ni ne, épinéphrine) a été
isolée des capsules surrénales à l'état cristallin parTakamino, en 1901,
et par Aldrich la même année.
Préparation de l'adrénaline extractive. — Nous emprun-
terons les détails suivants à une élude de M. René Durand (1). La
préparation s'effectue à l'abri de l'air, soit dans une couche d'huile,
soit dans une atmosphère de CO-, pour éviter l'action d'un ferment
oxydant très actif contenu dans la glande. Le procédé, mis au point,
par Gabriel Bertrand (2), consiste essentiellementà extraire la base par
l'acide uratique en solution alcoolique, à distiller l'alcool dans le vide,
à déféquer la liqueur ainsi concentrée par l'acétate de plomb et à pré-
cipiter par l'ammoniaque la liqueur filtrée et concentrée à nouveau.
On fait macérer les capsules surrénales pendant cinq heures
dans une quantité suffisante d'eau à SO-SO» ; on chaufTe pendant
une heure à 90°-95° afin de coaguler la majeure partie des matières
albuminoïdes, après avoir versé au préalable à la surface du liquide
une couche d'huile pour éviter une évaporation trop rapide et
surtout l'oxydation par l'air. On sépare par pression la partie
liquide qui renferme le principe actif, et le résidu est de nouveau
mis dans l'eau chaude légèrement acidulée par de l'acide chlorhy-
drique ou acétique, de manière à dissoudre l'adrénaline qui pourrait
s'y trouver encore. Les solutions réunies, débarrassées de l'huile qui
surnage et filtrées, sont évaporées dans le vide jusqu'à consistance
convenable, puis agitées avec deux ou trois volumes d'alcool fort.
Cet alcool, qui a dissous l'adrénaline, est évaporé en ajoutant au
résidu de l'ammoniaque ou de la soude jusqu'à réaction alcaline; on
obtient un précipité jaunâtre, qui est de l'adrénaline impure. Pour la
(1) Voy. Progrès mèd.
(2) Bail. Soc. chim., 31, 1188, 1904.
ADRÉNALINE. 213
purifier, on la dissout dans un acide, et on Iraite cette solution par
l'alcool et réllier; les matières colorantes et étrangères sont préci-
pitées; le filtrat, alcalinisé par l'ammoniaque, laisse déposer l'adré-
naline, qui est lavée, desséchée et au besoin de nouveau purifiée
par la même méthode.
118 kilogrammes de capsules surrénales fournies par 3 900 chevaux
donnent 125 grammes d'adrénaline pure lévogyre, s'oxydant facile-
ment à l'air.
Constitution de l'adrénaline. — L'adrénaline, rigoureusement
pure, obtenue par des précipitations fractionnées, répond à la for-
mule C'H'^AzO^ indiquée par Aldrich et possède les réactions géné-
rales des alcaloïdes. Sa constitution, indiquée par Pauly, confirmée
par Friedmann (1), paraît définitivement établie par la synthèse
réalisée par Flury (2). La formule suivante résulte de ces travaux:
CII
llOf >CH — OH — GH-^ — Az(^
Hol JcH ^"'
CH
On s'explique facilement, d'après cette formule, les propriétés sui-
vantes de l'adrénaline:
1 o Coloration verte par le perchlorure de fer, due aux 2 oxyhydriles
fixées en position ortho sur le noyau benzénique ;
2° Obtention d'un triéther, par éthérification des 3 oxyhydriles.
3° Obtention d'un sel, lorsqu'on sature par un acide le groupement
basique AzH — CH';
4° L'action de la potasse en fusion qui oxydant la chaîne latérale
conduit à l'acide pyrocatéchique:
5° Le pouvoir rotatoire dû au carbone asymétrique supportant la
fonction alcool secondaire.
Synthèse de l'adrénaline. — La synthèse chimique de l'adréna-
line ne conduit pas au composé lévogyre comme l'adrénaline natu-
relle, mais à un mélange d'adrénaline lévogyre et dextrogyre en
quantités égales, mélange qui est donc inactif par compensation
sur la lumière polarisée.
Pour réaliser cette synthèse, on part de la pyrocatéchine, sur
laquelle on fait agir l'acide monochloro-acétique suivant la réaction:
/OH
3G6H'< + POGP + .3CH2Gi — C02H =
\0H
3HG1 + P0>H3 + 3G«H3(OH)^ _ GO — GH^GI.
On obtient ainsi la chloracéto-pyrocatéchine,qui est traitée ensuite
par la méthylamine; le produit de cette réaction est l'acétone corres-
(1) Beilrag. chem. Physiolog., 6, 92 1905.
(2) Zeitschr. fur Aiigenchemi.. Bd. XXI, p. 877.
214 NOGUÉ. — ANESTHESIE.
pondante à radrénaline, ou adrénalone, qu'il suffit d'hydrog-énerpar
î'amali^ame d'aluminium ou par rélectrolyse pour obtenir l'adréna-
line de synthèse.
Cette synthèse, du reste, doit être très délicate, puisquejusqu'ici
l'industrie continue à extraire l'adrénaline des capsules surrénales,
malgré le prix de revient très élevé (60 francs le gramme) ; mais il
est très probable que l'adrénaline de l'avenir sera fournie par la
synthèse, car la pyrocatéchine qui sert de point de départ à celle-ci
vaut environ 40 francs le kilogramme (1).
Composés synthétiques voisins. — On obtient des corps qui,
comme l'adrénaline, élèvent la pression sanguine et contractent les
vaisseaux : en remplaçant dans la formule de celle-ci :
/ÎI /H /H /H
AzC par Az( , ou Az , ou Az.
\CH3 \C2H5 \II \CH2_CH-; — OH
De même, l'acélone correspondante (adrénalone) agit comme
l'adrénaline, mais beaucoup plus faiblement.
Les homologues de Vamino-acélijl-pyrocaiéchine agissent aussi ;
mais on doit noter que les bases libres sont plus actives que les bases
élhylées ; que la base éthylée agit plus fortement que la base
méthylée ; chose singulière, les bases diméthylées et diéthylées sont
inactives, ainsi que la base éthanol aminée (2).
Uamine acétophénone CH' — CO— CH-— AzH^ agit comme para-
lysant les mouvements volontaires. Les vaisseaux ne sont pas con-
tractés. Certaines doses provoquent une petite élévation de la pres-
sion sanguine.
La substance dilate la pupille (3).
On doit rapprocher aussi de l'adrénaline Vhijdrastinine, par suite
des analogies de formule et de propriété (4). L'hydrastinine agita la
fois sur le système cent rai vaso-moteur et sur les vaisseaux eux-mêmes:
/Of >,CH-i- CIP-Az/
^»<ol |CH0. "^^"^
La calamine, dont le chlorhydrate est quelquefois appelé stypti-
cine, au contraire, ne possède plus la propriété de contracter les
vaisseaux (5) :
11) Il faut pourtant noter que. d'après la communication de Frohlich au récent
congrès de Budapest, l'adrénaline des capsules surrénales aurait une activité plus
t-randc que l'adrénaline synthétique X. D. L. R.).
(2) LrKvi et H. Meyer, Ar. PP, 53,213.
(3) PrriNi, Arch. de pharmacologie, 1905, 14-75.
(4) KtuDENOWSKi, Enrjelmann's Arch., 1904, suppl. Il, 323.
(5) Pki MAnFORi, Arch. ilal. de biol., 1897, fasc. 2.
ADRENALINE. 215
CIP
L'adiV'ualiiio se présente sous l'aspect d'une poudre blanc jau-
Tiâlrequi, examinée au microscope, paraît cristallisée dans l'un des
systèmes suivants : groupements en choux-fleurs, feuilles, plaques
losangiques agglomérées, fines aiguilles, prismes.
L'adrénaline est très stable à l'étal sec : sa saveur est légèrement
amère.
Elle est peu soluble dans l'eau et l'alcool froids ou chauds, inso-
luble dans l'éther froid. Elle est, par contre, très soluble dans l'eau
légèrement acidulée.
Ses solutions s'oxydent très rapidement à l'air et à la lumière et
se colorent en rose plus ou moins foncé. Elles conservent cepen-
dant toute leur activité physiologique. On ne doit rejeter que les
solutions qui, par suite d'une oxydation plus profonde, auraient laissé
déposer un précipité brun.
Les solutions d'adrénaline peuvent se stériliser à 120° sans alté-
ration.
Elle donne avec les acides des sels bien définis, mais déliquescents,
ilont la solution est légèrement acide.
L'adrénaline se rencontre dans le commerce soit sous forme de
l ablettes d'adrénaline facilement solubles dans l'eau, soit sous forme
<rune solution au millième :
Adrénaline cristallisée 1 gramme.
Solution normale d'HCl 10 cent, cubes.
Chlorure de sodium pur 7 grammes.
Chlorétone 5 —
Eau distillée (0. S. pour faire 1 000 cent, cubes.
Le chlorétone esl ajouté à la solution pour la maintenir limpide.
C'est un corps obtenu on faisant agir de la potasse sur parties égales
de chloroforme et d'acétone. Il est antiseptique et légèrement anes-
Ihésique.
On conserve les solutions après stérilisation en flacons colorés,
hermétiquement bouchés.
Notions physiologiques. — L'injection intraveineuse d'adréna-
line chez le chien est suivie, au bout de deux à trois minutes, d'une
augmentation de la tension artérielle qui peut aller de l4 à 25 centi-
mètres de mercure; cette hypertension dure trois à quatre minutes
et fait place à une légère hypotension. Oliver et Schivfer attribuent
cette augmentation de pression à une contraction des artérioles
périphériques, qu'on observe très nettement sur le mésentère. Cette
vaso-constriction, qui se manifeste extérieurement par la pâleur des
tissus, dure beaucoup plus que l'hypertension ; elle ne se produit
216 , NOGUE. — ANESTHESIE.
pas dans certains organes, tels que le poumon, le cerveau, le foie.
Elle dépend surtout de l'excitation des ganglions nerveux périphé-
riques, car on l'observe malgré la section de la moelle et la paralysie
par le chloral des centres vaso-moteurs.
Les mouvements respiratoires sous l'inlluence de Tinjection
deviennent plus superficiels ; l'inspiration est abrégée, l'expiration
prolongée : les sécrétions salivaire et lacrymale sont augmentées.
Les vomissements sont la règle. La même injection intraveineuse,
même à doses très faibles, diminue et même arrête pendant trois
minutes la sécrétion de l'urine (Barbier et Frfcnkel), puis l'accélère
beaucoup ; à ces phases correspondent des changements dans le
volume du rein et dans la teneur des urines en acides phospho-
riques et en urée Lépine).
Action sur le cœur. — L'injection expérimentale d'extrait surré-
nal et, mieux encore, l'injection d'adrénaline augmente l'énergie du
myocarde. A vrai dire, cette augmentation, très nette et très pro-
longée sur un cœur isolé., l'est beaucoup moins sur l'animal vivant,
où le cœur reste soumis à l'influence modératrice du vague Gerhardt).
Chez 12 malades observés à cet égard, Souques et Morel ont noté un
ralentissement du pouls appréciable dans 8 cas. Mais, dans 4 autres,
le pouls n'avait pas varié ou était devenu un peu plus rapide.
Toutefois l'action bradycardisante de l'adrénaline n'est pas niable
après les expériences de Gottlieb et de Clopatl. Le premier a vu,
« chez un lapin intoxiqué par le chloral, le cœur recouvrer son éner-
gie sous l'influence d'une petite dose d'extrait, et môme recommen-
cer à battre alors qu'il était arrêté depuis cinq minutes, à la condi-
tion qu'on ajoutât à l'action de l'extrait celle du massage du cœur».
Clopatt a constaté l'action excitatrice de l'extrait surrénal sur un
cœur intoxiqué par le chloral et le chloroforme. Sur l'animal sain,
l'injection intraveineuse d'extrait capsulaire peut produire la bra
dycardie avant l'hypertension artérielle. Il semble donc que cette
bradycardic soit non pas, comme on l'a dit, fonction de l'hyper-
tension périphérique, mais le résultat d'une action sur le noyau bul-
baire du vague (Biedl et Reiner, Souques et Morelj. Il semble, en
effet, d'après les observations publiées, que l'adrénaline ait une cer-
taine prédilection pour la région bulbo-protubérantielle, puisqu à
dose excessive elle produit des phénomènes toxiques où le bulbe
est en cause (vertige, nausées, vomissements, angor).
Il est donc vraisemblable que l'adrénaline, introduite dans le
torrentcirculatoire, arrive aux poumons après avoir traversé le cœur
droit. Agissant alors comme agent général, elle actionne les centres
bulijaires et détermine les phénomènes sus-indiqués : ce n'est là
qu'une hypothèse.
Pour Gottlieb, l'injection d'extrait surrénal n'augmente pas l'irri-
tabilité du myocarde, mais celle des ganglions intracardiaques. Par
ADRÉNALINE. 217
analogie, on admet qu'elle agil sur les vaisseaux non par action
directe sur les fibres lisses, mais par rintermédiaire des ganglions
nerveux périphériques.
Celte hypothèse n'est pas admise par quelques auteurs. L'action
de l'adrénaline sur l'appareil cardio-vasculaire dépend, en outre, de
la voie d'introduction du principe actif. Carnot et Josserand, sur un
chien de 15 kilogrammes, produisent, par injection d'un quart de
milligramme d'adrénaline dans la veine saphène, une élévation de
la tension artérielle de plusieurs centimètres de mercure. Ils sont
obligés de doubler les doses pour obtenir le même effet en injectant
dans le bout périphérique d'une artère musculaire.
Action physiologique sur les autres appareils. — Nous serons
plus bref sur l'action de l'adrénaline sur différents appareils (res-
piration, digestion, etc.); le rôle de l'extrait capsulaire a été étudié
dans cet ordre d'idées dans de nombreux travaux récents.
l^AppAHEiL RESPIRATOIRE. — Lc badigeoiinagc de la muqueuse
nasale est suivi de l'ischémie presque complète de cette membrane,
action qui dure un quart d'heure environ.
L'injection intraveineuse d'une dose moyenne chez le chien
entraîne des modifications quantitatives et qualitatives des mouve-
ments respiratoires. Les mouvements respiratoires deviennent plus
superficiels: l'inspiration se raccourcit, l'expiration se prolonge.
Doyon a constaté la contraction des muscles bronchiques. Avec une
dose très forte, on peut obtenir l'arrêt des mouvements respiratoires.
2° Appareil digestif. — L'expérimentation a donné des résultats
très variables. Doyon a observé des contractions de l'œsophage, de
l'estomac, de l'intestin grêle. Borultan a observé les phénomènes
inverses (disparition des mouvements péristaltiques de ces organes).
Nombre d'auteurs ont noté les vomissements après injection d'une
dose relativement élevée d'adrénaline.
3° Appareil urixaire. — L'action de l'extrait capsulaire sur la
diurèse a été étudiée par Bordier et Frenkel et par Lépine.
L'injection intraveineuse diminue et même supprime pendant trois
minutes l'écoulement de l'urine, puis l'accélère énormément. Ces
phases correspondraient à des changements de volume du rein.
Doyon, après Lewandowsky et Langley, a observé que l'injection
intraveineuse d'adrénaline abaissait et même ramenait à 0 la pression
exercée par le réservoir vésical sur son contenu.
4° Température. — Une dose d'adrénaline susceptible d'amener
l'hypertension entraîne toujours, dit Lépine, dans les heures con-
sécutives à l'injection, une élévation de la température centrale.
Pour notre part, nous avons observé sur quatre cobayes une éléva-
tion thermique variant entre 0°,5 et 1° à la suite d'injection sous-
cutanée d'adrénaline à dose assez Torte. Peut-être l'adrénaline
excite-t-elle le centre calorique. Toutefois l'adrénaline, employée à
218 NOGUE. — ANESTHESIE.
dose thérapeutique, ne nous a jamais paru élever la température de
nos malades, alors même qu'il en résultait de Thypertension, de la
bradycardio et même une ébauche d'intoxication.
5° Système nerveux central. — Lépine a observé, immédia-
tement après l'injection d'adrénaline, des modifications du psychisme
chez des chiens : «Ils sont peureux, le plus souvent à un haut degré;
ils se cachent dans un coin du laboratoire: si la dose est forte, ils
peuvent avoir des convulsions. » De notre côté, nous avons remarqué
que les cobayes en expérience étaient pris de tremblement immédia-
tement après la piqûre ; l'un d'eux avait des convulsions ; enfin trois
fois nous avons observé de la paraplégie.
6° Action sur le métabolisme des hydrates de carbone. — Expé-
rimentalement, Blun a montré que l'injection d'adrénaline à dose
assez élevée entraînait chez le chien une glycosurie marquée.
Boulud et Lépine concluent dans le même sens. Enfin Herter badi-
geonne un tiers de la surface du pancréas d'un chien avec 1 centi-
mètre cube d'une solution d'adrénaline au millième et provoque, au
bout d'une heure, l'apparition d'une glycosurie très marquée (1).
Toxicité. — Bouchard et Claude concluent de leurs expé-
riences que la dose mortelle d'adrénaline paraît être intermédiaire
entre Onig,l et 0"^, 3 par kilogramme d'animal en injection veineuse.
La mort semble être due à deux ordres de causes : 1° troubles ner-
veux dont l'expression la plus simple est la parésie des membres
postérieurs, qu'onobserve pendant quelques minutes chez les animaux
qui survivent et dont l'expression la plus élevée est représentée par
des convulsions toniques et cloniques avec opisthotonos et mydriase ;
•2» troubles cardio-pulmonaires, caractérisés par une respiration
accélérée tout d'abord, puis très ralentie aux approches de la mort ;
la production d'un œdème pulmonaire signalé par un peu d'écume (2).
La voie d'introduction de l'adrénaline dans l'organisme peut avoir
nne action marquée sur sa toxicité. Carnot et Josserand ont en elîet
montré que l'injection d'un quart de milligramme d'adrénaline
dans la saphène d'un chien de 15 kilogrammes élève la tension arté-
rielle de plusieurs centimètres de mercure ; il faut 0"'g,5, c'est-à-dire
le double, pour obtenir cet effet en faisant l'injection dans le bout
périphérique d'une artère musculaire, et il en faut encore davantage
si l'artère irrigue des muscles déjà fatigués.
Des expériences de nombreux auteurs découle celte conclusion
pratique que les effets sphygmogéniques et toxiques font presque
entièrement défaut, quand on fait une injection sous la peau ou dans
les muqueuses.
L'adrénaline s'oxyde très rapidement dans le sang. Aussi n'observe-
(1) L-E. MoREL, Progrès meJ., 1903, no« 31 et 32.
(2) BoucHAun et Claude, Recherches expérimentales (C. R. de iWcad. des sciences^
l'idée. 1902).
ADRENALINIi. 219
l-on pas (l'cflels cumulatifs. Des obscr\alious multiples faites sur la
toxicité de l'adrénaline on peut tirer les conclusions suivantes(Morel) :
Avec 1 milligramme d'adrénaline, en solutions au millième, en
injection liypodermiciue ;
Avec XX gouttes de cette même solution administrée par voie
buccale ;
On peut déterminer des symptômes d'intoxication parmi lesquels
le vertige, la céphalée, les vomissements, le tremblement, les con-
vulsions, les tendances syncopales, le syndrome de l'angine de poi-
trine, sont les plus fréquents.
Aussi a-t-on cherché sur les animaux de laboratoire à déterminer
le coefficient de toxicité de l'adrénaline.
Takamine avait écrit que l'adrénaline était dépourvue d'action
irritante, toxique ou nuisible [infusions). Or celte assertion est
certainement erronée, car non seulement l'adrénaline peut provo-
quer les accidents signalés plus haut, mais, comme l'a montré Lépine,
elle peut déterminer la mort, insidieusement, par syncope.
Et cette toxicité est fonction non seulement de la dose, mais du
mode d'introduction dans l'organisme.
Ainsi pour le cobaye, la dose mortelle serait, par kilogramme
d'animal :
DeOg'',001 en injection sous-cutanée;
De Og^OOO•2 en injection intramusculaire ;
De Os'',000'2 en injection intraveineuse.
Chez le chien, Carnot et Josserand ont enregistré des résultats
fort variables; tel chien a supporté sans inconvénient la dose énorme
<le 0"g,5 par kilogramme par voie veineuse, alors que tel autre a
succombé avec une dose vingt-cinq fois moindre.
Ces résultats expérimentaux varient avec les auteurs. Souques et
Morel ont vu des cobayes résister, — en présentant, il est vrai, des
accidents, — à des doses beaucoup plus fortes que celles précédem-
ment indiquées.
Du rests, l'adrénaline, encore qu'elle soit toxique, n'a pas d'effets,
comme nous l'avons dit, cumulatifs, ce qui lient à sa prompte
oxydation dans l'organisme. Il y a môme accoutumance à l'adré-
naline. Bouchard et Claude ont injecté des doses croissantes
(jusqu'à 0'°g,4) à un lapin de 1 kilogramme, chaque injection étant
séparée de la précédente par quelques jours d'intervalle. L'animal
résista, sans présenter d'autres accidents qu'une parésie passagère.
La mort, quand elle survient (chez les animaux), semble due à des
troubles nerveux et à des troubles cardio-pulmonaires. Les troubles
nerveux consistent en paraplégie (que nous avons observée con-
stamment sur cinq cobayes injectés à ce point de vue).
Quelquefois on observe des convulsions toniques et cloniques et
<le la mydriase.
220 NOGUE. — ANESTHESIE.
Les troubles cardio-pulmonaires consistent en accélération, puis
en ralentissement respiratoire, avec, aux approches de la mort, pro-
duction d'un œdème pulmonaire.
Nous pouvons donc écrire que l'adrénaline est un médicament
qu'on doit administrer avec prudence dans tous les cas, sans avoir
cependant à craindre d'efl'ets accumulatifs. Carnot et Josserand, sur
un chien atteint de péricardile tuberculeuse, ont obtenu la mort
avec une dose d'adrénaline inférieure à la dose toxique moyenne;
ils en concluent qu'il faut être très prudent dans l'administration de
l'adrénaline chez les cardiaques. En n'employant que des doses de
0'"g,5 à 0"g,75 d'adrénaline, on n'a pas à redouter d'accidents, et
cette doseest néanmoins suffisante pour produire l'hémostase, par voie
sous-cutanée, dans les hémoptysiesen particulier (Souques et Morel).
Action thérapeutique. — Quand on applique sur une muqueuse
une solution d'adrénaline au millième, il se produit immédiatement
après une vaso-constriction qui se manifeste par la pâleur des
tissus. Cette ischémie locale a une durée variable. D'après Léon
Granjon, sur la muqueuse buccale, l'ischémie est d'autant plus
durable que les tissus dans lesquels on fait les injections sont
à mailles plus serrées (bourrelet fibro-muqueux de la gencive
au collet des dents), qu'il sont plus épais et aussi moins hyper-
émiés. Ses expériences l'ont porté aux conclusions suivantes, qui
peuvent en pratique avoir leur intérêt : 1° l'adrénaline est rapi-
dement oxydée, c'est-à-dire détruite, si on l'injecte directement dans
des tissus mous et congestionnés; 2" cette oxydation doit se faire
par action de l'oxyhémoglobine du sang; 3° pour ne pas être détruite
immédiatement, elle doit être pour ainsi dire emmagasinée dans
un tissu dont la densité lui aura permis de séjourner un moment
pour supprimer, par une vaso-constriction immédiate, l'apport du
sang, agent de l'oxydation : elle dilTusera de ce réservoir lentement
et progressivement vers les tissus voisins, où elle agira malgré
l'hyperémie considérable.
La fonction vaso-constriclive a pour corollaire la fonction hémo-
statique. Et, en effet, une hémorragie, même abondante, est presque
toujours instantanément arrêtée par une application d'adrénaline.
Cette action thérapeutique est en tous points remarquable et net-
tement supérieure à celle de tous les autres agents. Tous les auteurs
qui se sont occupés de la question ont maintes fois remarqué que
certaines hémorragies, absolument rebelles à tout autre traitement,
même chez les hémophiliques, sont immédiatement arrêtées, que
la solution de continuité siège sur la peau ou sur une muqueuse.
La constriction vasculaire a toujours une durée assez prolongée
pour laisser au caillot même très léger le temps de se former, c'est-
à-dire pour assurer dans la grande majorité des cas une hémostase
définitive.
ADRENALINE. 221
Enfin, et ce n'est pas là une des propriétés les moins intéressantes
<ie l'adrénaline, ce produit seul sert à prévenir les hémorragies par
applications ou injections, au début de nombreuses opérations où on
veut avoir un champ opératoire net et éviter une déperdition de
sang, et, à ce point de vue là encore, il est nettement supérieur à tous
les autres (Léon (iranjon).
Applications. — L'adrénaline seule a été utilisée avec succès en
oto-rhino-laryngologie, en ophtalmologie et enfin en stomatologie.
Dans cette branche de la médecine qui nous intéresse plus particu-
lièrement, ses propriétés hémostatiques ont été appliquées aux
hémorragies alvéolaires qui suivent les extractions dentaires ; de
môme à titre préventif pour éviter la production de ces hémor-
ragies. On a pu encore faire appel à ses propriétés vaso-con-
strictives dans les hémorragies pulpaires, dans la dévilalisation de
la pulpe.
Associée à la cocaïne, l'adrénaline a eu une fortune des plus
brillante en stomatologie. Le D' Dattier (1), qui l'a emplovée
un des premiers, s'en montre partisan convaincu. Ce procédé,
d'après lui, aurait non seulement l'avantage d'assurer l'anesthésie
d'une façon parfaite et avec de faibles doses de cocaïne, même en
cas de périostite ou de gingivite, mais encore il permettrait d'opérer
à blanc et, par suite, il faciliterait la recherche des racines; en outre,
grâce à l'action de l'extrait de capsules surrénales sur la circulation
générale, — effet se traduisant par une accélération passagère des
battements du cœur, — on n'aurait pas à redouter l'apparition d'ac-
cidents syncopaux. Léon Granjon ne tarda pas à souscrire à ces
mêmes conclusions. Il pense que, si la cocaïne n'agit pas sur les
tissus enflammés, c'est qu'elle est, à peine injectée, entraînée dans
la circulation générale par les vaisseaux dilatés à l'excès, d'autant
plus que les extrémités nerveuses, noyées dans un tissu conges-
tionné, sont peut-être par cela même moins longtemps et moins in-
timement en contact avec le médicament. Il sera donc très utile,
pense-t-il, pour anesthésier une région hyperémiée, d'arrêter d'abord
la circulation dans cette région : 1° pour arrêter la diffusion rapide de
la cocaïne ; 2° pour la mettre en contact intime avec les ranuiscules
nerveux et peut-être leurs terminaisons. Braun et Senn pensent
que, dans ces cas, si l'adrénaline agit, c'est qu'elle diminue le pouvoir
de réaction du tissu vivant vis-à-vis de la coca'ine, en diminuant sa
vitalité par arrêt de la circulation. Quoi qu'il en soit, l'adrénaline est
l'agent idéal pour arriver à ce résultat. Il suffit d'étudier ses pro-
priétés physiologiques.pour conclure qu'elle doit a priori anémier le
tissu et laisser à la cocaïne le temps d'agir. L'adrénaline, en outre,
du fait qu'elle est vaso-constrictive, contribuera à diminuer la douleur
(1) Dattier, Semaine méJ ., 18 juin 1902.
222 NOGUE. — ANESTHESIE.
dans un tissu quelconque. Mais elle paraît de plus jouir par elle-
même de propriétés anestliésiques réelles dues à une action autre
que la constriclion vasculaire, mais encore mal connue. On peut
donc conclure de l'observation des faits que l'adrénaline augmente
le pouvoir anesthésique de la cocaïne et permet en tissu sain ou
enflammé de diminuer en proportions marquées la dose de ce médi-
cament.
Mode d'emploi. — Le D' Léon Granjon affirme que, étant données
une bonne adrénaline stérile et non altérée et une solution de
cocaïne fraîchement préparée et aseptique, l'injection d'une même
proportion de ces produits, toutes choses étant égales d'ailleurs,
aura beaucoup plus d'effet si le mélange est fait extemporanément
que s'il est fait d'avance, même si, dans ce dernier cas, on scelle immé-
diatement à la lampe le tube en verre coloré. Enfin non seulement
il est beaucoup plus simple et plus pratique de faire soi-même avec
un compte-gouttes un dosage plus rigoureux du produit au moment
de l'employer, mais encore Je mélange devra être fait en proportions
tout à fait variables suivant les phénomènes que l'on voudra obtenir.
Il v a donc toutes sortes de raisons pour faire le mélange au moment
de l'opération. On peut le faire très simplement de la façon sui-
vante : dans un petit godet en porcelaine stérilisable, on verse II,
III, IV gouttes ou davantage d'adrénaline à 1 p. 1 000, suivant
la vaso-constriction locale que l'on veut avoir, à l'aide d'un compte-
gouttes calibré ou mieuxd'un flacon-compte-gouttes, etpar-dessus on
verse 1 centimètre cube de la solution de chlorhydrate de cocaïne
à 1 p. 100. Il ne reste plus qu'à aspirer le liquide avec la seringue
pour injecter. Les meilleurs résultats s'obtiendront en poussant l'in-
jection en tissu dur, dont les mailles serrées formeront pour ainsi
dire une réserve médicamenteuse, et ici sous le bourrelet fibro-mu-
queux que forme la muqueuse gingivale en se réfléchissant au collet
de la dent pour se contiuuer avec la membrane alvéolo-dentaire
(Léon Granjon).
Accidents. — A la consiriction artérielle, à l'ischémie des tissus
produits par l'adrénaline succède généralement une vaso-dilatation :
d'où certains auteurs ont conclu à la possibilité d'hémorragies
secondaires graves. Mais, en réalité. Dattier, sur 600 opérations effec-
tuées avec le mélange cocaïne-adrénaline, n'a observé aucun cas
d'hémorragie. Granjon, de son côté, pense que cette congestion
secondaire se produira fréquemment et pourra devenir gênante
dans certains cas (hypertrophie de la prostate, conjonctivites, in-
flammations des diverses muqueuses) où on a surtout utilisé l'action
décongestionnante du produit: qu'elle est rarement accompagnée
d'hémorragie, parce que l'hémostase primitive favorise la formation
du caillot.
On a accusé également l'adrénaline de déterminer, au lieu d'injec-
ADRENALINE ET ANESTHÉSIQUES LOCAUX. 223
lion, la formation d'escarres. Mousset pense qu'elles sont dues à un
spasme vasculaire, sans infection microbienne, analoi<ue à celles
<|u'on obtient en injectnnt des substances vaso-constrictives très
énergiques, telles quelasphacclotoxine.
Quant aux accidents toxiques généraux produits par l'adrénaline,
ce sont des vertiges, de l'angoisse et de l'arythmie cardiaques, des
sensations de constriction thoracique, des accidents syncopaux et
convulsifs graves.
Il faudra être très réservé dans l'emploi de l'adrénaline chez les
sujets très jeunes, chez les vieillards, les artérioscléreux et les
brightiques, chez tous les sujets dont le foie ou les reins ne sont pas
dans un état d'intégrité parfaite. Mieux vaut toujours l'employer,
d'ailleurs, à doses aussi faibles que possible; le D' Granjon dit à la
dose de VI à VIII gouttes de la solution au millième; nous pensons
qu'il est préférable de rester bien au-dessous.
Contre-indications. — Les elTets de l'adrénaline bien connus
aujourd'hui : vaso-constriclion énergique suivie de vaso-dilatation;
dangers d'escarres et de nécroses osseuses ; possibilité d'embolies
et de phénomènes généraux graves ; vertiges, etc., doivent incitera
une grande prudence.
Chez les artérioscléreux, les brightiques, les malades atteints d'une
affection cardiaque, mieux vaudra s'abstenir d'administrer l'adré-
naline.
ASSOCIATIOl^ DE VADRÉX ALINE
AVEC LES ANESTHÉSIQUES LOCAUX.
L'adrénaline peut être très avantageusement associée à la cocaïne
ou à d'autres anesthésiques locaux. Elle renforce très nettement
l'action de la cocaïne et permet de réduire ses doses en pratique.
Elle rend l'aneslhésie plus intense et plus prolongée.
On sait, en outre, l'expérience l'a maintes fois démontré, combien
la cocaïne agit mal sur les tissus enflammés. En stomatologie, il est
impossible d'obtenir uneanesthésie satisfaisante dans les cas d'ostéo-
périoslite, par exemple. L'addition de l'adrénaline à la solution
cocaïnée permet, au contraire, d'obtenir lanesthésie. Cet elïet remar-
quable serait suffisant pour expliquer le succès de ce médicament en
chirurgie dentaire et pour en légitimer l'usage. D'après Moure
et Brindel, l'adrénaline agirait en amenant la décongestion rapide
des tissus et en permettant alors à la cocaïne de produire ses effets.
Enfin l'adrénaline posséderait encore la précieuse propriété d'em-
pêcher l'action toxique de la cocaïne.
Braun a montré qu'on pouvait facilement diminuer les doses de
cocaïne quand onl'associaità l'adrénaline. Si, d'après cet auteur, on
injecte des solutions de cocaïne très diluées, qui, par elles-mêmes,
seraient sans action, en leur adjoignant une quantité minime d'adré-
224 NOGUE. — ANESTHESIE.
naline, Faclion anesthésique locale de ces solutions est augmentée
dans des proportions telles que ces solutions, diluées, agissent aussi
énergiquement que des solutions très concentrées.
La durée de l'anesthésie est considérablement prolongée. L'anémie
des tissus et l'anesthésie s'étendent indépendamment l'une de
l'autre.
L'adrénaline a pu être associée à d'autres anesthésiques locaux
que la cocaïne, el généralement avec les mêmes avantages.
Foisy a bien démontré que le mélange de cocaïne et d'adrénaline
avait la propriété d'anesthésier les tissus enflammés. On peut
résumer les progrès réalisés par ces mélanges dans les propositions
suivantes formulées à la suite des expériences de Foisy et Riballier
dans la thèse de ce dernier :
1° Localement, l'adrénaline en injection sous-cutanée produit une
vaso-constriction intense ne s'accompagnant pas de vaso-dilatation
consécutive. Les escarres produites au point d'injection ne s'ob-
servent qu'avec des solutions trop concentrées. L'adrénaline est
dépourvue de toute action anesthésique vraie ;
'2° L'injection de doses faibles d'adrénaline produit :
L'ne hypertension artérielle des plus manifeste, mais ordinairement
passagère ;
Un ralentissement de la fréquence du pouls ;
Une augmentation de l'énergie du cœur ;
Une diminution du nombre des globules rouges avec une leucocy-
tose très marquée;
3° Les doses toxiques chez les animaux s'accompagnent de dys-
pepsie, de paralysie du train postérieur et de convulsions. A l'autopsie,
on trouve des infarctus dans le poumon et dans le pancréas. La
toxicité de l'adrénaline est environ quarante fois moindre en injection
sous-cutanée que en injection intravasculaire;
4° Les accidents d'intoxication survenus chez l'homme peuvent être
dus soit à un défaut dans la préparation de l'adrénaline, soit à une
dose trop élevée.
L'emploi de l'adrénaline doit être proscrit chez les angineux et
très réservé chez les malades atteints d'hyperémie artérielle, chez
les hépatiques et les addisoniens ;
5" L'action de doses faibles, mais souvent répétées, produit chez
l'animal l'athérome, une anémie avec mononucléose et une hyper-
trophie des organes hématopoiétiques;
Cf L'injection du mélange rénaline-cocaïne produit une vaso-con-
striction locale très intense, une anémie remarquable et efficace sur-
tout en tissus enflammés, sur lesquels la cocaïne n'a pas de prise.
Elle ne s'accompagne ni d'escarres, ni d'hémorragies secondaires;
1^1) Foisy, Semaine méd. 23févr. 1903. —Riballier, Thèse de Paris, 1904.
ADREXALINE KT ANESTHÉSIQUES LOCAUX. 225
7° Le mélange rtMialine-cocaïne produit une hypertension artr-
rielle avec ralenlissement du pouls et ne s'accompagne d'aucun
trouble respiratoire, digestif ou nerveux ;
8° La toxicité du mélange est neuf à dix fois moindre (jue celle de
la cocaïne ;
9" La solution cocaïne-adrénaline est applicable pour l'anesthésie
de presque loules les collections suppurées :
10° Son emploi est conlre-indiqué chez les jeunes enfants, chez les
pusillanimes, chez les angineux ; il doit être modéré chez les indi-
vidus tarés ;
11° Le mélange employé donne une analgésie bien supérieun; à
celle fournie par le chlorure d'éthyle et la cocaïne ; il est préférable,
dans certains cas, à la rachi-cocaïne et à l'anesthésie générale.
Voici comment Martinet (1) indique la posologie de l'aih-énaline
dans la pratique.
L'adrénaline, étant à peine solul)le dans l'eau froide, très faci-
lement altérable en solution alcaline, 1res soluble et relativement
stable au contraire en solution acide, ne s'emploie guère en pratique
que sous forme de soliilion clilorhydrique faible titrée au millième.
Cette solution renferme 4 milligrammes d'adrénaline (chlorhydrate
d'adrénaline) par centimètre cube et donne XX gouttes par centimètre
cube au compte-gouttes normal.
Il sera facile, en diluant convenablement cette solution dans un
sérum physiologique, d'obtenir des solutions à 1 p. "2 000, 1 p. 4000,
I p. 100 000.
D'après les règles sus-rappelées, on prescrira :
V à X gouttes (0",25 à 0",5) de la solution mère au millième pour
une dose initiale ;
XX gouttes (1 centimètre cube) pour un jour chez un sujet neuf.
En stomatologie, la solution anesthésique à recommander est la
suivante pour injections hypodermiques :
Clilorhydrate de cocaïne ()"^,(i\
Solution normale acide d'adrénaline au millième. III g:oultes.
Eau distillée 1 cent. cube.
Pour une ampoule.
Parfois cependant la dose d'adrénaline est réduite à I goutte
pour 1 centimètre cube.
L'adrénaline s'emploie encore sous forme de tablettes de tartrate
d'adrénaline. Une tablette dissoute dans 16 grammes de sérum phy-
siologique forme une solution à 1 p. 1 000. Ces solutions aqueuses
se conservent longtemps et peuvent être plusieurs fois stérilisées par
l'ébullition sans que leur efficacité soit amoindrie.
(1) A. Martinet, A que'les doses il faut prescrire l'adrénaline? {Presse mécl.,
9 févr. 1910.)
Traité de stomatologie. VI. 15
226 NOGUE. — ANESTHESIE.
La solution à 1 p. 1 000 est la solution mère, qui peut être employée
directement ou bien être ramenée à des titres beaucoup plus faibles
de 1 p. 2 000 à 1 p. 10000 par l'addition d'une quantité proportionnée
de chlorure de sodium.
Il est bon de connaître les applications de l'adrénaline en médecine
et en chirurgie.
Dans un but thérapeutique, l'adrénaline est indiquée : 1" dans les
lésions inflammatoires des muqueuses : coryza aigu ou chronique,
laryngite aiguë ou tuberculeuse, amygdalite aiguë, abcès de l'amyg-
dale, quand il s'agit d'obtenir une décongestion rapide et un soula-
gement des phénomènes inflammatoires; 2° dans les étals congestifs
par vaso-dilatation : coryza spasmodique avec ou sans hydrorrhée,
qu'elle soulage notablement sans toutefois le guérir ; 3° dans le but
de faciliter l'introduction de certains instruments, tels que la sonde
pour le cathétérisme delà trompe dans les rétrécissements lubaires
et aussi, à l'avenir, peut-être dans l'intubation, où une décongestion
rapide de la muqueuse rendra plus facile l'introduction du tube ;
4" dans les interventions sur les muqueuses nasale, laryngée et au-
riculaire, pour pratiquer des opérations exsangues et, par son associa-
tion à la cocaïne, pour exalter l'action de cette dernière et obtenir une
anesthésie parfaite : 5° enfin pour arrêter les hémorragies survenant
au cours ou à la suite d'opérations.
On peut prescrire l'adrénaline en pommade ou en pulvérisations :
Chlorhydi-ate d'adrénaline à î p. 1 000 1 à 5 grammes.
Lanoiine i ^ _
\ aucune S
(Moure. i
Chlorhydrate d'adrénaline à 1 p. 1 000 1/3
Huile de vaseline 2/3
(Casselbei-g )
TROPACOCAÏXE.
A côté de la cocaïne, qui fut le premier et longtemps le seul employé
des anesthésiques locaux, vinrent bientôt se placer d'autres corps
jouissant de propriétés analogues. Les uns, tels que la tropacocaïne,
étaient tirés des feuilles d'une autre variété de coca; d'autres étaient
de tous points créés par la chimie (stovaïne,novocaïne, alypine,etc.) ;
d'autres, enfin, étaient des corps déjà connus, auxquels l'expérimen-
tation découvrait des propriétés anesthésiques (gaïacol, spartéine,
quinine, etc.). L'élude de chacun de ces corps présente, pour le
stomatologiste, le plus grand intérêt, et la connaissance de leurs
propriétés lui permettra d'avoir, selon les indications de la clinique,
recours aux uns ou aux autres.
Giesel a extrait des feuilles de la coca de Java une base nouvelle,
à laquelle il donna le nom de tropacocaïne. Liebermann, qui l'obtint
TROPACOCAÏNE. 227
synlluHiquemenl, montra (lu'il s'agissait là du benzoïl-cp-tropéine, se
rapprochant de l'atropine et sans aucun rapport chimique avec la
cocaïne.
La tropacocaïne étant insoluble dans l'eau, on emploie le chlor-
hydrate, facilement solubie, qui se présente sous la forme d'une
poudre cristalline d'un goût amer.
Ses solutions, très stables, ne se décomposent pas par l'ébullition
et ont pu être conservées sans inconvénient pendant plus d'une
année.
L'élude de la tropacocaïne a été faite, au point de vue physiolo-
gique, par Chadbourne (de Boston) et Zoltan Vanossy, en 189-2
et 19(K).
Les expériences pratiquées sur les grenouilles ont montré les diffé-
rences suivantes entre la tropacocaïne et la cocaïne : son pouvoir
toxique est moitié moindre que celui de cette dernière. Elle produit
une anesthésie locale beaucoup plus rapide. La susceptibilité indi-
viduelle varie dans d'étroites limites. Il n'y a pas de symptômes d'irri-
tation, et l'animal revient plus promptement à lui qu'avec la cocaïne.
En expérimentant sur les lapins, on a noté une susceptibilité indi-
viduelle très faible à l'action toxique. L'action sur le cœur serait
beaucoup moins marquée.
Au point de vue chirurgical, les premières recherches furent faites
sur les yeux. Schweigger Silen observa que, en solution à 3 p. 100, le
chlorhydrate de tropacocaïne, instillé dans l'œil, produisait une anes-
thésie plus rapide et plus complète que la cocaïne. Cette anesthésie
avait une durée moindre. D'après cet expérimentateur, la tropaco-
caïne présentait sur la cocaïne, en thérapeutique oculaire, les avan-
tages suivants : 1° employée même en abondance, elle ne provoquait
absolument aucun trouble sur l'épithélium de la cornée ; 2° son action
légèrement antiseptique la rendait inolTensive dans le cas de lésions
de la cornée ; 3'' elle ne déterminait ni accroissement de la pression,
ni dilatation de la pupille; 4° elle était très bénigne et ne détermi-
nait, à faible dose, aucun phénomène d'intoxication. La solution
indiquée par Stilbert pour la pratique ophtalmologique est la sui-
vante :
Chlorhydrate de tropacocaïne 0"^,5
Chlorure de sodium O'b'',!
Eau distillée • lOs^.O
En chirurgie générale, Custer a trouvé que, dans l'anesthésie par
infdtration, elle donnait les mêmes résultats que la cocaïne et que, en
outre, elle était trois fois moins toxique qu'elle. Braun, d'une
étude très approfondie, tire les conclusions suivantes. La tropaco-
caïne n'a pas d'action nuisible sur les tissus. L'irritation spécifique
déterminée parelle,àpartirde 2 p. 100, est plus forte qu'avec la cocaïne.
228 NOGUÉ. — ANESTHÉSIli:.
Relativement à ses eflels toxiques, elle semble devoir èlre placée
entre la cocaïne et reucaïne p. Dans des solutions à 0,1 — 1,0 p. 100,
rendues osmoliquement indiflérentes par l'addition de chlorure de
sodium, la tropacocaïne représente un excellent anesthésique local
ayant sur la cocaïne l'avantage de la stabilité de ses solutions, mais
ne présentant, à l'égard de l'eucaïne [i, que des désavantages (moindre
puissance anesthésique locale, plus grande toxicité, efTets irritants
plus intenses) (1).
Le D"" Pinet et Viau ont étudié la tropacocaïne au point de vue
de la chirurgie dentaire, après avoir répété les expériences deChad-
bourne. Leurs observations, portant sur plus de 150 malades, leur
ont permis de constater les faits suivants : des doses relativement
fortes (4 à 5 centigrammes) de tropacocaïne, administrées à des
nerveux, des anémiques, des tuberculeux, n'ont jamais déterminé
aucun malaise consécutif. Contrairement à ce qui s'observe avec la
cocaïne, la circulation périphérique, après linjeclion de tropaco-
caïne, était surexcitée. La face prenait une teinte rosée caractéris-
tique ; les extrémités, chez l'homme comme chez les animaux, étaient
chaudes ; il s'y manifestait une excitation vaso-motrice anormale. Les
conclusions de leur travail sont les suivantes :
1° Le chlorhydrate de tropacocaïne possède des propriétés anes-
thésiques locales indiscutables, analogues à celles de la cocaïne;
2° La dose nécessaire à la production de lanesthésie locale varie
selon l'étendue et la profondeur des tissus à anesthésier, ainsi que
selon la durée de l'opération ;
3° Pour les opérations dentaires, la dose de 3 centigrammes
dissous dans 1 gramme d'eau distillée suffit dans les cas ordinaires.
Dans les cas d'extractions difficiles, on élèvera la dose à 4 centi-
grammes : celle-ci donne une ancsthésie complète ;
4° Pour les animaux de petite taille, tels que les cobayes, la dose
de 4 à 6 centigrammes doit èlre considérée comme mortelle;
5° L'anesthésie produite par la tropacocaïne a paru aussi intense
que celle déterminée par la cocaïne;
6° Les expériences sur les animaux permettent de conclure que
la toxicité de la tropacocaïne est moins élevée que celle du chlorhy-
drate de cocaïne ;
7° Le degré de concentration de la solution paraît avoir une impor-
tance réelle, ce qui tend à justifier les idées de M. Reclus. La dose
administrée étant égale, l'action du médicament est d'autant plus
rapide, d'autant plus violente que la solution est plus concentrée :
au contraire, cette action sera bien plus lente à se manifester et bien
moins intense, lorsque la substance anesthésique sera plus diluée ;
cette action serait également d'une durée plus longue.
|1) DuMONT, loc. cil.
ALYPINK. 229
Le Dr Ilugenschinidl a employé en stomatologie la solution à
1 p. 100 sans addition de chlorure de sodium et a obtenu d'excel-
lents résultats de l'injection de 0=%o à 1 centimètre cube de cette
solution.
11 est bon cependant de signaler l'opinion du D"" Reclus, contraire
à celle des précédents expérimentateurs. D'après léminent chirur-
gien, la Iropacocaïne ne présenterait aucune supériorité sur la
cocaïne, et l'anesthésie qu'elle dcHermine serait même moins persis-
tante et moins profonde.
HOLOCA'iNE.
Obtenue par Taûber en combinant la phénacétine et la phénéti-
dine. Insoluble dans l'eau, elle doit être employée sous la forme du
chlorhydrate, qui cristallise en aiguilles blanches et se dissout dans
la proportion de 2.5 p. 100.
Employée en oculistique en solution à 1 p. 100, Iholocaïne déter-
mine une vive sensation de brûlure, au point que Lagrange l'associait
toujours à la cocaïne pour pallier à ce grave inconvénient.
Gires, Legrand, l'ont appliquée en stomatologie. Malheureusement,
la toxicité de l'holocaïne est supérieure à celle de la cocaïne.
ALYPINE.
L'alypine (x privatif et yJ Xutttj, douleur), obtenue par Impens et
Hoffmann, est un sel organique de l'éther benzoïque d'un amino-
alcool, tétraméthyldiamino-éthyldiméthylcarbinol. Seiferl, repre-
nant son étude, en fait le monochlorhydrate du benzoyl-l,3-tétra-
méthyldiamino-"2 éthyl-isopropylalcool de formule :
I \CH2
C2H3 — C — O — CO.C6H5 .
I /GH3
CH2 - \\ HCl
L'alypine se présente sous la forme d'une poudre blanche, soluble
dans l'eau. Les solutions ont une réaction neutre, ne sont pas préci-
pitées par le bicarbonate de soude et peuvent se stériliser par ébul-
lition ou même à 111°, sans altération ni diminution de leur pouvoir
anesthésique. Les solutions à 2 ou 4 p. 100 se conservent assez long-
temps, mais les solutions plus étendues moisissent vite,
La saveur de l'alypine est légèrement amère.
Elle est précipitée par tous les alcaloïdes et par l'iodure de po-
tassium.
230 >'OGUE. — ANESTHESIE.
L'alypine est facilement absorbée par les muqueuses et le tissu
cellulaire sous-cutané. Linjection ne détermine jamais de nécrose
des tissus.
Au pointde vue anesthésique, le D' Abrand, qui en a fait une étude
très prolongée, s'exprime ainsi : « C'est un analgésique; elle m'a
semblé supprimer, dans bien des cas, la sensibilité générale et
mériter de ce fait le nom d'anesthésique. C'est un analgésique rapide
en tout cas, car, sitôt imbibée, la région choisie devient insensible.
L'action se produit soit par infdtration à la seringue de Pravaz, soit
par badigeonnage sur les muqueuses ou les surfaces cruentées.
Presque toujours il faut attendre quelques instants avant d'opérer.
Elle nesl pas vaso-constrictive. Aussi la traînée blanche qu'on peut
observer en faisant linjection dermique disparait-elle dès que
l'aiguille est retirée. »
Son action, d'après le même auteur, se ferait même sentir sur les
tissus enflammés. En plein tissu phlegmoneux, elle donnerait une
anesthésie supérieure à celle delà cocaïne, même additionnée d'adré-
naline.
On n'observe, après son administration, comme symptôme général,
ni céphalée, ni vomissement, ni pâleur de la face, ni excitation. Le
faciès ne se modifie pas, le pouls reste le même.
La toxicité de lalypine est faible. II faut, chez les animaux,
atteindre les doses de 6 à 7 centigrammes par kilogramme pour
observer des accidents mortels.
Le titre des solutions sera le même que pour la cocaïne. On pourra
utiliser couramment les titres à 1 p. 100, réserver les solutions à
2 p. 100 pour les phlegmasies et les solutions à 4 p. 100 pour le badi-
geonnage des muqueuses. Il existe d'ailleurs des comprimés d'aly-
pine à 0gr,02, O^^OS et 0g>",20, qui permettent de préparer extempo-
ranément des solutions titrées. Il suffira d'en faiie dissoudre mi
dans une quantité d'eau déterminée et de faire bouillir la solution
pour la stériliser. Après ébullilion, en aspirant avec la seringue,
s'il s'agit dune petite quantité, ou en mesurant à nouveau, on a le
titre exact ; si l'on juge à propos, on reviendra au titre primitif en
complétant avec de l'eau bouillie.
L'alypine a été employée en ophtalmologie, où elle présente, sur les
autres anesthésiques, l'avantage de ne provoquer ni mydriase, ni
vaso-constriction,ni trouble de l'accommodation; on peutl'employer
sans crainte dans le glaucome. Elle détermine simplement une légère
irritation de la cornée.
Elle a été vantée par Bùrkner (de Gôttingen) en olologie. L'emploi
d'une solution à o p. 100 calme la douleur, si pénible, des furoncles
du conduit et celle que provoque l'otite moyenne, au moins au début.
Lorsqu'il faut pratiquer la paracentèse, on arrive à une insensibilité
absolue du tympan, alors que la cocaïne donne une anesthésie
ALYPLXE. 231
infidèle et expose à des elïels loxiques. La tecliiii(iiie consiste à intro-
vlnire au conlacl du tynij)au une solution de 5 p. 100 dans Teau ou
l'alcool sur un tampon d'ouate et à l'y laisser dix à vingt minutes.
Comme il ne se produit pas d'anémie, comme avec la cocaïne, on la
produit par l'addiliond'unpeu de suprarénine, qui augmente encore
le pouvoir anestliésiquede la solution.
Elle a été employée également en urologie, en injections dans le
canal de Turètre en solutions à 1 p. 100, 2 p. 100, 4 p. 100; en injec-
tions dans la vessie à 10 p. 100.
Elle a été également utilisée en chirurgie générale et pour Tanes-
lliésie lombaire.
De cette expérimentation clinique il ressort que Talypine est un
excellent anesthésique, moins toxique que la cocaïne. Les accidents,
assez rares d'ailleurs, qu'on a observés ressemblent à ceux que déter-
mine la cocaïne. Ils consistent en une excitation psychomotrice
intense pouvant aller jusqu'à de forts accès convulsifs cloniques (1).
En chirurgie dentaire, l'alypine a donné de bons résultats. La
solution de choix est la suivante :
Sérum isotoniqiK' 100 cent, cubes.
Alypine 1^^50
LeD'" Stotzer, qui la utilisée un des premiers, a noté ({ue,dans tous
les cas, l'anesthésie était satisfaisante, l'hémorragie peu intense, le
pouls et la pupille sans modifications.
Le D'" Peckert id'Heidelberg), en ajoutant à la solution d'alypineun
peu d'adrénaline, a obtenu une anesthésie beaucoup plusparfaite.
Le D'' A. Laporta emploie 1 centimètre cube d'une solution à
2 p. 100. Entre le début de l'injection et l'opération, il laisse s'écouler
quatre à cinq minutes. Le patient, pendant ce temps, reste assis ou
dans la position demi-couchée. Il recommande d'employer toujours
des solution fraîches, exlemporanées. Sur 115 extractions simples
ou compliquées, dans des cas favorables ou défavorables, les résultats
furent satisfaisants. Le D"" Laporta ne craint pas d'affirmer que
l'action anesthésique de l'alypine vaut celle de la cocaïne... Ce qui
est remarquable et très important, ajoute-t-il, ce qui place le médi-
cament bien au-dessus de la cocaïne, c'est l'absence pour ainsi dire
complète de toute action nocive ou même désagréable.
Le Dr Paul Sorlat, qui a consacré à l'alypine sa thèse inaugurale,
pense qu'elle est moins toxique que la cocaïne. Il a répété et con-
trôlé les expériences de Chevalier et de Serini et trouvé les résultats
suivants : chez le cobaye, la dose toxique varierait de Oe^^is à 0gr,16
par kilogramme d'animal : chez le chat, elle serait de 0er,085 ; chez
le chien, de Ogr.074.
(1) D"" A. Laporta. Bulletin de lu Société belge de stomaloloqie, 1906, n» 1.
232 NOGUE. — ANESTHESIE.
Donc la dose toxique mortelle serait, pour le cobaye, le chien et
le chat, le double de celle de la cocaïne : elle serait égale ou quelque
peu inférieure à celle de la stovaïne.
En injection intraveineuse, l'alypine n'est pas à recommander;
elle est, en ce cas. très toxique, produit rapidement de la paralysie
bulbaire, et la mort peut survenir brusquement.
La concentration des solutions d'alypine exerce une influence
remarquable sur leur toxicité : celle-ci augmente avec la concen-
tration dans de notables proportions.
Dans l'intoxication expérimentale par l'alypine, on assiste à des
phénomènes qui présentent, avec ceux déterminés par la cocaïne et
la stovaïne, la plus grande analogie. Ils consistent surtout en troubles
graves du côté du système nerveux central.
a. Action sur le système nerveux central. — A faible dose, il se
produit seulement, à la suite de l'injection intrapérilonéale, une
excitation plus ou moins grande, avec augmentation de la sensibi-
lité. Avec des doses plus fortes, l'excilation psychomotrice devient
de plus en plus intense, pouvant aller jusqu'à des accès convulsifs
c'.oniques ; ces convulsions se manifestent spontanément et n'ont
pas, par conséquent, le caractère réflexe des convulsions causées par
la strychnine. Il y a, en même temps, de la dyspnée et des phéno-
mènes d'asphyxie.
Il est à remarquer cependant que les phénomènes convulsifs sont
beaucoup moins intenses qu'avec la stovaïne et que l'hyperesthésie
fait le plus souvent défaut. Par contre, on note très rapidement
de l'analgésie généralisée, très, accentuée et s'accompagnant de
paralysie.
En augmentant encore la dose d'alypine, jusqu'à atteindre la dose
toxique, on voit les convulsions se succéder très rapidement chez
l'animal, avec de l'opisthotonos et des contractures ; puis il se fait
une parésie des membres postérieurs ; et la scène se termine par une
paralysie complète, avec abolition des réflexes, refroidissement,
angoisse respiratoire et ralentissement du cœur. L'animal meurt
par un épuisement total du système nerveux central, et non par une
paralysie du cœur ou du centre respiratoire, puisqu'il suffit d'enrayer
les convulsions par un hypnotique quelconque pour que des doses
mortelles soient tolérées.
h. Action sur la respiration. — L'appareil respiratoire réagit lui
aussi cependant au cours de cette intoxication : des doses, inca-
pables encore de provoquer une forte excitation et des convulsions,
ralentissent légèrement la fréquence de la respiration, mais en aug-
mentent l'amplitude. Les mouvements respiratoires deviennent plus
fréquents et plus profonds, si l'on augmente la dose employée,
jusqu'à l'apparition de convulsions. Cet effet se constate même pen-
dant le sommeil produit par un hypnotique, ce qui prouve qu'il ne
ALYFINE. 233
dépi'iul pasexclusivomenl (le rirritalion couvulsive, mais est provo-
qué, tout au moins eu partie, par excitation directe du centre respi-
ratoire.
Finalement, des doses toxiques produisent, dans la dernière phase
de l'intoxicalion, des irrégularités dans la fréquence et dans Tampli-
tude de la respiration ; il se produit des pauses plus ou moins longues,
et des périodes de respiration rudimentaire alternent avec des
périodes d'inspiration maximale, jusqu'au moment où survient la
mort par arrêt complet et détinitif.
c. Action sur la circulation. — • L'action de l'alypine sur la circu-
lation doit être étudiée avec des solutions très diluées, surtout chez
les animaux à sang froid, comme la grenouille. Avec des solutions à
1 p. 1 000, on observe, à doses moyennes, simplement un abaisse-
ment passager de la |)ression sanguine, sans changement de rythme
du cœur. 11 n'y a pas, comme avec la stovaïne, de renforcement
systolique, pas d'action sur le cœur (à cette dose du moins).
Avec des solutions à 2 p. 1 000, les elTets sont déjà beaucoup plus
nets, et l'on voit survenir brusquement une chute de pression san-
guine, qui baisse de 7, 8 et même 10 centimètres de mercure;
en même temps, on voit se produire un ralentissement et une
diminution d'énergie des contractions cardiaques. Mais ces modifi-
cations de l'activité fonctionnelle du cœur sont très peu intenses et
montrent que l'alypine, aux faibles doses où elle est employée en
pratique, n'exerce pas d'influence nocive sur le cœur. De plus fortes
doses abaissent, au contraire, l'activité cardiaque : le volume du
pouls et le travail du cœur diminuent, mais sa force absolue reste
constante. Si la dose est mortelle, après quelques grandes contrac-
tions arythmiques, le cœur faiblit à nouveau et s'arrête bientôt,
après s'être contracté de plus en plus faiblement. Si, en revanche,
la dose n'est pas mortelle, on voit la pression remonter lentement;
l'énergie des contractions reprend progressivement, mais celles-ci
restent toujours plus faibles que normalement.
L'alypine se différencie surtout très nettement de la cocaïne par
son action sur le système vasculaire : elle ]>rovoque, soit en applica-
tion locale, soit par son usage hypodermique, une dilatation vasculaire
d'origine périphérique et centrale. 11 en résulte un abaissement
marqué de la pression sanguine, avec forte élévation de la courbe
du pouls et ralentissement de la fréquence cardiaque. Cet abaisse-
ment de la tension doit être attribué beaucoup plus à la paralysie
des vaso-moteurs qu'au ralentissement du cœur, car, au moment où
les vaisseaux reprennent leur calibre ordinaire, la tension sanguine
revient à la normale, tandis que la fréquence du pouls reste faible, et,
de plus, si l'on paralyse au préalable la vaso-motricité par de l'hy-
drate de chloral, par exemple, la tension ne s'abaisse pas davantage.
Cette action vaso-dilatatrice de l'alypine lui confère une supériorité
234 NOGUÉ. — ANESTHÉblE.
marquée sur la cocaïne, surtout dans les cas où Ton veut obtenir une
anesthésie suffisante du côté de la face ou du crâne; grâce à cette
vaso-dilatation, le visage des malades rougit après Tinjeclion ; le bulbe
se congestionne légèrement, ce qui met à labri des syncopes post-
opératoires, l'un des accidents que Ton a le plus reproché à la
cocaïne.
En revanche, par suite de cette vaso-dilatation, Talypine présente
quelques inconvénients, lorsqu'on opère avec son concours sur des
territoires très vascularisés. On remédie facilement à ce désagrément,
en employant, en ce cas, des solutions d'alypine additionnées de
quantités infinitésimales d'adrénaline, qui abolit l'action hyper-
émiante de l'alypine et provoque môme une très légère vaso-con-
striction.
A côté des phénomènes décrits ci-dessus, on peut en relever
d'autres, intéressant le système nerveux périphérique et la tem-
pérature.
La sensibilité disparaît rapidement avec des doses fortes d'alypine,
mais certains réflexes: cornéen, abdominal, etc., persistent. Appli-
quée en concentration de 4 p. 100 sur un tronc nerveux, l'alypine
arrête la réceptivité du nerf pour les excitants électriques, à l'endroit
d'application, mais ne supprime pas la conductibilité nerveuse.
Quant à la température, de nombreuses prises effectuées sur les
animaux en expérience montrent que l'emploi de faibles doses d'aly-
pine la modifie à peine; à des doses convulsivantes, elle produit,
mais à un degré peu sensible, un abaissement thermique central.
Les autres fonctions comme les échanges gazeux, la sécrétion
urinaire. ne sont pas influencées par l'alypine. L'élimination de cette
substance se fait par les reins, et, peu après l'application d'une dose
relativement faible, on peut la rechercher dans l'urine, par l'addition
de quelques gouttes d'iode ioduré.
Le sang, enfin, ne subit pas de modifications appréciables sous
l'influence de l'alypine; celle-ci, même en solution à 0,1 p. 100, ne
possède pas de propriétés hémolytiques.
Telles sont, quelque peu détaillées, les propriétés physiologiques
de ce nouvel anesthésique ; nous pouvons, en résumé, conclure
que, aux doses où elle est employée dans la pratique, l'alypine est
incapable de provoquer des accidents sérieux ou de produire des
troubles graves pour la vitalité des tissus.
L'alypine agit aux mêmes doses et dans les mêmes conditions que
la cocaïne : il y a donc identité de formulaire et de posologie entre
ces deux corps; toutefois, en raison de son action vaso-motrice
différente de celle de la cocaïne, l'alypine ne provoque pas d'ivresse
et ne crée pas d'accoutumance.
Voici, cependant, à titre d'indication, les formules les plus
usitées :
ELCAÏNE. "i^o
Emploi chirurgical.
1° Anesthésie locale.
Chirurgie (jénérale : Alypine Os'',50 à 1 gr.
Eau distillée, q. s. |) 100 ce.
(En injections hypodermiques.)
Ophlalmolor/ie : l» Alypine 1 gramme.
Eau distillée, q. s. p 100 ce.
(Conserver en ampoules stérilisées, pour injections.)
2° Alypine 5 grammes.
Eau distillée, q. s. p 100 ce.
(Pour instillations.)
Chirurgie dentaire : Alypine 1 gr. (0g"',50 chez enf.)
Eau distillée, q. s. p 100 ce.
(Peut èlre également utilisée pour les petites opérations.)
Lart/ngologie: Alypine 5 à 10 grammes.
Chlorure de sodium pur .î à 10 —
Eau distillée, q. s. p 100 ce.
(Pour badigeonnages.)
2« Anesthésie rachidienne.
Alypine O^MO
Eau distillée 3 ce.
Adrénaline boriquée 0si",0003.3
(En ampoules de 0"<=,5 stérilisées à lOô».)
3" Anesthésie par infiltration.
Solution de Schleich : Cocaïne Os'',05
Alypine 0g^05
Chlorure de sodium 0s'',02
Eau distillée, q. s. p 100 ce.
EUCAÏNE,
L'eucaïne obtenue par voie synthétique est, au point de vue chi-
mique, de Téther méthylbenzoyltélraméthyl-o(-oxypipéridineméthyl-
carbonique.
C'est une base qui se dissout difficilement dans l'eau, facilement
dans l'alcool, i'éther, le chloroforme et le benzol.
Elle donne, avec l'acide chlorhydrique, un sel le chlorhydrate
d'eucaïne cristallisé en prismes brillants, d'un goût amer, se dissol-
vant lentement dans l'eau froide, rapidement dans l'eau chaude et
donnant des solutions limpides capables de supporter, sans se décom-
poser, la température de Tébullition.
C'est à Gaetano Vinci que sont dues les premières recherches sur
l'eucaïne. Elles montrèrent l'action anesthésique de ce corps. Au
point de vue physiologique, l'action de l'eucaïne se manifeste par
236 NOGUÉ. — ANESTHÉSIE.
une forte excilalion du système nerveux avec paralysie consécutive.
A fortes doses, la mort survient par paralysie du centre respi-
ratoire.
Les eucaïnes se classent en deux groupes bien distincts (1) :
Eucaïnes f: ;
Eucaïnes a :
Les eucaïnes l'i sont constituées sur le même modèle que la tropa-
cocaïne : c'est-à-dire quelles ne possèdent pas de carboxyle et qu'elles
dérivent d'un amino-alcool, dans l'espèce le vinyldiacétonalcamine.
L'analogie devient plus complète si l'on considère que cet amino-
alcool doit à la configuration spéciale de sa molécule d'exister sous
deux formes stéérogéométriques, dont l'une, de laquelle dérive juste-
ment l'eucaïne, est stable et correspond à la pseudo-tropine, et dont
1 autre, instable, correspond à la tropine et donne, comme cette
dernière, des dérivés acidylés mydriatiques , mais non anesthé-
siques.
L'eucaïne x, au contraire, renferme tous les groupements fonc-
tionnels de la cocaïne; mais, chose curieuse et qui montre combien
est compliqué ce problème de lanesthésie locale, elle est constituée
sur le type de la cocaïne a de Willstœtter, c'est-à-dire que les chaînes
latérales sont fixées sur le même carbone d'une molécule différant de
la vinyldiacétonalcamine. en ce sens qu'elle n'existe que sous une
seule forme.
D'autres anesthésiques locaux ont vu le jour depuis les eucaïnes
et. en fait, la propriété analgésique appartient à un nombre consi-
dérable de corps très différents chimiquement les uns des autres et
ditTérant essentiellement des eucaïnes et des cocaïnes en ce qu'ils
ne renferment pas un noyau azoté fermé. Aucun de ces corps n'a pu
acquérir une grande importance industrielle, et cela tient surtout
à deux causes. La première, c'est qu'ils sont beaucoup moins actifs
que la cocaïne. La seconde, c'est que leurs propriétés physiques les
rendent généralement peu propres à l'injection hypodermique, soit
parce qu'ils sont peu solubles, soit parce qu'ils sont trop irritants.
Au point de vue pratique, l'eucaïne |3 est la seule employée.
Elle se présente sous la forme dune poudre blanche. Elle est soluble
dans trois fois et demie son poids d'eau froide. Injectée dans les tissus
à la dose de Oe'',10 à 08'",16, elle ne modifie en rien la pression san-
guine. Aux doses de 0b'',18 à Oe'",20, on note un ralentissement assez
marqué du pouls. Schmitt (de Nancy) et Legrand ont pu l'administrer
par la voie sous-cutanée aux doses de Og'",24 à Og<",26 sans le moindre
accident.
Administration de Feucaïne. — Tandis que Lohmann et Schering
conseillaient d'administrer l'eucaïne en solution à 10 p. 100. Legrand,
(1) EnNEST Fourneau, Généralités sur les anesthésiques locaux [Bulletin des
se. phurmacologiques).
STOVAINE. 237
à la suite de nombreuses expériences dans le service de I\I. Reclus,
adoptait définitivement la solution à 2 p. 100 et avancjait qu'il était
possible d'injectei' jusqu'à 30 centimètres cubes de cette solution.
Nous ne saurions trop mettre en garde les stomatologistes contre les
dangers de semblables doses.
Lanesthésie, à la suite de l'injection d'eucaïne, se produit aussi
rapidement qu'après les injections de cocaïne: elle ne dure pas aussi
longtemps, mais persiste pendant plus de quarante minutes.
La pénétration du liquide dans les tissus détermine une sensation
de brûlure superficielle, qui est suivie d'une anesthésie pour ainsi
dire immédiate, au point qu'il n'est nullement nécessaire d'attendre
quelques minutes pour intervenir. D'après la grande majorité des
auteurs, l'anesthésie serait, à doses égales, absolument comparable
à celle qui détermine la cocaïne.
La solution recommandée par Braun pour l'anesthésie par infiltra-
tion est la suivante :
Eucaïne p 1 gramme.
Chlorure de sodium , 8 grammes.
Eau 100 —
Pour s'en tenir à la solution préconisée par Legrand, on pourra
employer des ampoules de '2 centimètres cubes :
Eucaïne [i 0s'',4
Sérum physiologique 2 cent, cubes.
et injecter la moitié ou une ampoule entière selon les cas.
Avantages. — Les avantages attribués à l'eucaïne [B, comparée
la cocaïne, sont les suivants : toxicité infiniment moindre pour une
action anesthésique égale aux mêmes doses; durée de cette anes-
thésie aussi grande que celle de la cocaïne; conservation des solu-
tions très prolongée, puisque Legrand a pu se servir de solutions
datant de quatre mois ; enfin toxicité beaucoup moindre, au point qu'un
grand nombre d'observateurs considèrent l'eucaïne |3 comme inolïen-
sive. C'est ainsi que Braun a osé deux fois employer jusqu'à 300 centi-
mètres cubes d'une solution au centième.
On peut donc, en résumé, — en ce qui concerne notre spécialité,
sans aller aussi loin que Dumont et Legrand, qui appellent l'eucaïne p
Tanesthésique de choix en stomatologie, — dire qu'elle constitue un
anesthésique local capable de nous rendre de très grands services
et de remplacer la cocaïne lorsque la toxicité de celte dernière en
contre-indiquera l'emploi.
STOVAÏNE.
La stovaïne, ou chlorhydrate d'amyléine aS, a été découverte par
M. Fourneau et étudiée au point de vue de ses effets physiologiques
par M. Billon.
238 NOGUE. — ANESTHESIE.
Il est intéressant, au sujet de cetle découverte bien française, de
voir comment l'éminent chimiste est arrivé à ce résultat. Après avoir
passé en revue la cocaïne et ses dérivés, M. Fourneau s'exprime
ainsi (1) : ■< La question des anesthésiques locaux restait ouverte et
paraissait difficilement soluble, le noyau pipéridinique qui commu-
nique auxeucaïneset aux cocaïnes leur caractère toxique étant, selon
toute vraisemblance, la condition de leur grande puissance anesthé-
sique, »
L'expérience pouvait seule démontrer si réellement ce noyau pipé-
ridinique était nécessaire et si, fatalement, la toxicité augmentait
avec l'action analgésique.
Que sont, en somme, les eucaïnes et les cocaïnes ?Des amino-alcools
et des amino-acides alcools éthérifiés, dans lesquels, je le répète, les
noyaux primitifs sont toxiques.
J'ai préparé et étudié un grand nombre d acides amino-alcools et
d'amino-alcools nouveaux inolTensifs en soi; j'ai éthérifîé les pre-
miers par l'alcool méthylique, puis par l'acide benzoïque, les seconds
par l'acide benzoïque, et je suis arrivé à obtenir les dérivés d'amino-
alcools doués d'une puissance analgésique considérable, au moins
égale à celle de la cocaïne, en même temps que leur toxicité était
relativement faible, en tout cas très inférieure à celle de la cocaïne.
Ces amino-alcools sont tous construits sur le même type et répon-
dent à la formule schématique :
,CW
R.COH
CH2.Az<
R=méthyl, éthyl, propjl, isobutyl.phényl. benz}'!, etc.
Ils s'obtiennent avec facilité lorsqu'on fait réagir les aminés
secondaires sur les chlorhydrines du tyj)e :
.CH2CL
R.COH
\CH3
surtout étudiées par Titïeneau, etdonnent, lorsqu'on les éthérihe par
l'acide benzoïque, des dérivés benzoylésdont les chlorhydrates sont
solubles dans l'eau, peu toxiques et très analgésiques :
CH3
R.COCO.C6H5
^CH2.Az/ HCl(HBr,etc.).
D'un de ces corps aux autres, cest le groupe R qui varie.
(1) Loc. cit.
SÏOVAINE. 239
Cependant, parmi les élhers d'amino-alcools, nous en avons écarté
un certain nombre pour des raisons économiques ou organolepliques,
et nous avons fixé notre choix sur le clilorhydrate d'amyléine Q([i, que
nous avons appelé slovaine.
La stovaïne a pour formule :
CH^.CH-'CO = CO.C«Ho H. Cl.
/CH3
^CH-^Az/^"^
Elle cristalllise en petites lamelles brillantes fondant à 175°.
Elle est extrêmement soluble dans Teau. L'alcool méthylique et
réther acétique la dissolvent facilement. L'alcool absolu n'en dissout
que le cinquième de son poids. Elle est légèrement acide au tournesol
et neutre à Ihéliantlnne.
Ses solutions aqueuses précipitent par tous les réactifs des alca-
loïdes. Elles sont stérilisables par la chaleur. Leur ébullition pro-
longée môme pendant une heure naltère nullement la stovaïne :
après évaporation, on la retrouve intacte. Elles supporlentfacilement
une chauffe de vingt minutes à 115° en autoclave. Vers 120°, elles
sont lentement décomposées. En somme, la stabilité de la stovaïne
ne le cède en rien à celle de la cocaïne.
Outre son goût très différent de celui de la cocaïne et son point
de fusion, il est assez facile de la distinguer de cet alcaloïde en
mettant à profit la facilité avec laquelle elle est hydrolysée à froid
par l'acide sulfurique concentré. On met quelques centigrammes
(3 à 6 centimètres cubes) de stovaïne dans un tube à essai, et on la
mouille avec V à X gouttes d'acide sulfurique concentré, dans
lequel elle se dissout facilement en dégageant de l'acide chlorhy-
drique. Quand la dissolution est complète (et il est bon de la favo-
riser en remuant le mélange avec un agitateur), on laisse couler le
long des parois du tube à essais 2 à 3 centimètres cubes d'eau ; on
voit aussitôt se séparer de l'acide benzoïque. Celte réaction est né-
gative avec la cocaïne.
Les indications et la posologie de la stovaïne sont les mêmes
que celles de la cocaïne, avec cette unique différence que l'on peut
sans inconvénients en donner des doses plus fortes.
1° Anesthésie locale :
Stovaïne 1 jïrammc.
Eau distillée 100 cent, cubes.
Stériliser à l'autoclave à 105" pendant dix minutes. Chirurgie
générale : opération d'hémorroïdes, hernies, ongle incarné, panaris,
phlegmons, loupes, etc., suivant la technique indiquée par le
P"" Reclus.
240 NOGUÉ. — ANESÏHESIE.
"20 Odontologie et petites opérations :
Stovaïne 1 gramme.
Eau distillée 100 cent, cubes.
Stériliser et conserver en ampoules.
3° Ophtalmologie:
stovaïne 1 gramme.
Eau distillée (ou sérum p!iysiologique) 100 cent, cubes.
Stériliser et conserver en ampoules, pour injections intrader-
miques :
Stovaïne 4 grammes.
Sérum physiologique 100 cent, cubes.
Stériliser pour instillations.
Les incompatibilités de la stovaïne sont les mêmes que celles de la
cocaïne : elle est beaucoup plus sensible que cette dernière à Taction
des alcalis. Il faudra donc, si Ton s'est servi d'eau boratée pour
stériliser la seringue à injections, la laver plusieurs fois avec de
l'eau distillée bouillie avant de s'en servir.
Un des avantages les plus précieux de la stovaïne, c'est sa faible
toxicité comparée à celle de la cocaïne. Déjà Reclus avait cherché
par tous les moyens à éviter le grave reproche fait à sa méthode en
diminuantle titre de ses solutions. Aussi, quand la stovaïne fit son
apparition, lui fit-il le meilleur accueil et, après de nombreuses expé-
riences, lui donna-l-il nettement la préférence. 11 lui attribua un
pouvoir anesthésique moindre ; mais ce défaut était largement
compensé par sa faillie toxicité, qui permettait d'en injecter des
quantités beaucoup plus considérables. Il montra enfin que, con-
trairement à l'assertion de ses détracteurs, la stovaïne, bien que
vaso-dilatatrice, ne déterminait pas d'hémorragie et ne déterminait
jamais de gangrène.
En chirurgie générale, la stovaïne fut employée par le
P"" Reclus, les D" Chaput, Schiff, Kendirdjy, Tuffier, etc. Chaput
s'exprime ainsi sur son compte : « L'action analgésique de la sto-
vaïne locale à 1 p. "200 est identique à celle de la cocaïne. La stovaïne
est moins toxique que la cocaïne : elle a une r.ction vaso-dilatatrice
qui, en congestionnant le bulbe, supprime la syncope et permet
aux malades d'être opérés assis et de se lever aussitôt après l'opé-
ration.»
Dans l'anesthésie lombaire, la stovaïne a joué un rôle des plus
important, puisque c'est grâce à elle que cette méthode a pu prendre
tout son essor. « Il me parait, dit le P' Sonnenburg, que,
grâce à la stovaïne, l'anesthésie lombaire est entrée dans une nou-
velle période de grand développement, et que la question de la
narcose est appelée, à dater de ce fait, àunbouleversementprofond. >>
STOVAIXE. 241
Le P' (le Lapersoiine en ophtalmologie, Dubar en otorhinologie,
<Je Beurniann en dermalologie, Doléris en obstétrique, ont montré
les avantages de la stovaïne et en ont précisé les applications.
En stomatologie, la stovaïne ne devait pas tarder à prendre une
place prépondérante en raison de ses précieuses qualités. Dès 1894, le
D' A. Pont s'exprimait ainsi, en comparant les avantages et les
inconvénients de la cocaïne et de la stovaïne : « Il est certain qu'avec
les solutions cocaïniques à 1 p. 100 on a rarement des alertes,
surtout si Ton oljserve les règles prescrites par le P"" Reclus ; mais il
n'en est pas moins vrai que ces règles constituent, en art dentaire,
lorsqu'il s'agit d'une pelite opération, comme l'extraction d'une dent,
de véritables inconvénients. Il n'en est pas moins vrai aussi que
beaucoup de patients, chez lesquels pour des extractions den-
taires on s'était conformé aux instructions de Reclus, ont con-
servé pendant plusieurs heures après l'opération des malaises allant
parfois jusqu'à l'état lipothymique. Ces petits accidents sont négli-
geables lorsqu'il s'agit de grande chirurgie ; mais, pour les opé-
rations de petite chirurgie, et surtout pour les opérations dentaires,
le malade ne les oublie pas et ne les pardonne pas.
« C'est pourquoi j'estime que la stovaïne sera très utile et rempla-
cera avantageusement la cocaïne si les essais continuent à être
aussi encourageants. )>
Nous-méme, dans de nombreux essais, nous n'avons jamais
observé (1), ni pendant l'injection, qui est d'ailleurs bien peu doulou-
reuse, ni postérieurement à l'opération, aucun malaise chez nos
patients. Nous n'avons jamais opéré les malades dans d'autre
position que la position assise, et nous n'avons jamais eu à les faire
coucher. A la suite de l'opération, les patients n'éprouvaient de
douleur d'aucune sorte.
Il était important, en stomatologie, de pouvoir associer à la stovaïne
le médicament vaso-constricteur par excellence, l'adrénaline. Braun
avait affirmé que l'association de ces deux substances pouvait pro-
voquer la gangrène des tissus. Heureusement l'expérience a fait
justice d'une pareille affirmation et, aux doses habituelles, stovaïne et
adrénaline sont sans aucun inconvénient.
Si l'on veut résumer dans une vue d'ensemble les qualités de la
stovaïne, on peut adopter l'opinion de Kendirdjy, basée sur
625 rachi-stovaïnisations. La stovaïne, dit cet auteur, possède à nos
yeux trois avantages principaux : sa faible toxicité, son action toni-
cardiaque et sa puissance anesthésique ; et c'est la réunion de ces trois
qualités maîtresses qui constitue sa supériorité sur les autres sub-
stances analgésiques actuellement connues. Sa toxicité faible est
démontrée par l'expérimentation sur les animaux et par l'observation
(1) Archives de stomatologie, avril et mai 1904.
Traité de stomatologie. VI. — 16
242 NOGUÉ. — ANESTHESIE.
clinique. Les chirurgiens ne manquent pas, en effet, qui injectent
10, 12 et même, pour certaines laparotomies, 15 centigrammes de
stovaïne (Kronig, Cavazzani) sans accident. Nous ne saurions approu-
ver, en principe, lusage des doses aussi élevées, parce que nous les
considérons comme inutiles et parce que, çà et là, des susceptibi-
lités individuelles se renconlreront qui pourraient réserver au chi-
rurgien des surprises désagréables. Mais ce ne sont là que des
objections théoriques, et les statistiques imposantes de Cavazzani
et de Kronig prouvent que la toxicité de la stovaïne est très faible
et que, à pouvoir anesthésique égal, aucune substance ne saurait
lui être comparée (1).
L'action loni-cardiaque est remarquable. Le })ouls, rapide au
début par suite de Fémotion que ressent le malade, se régularise
bientôt et reste excellent jusqu'à la fin de l'acte opératoire. Le fait a
été remarqué par la plupart des chirurgiens qui ont usé de la stovaïne,
et quelques-uns de ceux qui ont expérimenté d'autres substances,
tel que Busse, ont eu l'impression que le pouls était meilleur avec
la stovaïne.
Enfin sa puissance anesthésique est égale à celle de la cocaïne, et
tout le monde est d'accord pour dire qu'avec les perfectionnements
de la technique la proportion des échecs diminue jusqu'à devenir
négligeable.
Il s'en faut cependant ([ue l'accord soit unanime sur les qualités
de la stovaïne, et les notes discordantes nous viennent surtout
d'Allemagne, où presque tous les chirurgiens partisans de l'anes-
thésie lombaire ont comparé la stovaïne avec d'autres substances ;
les uns sont revenus à la stovaïne, qu'ils trouvent la meilleure et de
beaucoup; d'autres lui reconnaissent des qualités égales et emploient
indifféremmentla stovaïne, la novocaïne ou la tropacocaïne; d'autres
enfin, et c'est le petit nombre, considèrent la stovaïne comme infé-
rieure et lui reprochent: 1- d'être plus toxique et d'exercer une action
paralysante sur les muscles respiratoires ; i» de provoquer quelque-
fois des paralysies uni ou bilatérales du muscle abducteur de l'œil.
Voyons ce qu'il y a de vrai dans ces accusations. Mais, auparavant,
il nous faut insister sur ce fait qu'à l'étranger on semble totalement
ignorer les ti^avaux qui ont paru en France sur les accidents ménin-
gitiques dus au défaut d'isotonie. En matière de rachianesthésie, il
est de toute nécessité de faire le départ entre les accidents immé-
diats de la période anesthésique et les accidents consécutifs de la
période post-anesthésique. Les premiers sont seuls imputables à la
substance injectée ; les autres relèvent de l'irritation des méninges,
elle-même provoquée soit par le défaut d'isotonie entre le liquide
(,1) Deux de nus malades, atteints de fistules tuberculeuses du périnée, en sont
l'un à s-a sixième, l'autre à sa septième rachi-stuvaïnisation. Ils n'ont eu de la
céphalée qu'après la première injection.
STOVAÏNE. 243
céphalo-rachidien et le liquide qu'on injecte, soit par rinfection du
milieu sous-arachnoïdien, soit par ces deux éléments à la fois. Ces
accidents sont indépendants de Tanesthésique dont on s'est servi,
puisque, aussi bien, on peut les observera la suite d'une simple ponc-
tion lombaire exploratrice. Et c'est pour ne pas vouloir tenir compte
de cette distinction, à nos yeux capitale, que l'on attribue à la stovaïne
des méfaits dont, en bonne justice, elle ne saurait être tenue pour
responsable; et pour cilerun exemple, — quirépondd'ailleursàun fait
publié et répandu avec un certain fracas, le fait de Kronig, — il est inad-
missible qu'une injection de stovaïne puisse par elle-même, les lois
de l'isotonie et de l'asepsie étant observées, occasionner des lésions
de méningomyélite avec leur cortège habituel de paraplégie, d'acci-
dents sphinctériens et de troubles trophiques, se terminant, à
échéance plus ou moins longue, par la mort du malade (1). Ceci dit,
examinons les griefs qui sont formulés à sa charge.
1° La stovaïne donnerait lieu fréquemment à des accidents d'intoxi-
cation grave, pouvant même aboutir à la mor^. Or ces accidents
sont à peu près inconnus en France et, pour notre part, dans l'espace
de deux ans et demi et sur un total de 625 ra-hi-stovaïnisations, sans
compter les nombreux cas auxquels il nous a été donné d'assister
dans les divers services, nous n'avons pas eu l'occasion de les obser-
ver. Nous croyons que l'explication doit en être cherchée dans les
détails de la technique, parmi lesquels il en est deux que nous tien-
drons volontiers pour responsables : c'est, d'une part, le plan incliné.
Nous repoussons plus que jamais le mélange des diverses variétés
d'adrénaline (suprarénine, épirénine, etc.) pour les raisons que nous
avons données ailleurs : « L'adrénaline n'est là, disons-nous, que
pour ajouter à l'action de la stovaïne ses propriétés vaso-constrictives.
Or, précisément, ce qui nous fait préférer la stovaïne à la cocaïne,
c'est, en partie, son action neutre, sinon dilatatrice sur les
vaisseaux. D'autre part, la composition de l'adrénaline n'est pas
fixe (2), et son emploi n'est pas exempt de danger. Nous ne
croyons pas que son adjonction donne une anesthésie meilleure,
puisque l'anesthésie, avec la stovaïne pure, est parfaite et que les
phénomènes morbides sont nuls ou insignifiants. De plus, la prépa-
ration de ces mélanges offre quelques difficultés et vient compliquer
une 'technique que nous voudrions le plus simple possible (3). Nous
(1) H. ^^\^ Lier (d'Amsterdam), dans un mémoire récent et très intéressant
(Beitrag ziir klin. Chir., 1904, Bd. LUI, Heft 2), vient d'étudier les altérations que
produit l'injection de slovaïne au niveau de la moelle. Ces altérations, peu accusées
d'ailleurs, sont constantes, mais heureusement de très courte durée. Nous regret-
tons que l'auteur se soit servi de la formule de Bier, qui contient, comme on le
sait, de l'épirénine. 11 eût été préférable de n'injecter qu'une solution pure de sto-
va'ine.
(2) L'adrénaline se décompose facilement aux hautes températures et ne peut
êtrestérilisée que par tyndallisation.
(3) Quelques chirurgiens allemands, frappés des inconvénients que semble pré-
244 XOGUE. — AXESTHESIE.
repoussons donc le mélange de stovaïne-adrénaline comme étant
pour le moins inutile et, en cela, nous sommes d'accord avec
Tilmann (de Cologne). Dautre part, Sikemeier, ayant étudié les
effets du mélange dadrénaline-cocaïne au point de vue expérimental
et clinique, a conclu que l'adrénaline, bien que resserrant incontes-
tablement les vaisseaux et retardant sans doute l'absorption de la
cocaïne, ne semble pas diminuer les effets toxiques de cette dernière
substance, ni en augmenter le pouvoir anesthésique. » Ce qui est vrai
pour la cocaïne s'applique évidemment à la stovaïne.
Quant au plan incliné, qui permet, dit-on, d'obtenir une anesthésie
plus étendue, il est condamné en Allemagne même par Kûmmel.
\'eit et d'autres. Veit (de Halle) dit expressément que les paralysies
respiratoires sont évitables si Ion ne se sert pas du plan renversé.
Dans plusieurs observations, c'est au moment précis où le malade
était basculé que les accidents ont éclaté. Faut-il voir là une action
de l'anesthésique sur le bulbe et les centres respiratoires, ou bien
une simple questioji de brusque déséquilibre que l'on pourrait éviter
en elTecluant le renversement avec une sage lenteur? Aucune des
hypothèses formulées ne satisfait l'esprit, mais le fait est là et suffît
à condamner une manœuvre dont l'utilité est contestable, car il n'est
pas prouvé que le champ de l'anesthésie soit notablement plus vaste
après le renversement (1).
2'' La stovaïne est accusée de provoquer des paralysies du muscle
droit externe de Toeil. Le fait est exact et difficile à expliquer, mais
il doit être très rare e(, pour notre part, nous ne l'avons pas observé.
Adam (de Munich), en relatant son cas personnel de paralysie des
deux abducteurs de l'œil, dit que, après avoir dépouillé 1 700 rachi-
stovaïnisations, il n'a pas trouvéd'observation semblable. Par contre,
on la noté aussi bien avec la tropacocaïne qu'avec la novocaïne.
11 ny a donc pas, de ce chef, une infériorité de la stovaïne. et voilà
réfutées deux des grandes objections que, dans les pays d'oulre-
Rhin, on adresse à l'anesthésique français.
Pour ce qui est de la paralysie motrice des membres inférieurs,
que Hermès, assistant de Sonnenburg, reproche à la stovaïne, nous
avons montré jadis qu'elle faisait parlie intégrante du syndrome
rachi-stovaïnique et que, loin d'être un point faible de la méthode,
elle constituait, particulièrement dans la réduction des fractures, un
avantage appréciable, contrastant avec les mouvements violents el
senler la stérilisation du mélanjre de stovaïne ou de novocaïne-adrénaline, ont eu
1 idée de stériliser d'abord la solution anesthésique et d'ajouter Tadrénaliue au
moment de l'opération. On comprend que cette manière de faire ne soit pas exempte
d'inconvénients.
1) Nous devons à la vérité de dire que Chaput met ses malades en position
inversée dans ses laparotomies après injection de scopolamine et de stovacoca'ine,
et qu'il s'en déclare très satisfait. — Chaput. Rachi-stova'ine et scopolamine dans
les laparotomies (Presse méd., 23 févr. 1907).
NOVOCAÏNE. 245
désordomu's du déhnl de la narcose chloroformique et avec le trem-
blement exaj^éré de la rachi-cocaïnisalion.
Oven accuse, à son tour, la stovaine : 1° d'être d'une stérilisation
difficile ; '2° de ne se dissoudre (ju'en milieu acide et, par conséquent,
dirriterles tissus qu'elle doit imprégner. Le premier chef d'accusa-
tion n'a pas de portée : la stovaine se stérilise dans des conditions
parfaites et résiste même plus que la cocaïne aux températures éle-
vées (Ribaul et Dufour). l^our ce qui est de l'acidité des solutions
de stovaine (1), on oublie que cette acidité est immédiatement su[)-
primée par le mélange avec le liquide céphalo-rachidien dans lequel
elle se perd et qui est alcalin. D'ailleurs, ce que l'on injectedansl'es-
pace sous-arachnoïdien, ce n'est pas la solution très faiblement
acide de stovaine, mais le mélange alcalin et opalescent formé dans
le corps de pompe de la seringue, avec la dose préalablement puisée
de stovaine et une certaine quantité de liquide céphalo-rachidien
refluant par loritice libre de l'aiguille.
\0V0CAL\E.
La novocaïne, découverte en 1904 par Einhorn, est le chlorhy-
drate de para-amino-benzoy-diéthyl-amino-éthanol. Elle se présente
sous la forme de fines aiguilles blanches, d'une saveur amère,
solubles dans leur poids d'eau et dans 30 parties d'alcool.
Les solutions de novocaïne, de réaction neutre au tournesol, sup-
portent sans aucune décomposition lébullilion et une température
de i'20° avec ou sans pression. Elles sont donc parfaitement stérili-
sables et se conservent pendant plusieurs mois dans des flacons
bien bouchés. Au contact de l'air, elles prennent une coloration
légèrement jaunâtre et s'acidifient, sans cependant que leurs pro-
priétés anesthésiques se ressentent de ce changement.
La novocaïne présente les réactions générales de tous les alca-
loïdes. Les alcalins, en particulier, déterminent dans les solutions
de novocaïne un précipité blanc, soluble dans l'alcool et l'élher.
Un centigramme de novocaïne calciné sur une lame de platine ne
doit laisser aucun résidu. La solution aqueuse à 1 p. 10 doit rester
incolore et claire : elle ne doit pas rougir le papier bleu de tourne-
sol. Un centigramme de novocaïne doit se dissoudre dans un
mélange de 1 centimètre cube d'acide sulfurique et 1 centimètre
cube d'acide azotique.
Les corps incompatibles avec la novocaïne sont le chlorure de
zinc, les alcalins, le tanin, le calomel, le bichromate de potasse, le
permanganate de potasse, les sels d'argent, l'arrhéal.
Action de la novocaïne. — L'application sur la muqueuse
(1) Rappelons que la stovaïne nest pas une base comme la cocaïne, mais que
c'est le sel clilorhydrique d'une base qui est Tamyléine.
246 NOGUE. — ANESTHESIE.
d'un tampon imbibé de novocaïne détermine une anesthésie rapide
sans aucune irritation. En instillation dans l'œil, elle ne provoque
ni douleur ni inflammation : si Ton met un peu de novocaïne en
poudre dans la conjonctive d'un lapin, l'épithélium conjonctival
subit, il est vrai, une légère altération, mais l'œil reprend son aspect
normal au bout de quelques heures, tandis que, si l'on fait la même
expérience avec de la cocaïne, l'œil présente des troubles profonds
de la cornée qui aboutissent à un leucome (A. Chambian .
Son action, quand elle est additionnée d'adrénaline, n'est pas plus
irritante. Les injections dans les tissus des solutions à 2,5 p. 100 ne
déterminent aucune douleur et ne sont suivies d'aucun accident
consécutif. Il faut, pour observer de l'irritation des tissus, aller
jusqu'à la concentration à 10 p. 100.
Pouvoir anesthésique. — En application sur le nerf sciatique
dune grenouille, en instillation dans l'œil d'un lapin ou en injections
intradermiques chez le même animal, on a pu observer que la novo-
caïne détermine, au bout d'un temps variable dune à cinq minutes,
une anesthésie parfaite qui dure environ quinze à vingt minutes.
En injections surtout l'aneslhésie se produit rapidement.
Tous les auteurs sont d'accord pour affirmer que l'addition d'adré-
naline augmente d'une façon très marquée le pouvoir anesthésique
de l'adrénaline. C'est là un fait d'expérience et d'observation qu'on
ne saurait plus aujourd'hui mettre en doute. Le P'' Reclus conseille
la formule suivante :
Sérum physiologique 100 grammes.
Novocaïne 0s'',50
Adrénaljne à 1. p. 1 000 XXV gouttes.
Avec cette solution, l'injection n'est pas douloureuse; l'anesthésie
est obtenue immédiatement dune façon complète et dure en général
plus d'une heure.
Toxicité. — Il a été fait avec la novocaïne les mêmes expériences
qu'avec la cocaïne sur la toxicité, eu égard au titre de la solution
employée et à la vitesse avec laquelle cette injection est faite. L'im-
portance du titre de la solution a été démontrée par les recherches
du P' Pouchet et les observations répétées du P'' Reclus. Le premier
prend deux cobayes qui pèsent le même poids, qui viennent de
lu même nichée, qui ont suivi le même régime, qui sont aussi exac-
tement que possible dans les mêmes conditions. A l'un, il fait
une injection inlrapéritonéale de 4 centigrammes de cocaïne dis-
sous dans 1 centimètre cube d'eau distillée, et à l'autre une injec-
tion de 10 centigrammes de cocaïne dissous dans 15 centimètres
cubes. Le cobaye qui a reçu la plus faible dose meurt ; celui qui a
reçu la plus forte dose en solution diluée manifeste des accidents de
cocaïnisme, mais résiste.
La vitesse de l'injection présente aussi une très grande importance.
NOVOCAINl'. 2'i7
MM. Piquand et Dreyfus l'onl parfaitement démontre par les expé-
riences suivantes :
1° Ils injectent dans la veine de l'oreille d'un lapin du poids de
2''*^,3'^0 une solution de novocaïne à 1 p. 200, en se servant de
Tappareil de Roger, réglé de façon à ce que Tinjeclion se fasse
uniformément à la vitesse de 5 centimètres cubes à la minute. Us
constatent que l'animal meurt quand il a reçu 15 centigrammes
d'alcaloïde, soit 6 centigrammes par kilogramme. Ils recommencent
l'expérience dans les mêmes conditions, mais en doublant la vitesse
de l'injection, c'est-à-dire en faisant couler 10 centimètres cubes à la
minute, et ils constatent qu'un lapin pesant 2''^, 130 meurt lorsqu'il a
reçu 9 centigrammes d'alcaloïde, soit4«^,2 par kilogramme, c'est-à-
dire une dose notablement inférieure à celle delà première expérience.
Ils recommencent une troisième fois l'expérience, mais cette fois
en ralentissant de moitié la vitesse d'injection employée pour la pre-
mière expérience, c'est-à-dire en faisant couler 5 centimètres cubes
en deux minutes : ils constatent qu'un lapin de 3''s,20 meurt seule-
ment lorsqu'il a reçu 20 centigrammes d'alcaloïde, soit 9 centi-
grammes par kilogramme. ,
Ces expériences montrent que, en faisant uniquement varier les
vitesses de l'injection, on modifie à ce point la toxicité qu'une dose
de 4'==', 2 par kilogramme, mortelle lorsque l'injection est faite à une
vitesse de 10 centimètres cubes à la minute, devient inoffensive
lorsque linjection est faite plus lentement et que,enraisantrinjection
quatre fois moins vite, il faut 9 centigrammes par kilogramme pour
tuer l'animal (A. Chambian).
On voit donc ici démontrée la loi du P'^ Reclus que l'intoxication
est essentiellement fonction de la quantité du poison qui, introduite
au même moment dans le torrent circulatoire, vient impressionner
le système nerveux central.
La dose toxique de novocaïne a été étudiée par Chevalier et
fixée à Os'",45 pour le chien, Osr,45 pour le chat. Chez l'homme,
en injection sous-cutanée, cette dose est au-dessus de O-^SO.
D'après les expériences de Reynier faites dans le laboratoire
du P"" Dastre, chez le lapin, la dose mortelle minima est voisine
de 73 centigrammes par kilogramme d'animal; chez le cobaye, cette
dose mortelle serait de 40 à 50 centigrammes. En outre, si avec
75 centigrammes par kilogramme d'animal de novocaïne, la mort
arrive après dix-neuf minutes, en ajoutant de l'adrénaline, les phé-
nomènes d'intoxication apparaissent trois minutes plus tard, et la
mort n'arrive qu'après trente-quatre minutes. L'adrénaline semble-
rait donc retarder les phénomènes d'intoxication et diminuer légè-
rement la toxicité de la novocaïne.
Les phénomènes observés dans l'intoxication par la novocaïne sont
caractérisés par une période passagère d'excitation suivie de trem-
248 NOGUE. — ANESTHESIE.
blements, dincoordinalion motrice et de paralysie. Viennent ensuite
des convulsions avec dyspnée, opisthotonos et mouvements ambu-
latoires. Les convulsions deviennent subintrantes si la dose
employée a été considérable, et finalement Tanimal meurt brusque-
ment dans lintervalle de deux périodes convulsives. par arrêt de la
respiration et du cœur.
Il semblerait, d'à près des expériences nombreuses, que lanovocaïne
n'ait aucune action sur le cœur et qu'elle agit surtout sur la respi-
ration.
A la suite de l'injection intraveineuse de doses moyennes de
novocaïne en solution à 2 p. 100, on constate une chute de pression
assez brusque avec léger ralentissement et diminution de l'énergie
cardiaque; puis la pression remonte légèrement au-dessus de la
normale.
Sur le système nerveux, lanovocaïne agit comme excitant à fortes
doses, puis comme paralysant du centre bulbo-médullaire. Elle
insensibilise les nerfs périphériques ainsi que les gros troncs
nerveux.
Titre et dosesdessolulions. — Le P' Reclus, non s l'a vous dit, conseille
une solution à 0.."i p. 100 de novocaïne contenant par centimètre
cube 0,5 de novocaïne et un quart de goutte d'adrénaline. Dans un
cas d'hydrocèle, le P"" Reclus, en se servant d'une seringue de 2 cen-
timètres cubes, a pu injecter trente-huit seringues de cette solution,
soit 38 centigrammes de novocaïne. et XXXVIII gouttes d'adréna-
line à 1 p. 1 000.
Les solutions de novocaïne-adrénaline ne se conservent (jue très
peu de temps et doivent être préparées au moment de s'en servir.
Les solutions de novocaïne sans adrénaline à 1 p. 200 ainsi que la
solution d'adrénaline à 1 p. 1 000 se conservent facilement pendant
plusieurs mois sans altérations.
Les solutions de novocaïne peuvent être stérilisées par rébullition;
mais, si les solutions de novocaïne contiennent de l'adrénaline, elles
ne pourront plus être bouillies, ou seulement pendant un temps très
court, car la substance active des capsules surrénales perd de son
activité sous l'influence d'une ébuUition prolongée. Ceci est dû à ce
que la plupart des verres du commerce contiennent de l'alcali qui
vient modifier l'état de l'adrénaline.
D'une étude de 405 cas d'anesthésie lombaire à la novocaïne,
le D"" Chaput conclut ( 1 ) : la mortalité a été nulle : la novocaïne ne pré-
sente pour ainsi dire pas de contre-indications ; elle est peu avanta-
geuse pour les suppurations aiguës, pour les sujets craintifs, pour
les opérations au-dessus de l'épigastre.
Les accidents immédiats n'existent pas; il n'y a pas eu de syn-
(1) Chaput, Une année d'anesthésie lombaire à la novocaïne {Gaz. des hôp.,
83' année, p. 677).
NOVOCAINE. 249
cope; la pâleur et le ralentissement du pouls ont été rarem(;nt
observés et ont cédé à la caféine. Les céphalées post-opératoire&
ont été observées une ou deux fois sur 100 cas. On n'a observé ni
rétention d'urine, ni vomissements, ni paralysies consécutives.
Solution pour applications superficielles :
Novocaïne 15 grammes.
Kaii ciistillce (|. s. p. faire 90 ce.
Solution pour inlervention chirurgicale :
Novocaïne O^^^b
Solution d'adrénaline à 1 p. 1 UUO I goutte.
Solution saline physiologique 10 ce.
Pour 10 ampoules de Osi^^Oûâ chacune.
Solution pour anealhésie oculaire (collyre) :
Novocaïne Ogi'iOO
Eau distillée 10 ce.
Solution pour injections inlrarachidiennes :
Novocaïne Os^^lO
Eau distillée 10 ce.
Pour 10 ampoules de O^'^.OIO chacune.
Solution pour injections ijitragingivales :
Novocaïne 0='^,15
Solution d'adrénaline à 1 p. 1 000 I goutte.
Eau distillée 10 ce.
Pour 10 ampoules de Osr.Olâ chacune.
(H. Botter.)
Au point de vue stomatologique, de nombreuses expériences cli-
niques ont permis d'établir la valeur de la novoca'ine comme anes-
thésique local. Récemment Monod et Beck, dans le service du
Val-de-Grace, l'ont systématiquement employée avec le plus grand
succès dans les diverses opérations dentaires. La novocaïne était
utilisée sous deux formes : en solution stérilisée, en comprimés
titrés avec association d'adrénaline. Les tableaux suivants feront
clairement voir les résultats obtenus dans 154 opérations :
Tableau I.
QUANTITÉ
sérum.
QUANTITÉ
iliédicainents.
NOMBRE
d'injections.
Tissus Eiv
avec succès.
FLAMMÉS,
sans succès.
TISSUS
avec succès.
SAINS
sans succès.
1 ce
Oê'-.Ol
1
1
1<:%5
og^o2
1
1
1 ce
ogf.oa
26
7
1
17
2 —
06^o2
13
3
7
3
2
og^o4
16
4
12
1
3 —
0?r,04
1
1
1 —
Ogr,05
8
8
2 —
08r,05
12
2
8
2
3 —
Ogr,05
1
.
1
3 —
osi-joe
2
2
81
17
1
57
6
250
NOGUE. — ANESTHESIE.
Tableau II.
EXl
RA
CTI
3>S
DÉ VI
TAI
res.
ISATIONS.
Grosses molaires.
.\utres
dents.
Grosses roola
.ktres doDls.
Haut.
Bas.
Haut.
Bas.
Haut.
tissus sains.
Bas.
tis.sain:
Haut.
Bas.
sains.
nim.
sains.
enSaiD.
sains.
enfiini.
sains.
enflani.
tis.sains
tis.sains
1
avec
suc.
sans
suc.
a
s
4
s
s
a
s
13
s
•2
a
s
9
S
s
a
s
36
s
s
7
a
s
12
s
a
s
7
s
s
a
s
1
s
s
1
avec
suc.
sans
suc.
a
s
5
S
S
1
U
s
2
a
1
s
1
29
3
Tadle.a.u III.
INTERVENTIONS DIVERSES :
QU.YNTITE
sérum.
Trépanation alvéolaire avec résection apicale^
pour grosses molaires inférieures j
Pose de couronne i
Curettage alvéolaire avec résection de la por-^
tion alvéolaire /
1 ce.
3 —
3 —
1 —
QUANTITE
médicaments.
0,05
0,06
0,06
0,02
0,02
0,05
OBSER-
VATIONS.
Succès.
Tabi
I\'
DOSE MOYENNE PAR DENT EN :
Tissus
sains.
Tissus
enflammés.
Extractions en série. . .
0gr,0086
0g'-,023
Ogf,04
OR^OiSS
0"^0175
8?'-,0247
»
Extractions isolées
Dévilalisations en série
Dévitalisations isolées. . .
Les closes optima oscillent, comme on le voit, entre Or', 01 el0g'",02
pour les extractions en tissus sains, suivant qu'on opère sur des dents
antérieures ou sur des molaires, sur des tissus sains ou enflammés,
et qu'on pratique ou non plusieurs extractions voisines. L'extrac-
tion en série de plusieurs dents voisines permet de diminuer beau-
coup le titre de la dose injectée. C'est ainsi qu'on a pu extraire au
maxillaire supérieur dix dents avec une dose de 3 centimètres cubes
d'une solution à •> p. 100, soit 0gr,06.
Pour les dévitalisations et traitements de cavités sensibles, on peut
faire des observations analogues : nécessité d'une dose moindre
pour les dents antérieures, alors qu'une molaire demande environ
O'^Oj. Diminution de la dose si l'on opère sur deux dents voisines.
NOYOCAINE. 251
Oiiel(]ue opération que l'on prati<|ue, Télaldes tissus a une gran :!e
importance, et la dose à employer en tissu enflammé est toujours
supérieure à celle quexig^ent des tissus sains.
Un temps d'attente assez prolongé est nécessaire, et quelques
insuccès peuvent être imputés à une trop grande hâte d'opérer après
l'injection.
Temps moyen d'attente pour extraction en :
Tissus sains 12 minutes.
Tissus enflammés , 13 —
Pour dévitalisalions en tissu sain 1j —
Temps minimum pour commencer l'opération :
Extraction 5 minutes.
Dé vi talisation 10 —
Temps maximum :
Extraction ou dovitalisation 20 minutes.
A ces résultats si précieux, Monod et Beck ajoutent les indications
suivantes :
lo Pour l'anesthésie de la pulpe et de la dentine, on se trouvera
bien de faire une injection du côté palatin;
2° Pour les molaires, dans le même cas, injecter 5 centigrammes
de novocaïne dans "2 centimètres cubes de sérum et faire deux injections
vestibulaires, dont une un peu en arrière de la dent. Sans abaisser
trop le titre de la solution, mieux vaut augmenter la quantité du
liquide injecté ;
3° Pour l'extraction des molaires inférieures, doubler également
la quantité du liquide injecté (en abaissant le titre de la solution) et
faire deux piqûres de chaque côté à des hauteurs différentes, l'une
au ras du collet de la dent, l'autre à moitié chemin entre le collet
et la pointe de la racine;
4» Toutes les injections doivent être faites en tissus aussi serrés
que possible et en rasant l'os :
5° P.our anesthésier les dents voisines en série, augmenter encore
la quantité du liquide injecté, en abaissant le titre de la solution.
Après les injections précédentes, en faire encore deux ou trois (sui-
vant l'étendue de la région à insensibiliser) et les pousser le long
du maxillaire, tout au fond du sillon veslibulaire.
Prendre des précautions antiseptiques minutieuses. Après les
injections, on note généralement une sensation de lourdeur et de
congestion delà région, qui persiste pendant un ou deux jours sans
aucun inconvénient ultérieur (1).
(1) D"" Jean Monoo et Em. Beck, E.vpérimentation méthodique de la novocaïne
dans une clinique de stomatologie (Arch. de stomatoL, févr. 1911).
252 NOGUÉ. — ANESTHÉSIE.
ACOÏXE.
L'acoïne C est le chlorhydrale île dipai-aanisylmonophénétylguani-
dine. C'est une poudre blanche se dissolvant dans la proportion
de 6 p. 100 dans Feau. Les solutions, nettement antiseptiques, peuvent
être conservées pendant plusieurs années dans l'obscurité. Elles sup-
portent sans se décomposer l'ébullition même prolongée.
C'est le D' Trolldenier qui a fait une élude complète de ces corps
au point de vue physiologique. Ses expériences sur les animaux et
sur l'homme ont démontré que l'acoïne en solution étendue à
] p. 100 pouvait, sans aucun inconvénient, être injectée dans les
tissus et qu'elle déterminait une anesthésie locale comparable à celle
de la cocaïne. Les solutions plus concentrées sont dangereuses parce-
qu'elles possèdent une causticité suffisante pour produire le sphacèle.
Les formules préconisées par Trolldenier sont les suivantes :
Pour une anesthésie prolongée :
Acoïue O'^^OI
Chlorure de sodium Osi^.OS
Eau distillée J 00 grammes.
Pour une anesthésie plus courte :
Acoïne Og'',05
Chlorure de sodium 0?^,H
Eau distillée 100 grammes.
Lanesthésie produite par l'acoïne se prolongerait trois ou quatre
fois plus longtemps que celle de la cocaïne. L'acoïne aurait en outre
une toxicité infiniment moindre.
L'acoïne a été employée en oculistique par Darier, qui en a obtenu
de bons résultats.
En art dentaire. Senn (de Zurich et Thiesing (de Leipzig; l'ont
employée en solution à 1 ou 2 p. 100. Ce dernier en a obtenu des
elTets anesthésiques suffisants pour les avulsions dentaires et Tin-
sensibilisation de la dentine. Il n'a observé, à la suite de ces injec-
tions, ni douleurs consécutives, ni œdème.
Malgré tout, l'acoïne n'est pas restée dans la pratique stomatologique.
DIONIAE.
Encore appelée élhylmorphine. elle est en réalité un dérivé de la
morphine. Elle a été signalée d'abord par Grimaux, qui la désignait
sous le nom de codélhydine, et elle a été étudiée par Darier.
La dionine se présente sous la forme d'une poudre cristalline,
d'une saveur légèrement amère, très facilement soluble dans l'alcool
ou dans l'eau.
Sur l'œil, à l'état normal, la poudre de dionine, introduite dans le
cul-de-sacconjonctivalinférieur, produit très rapidement une injection
DIONINE. 253
i\c la coiijonclive avec cuisson, douleurs vives et larmoiement abon-
dant : unt'hcmosisplusoumoinsprononcéapparaîtauboutdefiuelques
minutes; puis, après un temps, variable suivant les individus, en
général (piinze minutes, survient une période de calme : les phéno-
mènes d'irritation disparaissent, et l'œil revient à son état normal.
D'après Darier, la dionine serait un médicament activant les
échanges nutritifs en excitant la résorption des infdtrations patho-
logiques de toute nature. Elle agit comme anesthésique en pénétrant
dans la profondeur des espaces lymphatiques, où elle vient en con-
tact avec les extrémités nerveuses, et petit à petit avec les centres
eux-mêmes.
Si on introduit dans le cul-de-sac conjonctival inférieur (Darier)
d'un œil atteint d'ecchymose sous-conjonctivale un peu de dionine
en poudre, le chémosis se produit, et, surtout si cette ecchymose
est de date récente, ce chémosis prend une teinte rosée, et l'épan-
chement sanguin disparait plus rapidement; il y a imbibition de
l'exsudat sanguin par la sérosité infiltrée dans les espaces lympha-
tiques. Ce liquide, en se résorbant, entraînera avec lui les matières
colorantes du sang et dissoudra peut-être les corpuscules rouges
altérés, ranimera les leucocytes, et bientôt toute trace d'hémorragie
aura disparu.
Pour produire son action analgésiante, pour produire la résorption
des exsudats, pour aider à la dilatation pupillaire, l'apparition du ché-
mosis, de ce qu'on a appelé la réaction dionique, est nécessaire. Il
semble que plus cette réaction est prononcée, plus prononcée est
l'action lymphagogue du médicament, et c'est cette action lympha-
gogue qui expliquerait l'action de la dionine, si surprenante, si
rapide parfois dans les infiltrations cornéennes et dans les dilï'érentes
variétés de conjonctivite.
Cependant la production de ce chémosis n'est pas fatalement
nécessaire pour obtenir l'analgésie, et souvent, en employant des
collyres faibles, on l'obtient sans production de chémosis (Chevalier).
La dionine n'a guère été employée qu'en thérapeutique oculaire.
Les injections sous-cutanées pratiquées à la tempe ont donné au
D'' Chevalier (du Mans) de bons résultats dans plusieurs aiFections
douloureuses de l'œil et notamment dans un cas de sclérite et dans
un cas de zona ophtalmique s'accompagnant de vives douleurs ; ces
injections étaient employées à la dose de Ogr,.'!, puis de 1, puis de
2 centigrammes; elles furent bien supportées et ne produisirent ni
malaises, ni nausées. On peut se servir de la solution suivante :
Dionine 0s^05
Eau distillée 10 grammes.
Mais c'est surtout sous la forme de collyre, associée ou non à la
cocaïne ou à l'atropine, qu'elle est utilisée.
254 NOGUE. - ANESTHESIE.
CHLORÉTOXE.
Le chlorétone. ou alcool trichlorure butilique, est obtenu par l'ad-
dition graduelle de la potasse caustique aux poids égaux de chloro-
forme et d'acétone et peut être isolé de ce mélange après que tout
excès d'acétone ou de chloroforme a élé éliminé à Taide de la distil-
lation par la vapeur.
Sa formule est :
CiH-CC30.
Il se présente sous la forme d'une poudre cristalline blanche, bril-
lante, dune odeur pénétrante, tenant à la fois de celle du camphre
et de celle du chloroforme, dune saveur forte rappelant celle du
chloral, du camphre ou du menthol.
Très peu soluble dans l'eau froide, il est très soluble dans l'alcool
ou l'éther.
C'est un produit très volatil.
Les propriétés intéressantes du chlorétone sont : 1° sa propriété
hypnotique générale, qui permet de le ranger à côté du chloral ;
2° sa propriété anesthésique locale, qui. jointe à ses propriétés anti-
septiques, lui confère certaines des indications de la cocaïne et du
chloral.
Comme anesthésique local, il a été recommandé en badigeonnages
selon la formule suivante :
Chlorétone .... 2 grammes.
Camphre 2 —
Essence de cannelle. 0°'',50
Huile de cajepul 5 grammes.
Dans les affections aiguës du rhino-pharynx et du larynx, les
auteurs américains préconisent beaucoup comme sédatif, vaso-con-
stricteur et décongestionnant en mélange suivant les pulvérisa-
tions :
Chlorétone 1 gramme.
Camphre 2?'',50
Menthol 2",r0
Essence de cannelle Os^^âO
Paraffine liquide gSgi-.DO
MM. Lubet-Barbon et Fiocre en ont recommandé l'usage comme
anesthésique local, dans les affections douloureuses du larynx, en
particulier pour combattre la dysphagie rebelle des sujets porteurs
de grosses lésions tuberculeuses de cette région, ou pour calmer les
douleurs consécutives à la galvano-cautérisation. L'analgésie dure
environ deux à trois heures.
NIRVANINE. 255
ANÉSON, ANÉSINE.
Lanéson ou anésine est la solution aqueuse de racéton-chloro-
forme ou chlorétone à 10 p. 100. C'est un liquide limpide, d'une odeur
camphrée.
Braun, qui a fait l'élude de ce produit,' lui attribue une toxicité
supérieure à celle de la cocaïne. Quant à son action anesthésique,
elle correspondrait à celle d'une solution de cocaïne à Oe^OS à 0gr^05
p. 100.
ORTHOFORME.
L'orthoforme fut découvert par Einhorn et Heinz (de Munich).
C'est une poudre cristalline blanche, inodore, insipide, peu soluble
dans Teau. On Fobtient en combinant l'alcool méthylique à lacide
amidoxybenzoïque, de façon à avoir Téther méthylique de cet acide.
Il est difficile de l'utiliser en injections sous-cutanées, car la solu-
tion à Oe^i p. 100 dans l'eau froide ou àO^^o p. 100 dansTeau chaude
détermine une douleur très vive au niveau de Tinjectiori.
Aussi son usage est-il limitée l'emploi de la poudre ou de pommades.
En appliquant la poudre sur la langue, l'anesthésie ne tarde pas à se
produire. Cette action anesthésique se manifeste également sur
les plaies et les ulcères douloureux, mais elle ne se produit pas à
travers la peau ou une muqueuse épaissie et indurée.
Aussi peut-on lutiliser avec succès dans les bridures au troisième
degré, dans toutes les plaies douloureuses, les fissures des lèvres,
du sein et de l'anus, les excoriations, les ulcérations de la langue, etc.
En art dentaire, on l'a souvent employé avec succès pour calmer
les douleurs consécutives à l'extraction des dents, contre les douleurs
pulpaires, l'hyperesthésie de la dentine, etc.
NIRVA?^INE.
La nirvanine est Téther méthylique de l'acide diéthylglycocolle-
amidooxybenzoïque, qui est une variété d'orthoforme.
Elle se présente sous forme de prismes blancs, fusibles à 185°,
solublesdans Teau.
L'étude expérimentale de la nirvanine a été faite par le D"" Joanier
sur les animaux. Il a démontré que le pouvoir toxique de la cocaïne
étant 08r,08 par kilogramme d'animal, celui de la nirvanine pouvait
être figuré par 06'\7Q. L'équivalent de toxicité de la cocaïne étant 1,
celui de la nirvanine est 8,75.
L'étude clinique de la nirvanine est due au D'' Luxenburger. Expé-
rimentant sur lui-même, il constata que l'injection cutanée n'était
jamais douloureuse, à la condition qu'elle fût faite lentement. Au
256 NOGUÉ. — ANESTHESIE.
poinl de vue anesthésique, on voit croître ce pouvoir avec le degré
de concenlration, comme le montre le tableau suivant :
A 1 p. 10 l'analgésie dure 5 minutes.
A 1 p. n — — 12 —
A 1 p. 3 — — 16 —
A 1 l'analgésie dure 20 —
A 2 — — . .' 23 —
Luxenburger put, avec des solutions variant du quart à la moitié.
Taire de petites opérations sans douleur et obtenir une analgésie
complète de dix à trente minutes. Il essaya alors d'obtenir lanal-
gésie régionale parla méthode d'Oberst-Braun. Il dut, pour obtenir
une anesthésie satisfaisante, recourir dans ce cas à la solution à
'2 p. 100. Il put ainsi pratiquer avec succès des opérations diverses
dans les cas d'écrasement, de corps étrangers, d'ongles incarnés,
de panaris, de blessures des tendons. Il put même arriver aux doses
de Oe^Al.
En stomatologie, Luxenburger a reconnu qu'il fallait recourir aux
solutions à 5 p. 100. Rotenberger, sur 164 extractions, a obtenu
155 succès et 9 demi-succès dus à des circonstances défavorables.
Pour obtenir l'analgésie, il faut injecter jusqu'au périoste du côté
externe la moitié de la seringue; puis l'autre moitié est injectée du
côté lingual. Au bout de trois à cinq minutes, on peut procéder à
l'extraction, qui est complètement indolore. Il arrive même souvent
qu'avec une seule intervention on anesthésie suffisamment la
région pour poiivoir extraire plusieurs dents voisines : dans un cas,
on put ainsi extraire quatre dents. Dans un autre cas, Rotenberger
injecta sept seringues en une seule séance et procéda à l'avulsion de
vingt-deux racines, sans qu'il survienne aucun accident consécutif.
On a essayé aussi d'appliquer la nirvanine à l'insensibilisation de
la dentine par contact direct d'une solution à 10 p. 100.
Einhorn et Heinz ont montré que la nirvanine jouissait de
propriétés antiseptiques très nettes.
Au point de vue de la toxicité, la dosemaxima de nirvanine serait
deO^r, 50, tandis que celle de la coca'ine est de Og'",05. j-^lle serait
donc dix fois moins toxique que cette dernière. Les expériences de
Luxenberger sur des lapins lui ont démontré que la dose toxique
de nirvanine est deO»'', 22par kilogramme d'animal, ce qui donnerait
1 1 grammes pour un homme de 50 kilogrammes, dont le vingtième,
soit la dose maxima, est O^^.ob.
Cependant tous les auteurs ne sont pas aussi optimistes quant à
la toxicité de la nirvanine.
Rud. Dorn (de Saarlouis) a vu une injection de trois quarts de
seringue d'une solution à 5 p. 100 donner lieu, chez une patiente,
à un collapsus très grave. Dans 40 cas, il a observé des douleurs
post-opératoires et des hémorragies assez abondantes.
ANESTHESINE. 257
Diimont et Lefçrand conseillent d'user de beaucoup de prudence
dans l'emploi de ce médicament.
ANESTHESINE.
Obtenue en 1890 par le D'" Ritsert, l'anesthésine a été étudiée par
Dunbar, Kossel, Lengermann, Ramnsthedt et Spiess en Allemagne
et par Chevalier, Gourtade et Duplan en France.
C'est l'éther éthylique de l'acide para-amido-benzoïque. Elle
répond à la formule :
/AzH-i
\C02C-iH3
Poudre blanche, insipide et inodore, difficilement soluble dans
l'eau, mais facilement soluble dans l'alcool, l'éther, le chloroforme,
l'acétone, les graisses et les huiles.
Elle n'est décomposée ni par les acides, ni par les alcalis. Elle se
conserve dans tous les dissolvants.
Elle se différencie de l'orthoforme en ce que, chauffée sur une
lame de platine, elle se volatilise totalement et ne donne pas de
résidus charbonneux.
Sa solution dans l'huile d'amandes est d'environ 2 p. 100; dans
l'huile d'olive, 3 p. 100. Ces solutions huileuses peuvent être stéri-
lisées sans aucun inconvénient et être employées en injections sous-
cutanées.
Duplan, qui a fait une excellente étude de l'anesthésine, s'est servi
pour cela soit de solutions alcooliques faibles, soit de glycérine
étendue, soitd'huiled'amandesdouces. Il résulte de ses recherches
que la dose toxique en injections intrapéritonéales peut être fixée à
Ogr, 85 ou Ogr^oo par kilogramme chez le cobaye.
L'animal présente d'abord de la paralysie des membres postérieurs
et réagit difficilement, puis la sensibilité disparaît, l'animal se
refroidit, la dyspnée s'établit, et il meurt en présentant parfois des
tremblements et quelques secousses convulsives. A l'autopsie, on
constate des lésions asphyxiques.
L'auteur pense que ces phénomènes sont dus à une action propre
de l'anesthésine et non à une accumulation d'acide carbonique dans
le sang-, par suite de la difficulté des mouvements respiratoires et de
la mauvaise hématose.
En ingestion chez le lapin, il a obtenu la mort avec des doses
correspondant en moyenne à Os', 85 par kilogramme. Les symptômes
d'intoxication sont les mêmes que chez le cobaye.
Chez le chien, la dose mortelle en injection intraveineuse est de
C^'',75 environ.
La température centrale est peu modifiée lorsqu'on emploie des
Traité de stomatologie. VI — - 17
358 NOGUÉ. — ANESTHÉSIE.
doses non mortelles. Dans le cas contraire, on observe une hypo-
tension progressive jusqu'à la mort.
Le nombre desbaltements cardiaquesaugmente considérablement,
maisleurrégularitén'est pas troublée. La pression sanguine augmente
légèrement.
Le sang subit, au contraire, des modifications importantes et, au
bout de peu de temps, se colore en rouge-brique, ce qui indique la
formation de méthémoglobine. La méthémoglobine apparaît trois
heures environ après Tingestion et persiste les jours suivants.
La respiration s'accélère fortement et devient courte et saccadée.
A haute dose, son action se traduit par des tremblements et des
phénomènes convulsifs. Elle semble inactive sur les vaso-moteurs,
car on n'observe ni vaso-dilatation, ni vaso-constriction à l'endroit
des injections, ce qui la différencie de la cocaïne.
L'action aneslhésique de l'anesthésine se fait presque uniquement
sentir sur les extrémités nerveuses périphériques.
L'application de solution concentrée ou de poudre d'anesthésine sur
la conjonctive amène en une ou deux minutes une anésthésie qui
dure une demi-heure environ sans vascularisation, ni exfoliation, ni
augmentation de la tension globulaire.
Dunbar s'est servi pour Tanesthésiepar infiltration du chlorhydrate
d'anesthésine d'après la formule suivante :
Chlorhydrate d'anesthésine 0s'',25
Chlorure de sodium Os'",15
Chlorhydrate de morphine O^^OIS
Eau distillée 100 grammes.
Immédiatement après l'injection, l'anesthésie se montre dans
loute l'étendue du tissu infiltré. Suivant l'importance de l'opération,
on injecte 1 à 40 centimètres cubes et plus, sans jamais aucun
accident : il n'y a jamais eu ni nausées, ni céphalalgie, ni vertiges.
L'anesthésie persistait longtemps après l'opération. Celte anésthésie
se manifestait également dans les tissus enflammés. Ramnsthedt, qui
a contrôlé ce résultat, se servait de la solution suivante :
Chlorhydrate d'anesthésine 0s'-,25
Chlorure de sodium 0='',15
Eau distillée 1 00 grammes.
11 a pu ainsi opérer des panaris, des phlegmons, des anthrax, etc.
On a employé l'anesthésine dans les affections du rhino-pharynx
en attouchements ou en inhalations, d'après la formule suivante de
Kossel :
Aneslhésine "- grammes.
Menthol 10 à 1:0 grammes.
Huile d'olive JCO grammes.
Ou encore, dans le cas d'ulcérations douloureuses, en application
sous la forme d'une pommade ainsi prescrite par Duplan :
SUBCUTINE, 259
Ancstlu'sine i — , ,
,,.,,.,, l a,i 10 f;rainnies.
Miiilo d amandes douces )
Oxyde de zinc
Vaseline.
D'après llamnsthedt, Tanesthésine aurait rénorme avantage de
nètre pas toxique et de déterminer une anesthésie très marquée,
d'être facilement et efficacement stérilisable et de se conserver très
longtemps. Enfin le chlorhydrate d'aneslhésine est un sel soluble
<.lans l'eau.
NEBVOCIDINE.
Elle est extraite du Gasu-Basu des Indes, et elle a été isolée
par Dalma. Poudre amorphe, jaune, hygroscopique, soluble dans
l'alcool et léther. Étudiée par Fenyvessy.
Deux gouttes d'une solution à 0,2 p. 100 portées sur la conjonctive
<le l'homme produisent une sensation de brûlure accompagnée de
larmoiement. Au bout de vingt minutes, l'anestliésie est complète,
luette anesthésie dure environ cinq minutes.
L'injection de nervocidine chez les animaux provoque des troubles
graves pouvant entraîner la mort par paralysie des centres moteurs
■et des nerfs périphériques,
La nervocidine a été employée comme calmant dans le traitement
•des pulpites.
Elle n'est cependant pas entrée dans la pratique courante.
STÉi^OCARPINE.
Elle est extraite par Clairborne des feuilles deVAcacia sfenocarpo.
Elle est utilisée surtout en oculisti(pie. En instillations dans l'œil
à la dose de II à IV gouttes d'une solution à 2 p. 100, elle détermine
l'anesthésie de la cornée et de la conjonctive pendant vingt minutes :
c'est un mydriatique puissant et peu toxique.
SUBCUTINE.
La subculine se présente sous la forme d'une corps cristallisé
soluble dans l'eau froide dans la proportion de 1 p. 100 et dans
l'eau chaude dans la proportion de 2,5 p. 100. C'est le paraphénol-
sulfonate d'anesthésine, encore appelée siibciilol.
Sa formule est la suivante :
/AzH2.S03H.C6H^.OH
La solution de subcutine supporte très bien l'ébullition.
Au point de vue anesthésique, la subcutine, placée sur la langue,
260 NOGUE, — ANESTHÉSIE.
détermine une sensation d'engourdissement. L'injection hypo-
dermique de 1 centimètre cube d'une solution de 1 p. 100 provoque
Tanesthésie de la région. Sa puissance anesthésique serait égale à
celle de la cocaïne.
Elle est en outre nettement antiseptique.
Sa toxicité est très faible. D'après Becker et von Noorden, elle ne
détermine d'accidents qu'à la dose de l-^G pour 1 kilogramme
d'animal: on observe alors de l'agitation avec mouvements convulsifs
du train postérieur. Ces phénomènes ne durent qu'une heure et se
dissipent ensuite sans laisser aucune trace.
D'après G. Fontan, la dose moyenne de subcutine chez l'homme
serait de Qe--, 15 (1).
La solution à employer pour les injections hypodermiques est la
suivante :
Subcutine 1 gr. ou Qi^,'iO
Chlorure de sodium Ogr.TO
Eau distillée 100 grammes.
MÉSONAL.
Produit organique dérivé du propanétriol, découvert par Ch. Ni-
coud. C'est le chlorhydrate de l'alcool benzoïl-2-5-triéthyldiamido-4-
mélhylisobutylique. Il se présente sous la forme d'une poudre blan-
che cristallisée, très soluble dans l'eau, l'alcool, la glycérine.
Les solutions aqueuses peuvent être stérilisées par l'ébullition
sans aucun inconvénient.
L'expérimentation chez les animaux a démontré que son pouvoir
toxique était cinq fois moindre que celui de la cocaïne. Il est légè-
rement vaso-dilatateur.
Appliqué à l'extraction des dents, le mésonal, d'après Brissac,
Carajat et Ravion aurait procuré une anesthésie satisfaisante sans
aucun accident consécutif.
GAÏACOL.
La gaïacol, d'abord retiré 'de la résine de gaïac, forme l'élément le
plus abondant parmi ceux qui constituent la créosote.
Au point de vue clinique, il est à la fois phénol et éther oxyde
(Ch. Moureu;.
On l'obtient aujourd'hui par synthèse directe, en éthylisant la
pyrocatéchine, par l'action de liodurede méthyle surlapyrocatéchine
sodée.
C'est un corps blanc, très bien cristallisé en fragments de 5 à
(1) G. Fontan, Les dangers de rinjcction sous-cutanée de cocaïne et l'innocuité
ci'un ancslliéi-ique nouveau, la subcutine. Thèse de Lyon, 1004.
GAIACOL. 261
6 grammes, fusible à "28° et bouillant à 205". 11 est insoluble dans
l'eau, soluble dans l'alcool, l'éther et le chloroforme, l'huile, la
glycérine anhydre.
Ce fut en 1895 que J.-Lucas-Championnière fit connaître les
propriétés anesthésiques locales du gaïacol, André, l'un de ses
anciens élèves, lui ayant fait part de l'observation faite par lui que
ce corps en injections sous-cutanées et intradermiques était un
anesthésique local d'une grande puissance, dune longue durée et très
probablement d'une parfaite innocuité.
Des expériences nombreuses furent faites alors. Le D' Colin
publia ses observations sur l'action anesthésique du gaïacol sur la
vessie en recommandant particulièrement l'usage du carbonate de
gaïacol.
Le D'" Colleville, médecin des hôpitaux de Reims, préconisa
l'emploi des injections sous-cutanées de gaïacol chloroformé comme
un puissant sédatif de la douleur (1).
Le gaïacol utilisé pour l'anesthésie doit être absolument pur.
Pour arriver à ce résultat, il faut soumettre le gaïacol liquéfié par
la chaleur à la cristallisation lente, à une température moyenne de
21 à 22°. Il se forme alors des cristaux volumineux, incolores,
très durs, qui sont du gaïacol pur. Une partie du liquide refuse de
cristalliser ; c'est le liquide interposé aux petits cristaux du gaïacol
primitif. On sépare le liquide des cristaux obtenus. En effectuant
deux ou trois fois la cristallisation lente du gaïacol, on obtient le
gaïacol anesthésique (André).
Le gaïacol n'a guère été employé que dissous dans l'huile. L'huile
d'amandes douces, d'abord choisie comme excipient, fut abandonnée
et remplacée par l'huile d'olive démargarinée. Cette huile est traitée
par le vingtième de son poids de chlorure de zinc desséché, préala-
blement amené à l'état de liquide sirupeux au moyen de son poids
d'eau. On agite fortement le mélange d'huile et de chloi'ure de zinc
sirupeux. Après vingt-quatre heures de contact, on porte le mélange à
une douce température à l'étuve ouau bain-marie. Il se forme aubout
de peu de temps, à la partie inférieure du récipient, une couche
aqueuse brunâtre de chlorure de zinc, chargée des principes parti-
culiers en solution dans l'huile d'olive naturelle. On sépare, avec
la plus grande facilité, de l'huile surnageante, cette couche aqueuse
de chlorure de zinc et d'impuretés.
L'huile ainsi déféquée est désacidifiée, selon le procédé connu,
par lavages successifs à l'alcool bouillant : puis elle est maintenue
quelque temps à 100° pour éliminer les dernières traces d'alcool;
enfin elle est stérilisée à 120° (0' Followell).
La solution employée est la suivante :
(I) Malot, Des injeclions sous-cutanées de gaïacol chloroformé. Thèse de Paris,
1S07.
262 NOGUE. — ANESTHESIE.
Gaïacol anesthésiquc 0"'',0j
Huile hypodermique 1 cent. cube.
L'injeclion produit ranesthésie au bout de dix minutes environ^
ainsi qu'en témoignent de nombreuses observations cliniques et
l'expérience suivante rapportée par le D^Contaut (1): «Le 31 octobre,,
nous prions le D'' Meneau de nous faire au bras gauche une injec-
tion de gaïacol. Après asepsie de la région et de l'aiguille, il en
injecte la valeur d'un quart de seringue sur la ligne médiane, à 2 ou
3 centimètres au-dessus du pli du coude. Au moment où l'injection
est poussée, nous ressentons une sensation de brûlure sur le trajet de
l'aiguille, sensation qui disparaît d'ailleurs assez rapidement. Au bout
de deux minutes, nous cherchons à nous rendre compte du degré
d'anesthésie : nous obtenons les résultats suivants :
Au bout de 2 minutes rien.
— â — rien.
7 — léger degré d'insensibilisation.
— 10 — anesthésie complète.
L'anesthésie dure environ vingt minutes et disparaît graduelle-
ment, la .sensation de contact reprenant toute sa force bien avant
qu'on ne sente la piqûre.
Cette expérience est répétée par Gontaut sur lui-même, et cette
fois encore il constate une insensibilisation complète de la région où
a été poussée l'injection.
, Quant à la toxicité du gaïacol, Gilbert et Maurat ont fait, pour
la déterminer, de nombreuses expériences, dont ils ont présenté les
résultats à la Société de biologie.
Ils ont constaté que la dose de gaïacol, introduite par injection
sous-cutanée, nécessaire pour tuer 1 kilogramme de cobaye, est
comprise entre O^^Sô et 08^90. Pour obtenir un pareil résultat par
Tinlroduction du gaïacol par les voies digeslives, il faut en porter la
dose au delà de 1*^',50.
Les animaux intoxiqués par l'une ou par l'autre voie, après une
courte période d'excitation, s'affaiblissent, se traînent difficilement
et ne tardent pas à tomber sur le côté, en proie à de violentes trépi-
dations des pattes ; leur sensibilité s'émousse, leurs pupilles se
contractent. Leur cœur bat avec plus de lenteur et leur température
s'abaisse progressivement. Leur respiration devient plus ample, plus-
rare, l'inspiration étant brusque, l'expiration prolongée. On peut
constater chez eux une augmentation des principales sécrétions :
lacrymale, bronchique, salivaire, urinaire, intestinale. Le flux lacry-
mal est particulièrement accentué. La mort survient dans un coma
profond, accompagné d'une hypothermie telle que le thermomètre
descend au voisinage de 21°.
(1) Gontaut, Contribution à létude des ancstliésiqucs locaux, Thèse de Bor-
deaux, 1895.
CARBONATE DE GAÏACOL. 263
Le gaïacol, à dose modérée, n'exerce, d'après Marl'ori, presque
aucune intluence sur le système circulatoire : il n'agirait qu'à doses
très élevées.
Les propriétés anesthésiques du gaïacol ont été utilisées contre les
angines avec le plus grand succès. Pour cela, un tampon d'ouate
hydrophile est trempé dans le gaïacol pur et appliqué pendant
quelques instants sur la surface malade, en ayant soin que le médica-
ment ne dégoutte pas et ne tombe pas dans le larynx. Cette applica-
tion, qui est désagréable, parfois très pénible, est suivie d'une sédation
complète de la douleur.
Dans les laryngites tuberculeuses, les badigeonnages de gaïacol ont
procuré une amélioration rapide des symptômes si douloureux de la
dysphagie.
Contre les brûlures, les crevasses du sein, les applications de
gaïacol ont été essayées avec le même succès ; de même contre
l'uréthrite blennorragique, les cystites, etc.
Au ]>oint de vue de Tanesthésie dentaire, les D'' Rollancj et
Contaut (de Bordeaux) ont fait de multiples opérations dont les con-
clusions peuvent être ainsi résumées : le gaïacol pur dans de l'huile
stérilisée est tout à fait inoflensif au point de vue des accidents
locaux comme au point de vue des accidents généraux, car, si quel-
ques auteurs ont constaté sur les gencives de petites escarres au
point de pénétration de l'aiguille, celles-ci doivent être expliquées
par la présence d'impuretés sur l'aiguille de la seringue ou dans
l'huile qui avait servi à dissoudre le gaïacol. Le P** Picot, qui a fait des
milliers d'injections huileuses de gaïacol, n'a jamais signalé la pro-
duction d'escarres.
Le gaïacol a produit l'anesthésie dans les cas où il y avait inflam-
mation, abcès, périostite, pulpite.
Cette aneslhésie procurée par le gaïacol esl lente à se produire,
mais avant qu'elle soit assez complète pour une extraction, elle est
rapidement suffisante pour calmer la douleur de la percussion sur
une dent malade.
CABBOXATE DE GAÏACOL.
On a proposé de remplacer le gaïacol par une combinaison de car-
bonate de gaïacol, obtenu en faisant réagir l'acide chloro-carbonique,
sur une solution alcaline de gaïacol, jusqu'à ce que, par l'addition
d'acide chlorhydrique, la solution ne précipite plus. Le produit qui
se dépose pendant le passage du gaz est recristallisé dans l'alcooL
C'est le carbonate de gaïacol, sel bien défini, inodore, insipide,
insoluble dans l'eau, soluble dans l'alcool à 95°, l'éther, la benzine.
11 n'a pas d'action irritante sur les muqueuses; il n'est pas toxique.
Le carbonate de gaïacol aurait une action anesthésique peu supé-
26'i NOGUE. — ANESTHESIE.
rieure à celle du gaïacol. Malheureusement son insolubilité dans
l'eau et sa solubilité très faible dans l'huile le rendent d'un usage
difficile. La solution suivante :
Carbonate de gaïacol 1 gramme.
Huile dolive stérilisée 100 grammes.
laisse encore un dépôt très appréciable.
GAÏACYL.
Le gaïacyl est le sel calcique du dérivé sulfoconjugué du gaïacol.
Sa formule est :
(CH'02.S03)2Ca.
F^our le préparer on mélange des poids égaux de gaïacol fondu et
d'acide sulfurique monohydraté. On fait le mélange quelque temps
au bain-marie pour faciliter la combinaison. On reconnaît que le
terme de la réaction est atteint à ce qu'une petite portion du mélange
portée dans l'eau et agitée se dissout immédiatement. Tout le gaïacol
employé s'est transformé en acide gaïacyl-sulfureux, qui reste mélangé
à l'excès d'acide sulfurique. On dilue le mélange gaïacol-sulfurique
dans quatre à cinq fois son poidsdeau, et on porte à une douce chaleur,
au bain-marie. On projette par petites portions dans ce liquide du car-
bonate de chaux précipité en quantité suffisante pour amener la
sursaturation. L'acide gaïacyl-sulfureux transformé en gaïacyl-siilfîte
de chaux reste en solution, tandis que l'acide sulfurique est précipité
à l'état de sulfate de chaux ; on sépare par filtration le liquide du
précipité, et on fait évaporer la liqueur à siccité. Le produit qui
résulte de cette évaporation est redissous dans l'alcool, qui sépare
une petite quantité de substances insolubles et est évaporé de nou-
veau à siccité.
Le produit pulvérisé au mortier constitue le gaïacyl-sulfîte de
chaux, qui se présente sous la forme d'une poudre de nuance à la
fois grise et mauve (O'Followell).
C'est à cette poudre que le D'" O'Followell a donné le nom de
gaïacyl.
Soluble dans l'alcool, insoluble dans l'huile, le gaïacyl est éga-
lement soluble dans l'eau. La solution aqueuse au vingtième con-
stitue un liquide rouge violet très pâle ; elle est très stable ; la solu-
tion aqueuse au dixième semble de l'eau à peine rougie par quelques
gouttes de vin. Au bout de quelques heures, cette dernière solution
forme au fond du récipient un dépôt très minime. Il suffit d'ailleurs
de retourner le flacon pour voir ce précipité disparaître.
Ces solutions aqueuses, de saveur d'abord astringente, puis
légèrement suciée, ne sont ni toxiques, ni caustiques, ni
irritantes.
GAlACYL. 265
O'Followcll a éludié le gaïacyl au point de vue de sa loxicilé
et de ses propriétés anesthésiques.
Ayant fait une solution aqueuse de gaïacyl au dixième, il en ins-
tille V gouttes dans Tœil d'un cobaye : au bout de dix minutes,
Tanesthésie est à peu près complète. On peut, avec la tête d'une
épingle, exciter la corn('e sans provoquer de réflexe.
Cinquante centigrammes de la même solution placés sur l'œil
d'un chien de taille moyenne amènent, au bout de cinq minutes, une
anesthésie incomplète mais très nette ; au bout de dix minutes,
l'anesthésie, sans être absolue, est plus complète encore.
A un cobaye du poids de 740 grammes, on injecte, partie sous la
peau de l'abdomen, partie sous la peau et dans l'épaisseur des
muscles de la cuisse gauche, 1 gramme de gaïacyl en solution
aqueuse.
Dix minutes après les piqiires, on traverse la cuisse droite de
l'animal avec une aiguille, ce qui provoque un violent mouvement
de défense de l'animal ; la même expérience, répétée sur la cuisse
gauche, ne semble pas provoquer de douleur.
Quatre heures après l'injection de cette dose massive de gaïacyl,
l'animal présente de l'anesthésie complète à la région abdominale
gauche inférieure, qui a reçu la moitié de la totalité de l'injection.
Un peu plus tard, l'animal observé paraît moins vif, et il succombe
deux heures environ après l'administration du médicament.
Un deuxième cobaye de 800 grammes supporte sans inconvénient
une injection de 10 centigrammes de gaïacyl en solution au dixième.
Vingt-quatre heures après, deuxième injection de 25 centigrammes
de gaïacyl. Quelques heures après, l'animal met bas cinq petits
morts et succombe dans la nuit qui suit l'avortement.
Chez l'homme, on obtient des résultats anesthésiques avec les
solutions suivantes :
Gaïacyl 5 grammes.
Eau distillée 100 —
OU
Gaïacyl •. 10 grammes.
Eau distillée 100 —
Le gaïacyl a été employé en solution aqueuse à la dose de Ob'",05
à OB'", 15 en petite chirurgie, pour l'extirpation de loupes du cuir
chevelu, de ganglions lymphatiques, l'ouverture d'abcès, d'an-
thrax, etc. 11 a été utilisé avec succès dans la chirurgie des voies
urinaires.
En art dentaire, le D'" O'Followell a obtenu les résultats suivants
sur 32 observations : 22 fois l'anesthésie a été suffisante ; 7 fois
elle a été incomplète, 2 fois elle a été nulle et, dans un cas, il a été
impossible de se faire une opinion. Les solutions employées ont été
les solutions au vingtième et au dixième. De la solution au ving-
266 NOGUE. — ANESTHESIE.
tième, on injectait suivant les cas 50 centigrammes, 1 gramme et
18'", 50, soit en réalité 2'%5, 5 centigrammes et 7", 5 de gaïacyl. De
la solution au dixième on injectait 1 gramme, soit en réalité 10 centi-
grammes de gaïacyl.
La solution au vingtième est suffisante pour obtenir Tanestliésie.
En attendant huit à dix minutes après l'injection, l'anesthésie
est parfaite.
SULFATE DE SPARTÉINE.
C'est à Geley et Guinard qu'est due la découverte du pouvoir
anesthésiquedu sulfate de spartéine (1). Dans une série d'expériences
faites en vue de rechercher l'action antithermique de certains médi-
caments, ces auteurs constatèrent que la spartéine était un anes-
thésique local comparable à la cocaïne, plus lent à agir, mais dont
l'action était plus durable et l'emploi tout à fait inofïensif.
Nous eûmes à celte époque l'occasion de vérifier cette assertion, et,
pour l'ouverture d'un abcès chaud du mamelon chez un enfant de
neuf ans et demi, nous obtînmes, avec une injection de 1 centimè-
tre cube d'une solution au quarantième, soit un peu plus de 1 centi-
gramme, une anesthésie parfaite.
Pour l'extraction des dents, les résultats furent moins constants, et,
tandis que dans certains cas l'anesthésie était parfaite, dans d'autres
elle était insuffisante.
Ces expériences cliniques nous permirent de vérifier que le
sulfate de spartéine jouissait d'un pouvoir anesthésique certain.
CHLORHYDRATE DOUBLE DE QUININE ET D'URÉE.
Les propriétés anesthésiques du chlorhydrate double de quinine
et d'urée ont été découvertes par le D' Thibault. Ce sel lui-même
avait été préparé pour la première fois en 1878 par Kutais.
Théoriquement ce corps est composé de la façon suivante :
Quinine anhydre 50,24 p. 100
Urée 10,98
Acide chlorhyJritiuo 13,32 —
Eau ' 16,46 —
100,00
Le sel cristallisé contient ordinairement "2 à 3 p. 100 d'eau
de cristallisation. A la température ordinaire, le sel se dissout dans
son propre poids deau, et il a une réaction nettement acide. Il est
assez soluble dans l'alcool, mais peu dans le chloroforme.
Les solutions de chlorhydrate double de quinine et durée peuvent,
sans aucun inconvénient, être portées à l'ébullilion. Elles sont
(1) Geley, Thèse de Lyon, 1894.
CHLORIlYDliATE DOUBLE DE QUININE ET D'URÉE. 267
lci<('reinenl antiseptiques et peuvent èlre associées à ladrénaline.
L'action anesthésique de la quinine dépend de facteurs mulliples.
Elle n'aurait, d'après certains, aucune action spécifique sur les termi-
naisons nerveuses motrices ou sensorielles. Introduite dans le torrent
circulatoire, la quinine arrête complètement les mouvements ami-
boïdes des leucocytes. D'après Campbell, la quinine produirait
une paralysie par coagulation du protoplasma des nerfs périphé-
riques.
Le chlorhydrate d'urée, ajouté au chlorhydrate de quinine dans le
sel double, n'a probablement aucun eflet physiologique sur les tissus
aux doses faibles auxquelles il est employé. Sa seule action est
probablement de rendre le sel plus soluble. L'uréthane, Vanli-
pijrine et d'autres corps exercent une action semblable.
L'expérimentation sur les animaux, faite à l'aide de solutions
variant de 0,5 à 2 p. 100, a prouvé d'abord, contrairement aux
vues de Hertzler, que la solution dans l'eau stérilisée seule était
toujours douloureuse, tandis que la solution dans le sérum physio-
logique était beaucoup moins pénible. Comparée à une solution
similaire de novocaïne, l'injection de chlorhydrate double est toujours
plus douloureuse. On peut expliquer cette différence par le fait que
la solution de chlorhydrate double est un acide irritant, dont l'in-
jection détermine une inflammation séro-fibrineuse plus ou moins
intense. Après avoir pratiqué un grand nombre d'injections dans les
tissus gingivaux ou dans la peau, le D' Hermann Prinz trouva
qu'une solution à 2 p. 100 avait un pouvoir anesthésique égal à celui
d'une solution à 1,5 p. 100 de novocaïne ou de cocaïne à 1 p. 100.
L'addition d'adrénaline étant possible avec le sel double, on observa
que les solutions contenant une faible quantité d'adrénaline déter-
minaient une anémie typique dans la zone injectée, mais n'aug-
mentaient pas le pouvoir anesthésique de la quinine. Pour mieux
pouvoir comparer, on se servit delà solution de Fischer, qui ne détei-
mine dans les tissus aucune sorte de réaction. Celte solution est
ainsi composée :
Novocaïne 1 8r,5
Chlorure de sodium 0s^92
Thymol 0g'',02
Eau distillée Q. S. p. faire 100 grammes.
Cette solution est portée à l'ébuUition et, dans chaque centimètre
cube, est ajoutée une goutte de la solution normale d'adrénaline.
Cinq injections de 1 centimètre cube chacune de la solution à
2 p. 100 de chlorhydrate double furent faites dans le tissu sous-cutané
du bras gauche chez des sujets en bonne santé. Comme contrôle, on
fit au bras droit une injection semblable de la solution normale.
Les réactions observées furent les mêmes des deux côtés.
. Les injections de quinine furent faites à deux heures vingt-cinq.
268 NOGUE. — ANESTHESIE.
Douloureuse au début, la pénétration du liquide devient ensuite très
supportable. A deux heures quarante, lazone injectée devint blanche.
Le centre de cette zone, dans une étendue de 1 centimètre de dia-
mètre, estanesthésié. Tandis queles tissus périphériques sont pares-
thésiés, la solution n'est pas complètement absorbée. A trois heures,
pareslhésie plus marquée; absorption incomplète. A quatre heures
trente, œdème encore persistant. La zone injectée est sensible au
toucher; Tanesthésie a plus ou moins complètement disparu. Le
lendemain matin, la zone injectée est encore œdématiée et sensible.
Le liquide n'est pas complètement résorbé.
Les injections comparatives faites avec la novocaïne montrèrent
une anesthésie plus rapide, une absorption complète du liquide.
L'expérimentation clinique, faite par le D' Hermann Prinz, se limita
à l'extraction des dents. Il se servit pour cela de la solution à 2 p. 100
dans le sérum physiologique additionné d'adrénaline. Le temps
écoulé depuis la fin de l'injection jusqu'à l'extraction fut de neuf
minutes, et, sur les 200 observations, 90 fois on nota que l'injection
avait été douloureuse, et dans 80 p. ÎOO il y eut de la douleur
pendant l'extraction.
Des expériences auxquelles il s'est livré, le D'" Hermann Prinz
conclut : 1" le chlorhydrate double de quinine et d'urée n'est pas
toxique aux doses habituelles où il est utilisé pour l'anesthésie
locale; 2" la solution est fortement acide et irrite les tissus. L'indu-
ration et l'œdème se manifestent après l'injection, qui est plus ou
moins douloureuse; 3° les solutions solubles dans leau peuvent être
portées à l'ébullition, mais se décomposent ensuite; 4° elles peuvent
être additionnées d'adrénaline; 5° appliquées sur la muqueuse
buccale, elles sont difficilement absorbées et ne déterminent qu'une
anesthésie légère.
Au point de vue dentaire, Prinz pense que le chlorhydrate double
ne présente aucun avantage sur les autres anesthésiques.
Nous avons fait nous-même de nombreuses expériences cliniques
de ces solutions en stomatologie. Bien que l'injection soit
un peu douloureuse, l'anesthésie obtenue est très nette. Nous n'a-
vons, sur une cinquantaine de cas, observé aucun effet consé-
cutif.
Lechlorhyrdate neutrede quinine et d'urée a été employéégaleraent
en laryngologie, et les conclusions auxquelles sont arrivés les expé-
rimentateurs ne diffèrent guère de cette dernière.
Le D' Compaired (de Madrid) l'a appliqué en solutions aqueuses à
10 p. 100 sur la muqueuse du nez et du pharynx pendant cinq à quinze
minutes. Ilapufaireainsi des cautérisations galvaniques, des turbinec-
tomies et des éperotomies, des extirpations de polypes muqueux.
Lamertume de la solution de quinine est des plus désagréable, et
l'anesthésie met plus. longtemps à se manifester qu'avec la cocaïne.
CHLORHYDRATE DOUBLE DE QUININE ET D'URÉE. 269
Pour les turbincftomies, il l'aut employer des solulionsù 15 et môme 20
p. 100 et renouveler les applications des tampons toutes les cinq à six
minutes pendant un ((u;ut d'heure ou une demi-heure. Dans ce
dernier cas, Tanesthésie quinicjue a le grand avantage, sur la
cocaïne et autres médicaments similaires, de maintenir le pouvoir
anesthési(jue pendant trois quarts d'heure, absolument sans aucun
danger pour le malade.
AupoinldevuedeTinjection, le D'"Gompaired a pu, avec une solution
à 1 p. 1 00 injectée autou r d'un kyste sébacé de la région cervicale, l'extir-
per sans aucune douleur. L'anesthésie se prolongea quatre heures
dans la région. Il put faire avec le même succès une trachéotomie.
Les dernières expériences faites avec le sel double ont donné à
Gaudierles résultats suivants :
Comme quantité de liquide injectée, elle a varié de 1 à 5 centimèlres
cubes. L'injection a été faite dans le tissu cellulaire sous-cutané, ou
sous-muqueux, rarement intradermique. Les solutions étaient à
1 ou 3 p. 100. Ces solutions présentent l'avantage, en raison de
l'exsudat fibrineux qui se produit après leur emploi, d'exercer un
effet hémostatique réel, le coagulum étant non pas dans les vaisseaux,
mais en dehors et agissant comme un tampon; celte hémostase,
qui peut durer vingt à vingt-cinq jours, est bien différente de celle
produite par la cocaïne ou l'adrénaline, dont l'effet est éphémère,
n'étant dfi qu'à une action sur la musculature des vaisseaux.
Les opérations pratiquées ont élé : ablation de tumeurs superfi-
cielles, ouvertures d'abcès, ablation de cornets hypertrophiés,
opérations sur la cloison nasale.
Quand on emploie le sel double sans aucune addition d'adrénaline,
il ne se produit pas de modification dans la coloration des tissus,
qui conservent leur aspect normal. 11 ne se produit pas de vaso-con-
striction, ce qui est d'ailleurs bien connu, les sels de quinine
produisant plutôt de la vaso-dilatation.
L'anesthésie qui se manifeste cinq à dix minutes après l'injection
est plus locale qu'avec la cocaïne. Elle ditfuse moins. L'anesthésie
dure plusieurs heures.
On a pu également employer le sel double ou la quinine seule pour
l'anesthésie des muqueuses en attouchements, en l'associant au
menthol et au phénol. Le D"' Chavanne (de Lyon), ayant voulu, après
un badigeonnage avec une solution forte (50 p. 100) de chlorhydrate
de quinine et d'urée, cautériser au couteau galvanique un cornet
inférieur hypertrophié, suscita une vive réaction douloureuse. li pensa
alorsàutiliser simultanément les propriétés aneslhésiques du phénol
et du menthol, comme il est fait dans le mélange de Bonain, en
ajoutant en outre de l'adrénaline comme hémostatique. Malheureu-
sement, ce mélange, qui doit être fait à chaud, se solidifie au refroi-
dissement. Chavanne essaya alors de supprimer l'urée, car c'était
270 NOGUÉ. — ANESïHÉSIE.
elle qui amenait la soliditicalion du mélange. Après divers essais, il
s'arrêta à la formule suivante :
Phénol 2 grammes.
Menthol 2 —
Chlorhydrate de quinine 1 "'■jSO
Adrénaline pure 5 milligrammes.
Le liquide ainsi obtenu est sirupeux ; on en dépose quelques gouttes
sur un porte-coton avec lequel on touche les parties à insensibiliser.
Le résultat est immédiat ; la muqueuse blanchit légèrement, se
rétracte et devient insensible (1 ).
PRÉPABATIOXS SPÉCIALISÉES DE COCAÏNE,
STOVAÏNE, NOVOCAÏNE, ETC.
On trouve dans le commerce un certain nombre de préparations
constituées par l'association d'anesthésiques déjà connus. Quelques-
unes d'entre elles, dont les constituants sont bien indiqués, ofîrent
toutes les garanties désirables au médecin.
Vodralgine est une solution de sulfothymolate de coca'ine associé
à l'adrénaline. D'après le D'" Bloch. la cocaïne, sous la forme de
sel sulfothymique, perdrait sa toxicité. En outre l'adrénaline ne se
décomposerait pas dansces ampoules stérilisées. L'adralgine, destinée
aux usages dentaires, est dosée à O^^OOd de Ihymol-coca'ine par centi-
mètre cube.
La codrénine est une solution de chlorhydrate de coca'ine et
d'adrénaline. Chaque centimètre cube contient0gr,02de chlorhydrate
de cocaïne et 0^^,00006 de chlorhydrate d'adrénaline,
L'eiidrénine est une solution de chlorhydrate d'eucaïne et d'adré-
naline dans du sérum physiologique, qui contient Ogr,01 de chlorhy-
drate d'eucaïne 'i et Ogr^OOOOS de chlorhydrate d'adrénaline pour
1 centimètres cube.
Ueiisémine est une association de cocaïne et d'adrénaline. Elle
contient par centimètre cube les plus faibles doses encore actives
de ces deux éléments, c'est-à-dire Oe'",0075 de chlorhydrate de cocaïne
et Og^jOGOOS d'adrénaline. La stérilisation de cette solution, au lieu
d'être faite par l'ébuUition, est faite par pasteurisation à l'autoclave.
D'autres préparations, telles que l'anesthésique de Waite, l'anes-
thésique de Wilson, etc. , sont des associations de cocaïne ou d'eucaïne
avec diverses essences.
(l)THinAULT,yourn. am. med . A ssoc, sept. 1907. — BBoyyy, Jour n. am. med. Assoc,
août 1908. — M. CAMPDELL,yoHrn. am. med. Assoc, 16 mars 1907. — Heiitzleb, Bre-
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de Séville, 1910. — Gaudier (de Lille), Un nouvel anesthésique local {Echo méd.
du Nord, mai 1910). — Delpi.age (de Bruxelles}, Journ. dent. Belge, 1910,
KTUDE COMPARÉE DES DIVERS ANESTHÉSIQL ES LOCAUX. 271
ÉTUDE COMPARÉE DES DIVERS ANESTHÉSIQUES
LOCAUX. — CHOIX D'UN ANESTHÉSIQUE.
La connaissance des propriétés physiologiques des divers anesllié-
siques locaux est, pour le stomatologiste, d'une importance capitale
s'il veut être capable, dans la pratique et suivant les indications
cliniques, de faire parmi eux un choix judicieux. Il ne saurait être
mdilTérent, en effet, d'injecter telle substance ou telle autre chez un
adulte normal et bien constitué, chez un convalescent, chez un
albuminurique ou un cardiaque, chez un enfant ou un vieillard. La
susceptibilité individuelle aux médicaments peut d'autres fois déter-
miner le choix d'un anesthésique. C'est évidemment, dans ce cas, aux
produits les moins toxiques qu'il faudra recourir, etle résultat anal-
gésique devra être sacrifié à l'innocuité. De là la nécessité de con-
naître la série des corps que la chimie met à notre disposition, de
les comparer entre eux et de savoir peser les avantages et les incon-
vénients de chacun d'eux.
De nombreuses études comparatives ont été faites par divers
auteurs. Les conclusions n'en sont malheureusement pas toujours
identiques. Cela provient des difficultés même d'un tel sujet, des
facteurs multiples qui entrent un jeu et dont il est malaisé de tenir
Miï juste compte. Cependant il ressort de ces recherches compara-
tives, malgré qu'elles n'aient pas embrassé la totalité des anesthé-
siques connus, des données très précises pouvant, dans la pratique,
guider efficacement le chirurgien.
II y a lieu d'envisager, quand on met en balance lesanesthésiques,
divers points : d'abord, et en premier lieu, leur puissance analgé-
siante réelle, considérée tant dans son intensité que dans sa durée;
en second lieu, leur toxicité, — et l'on conçoit aisément de quelle
importance peuvent être les notions précises fournies sur ce point
par l'expérimentation de laboratoire et l'observation clinique;
enfin l'action des diverses solutions actives sur les tissus.
C'est dans ce sens qu'ont été dirigées les importantes recherches
de MM. Picquand et Dreyfus, faites dans le service du P' Reclus.
Elles n'ont porté que sur la cocaïne, la stovaïne, la novocaïne et
la novocaïne associée à l'adrénaline. Mais les soins apportés à ces
expériences, l'intérêt pratique qu'elles présentent et les applica-
tions qui en découlent nous autorisent à les résumer avec quelques
détails.
Puissance anesthésique des divers anesthésiques locaux
(expériences de MUI. Picquand et Dreyfus sur les ani-
maux) (1). — a. Action sur le nerf sciatique ci une grenouille. — Les
(]) G. PicQUANu et Luc. Dreyfus, Recherches siii* quelques anesthésiques
locaux [Journ. de phijs. et de pathol, gén., 15 Icvr. 1910).
272
NOGUE. — ANESTHESIE.
deux nerfs sciatiques étant découverts, on dépose sur le nerf
du côté droit X gouttes d'une solution de cocaïne à 1 p. 100, tandis
que Ton dépose sur le nerf du côté gauche X gouttes de la solution
anesthésique à étudier; puis on excite les pattes de l'animal par un
courant faible.
On remarque au bout de :
Novocaïne-
Cocaïne .
Stovaïne.
Novocaïne.
adrénaline,
5
minutes. . . .
\ Pas de
1* réaction.
Légère
réaction.
Pas de
réaction.
Légère
réaction.
minutes. . ..
s Pas de
Pas de
Pas de
Pas de
10
' réaction.
réaction.
réaction.
réaction
20
minutes. . . .
^ Pas de
1 réaction.
Légère
réaction.
Légère
réaction.
Pas de
réaction,
25
minutes. . . .
i Légère
/ réaction.
Réaction.
Réaction.
Pas de
Réaction,
b. Action sur la cornée du lapin. — On instille dans l'oeil droit
d'un lapin IV gouttes de cocaïne à 1 p. 100 et dans l'œil gauche
IV gouttes de la solution à étudier; l'anesthésie, qui se traduit
par la perte du réflexe cornéen, est obtenue de la façon suivante :
Apparition Durée
de l'anesthésie. de l'anesthésie.
Cocaïne 1 minute. 20 minutes.
Stovaïne 3 minutes. 12 à 13 minutes.
Tropacocaïne 3 — 15 —
Alypine 4à5 — 20 — (larmoiement,
rougeurdel'œil).
Novocaïne 1 minute . 12 à 15 —
Novocaïne-adrénaline . . 4 minutes. 25 —
c. Action sur la peau du lapin. — On injecte dans le derme de la
peau d'un lapin 4 centimètres cubes de solution à 1 p. 100, de façon
à circonscrire un petit cercle d'environ 5 centimètres. On observe :
Apparition Durée
de l'anesthésie. de l'anesthésie.
Cocaïne Immédiatement. 23 minutes.
Stovaïne 2 minutes. 20 — (injection
douloureuse).
Tropacocaïne Presque immédiate. 20 —
Alypine 2 à 3 minutes. 20 à 22 — (injection
douloureuse).
Novocaïne à 1 p. 100.. Immédiatement. 20 —
Novocaïne à 1/200 Immédiatement. 15 —
Novocaïnc-adrcnaline . Immédiatement. 1 heure.
Observations cliniques. — La comparaison a été possible
en employant chez un même sujet et sur la môme région deux anes-
thésiques diflerenls.
ÉTUDE COMPARÉE DES DIVERS ANESTHÉSIQUES LOCAUX. 273
Al)liaiition de raiiesthésie. Duri'e do rancsthésic.
Cocaïne à 1 p. 100... Immédiatement. SO à 90 minutes.
Cocaïne à 1 p. 200... 2 à 3 minutes. 50 à 60 —
Cocaïne à 1 p. 400... 6 à 7 — 20 à 30 —
Stovaïne Quelques minutes. 35 à 40 — (Injection
douloureuse.)
Cocaïne et stovaïne.. — — 50 —
Eucaïne ^ — - 40 — (Injection
douloureuse. )
Tropacocaïne — — 40 —
Alypine — — 20 — (Injection
douloureuse.
Novocaïne Presque immédiatement. 25 —
Novocaïue- adrénaline \
I goutte d'adréna- /
line 1 1000 par ^ Presque immédiatement. 1 heure.
4 c. c. de solution à V
1 p. 200 )
On peut donc ranger comme suit les anestliésiques locau.x; par
puissance décroissante :
1° Cocaïne :
•2" Novocaïne-adrénaline (dont le pouvoir analgésique est très
voisin de celui de la cocaïne et est plus durable) ;
3" Novocaïne, alypine, coca-stovaïne à parties égales (ces trois
anestliésiques paraissant avoir un pouvoir analgésique sensiblement
égal, mais moins durable que la novocaïne) ;
4° Stovaïne, tropacocaïne, eucaïne p (ces trois solutions ayant un
pouvoir analgésique sensiblement égal).
Le D' Maurice Pôlet (de Bruxelles) (l)a étudié comparativement
l'action de la cocaïne, de l'alypine, de la stovaïne, de la novo-
caïne, de la tropacocaïne, de Teucaïne ), de Tacoïne, de Tanesthé-
sine, de la nirvanine et de l'adrénaline en injections dans le diploé,
la pulpe, le périoste ou la gencive.
Ses recherches ont surtout visé la détermination du pouvoir anes-
thésique.
Voici comment s'exprime cet expérimentateur :
Je prépare ordinairement mon injection avec une goutte d'adré-
naline au millième, 2 centigrammes d'aneslhésique et 2 grammes
d'eau; je fais une injection de chaque côté de la dent dans
la gencive et deux injections entre la dent à extraire et les deux
voisines, aussi profondément que possible, ces deux dernières
injections étant plutôt des injections intrapériostiques que intra-
gingivales. Je note le sexe, l'âge, le nom de la dent, le diagnostic,
la quantité d'anesthésique, d'adrénaline et d'eau injectée, le temps
qui s'écoule entre la fin de l'injection et l'extraction, la douleur,
riiémorragie, si l'injection est faite chaude ou froide et enfin les
(1) D'' Maurice Pôlet, Au sujet de 625 injections d'anesthésique {Comm. faile
à la Soc. belge de stomatologie, 17 janv. 1909).
Tn.VlTÉ DE STOM.VTOLOGIE. VI. 18
274 NOGUE. — ANESÏHESIE.
observations. Dans Tappréciation de la douleur et de l'hémorragie^
je me sim-s des termes : nulle, très légère, légère, assez iorte et
forte.
Afin de me placer dans l'appréciation des résultats dans des condi-
tions plus ou moins égales et de trouver peut-être une indication
pour tel ou tel médicament, j'ai divisé les extractions en quatre
groupes : V les racines ; 2° les dents pyorrhéiques ; 3" les périosli-
tes ; enfin les deuxième, troisième et quatrième degrés de carie.
315 injections d'alypine m'ont procuré 177 anesthésies totales^
c'est-à-dire 58 p. 100.
En y ajoutant 79 cas où la douleur fut très légère, j'ai obtenu
82 p. 100.
134 injections de cocaïne m'ont procuré G7 anesthésies totales^
c'est-à-dire 50 p. 100 et en y ajoutant 35 cas où la douleur fut très
légère, j'obtiens 77 p. 100.
26 injections de stovaïne m'ont donné respectivement du 33 p. 100
et du 50 p. 100.
50 injections du mélange cocaïne-alypine-stovaïne m'oni donné
respectivement du 61 p. 100 et du vS8 p. 100.
11 injections de novocaïne donnent 20 p. 100 et 35 p. 100.
9 injections de tropacocaïne donnent 0 p. 100 et 33 p. 100.
6 injections d'eucaïne ,3 donnèrent à peu près les mêmes résultats.
L'acoine vaut encore moins; quant à la nirvanine et à l'anesthésine»
leur injection est douloureuse et l'effet nul.
5 injections d'une solution salée d'adrénaline ont donné les cinq
fois une douleur faible.
1 injection d'eau, faite par distraction chez une personne où une
injection de cocaïne pour une dent homologue avait donné une
anesthésie totale, produisit le même effet, à part que l'injection fut
un peu douloureuse.
6 injections intradiploïques mont permis de faire 4 extractions
avec douleur nulle et 2 où elle fut très légère. 5 de ces injections
ont été faites avec la cocaïne, la sixième avec l'alypine; la douleur
fut très légère.
Ainsi la cocaïne semble donner les meilleurs résultats dans les
deuxième, troisième, quatrième degrés de carie dentaire, l'alypine
pour les racines, et le mélange cocaïne-alypine-stovaïne réussit
excellemment en cas de périostite ; il est évident que, pour pouvoir
étudier tous ces détails et pouvoir affirmer, il faudrait avoir devant
soi des milliers d'injections.
Une question très intéressante est celle de l'adjonction d'adréna-
line; au début, j'en ajoutais une goutte par centimètre cube et dans
la suite la moitié seulement.
En réunissant les cas où la douleur fut nulle ou très légère, voici
la comparaison des injections faites avec ou sans adrénaline :
ETUDE COMPAREE DES DIVERS ANESTHESIQUES LOCAUX. 27S
Alypine sans adrénaline 70 p. 10l\av(>c91 p. 10(», tliflérence 15 p. 100
Cocaïne sans adrénaline 58 p. 100, avec 81 [). 100, dilïérence'JSp. 100
Slovaïne sans adrénaline 40 p. 100, avec 52 p. 100, différence 12 p. 100
iNovocaïne, tropacocaïne el eucaïne sans adrénaline 27 p. 100, avec
:V2 p. 100, différence 5 p. 100.
L'adjonction d'adrénaline renforcerait donc le pouvoir de Tanes-
tliésie pour la cocaïne et Talypine en moyenne de 19 p. 100, c'est-à-
dire de 67 p. 100 à 86 p. 100, donc presque un tiers.
L'adrénaline diminue l'hémorragie : elle est nulle ou très légère
dans 70 p. 100 dis cas avec l'alypine, 80 p. 100 avec la cocaïne,
qui est déjà vaso-constrictive, 83 p. 100 avec le mélange cocaïne-
alypine-slovaïne et 66 p. 100 avec la stovaïne.
L'adrénaline aurait une influence sur lespériostites : elle diminue
le calibre des artérioles et empêche l'entraînement de l'anesthésique
dans le courant sanguin. Les cas de périostite traités sans adréna-
line donnent 50 p. 100 de douleur nulle ou très légère et avec
l'adrénaline 63 p. 100; en détail, f68 p. 100 avec la cocaïne, 82 p. 100
avec le mélange cocaïne stovaïne-alypine, et 60 p. 100 avec l'alypine.
L'injection chaude et surtout l'injection d'eau renfermant
7 p. 1000 de sel sont des adjuvants utiles.
Le temps à attendre semble être de cinq minutes après la dernière
injection.
J'ai noté 2 syncopes et 13 menaces de syncope. La cocaïne a
causé 4 menaces de syncope et 2 syncopes, dont une trois heures
après l'injection de 1 centig. 5.
L'alypine a causé une menace, le mélange une, Teucaïne une,
la novocaïne deux.
Les deux autres menaces étaient l'effet des piqûres.
La quantité d'anesthésique à injecter varie selon la dent à extraire-
Un demi-centigramme d'alypine m'a donné une anesthésie totale.
La dose moyenne est de 1 à 1 centig. 5. L'adjonction d'adrénaline
permet de diminuer la quantité du toxique. Le rapport entre
la douleur et l'hémorragie est constant, ce qui prouve que là où
l'adrénaline exerce le mieux son action sur les artérioles et, par
suite, sur les cylindraxes, là aussi l'anesthésie serait renforcée.
L'adrénaline retardant l'entrée du toxique dans le sang rendra
plus rare les menaces syncopales ; enfin l'injection d'une solution
d'adrénaline procure une anesthésie assez forte.
Je termine en vous donnant les résultats obtenus par 50 injections
intrapulpaires faites soit par compression, soit par injection de
cocaïne-adrénaline.
Ces 50 pulpectomies ont été complètement indolores.
Deux pulpes se sont montrées rebelles à ce moyen.
Dans 4 cas, il y a eu douleur consécutive durant deux à douze
heures.
276 NOGUE. — ANESTHÉSIE.
Dans 6 cas, la dévilalisation et Tobturation ont été faites en une
séance : dans Tun de ces cas, la dent a été douloureuse à la pression
pendant deux jours.
J'ai essayé une fois Talypine en injection intrapulpaire, mais
l'hémorragie consécutive a été telle que je l'ai abandonnée.
Il semble en tout cas que l'alypine soit moins dangereuse et un
peu plus active que la cocaïne, et il est certain que l'adrénaline est
un adjuvant utile et nécessaire.
Bilasko, qui a étudié consciencieusement l'action d'un certain
nombre d'anesthésiques en éliminant le plus possible les facteurs
moraux, a trouvé avec ces produits les proportions suivantes
d'anesthésie absolue (1) :
Anacsine 25,12 p. 100.
Cocaïne 56 —
Gocaïne-adrénaUne . . r)8 —
Paraésine 13,50 —
Tropacocaïne 52 —
Eucaïne p 42 —
lienesol 32 — j Méta-cclhyl 25,45
Tonocaïne 35 —
Alypine 44 p. 100.
Anœmorénine 44,6 —
Alypine-adrcnalinc. . . 72 —
Painless 87,5 —
Dentalicum 14,18 —
Alvatunder 45,6 —
Mais rien ne saurait mieux montrer la difficulté de ces recherches
que ce fait : le même auteur ayant effectué 200 extractions avec
anesthésie nota que 195 patients n'avaient éprouvé aucune douleur.
Dans 100 cas, s'étant borné à faire des injections d'eau distillée, il
obtint 49 fois une insensibilisation parfaite.
Toxicité des aiiesthésiciues. — Nous possédons aujourd'hui
des données très précises sur les conditions qui, en dehors de l'action
propre à tout corps chimique, peuvent faire varier leur toxicité.
C'est aux efforts patients du P' Reclus que nous sommes en
majeure partie redevables de ces connaissances. C'est lui, en effet,
qui a formulé cette loi : l'intoxication est essentiellement fonction
de la quantité du poison qui, introduite au même moment dans le
torrent circulatoire, vient impressionner le système nerveux central.
Si, en effet, on injecte à ,un animal des doses voisines de la dose
mortelle, qu'on interrompe l'injection pour la reprendre ensuite, on
arrivera ainsi à injecter trois ou quatre fois plus que la dose
toxique normale. La toxicité des anesthésiques varie avec :
fo-Le titre de la solution employée : la toxicité diminuant avec le
degré de dilution de l'anesthésique ;
2o La vitesse avec laquelle est faite l'injection. Si l'on injecte dans
la veine de l'oreille d'un lapin une solution de novocaïne à 1 p. 200
avec une vitesse de :
Par kilo.
■5 ce. à la minute, l'animal meurt quand il a reçu.... 08'', 064
10 — — — 0s'\012
5 c. c. en 2 minutes — — 0i'',09
(1) Slomulolofjiui Koezloenij, Jahrg. 1907, n" 1.
ÉTUDE GOMl'AUÉE Di:S DIVERS ANESTHÉSIQUES LOCAUX. 277
'i° L'espèce animale, les herbivores étant en généra moins
sensibles à Tinloxication ;
i** Le poids de l'animal, les petits animaux étant proportionnelle-
ment moins résistants ;
50 Les tissus où Ton fait l'injection.
En se plaçant dans des conditions identiques, MM. Piquand et
Dreyfus ont établi les tableaux suivants :
A. — Toxicité intraveineuse chez le lapin (veine de l'oreille avec vitesse de
5 cent, cubes h la minute).
Dose toxique.
Alypine Off%017 par kilo d'animal.
Cocaïne Osf,18 — —
Eucaïne fJ 0s^019 _ _ .
Tropacocaïne 0g^02 — —
Stovaïne 0S^03 — —
Novocaïne-adicaa'iti.- o^'">0^6 — —
Novocaïne 08^,063 — —
B. — Toxicité intrapérilonéale chez le cobaye.
Dose toxique.
Cocaïne 0&'",0815 par kilo d'animal.
Stovaïne Oe^lO — —
Novocaïne 0ë'",50 — —
Novoca'i'ne-adrénaline Osi',50 + XV gonltes par kilo d'animal.
Il faut remarquer que, en injections intraveineuses, la novocaïne et
l'adrénaline passent simultanément dans le sang et arrivent en
même temps au contact des centres nerveux, de sorte que leurs
toxicités respectives s'ajoutent : au contraire, en injections intra-
péritonéales ou en injections sous-cutanées, l'adrénaline exerçant
une vaso-constriction intense diminue la rapidité de l'absorption
de la novocaïne et diminue ainsi sa toxicité.
L'opinion du D'' Vanmosuenck, chargé du cours de clinique
dentaire à l'Université de Louvain, n'est guère favorable à l'alypine,
contrairement à celle du D'" Laporta. Ayant observé plusieurs
syncopes graves aprèsdes injections de 1 à 2 centigrammes d'alypine,
il conclut qu'elle constitue un produit autrement dangereux que la
cocaïne. Ceci n'était-ce pointa prévoir, dit-il, après l'étude physio-
logique du Dr Camus? D'après cet auteur, en effet, une injection de
5 milligrammes, puis de 1 centigramme par kilogramme d'animal,
amène un abaissement immédiat de la pression sanguine et des
réactions corticales intenses, avecattaques épileptiformes exactement
semblables à celles qu'on observe dans l'intoxication cocaïnique.
L'animal périt avec 35 milligrammes par kilogramme, alors que la
cocaïne en exige 40. D'autre part, en comparant les faits cliniques
aux données physiologiques, on y trouve une preuve de plus de la
toxicité de l'alypine : la diminution de la pression sanguine et du
rythme cardiaque d'un côté et les phénomènes corticaux de l'autre,
278 NOGUÉ. — ANESTHÉSIE,
et cela avec des doses de 1 et 2 centigrammes, une crise épilepli-
forme chez un jeune homme et une intoxication presque mortelle
<lii cœur chez une jeune fille. D'autre part, 5 alertes, dont
2 graves, sur un total de 19 anesthésies, sont une proportion que la
cocaïne n'a jamais atteinte, même au temps où des injections de.
5 et 10 centigrammes étaient d'usage courant.
Enfin, pour quelques-uns des anesthésiques locaux les plus
répandus, l'étude de l'action qu'ils exercent sur les leucocytes a été
faite par le D' François, qui a examiné l'action de la cocaïne, de la
slovaïne et de la novocaïne.
a. In vitro. — Ces anesthésiques, dissous dans la solution saline
ciiratée, diminuent la leuco-activité; avec la solution à 1 p. 200. l'acti-
irilé est nulle, mais le leucocyte reste vivant :
Cocaïne. Stovaïne. Novocaïne.
Titre I/IOOO 0,60 0,95 0-96
— 1/500 0,59 0,55 0,70
— 1/400 0,38 — 0.36
— 1 /200 0 0 0
b. In vivo. — Ils ont une action de même ordre, parallèle aux
anesthésiques généraux, mais la descente est plus faible et la
réaction plus précoce et plus rapide. La cocaïne en solution à
1 p. 100 fait décroître l'activité pendant plusieurs heures ; la
rachistovaïnisation n'a rien donné ; la novocaïne-adrénaline,
employée suivant la formule du P"^ Reclus, agit peu et peu
longtemps, quand on l'injecte dans du tissu sain. Elle provoque
BDe baisse plus considérable et plus durable quand on l'emploie
dans du tissu enflammé. Le globule blanc, après l'étonnement du
début, se ressaisit de bonne heure si l'absorption a été plus lente et
plus tard si l'absorption a été plus forte.
Cocaïne à 1 p. 100.
Avant 1
Pendant 5 minutes 0,96
— 10 — 0,43
Après 2 heures 0,50
— 12 — • 1,06
Xovocaïne à 1/200.
.Vdrénaline.
Avant 1
Pendant 5 minutes 0,82
— 7 — 0,95 à 0,96
— 10 — 0,92
— 15 — 0,71-0,82-1
— 20 — 0,72-0,91
— 23 — 0,75
— 30 — 0,50-0,68-0,82-1
— 40 — 0,87-0,93
Après 30 minutes 1
— 2 heures 0,80
— 3 — 0.73-1
— 4 — 1
INSTRUMENTATION. 279
La cocaïne à 1 p. 100 a une action de quehjues heures.
La novocaïne-aclrénaline à 1 p. 200 est peu dépressive, si elle est
injectée en tissu sain; son action ne dépasse pas vingt à soixante
minutes. En lissu on flammé ou riche en vaisseaux, il y a une
dépression plus marquée, qui peut durer deux à cinq heures et se
rapproche de celle de la cocaïne à 1 p. 100.
L'anesthésie met, avec les divers anesthésiques, un certain temps à
se manifester. Dans la région gingivale, il est reconnu de tous que
la cocaïne ne détermine Tanesthésie complète qu'au bout de quelques
minutes, en général cinq à dix minutes.
Avec la stovaïne et Talypine, il faut compter le même temps
d attente.
Avec la novocaïne, Tanesthésie se produit encore plus lentement,
C'est seulement au bout de dix à quinze minutes que Finsensibilisa-
tion se produit.
Cependant si, au lieu de faire l'injection gingivale, on fait une
injection diploïque, on note la production immédiate de l'anesthésie
avec la cocaïne comme avec les produits similaires.
Nous ne saurions examiner comparativement tous les autres anes-
thésiques locaux suceptibles d'être employés en stomatologie. Mais
il suffit de connaître les qualités et les défauts les plus usuels pour
fixer son choix selon les indications cliniques. C'est entre la cocaïne,
la novocaïne, la stovaïne, l'eucaïneque ce choix oscillera en général.
C'est à l'une d'elles que le stomatologiste aura le plus souvent recours.
La novocaïne, au point de vue toxique, lui donnera le maximum de
sécurité ; mais la cocaïne restera, quant à l'action anesthésique,
toujours la première. Dans certains cas spéciaux, il ne faudra pas
hésiter à recourir à des produits d'un pouvoir anesthésique
médiocre, mais d'une toxicité à peu près nulle.
INSTRUMENTATION,
Les premières injections hypodermiques étaient faites avec la
seringue de Pravaz. Cet instrument qui, au moment de son appari-
tion, constituait un vé-
ritable progrès, présen-
tait un inconvénient
-considérable, celui de
ne pouvoir être sou-
mis à l'ébullition. Son Fi-. 63. — Seringue de Pravaz à piston de cuir,
piston en cuir s'accom-
modait mal d'une température aussi élevée. Aussi fut-elle remplacée
par des seringues de modèles différents, dans lesquelles les inven-
teurs s'étaient efforcés de ne faire entrer que des substances facile-
ment stérilisables.
280
>'OGUE.
ANESTHESIE.
64. — Scrinffue en verre.
Fig. 65. — Scrin^rue stcrilisable de Liier.
Telles furent les seringues du P' Debove, les seringues de Liier,
tout en verre, etc.
Mais, si ces dernières remplissent toutes les conditions requises
pour faire une injection sous-
cutanée aseptique, elles ne
sauraient satisfaire les sto-
matologistes. La pénétration
d'une solution dans le tissu
cellulaire sous-cutané ne
nécessite, en effet, aucun
elfort. Le derme traversé, le
iquide rencontre un tissu à larges mailles, dans lequel il s'épand
avec la plus grande facilité. 11 n'en est pas de même dans la région
gingivo- dentaire.
Ici, c'est un tissu
très dense auquel
nous avons af-
faire. Il faudra,
pour y faire pé-
nétrer une solu-
tion anestlîésique
quelconque, un elfort considérable. La forme usuelle des seringues
à injection hypodermique ne se prête nullement à cet eflort. De là
leur abandon complet dans notre spécialité.
Il faudra au stomatologiste des seringues possédant un certain
nombre de qualités et remplissant les conditions suivantes :
1" Être stérilisables dans toutes leurs parties;
2° Être absolument étanches ;
3° Être bien en main.
Les seringues tout en verre, telles que les seringues de Liier,
remplissent parfaite-
ment les deux pre-
mières conditions.
Quant à la dernière,
on peut dire qu'elles
ne la remplissent en
rien. De telle sorte
que, pour les ma-
nœuvres dans la
bouche, elles sont
d un maniement très malaisé. Il est en outre très difficile, avec ces
instruments, de faire sur le piston la pression nécessaire. Enfin elles
sont très fragiles.
Les sermgues complètement métalliques remplissent également
dune façon satisfaisante les deux premières conditions. Malheu-
Sering-ue slérilisable à ailelt
INSTRUMENTATION.
281
rjmrmTpTjjjirTTfz
rU -^ = !2 =
reusement leur centre de gravité, quand la seringue est pleine, est
placé de telle sorte que Tinstrument tend à s'échapper d'entre les
doigts de l'opérateur. En outre, le fait qu'il est impossible de voir le
liquide, sans constituer un défaut réel, leur aliène bien des méde-
cins. Malgré cela, un
grand nombre de celles
qu'on trouve dans le com-
merce sont recomman-
dables.
Pour vaincre la résis-
tance des tissus gingi-
vaux sans être obligé de
faire sur le piston un
effort trop considérable,
il était naturel de songer
à faire progresser ce piston d'un mouvement hélicoïdal. Les se-
ringues construites dans ce but ne dilTèrent des modèles habituels
qu'en ce que la tige du piston est munie d'un pas de vis passant
dans un raccord spécial, lequel peut à volonté se fixer ou se détacher
du cylindre de la seringue. C'est ainsi que, pour aspirer le liquide,
on détache le raccord, ce qui permet au piston de se comporter
comme dans les seringues ordinaires. Le liquide aspiré, on fixe le
raccord, et le piston ne peut plus fonctionner que par le mouvement
Fig. G7. — Seringue tout en verre, aiguilles
en acier.
Fig. 68. — Seringue à instillation du P^ Guyon (mod. Collin).
hélicoïdal de sa tige. C'est en somme la seringue à instillation du
P"" Guyon.
Nous avons fait nous-même construire une seringue sur ce même
modèle, avec piston d'amiante.
La seringue du D'' J. Ferrier, en argent, est construite d'après le
même principe. Cependant, dans ce modèle, le piston est obligé, pour
avancer dans un sens ou dans l'autre, de toujours suivre le mouve-
ment hélicoïdal de la tige.
Le reproche qu'on peut faire à ces seringues, c'est de nécessiter
l'usage des deux mains. Cette réserve faite, elles permettent l'injec-
tion lente, sûre et généralement indolore.
Les aiguilles employées dans les seringues sont en acier, en
platine ou en platine iridié. Ces dernières sont de beaucoup préfé-
rables aux aiguilles en acier. Elles peuvent être rougies à la flamme
ou soumises à l'ébullition sans aucun inconvénient. Malheureusement
282 NOGUE. — ANESTHESIE.
leur prix est plus élevé. Mais elles font un service beaucoup plus long
que les premières, qui ne peuvent guère servir qu'une ou deux fois
sans s'émousser ou se casser.
Les aiguilles destinées à faire des injections dans la cavité buccale
devraient toujours être fixées d'une façon 1res solide sur la seringue.
On conçoit en effet que. sous Tinfluence de la pression du liquide ou
d'un brusque mouvement du patient, Taiguille, fixée par simple frot-
tement, puisse se dégager de sa tubulure et tomber dans les voies
digestives on respiratoires. La fixation de laiguille à frottement
devrait donc être complètement abandonnée, d'autant plus qu'elle
ne donne presque jamais une étanchéité parfaite. Elle devrait être
remplacée par la fixation à vis. Celle-ci, au point de vue du main-
tien de l'aiguille, donne une sécurité absolue : l'étanchéilé peut être
très facilement obtenue, soit à l'aide d'une rondelle d'amiante, soit
en donnant à l'extrémité de la tubulure pénétrant dans l'aiguille la
forme conique.
Un progrès considérable a été récemment apporté au mode de
fixation des aiguilles. On a pour cela fabriqué des aiguilles soit en
acier, soit en platine, munies à leur extrémité d'une sorte de talon
en plomb. A l'extrémité de la seringue est une tubulure munie d'un
pas de vis. Sur ce pas de vis vient s'adapter un embout perforé dans
lequel se place l'aiguille. Le talon en plomb de celte aiguille se
trouve coincé entre la partie de l'embout qui s'adapte sur la tubu-
luee et l'extrémité même de cette tubulure. Le pas de vis permet
d'obtenir sur le talon de plomb une pression suffisante pour que
toute fuite de liquide devienne pratiquement impossible.
Un grand nombre de seringues dentaires sont munies de raccords
de formes variées, à l'extrémité desquels vient se visser l'embout
armé de son aiguille, pour permettre d'atteindre les diverses régions
de la gencive. Mais, dans la pratique, la forme droite et la forme légè-
rement incurvée répondent à tous les besoins.
L'étanchéité obtenue du côté de l'aiguille par le procédé précé-
dent est obtenue au niveau du piston par l'usage du piston métal-
lique ajusté sur un corps de seringue en métal ou sur un corps de
seringue en verre. Nous avons signalé le petit inconvénient que
présente le premier, celui de ne pas permettre à l'opérateur de voir
le liquide. Il en présente un autre plus grave, c'est qu'au moindre
choc un peu violent le cylindre peut se déformer suffisamment pour
rendre l'instrument inutilisable.
Le cylindre de verre, plus élégant, plus propre et plus commode,
donne, avec un piston métallique bien ajusté, toute satisfaction.
L'étanchéité est parfaite; quelle que soit la pression, le corps de la
seringue éclaterait plut(M que de laisser passer une goutte de liquide.
Le défaut du cylindre de verre est sa fragilité. Récemment encore,
si le cylindre venait à se casser, l'instrument était hors d'usage, lais-
INSTRUMENTATION.
283
sanl Topérateur désemparé. In nouveau progrès a été fait depuis
peu. Il est possible de remplacer extemporanément le cylindre cassé
par un nouveau cylindre muni de son piston mélallique. Ainsi
Fig. 69. — Seringue Imperia (Raymond frères et C''^).
l'opérateur peut posséder un cylindre de rechange muni de son piston
qui lui permet, en cas d'accident, de n'être pas embarrassé pour
continuer ses opérations.
Enfin, au point de vue de la manipulation de Tinstrument, il existe
12 3 4 5
Fig, 70. — Seringue /m/jer/a, pièces détachées (Reymond frères et C'«).
aujourd'hui des seringues munies d'une double ailette circulaire
qui donne toute la sécurité et toute l'aisance nécessaires.
En réunissant sur un même instrument les divers perfection-
nements réalisés dans ces dernières années, on peut concevoir une
seringue idéale répondant à tous les desiderata de notre spécialité
284
NOGUE.
ANESTHESIE.
Il existe aussi des seringues métalliques basées sur le principe
de la presse hydraulique. Le piston n'épouse pas ici, d'une façon
absolue, la forme du cylindre. Il se meut librement dans Fintéiieur
de ce cylindre: et, quand ce cylindre est rempli de liquide, sa péné-
Fig-. 71. — Seringue du D^ Thésée (Ash).
tration dans la masse chasse un volume de la solution équivalent
au volume du piston lui-même. II est nécessaire, pour cela, que
Tétanchéité soit assurée au niveau de l'orifice de pénétration du
piston dans le cylindre. Pour cela, l'instrument est muni à ce niveau
Fig. 72. — Seringue du D"" Thésée démontée (Ash).
d'un raccord, dans lequel le piston glisse à frottement, raccord
qui, par l'intermédiaire d'un puissant pas de vis, vient se fixer sur
le cylindre et empêcher toute fuite de liquide. Grâce à une clef spé-
ciale, il est facile de régler le serrage du raccord en cas de fuite,
même pendant l'injection. Ces instruments, très robustes, fonc-
INSTRUMENTATION. 285
lionnent d'une façon Irôs satisfaisante ; ils sont malheureusement
mal équilibrés.
C'est sur ce dcrniermodèle qu'est construite la seringue //wperm.
Entièrement métallique est également la seringue du D*" Thésée :
mais elle est basée sur le principe du piston parfaitement ajusté dans
l'axe du cylindre. Cette seringue, malgré la longueur de l'ajutage à
lexlrémité duquel est fixée l'aiguille, est très pratique.
Nous avons dit que les ailettes circulaires assuraient le maniement
parfait des seringues destinées aux injections gingivales. La seringue
que nous avons fait construire pour l'anesthésie diploïque permet
de se rendre compte des avantages considérables d'un tel dispositif.
Bien qu'étudié surtout à propos de l'anesthésie intra-osseuse, cet
Fig. 73. — Seringue du D>' Nogué pour l'anesthésie dijjloïque.
instrument pouvait recevoir les aiguilles ordinaires à frottement et,
grâce à un embout spécial, les aiguilles à talon de plomb.
Cette seringue était malheureusement à piston d'amiante. Aussi
avons-nous récemment résolu, tout en lui conservant sa forme géné-
rale et ses ailettes circulaires, de la modifier en la munissant de tous
les perfectionnements. C'est ainsi que le piston d'amiante est
remplacé par le piston métallique exactement rodé sur le cylindre
de verre, ce qui assure Tétanchéité absolue, tout en permettant à
l'opérateur de voir le licpiide. En cas d'accident au cylindre de verre,
il est facile exteraporanément de le remplacer par un second cylindre
de secours muni de son piston. Ce dernier, grâce à un pas de vis, se
fixe immédiatement sur la tige.
L'embout de la seringue est disposé pour recevoir les aiguilles de
Pravaz ordinaires à frottement, les aiguilles à talon de plomb,
grâce à un ajutage ad hoc, et les canules à injection diploïque.
L'instrumentation, en outre des seringues, comprend les aiguilles.
Il est bon d'en être muni en quantité suffisante afin de n'être jamais
pris au dépourvu. Il est bon d'avoir toujours à sa disposition des
286 MOGUÉ. — AXESTHESIE.
aiguilles de diflerentes sortes, telles que aiguilles en acier el en pla-
tine à talon de plomb, utilisables avec le raccord spécial, aiguilles
simples de Pravaz à frottement ou à vis. Ainsi, en cas daccident, il
est toujours possible d'intervenir. Ces aiguilles, qu'elles soient en
acier ou en platine, seront toujours lavées à l'alcool après usage, et on
aura soin de ne jamais omettre de placer dans leur lumière un til
pour empêcher toute obstruction.
Quant aux aneslhésiques, nous donnons la préférence aux
ampoules. Seules, elles assurent une asepsie complète et un dosage
rigoureux. Elles ne nécessitent aucun préparatif au moment de
l'opération. Il existe des ampoules de formes très diverses. Robert
et Leseurre ont construit un modèle de tubes qui peuvent s'adapter
par une de leurs extrémités au pavillon d'une aiguille ordinaire et
qui renferment une boule de verre qu un mandrin fait progresser et
qui chasse le liquide. On conçoit que ce modèle remplaçant toute
seringue ne convienne que pour les injections dans des tissus très
lâches.
Les ampoules ordinaires, fabriquées aujourd'hui couramment,
sont suffisantes. Au moment de s'en servir, on marque d'un trait de
lime la partie amincie et on la casse dun léger effort. On renverse
alors l'ampoule, la partie ouverte tournée vers le sol, et on y introduit
l'aiguille préalablement flambée ou bouillie. Il suffit alors de tirer
lentement la tige du piston pour voir la seringue se remplir.
TECHNIQUE.
\Sn certain nombre de méthodes, souvent fort différentes les unes
des autres quant à leur technique, sont employées en stomatologie
pour obtenir l'insensibilisation de la dent ou des tissus qui la fixent
au maxillaire. On peut les classer ainsi :
Injection sous-gingivale ;
Injection intragingivale; '
Injection sous-périostée ;
Injection intraligamenteuse ;
Injection intra-osseuse ou diploïque ;
Injection distale.
On peut également recourir à l'anesthésie du tronc nerveux
innervant certains groupes de dents lanesthésie sectionnelle), telles
l'anesthésie du nerf dentaire inférieur, lanesthésie du nerf maxillaire
supérieur, lanesthésie du nerf dentaire antérieur, etc.
Anesthésjie de la muqueuse. — Quel que soit leprocédéchoisi,
il peut être utile, avant de faire l'injection dans les tissus, d'obtenir
l'insensibilisation de la muqueuse. Cette anesthésie superficielle
peut rendre encore de grands services quand il s'agit de petites
ANESTHÉSIE DE LA MUQUEUSE.
287
opérations praliquées sur les gencives, incision d'abcès iluctuants,
pointes de feu, scarifications, etc. Elle s'obtient par un simple badi-
geonnage d'une solution concentrée.
De nombreuses formules ont été préconisées pour cela, et
^^f^
F'ig. 74. — Tube et Fi^-. "5. — Section du Fig. 76. — Tube muni de l'aiguille
mandrin. tube. et du mandrin.
(Robert et Carrière.) (Robert et Carrière.) (Robert et Carrière.
la plupart empruntent à la cocaïne son action anesthésique
Poinsot conseillait la suivante :
Éther sulfurique j
Alcool à 95» , aa 10 grammes .
Glycérine à 30» chimiquement pure )
288 NOGUE. — ANESTHESIE.
Acide phéaique synthétique j
Clilorhydrate de cocaïne ou holocaïnc ' Sa 1 gramme.
Salol.."^ ^
Chloroforme 5 grammes .
En 1898, le D'' Bonain (de Brest) préconisa une formule spéciale
pour Tanesthésie du tympan, qui fut adoptée par tous les rhinolo-
gistes et dénommée par eux mixture de Bonain. Elle était ainsi
composée :
Chlorhydrate de cocaïne \
Menthol cristallisé âa P. E.
Acide phénique neigeux ^
On mélange ces trois substances, qui se liquéfient lentement par
simple contact si Ton se contente de les mettre en présence, rapi-
dement si Ton place le mélange au bain-marie, ou si on le triture
dans un mortier. Bonain recommandait d'imbiber de ce liquide une
boulette de coton hydrophile de la grosseur d'un pois et de la porter
à l'aide d'une pince au contact du tympan. Au bout de cinq minutes,
ce tampon était enlevé. Si Ion examinait alors le tympan, on cons-
tatait qu'il présentait un aspect blanchâtre dû à la formation d'une
escarre superficielle. Voici comment on explique l'action de la
mixture de Bonain. Le tympan, formé de trois couches super-
posées, présente une couche externe, superficielle, cutanée,
inaccessible comme lépiderrae à Tanesthésie par simple contact
ifune solution de cocaïne. Dans la mixture de Bonain, l'acide phé-
nique neigeux, caustique puissant, attaque cette couche cutanée du
tympan, la ramollit et permet à la cocaïne d'agir ; quant au
menthol, il atténue la sensation de brûlure produite par l'acide
phénique.
Plus tard Bonain modifia sa formule de la façon suivante :
Phénol absolu ou synthétique 1 gramme.
Menthol 1 —
Chlorhydrate de cocaïne 1 —
Chlorhydrate d'adrénaline Os'.Ol
Pour utiliser ces préparations en stomatologie, on badigeonne
soigneusement la muqueuse, préalablement débarrassée de salive,
à l'aide d'un coton imbibé de mixture. En quelques secondes, la
muqueuse blanchit et prend la teinte nacrée des tissus touchés
par de l'acide phénique, par de l'acide trichloracétique. Dès que
cette coloration est obtenue, l'anesthésie de la muqueuse est à son
maximum. Cette insensibilisation dure peu, aussi faut-il intervenir
de suite.
Il est prudent de ne pas répéter les badigeonnages plusieurs fois
sur les mêmes points en une même séance, sous peine de déter-
miner un sphacèle superficiel.
INJECTION GINGIVALE.
289
L' Al D
M
Tnioctîoii g-iiigivalc. — L'injeclion dans la gencive peut se
îaire de deux manières. Ou bien le liquide est poussé dans le tissu
cellulaire [sous-muqueux, ou bien il est poussé dans la trame môme
<le la muqueuse. Dans le premier cas, on voit immédiatement se
produire une bour-
souflure à l'extrémité
•de Taiguille. Ce pro-
cédé, longtemps em-
ployé, est défectueux
•et ne donne que des
résultats infidèles.
Quand il s'agit d'in-
tervenir dans la ré-
gion gingivale, sur-
tout pour l'extraction
<les dents, l'injection
•doit être faite dans
la Irame de la mu-
queuse. Les règles que
j\I. Reclus a fixées pour
la technique de l'anes-
thésie cutanée pour-
ront servir d'introduc-
tion et de ffuide.
Fù
— Coupe frontale passant par la deuxième
prémolaire supérieure (schématique).
L'aiguille de la se-
Cp, Cavité pulpaire, FMP, fibro-muqueuse palatine;
L'AID, ligament alvéolo-dentaire ; L'- ex. art. alv. d.,
ligament externe de l'articulation alvéolo-dentaire ;
ringue de Pravaz doit M, maxillaire; M^r, muqueuse gingivale; P, Per., pé-
ptvpintrndiiifppnnlein "°^^® = ^■^' tissu cellulaire (Fargin-Fayolle).
etiemtroauiteenpiem ^ injection intra-muqueuse ; 2, injection sous-
derme; on exerce une muqueuse para-apicale ; 3, injection diploïque.
pression légère et con-
tinue sur le piston, de fa«:on à ce que, après la première piqûre, les
tissus soient déjà sous l'influence de la cocaïne: l'aiguille va che-
miner ensuite toujours dans l'épaisseur du derme, et, au fur et à
mesure de sa pénétration, la cocaïne va être déposée dans les mailles
du tissu. Il faut faire une injection traçante et continue, et non
pas une injection par à-coups successifs; cette pression continue a
pour but précisément d'éviter l'introduction dans une veine et
l'impression rapide des centres nerveux sous l'influence de la co-
caïne. Il est évident que, sous l'eflet de cette pression continue
exercée sur le pistou de la seringue, une très petite quantité de
cocaïne peut seule être introduite dans une veine, si l'aiguille
vient à en traverser une. Cette quantité sera, par conséquent,
absolument négligeable et très ditférenle de celle qui aurait pu y
pénétrer, si cette aiguille était restée en place.
Enfin, dans les tissus mous, M. Reclus conseille de faire une
injection rétrograde, c'est-à-dire d'enfoncer tout d'abord l'aiguille
Traité de stomatologie. VI. 19
290 NOGUE. — ANESTHESIE.
jusqu'à son extrémité, puis de presser doucement et régulièrement
sur le piston en retirant lentement l'aiguille des tissus ; il donne
ce conseil notamment pour faire des injections de cocaïne dans les
lèvres, dans la langue, dans le col utérin, dans la région anale, dans
les régions où se sont développés des angiomes. Par la mise en
œuvre de ce procédé, on voit se former, après linjection de cocaïne,
une ligne blanchâtre proéminente qui est précisément la limite de la
région analgésiée sous l'influence de la solution de cocaïne. Cette
ligne de démarcation occupe une largeur de 1 centimètre au plus,
et c'est dans cette zone que devra agir l'instrument tranchant. Elle
peut être étendue dans une petite proportion en pratiquant un massage
léger après l'introduction de la cocaïne; on facilite ainsi la diffusion
de la solution dans un espace de l'=™,5 à 2 centimètres au
maximum.
Les injections d'alcaloïde doivent être « traçantes » et continues :
il y aura autant de traînées analgésiantes que de couches anato-
miques à diviser par le bistouri ; si donc lincision doit aller jusqu'à
l'os, on insensibilisera, successivement et séparément : la peau,
l'aponévrose, les muscles, les gros troncs nerveux et le périoste. Il
ne faut pas oublier d'ailleurs que lalcaloïde ne diffuse guère que
de Oc^jS en tous sens ; au delà de cette zone, la sensibilité persiste
à peu près intacte.
La rapidité plus ou moins grande des injections influence aussi
l'empoisonnement, et toutes choses égales d'ailleurs, en fait de dose
et de titre des solutions, linjection deviendra indifférente ou nocive
^elon que la substance toxique aura pénétré dans les tissus lentement
ou vite. Et voilà pourquoi nombre d'opérations compliquées, cure
radicale de hernie, dilatations anales avec extirpation de paquets
hémorroïdaires nombreux, se font sans accidents malgré les doses
importantes de substances analgésiques injectées, parce que les
injections en ont été successives, échelonnées et pratiquées par
intervalle, à chaque étape de l'intervention.
Il est bonde toujours se souvenir, quand on va pratiquer l'injection,
des formes anatomiques des dents. A ce point de vue, les dents du
maxillaire supérieur comme celles du maxillaire inférieur peuvent
être divisées en groupes distincts.
MvcHomE SUPÉRIEURE. — Au maxillaire supérieur, nous réuni-
rons ensemble les incisives et les canines, dont la forme générale
affecte celle d'un pivot dans le sens longitudinal et qui, dans une
coupe transversale au niveau du collet, ont une section circulaire.
Nous aurons làun premier groupe composé desix dents. Au point de
vue de lextraction comme au point de vue de l'anesthésie, la technique
serala même pour chacune d'elles.
L'injection sera faiteauniveau dubourrelet gingival, de préférence
^ur son bord libre et dans la région qui avoisine l'espace interdentaire.
INJECTIOX GINGIVALE. 291
On fera pénétrer la pointe de Taiguille d'un petit coup sec à la pro-
fondeur de l ou "2 millimètres. L'injection est alors poussée très len-
tement, et lamuqueuse blanchit aussitôt. On enfonce ensuite l'aiguille
plus profondément, ce qui estalors d'autant plus aisé qu'elle chemine
dans un tissu déjà insensible. Quand la zone blanche dépasse la
hauteur présumée de l'apex, il est temps de s'arrêter. On renou-
velle alors la même manœuvre du côté de l'autre espace interdentaire.
Cela fait, on pratique sur la muqueuse palatine une ou deux injections
semblables. On attend quelques minutes avant d'intervenir.
Les prémolaires forment le deuxième groupe. Nous aurons là des
dents de forme sensiblement similaire. Sur une coupe transversale,
elles donnent une section aplatie dans le sens mésio-distal. Leur
racine également aplatie se sépare en deux pointes vers l'apex.
Pour ce groupe, une injection vestibulaire et une injection palatine,
faites au niveau même de la dent sur le feston gingival, suffisent pour
obtenir l'anesthésie.
Nous trouvons ensuite les grosses molaires. Dans celles-ci, il en est
une, la dent de sagesse, qui se distingue des autres. Nous en ferons
un groupe à part. Il nous restera donc réunies en un seul groupe les
dents de six ans et les dents de douze ans.
Ces dents se composent d'une forte couronne et de trois racines,
une palatine et deuxvestibulaires, toutesdivergenles, formant trépied
implanté dans le maxillaire. Il faudra, pour ce troisième groupe,
formé de quatre dents, faire quatre piqûres, deux du côté du vesti-
bule et deux du côté du palais, dans le feston gingival, au niveau des
espaces interdentaires. Celte forme divergente des racines et la pro-
fondeur de leur pénétration dans l'os rendront parfois deux piqûres
supplémentaires nécessaires. L'une sera faite entre les deux racines
divergentes, aussi haut que possible vers l'apex, l'autre de môme sur
la racine palatine.
Enfin les dents de sagesse forment le quatrième groupe. Leur
forme est celle d'un gros pivot. Ici deux piqûres, l'une vestibulaire
et l'autre palatine, seront faites d'après les mêmes règles. On en fera
une troisième sur le feston gingival de la tubérosité du maxillaire,
du côté distal de la dent.
MACHomE INFÉRIEURE. — A la mâchoirc inférieure, au lieu de quatre
groupes, nous n'en trouverons que trois, les deux premiers étant
réunis en un seul.
Incisives, canines et prémolaires formeront en elTet le premier
groupe, composé de dents aplaties dans le sens mésio distal et n'ayant
qu'une seule racine de même forme générale. L^ne piqûre vestibulaire
et une piqûre linguale suffiront ici. L'injection sera faite d'après les
mêmes principes.
Le deuxième groupe comprend les dents de six ans et de douze ans.
Celles-ci ont une couronne généralement très volumineuse et
292 rs'OGUE. — ANESTHESIE.
deux racines aplaties dans le même sens que les précédentes, Tune
mésiale et l'autre distale. Ici quatre piqûres seront nécessaires; cha-
cune sera faite au niveau des interstices dentaires du côté vestibu-
laire et lingual. Il sera bon parfois de pratiquer deux injections sup-
plémentaires, unede chaque côté, dansTespaceinterradicuIaire, aussi
près que possible de Tapex.
Enfin le troisième groupe est composé des dents de sagesse.
Celles-ci n'ont généralement qu'une seule racine, parfois deux
accolées, mais la forme de cette racine incurvée en arrière et en
haut, profondément implantée dans le maxillaire, rend l'anesthésie
très difficile. On fera ici une injection vestibulaire, une injection
linguale et une injection distale.
Injection sous-pérîostée. — Cette méthode consiste à porterie
liquide anesthésique sous le périoste même du maxillaire, tant du
côté vestibulaire que du côté lingual. L'aiguille étant enfoncée direc-
tement jusqu'à la rencontre de l'os, on essaie alors de faire pénétrer la
pointe sous le périoste même. On conçoit combien, dans la pratique,
il est difficile de réussir cette manœuvre d'une façon certaine. Quoi
qu'il en soit, une partie du liquide atteintréellementle périostemême,
tandis que la majeure partie se répand vraisemblablement sur la
surface de l'os, dans le tissu sous-muqueux. L'anesthésie obtenue est
souvent très satisfaisante, surtout si l'on a eu recours à lanovocaïne.
Pour le choix despoints d'injection, on peut se guider sur les indica-
tions précédentes.
Injection intraligamenteuse. — L'injection d'un liquide
anesthésique dans le ligament qui fixe la dent au maxillaire devait
tenter fortement les dentistes. Aussi de nombreuses tentatives furent-
elles faites pour atteindre ce but. Des instruments spéciaux furent
imaginés, permettant une pression considérable, capable de vaincre
l'énorme résistance du ligament. Ces tentatives, très intéressantes en
elles-mêmes, n'ont pas donné de résultat pratique. Sans doute, dans
nombre de cas, l'anesthésie était obtenue, mais au prix d'un effort
considérable de l'opérateur, d'une douleur vive chez le patient pen-
dant l'injection. Dans ce cas môme, l'opération déterminait une
arthrite très marquée. Mais, dans l'immense majorité des cas, ce
procédé ne donnait que des insuccès, tantôt le liquide ne pouvant
pénétrer dans le ligament par suite de sa trop grande densité ou par
suite de la résistance des tissus, tantôt du fait de leur état patholo-
gique ou de leur destruction partielle.
Injection diploïque. — L'anesthésie diploïque est obtenue par
la pénétration du liquide actif dans les mailles du tissu spongieux des
maxillaires, dans le diploé, où il vient au contact des filets nerveux
innervant la dent et son ligament de maintien. Pour arriver à ce
résultat, il est nécessaire de franchir la table de tissu compact qui
forme autour du tissu spongieux une barrière solide.
INJECTION DIPLOÏQUE. 293
Un c^rand nombre d'expériences entreprises par nous sur des os
frais nous donnèrent la certitude que la table de tissu compacte qui,
dans les deux mâchoires, protégeait de tous côtésle tissu spongieux,
était en tous points aisément franchissable. Il suffisait pour cela de
se servir d'un petit foret monté sur le tour à pédale ou sur le tour
électrique etanimé d'unmouvementde rotation rapide. L'application
de ce foret perpendiculairementsurl'os permettait, avec une pression
légère, de perforer avec la plus grande facilité celte table de tissu dur.
Parle pertuis artificiel ainsi créé, le tissu spongieux devenait accec-
sible. Aussi bien du côté palatin ou lingual que du côté jugo-labial,
au maxillaire supérieur aussi bien qu'au maxillaire inférieur, cette
perforation était facile.
Restait maintenant à savoir s'il était possible, et dans quelles pro-
portions, de faire pénétrer par ce canal dans le tissu spongieux une
solution quelconque. Nous eûmes recours pour cela à une solution
aqueuse de bleu de méthylène. A l'aide d'une seringue de 2 centi-
mètres cubes, armée d'une canule tronconique calibrée sur le foret,
nous injectâmes le liquide coloré dans l'os. Nous constatâmes d'abord
que, quel quefùt lepoint choisi, il n'était nécessaire d'exercer aucune
pression pour faire pénétrer la solution dans le tissu spongieux : elle
entrait dans les maxillaires avec autant de facilité que dans une cavité
réelle.
Cette deuxième constatation effectuée, il nous fut aisé, grâce à la
coloration intense du bleu de méthylène, de chercher quel était le
degré de perméabilité de ces tissus. Au maxillaire supérieur comme au
maxillaire inférieur, on pouvait voir le liquide coloré sourdre en plu-
sieurs points à travers la table de tissu compact. Il en était
ainsi même quand l'os était recouvert de son périoste. Le revêtement
périoste enlevé, cette perméabilité du tissu dur apparaissait encore
plus nettement. C'était évidemment par les petits orifices livrant
passage aux faisceaux vasculo-nerveux que venait sourdre à l'exté-
rieur le liquide injecté. Surdes coupes de l'os faites dans divers sens,
il fut aisé de constater que les mailles du tissu spongieux avaient
été imprégnées complètement. Chaque injection de 0'™,5 ou de
1 centimètre cube formait autour de la dent une zone colorée l'en-
veloppant complètement et se propageant parfois à une assez grande
distance.
Pour donner une idée de cette perméabilité du tissu spongieux,
citons une de nos expériences portant sur le maxillaire inférieur.
Ayant perforé avec le foret monté sur le tour la table externe de l'os
entre les deux prémolaires, à 1 centimètre du collet, nous injectâmes
par le pertuis I centimètre cube de la solution bleue. Nous consta-
tâmes aussitôt par simple transparence, devant une lampe électrique,
la présence d'une zone sombre s'étendant jusque dans la branche
montante, zone qui évidemment n'existait pas avant l'injection.
29^
NOGUÉ. — ANESTHÉSIE.
Eu effet, parties coupesétagées de los, il nousfutpossible de suivre
noire solution colorée et de la poursuivre jusque dans l'épaisseur du
condyle et le sommet même de 1 apophyse coronoïde. Il est vrai de
dire que, dans ce maxillaire, toutes les grosses molaires manquaient,
ce qui évidemment ne pouvait que favoriser la diffusion du liquide.
Mais cet exemple montre cependant dune façon péremptoire l'extrême
perméabilité du tissu spongieux.
N'était-il pas légitime de penser que cette imprégnation osseuse,
si aisément obtenue surle cadavre avec une solution colorée, s'obtien-
drait de même sur le vivant avec une solution anesthésique ?
S'il était démontré, d'autre part, que c'est bien dans le tissu spon-
gieux que passent les filets nerveux innervant les dents et leur liga-
' '^-^l^'^'^'-^'csi^
^le- '8. — Maxillaire supérieur. Innervation des dents (Beaunis et Bouchard),
ment, ne devait-on pas obtenir par cette imprégnation une anesthésie
absolue ?
Que les filets nerveux, filaments sensitifs venant de la pulpe, tra-
versent le tissu spongieux, la chose est hors de doute. Il serait diffi-
ciledeconcevoir une voiedifférente, l'apex radiculaire étant implanté
dans l'os au fond de la cavité alvéolaire. Le ligament lui-même doit
sa sensibilité aux filaments venus du faisceau apical et des parois
alvéolaires. Tomes dit en effet que ces nerfs viennent en grande
partie de ceux qui se rendent à la pulpe dentaire : quelques filets
nerveux viennent des canaux interalvéolaires, et ces canaux qui con-
tiennent des vaisseaux et des nerfs sont situés dans les cloisons
verticales qui séparent les alvéoles des dents contiguës.
Nos recherches entreprises dès le premiers mois de l'année 1906 et
poursuivies sans interruption tant dans le service dentaire de l'Hôtel-
Dieu de Paris que dans notre clinique privée, nous ont permis defixer
les règles d'une technii ne simple permettant au praticien d'ob-
tenir, avec des doses minimes d'alcaloïde, cette imprégnation du
INJECTION DIPLOiQUE.
295
tissu sponp^icux et par suite une anesthésie locaJe absolue. C'est
cette méthode que nous avons proposé d'appeler anesthésie
diploïque (1).
Considérations anatomiques. — Mais, pour se guider dans
l'application de la méthode, il est absolument nécessaire d'entrer
dans quelques considérations anatomiques.
Examinons d'abord le maxillaire supérieur.
L'apophyse alvéolaire du maxillaire supérieur, dit Tomes, peut
être décrite comme formée de deux lames osseuses aplaties, l'une
interne, l'autre externe, réunies par de nombreuses cloisons transver-
ci.
Pr Orb .
■R.d
Fijj. 79. — Coupe verticale et antcro-postérieure passant par le bord alvéolaire
(segment interne de la coupe).
Crêtes verticales et à direction transversale divisant le plancher en compar-
timents ou fosses. — RD, racines dentaires ; O.G, orifice de Giraldès (Sieur et
Jacob).
sales. Les alvéoles dentaires ne sont autre chose que les espaces
compris entre les cloisons.
Si Ton examine l'intérieur d'un alvéole, on voit que de tous côtés
l'os est très poreux, criblé de trous à large ouverture, et que tout au
fond existe un trou plus large qui livre passage aux vaisseaux et nerfs
de la dent.
L'alvéole de chaque dent en particulier est formé d une mince
(1) D'après le D"- Allaeys (d'Anvers), M. Oré, dentiste à Groningue, aurait, en 1896,
publié une communication sur l'injection intra-osseuse de cocaïne « Maljrré mes
instances auprès de l'auteur etde son éditeur, ce travail est resté introuvable pour
moi comme pour le confrère Wiersema lui-même » (Allaeys, Communication,
21 avril 1907, Société belge de slomatoloffie).
Le Dr "Wiersema, qui poursuivait les mêmes recherches, fit connaître les ré-
sultats de ses expériences en décembre 1906.
296 NOGUÉ. — ANESTHÉSIE.
coque osseuse d'un tissu relativement compact, entouré d'une masse
de tissu spongieux : la coque de tissu compact vient se confondre
avec les lames corticales également compactes du maxillaire, au
niveau du bord libre des alvéoles, près du collet de la dent.
Sur la face zyg'omatique, on remarque de nombreux orifices qui
livrent passage aux vaisseaux et nerfs dentaires postérieurs.
Les nerfs dentaires postérieurs, au nombre de deux, descendent
sur la tubcrosité de l'os et entrent dans les canaux dentaires posté-
rieurs pour se distribuer aux dents bicuspides et molaires : une
Fig. 80. — Maxillaire inférieur. Vaisseaux et nerf des dents
(Preiswerk et Chompret).
branche pénètre dans le sinus et en longe la partie inférieure^
s'anastomosant avec les nerfs dentaires inférieurs, tandis qu'une
autre, longeant le bord alvéolaire, se rend aux gencives.
Le nerf dentaire antérieur part du maxillaire supérieur un peu
avant sa sortie du trou sous-orbitaire. Il s'anastomose avec les nerfs^
dentaires postérieurs et envoie des fdelsaux dents incisives, cuspidées
et première bicuspidée, et d'autres à la muqueuse du méat inférieur.
Ce nerf émerge du trou sous-orbitaire entre le muscle élévateur de
la lèvre supérieure et de l'aile du nez et le muscle canin pour se
diviser en plusieurs branches : quelques-unes vont en haut vers le
nez et les paupières, d'autres en bas et en dehors à la lèvre et à la
joue, s'anastomosant avec la branche nasale de l'ophtalmique et la
branche faciale de la portion dure de la cinquième paire.
L'existence du sinus maxillaire dans le voisinage des grosses mo-
laires oblige à certaines précautions. Nous emprunterons aux remar-
quables recherches de Sieur et Jacob (1) les documents anatomiques
suivants, qui nous seront de la plus grande utilité.
Le plancher du sinus maxillaire présente de grandes variétés de
lormes et de dimensions. Suivant l'épaisseur du rebord alvéolaire et
l'étendue de la cavité sinusale, il est plat ou excavé, large ou étroit^
(1) Sieur et Jacob, Recherches anatomiques. cliniques et opératoires sur les.
fosses nasales et leurs sinus Paris, 1906.
INJECTION DIPLOIQUE.
297
et fréquemment paiiag^é en plusieurs compartiments par des crêtes
transversales qui limitent ainsi de véritables fosses.
Son étendue n'est pas en rapport avec celle du rebord alvéolaire
et se trouve ordinairement comprise entre les premières prémolaires
Fig. 81. — Coupe transversale du maxillaire Vi^. S2. — Le plancher du sinus
supérieur passant en arrière delà première e-t au-dessus delà voûte pala-
prémolaire. Le plancher du sinus descend
au-dessous de la voûte palatine.
t ne.
et la tubérosité postérieure du maxillaire. Parfois même, la coupe
sagittale du sinus ayant la forme d'un cercle plus ou moins irrégulier,
le plancher répond à peine aux trois dernières grosses molaires.
Comparé à la voûte palatine, le plancher du sinus descend ordinai-
rement au-dessous de cette
dernière, à une profondeur
qui varie suivant la forme de
la voûte et le degré de résor-
ption du tissu spongieux qui
recouvre ordinairement les
racines dentaires. D'après nos
mensurations, cette profon-
deur peut être évaluée en
moyenne à 9 millimètres et pj,
peut dépasser 10 à 12 milli-
mètres. Par contre, le plancher
se trouve assez souvent correspondre à la voûte palatine : très rare-
ment il ne descend pas jusqu'à son niveau.
La distance qui sépare le fond du sinus du collet des dents est
naturellement subordonnée à la disposition plus ou moins plane du
plancher du sinus et à l'épaisseur de la couche de tissu spongieux
séparant le plancher des voûtes alvéolaires.
La distance la plus grande s'observe au niveau des prémolaires.
Chez certains sujets, cette distance atteint 15 et 18 millimètres et
descend rarement au-dessous de 9 à 7 millimètres. Au niveau des
grosses molaires, particulièrement au niveau des deux premières, la
hauteur qui sépare le plancher du collet de la dent est au maximum
83. — Le plancher du sinus est au niveau
de la voûte palatine.
298
NOGUE.
ANESTHESIE.
Fig. 84.
Rapports du canal dentaire avec les racines
lies molaires et des prémolaires.
de 12 à 13 millimètres et descend parfois à 3 millimètres; elle est en
moyenne de 7 millimètres.
Entre les coupoles alvéolaires et le plancher se trouvent des conduits
osseux quelquefois réunis sous forme de vacuoles qui logent les
vaisseaux et les nerfs chargés d'irriguer et d'innerver la dent. En ce
qui concerne les
vaisseaux, ils sont
en communica-
tion avec ceux de
la fosse canine et
du rebord orbi-
taire, ce qui nous
explique la pro-
pagation à ces ré-
gions de proces-
sus infectieux à
point de départ
alvéolaire. Les
mêmes communi-
cations existant
souvent entre les vaisseaux de la muqueuse sinusale et ceux des
alvéoles, le pus gagne fréquemment le sinus par leur intermédiaire,
aidé dans sa marche par la minceur du plancher sinusal.
La mâchoire inférieure peut être considérée comme formée de
deux lames de tissu compact entourant de toutes parts une masse
de tissu spongieux, dont les travées circonscrivent le canal dentaire
qui chemine au milieu d'elles. La cavité médullaire s'étend jusqu'au
voisinage des racines, d'après Preiswerk, et les entoure même du
côté de la langue et de la joue, ce qui explique la propagation
rapide des affection du périoste dentaire à l'os maxillaire. Testut
considère le tissu central lui-même comme très dense et comme
méritant seulement au niveau du canal dentaire le nom de tissu
spongieux. Nous avons vu cependant combien ce tissu est perméable
au liquide, et nous verrons plus tard que, sur le vivant, il en est de
même.
Au milieu de ce tissu spongieux, dans un canal propre, chemine
le nerf dentaire inférieur. Pour bien concevoir comment sont
innervésle maxillaireinférieuretlesdentsauxquellesil sertde support,
et pour bien comprendre la richesse nerveuse de la partie centrale
de cet os, il faut se reporter à la description que nous en a donnée
Daniel Mollière :
A l'instant où il pénètre dans le canal dentaire inférieur, le nerf
se partage en deux branches, l'une supérieure plus petite {nerviis
c/en/a//s),rautreinférieureplus grande (ram«sme«/a//s), qui marchent
à côté l'une de l'autre et qui communiquent par un grand nombre
INJECTION DIPLOÏQUE.
299
Fis. 8
Maxillaire infcrieur dont on a enlevé la
partie buccale pour montrer la disposition de la
couche spongieuse et le parcours du canal dentaire
(Preiswerk et Chompret).
de filets anaslomotiques. Le menlonnier est un nerf mixte; le nerf
dentaire proprement dit est avant tout un nerf sensitif, mais contient
des filets sympathiques en très grand nombre. Chez la plupart des
sujets, le canal qui traverse l'os se bifurque au-dessous des grosses
molaires pour former
une sorte de canal col-
latéral qui va rejoindre
le canal principal un
peu plus loin. Le nerf
dentaire s'engage dans
le collatéral ou entre
les racines de la pre-
mière grosse molaire
quand ce canal n'existe
pas. Avant d'y pénétrer,
il envoie sur l'artère un
filet nerveux, dépen-
dance du plexus de la
maxillaire interne ; les rameaux s'anastomosent par un filet gros et
court au tronc commun dentaire et mentonnier, puis ils forment un
plexus assez riche autour des molaires, envoient un filet dans chaque
racine, puis, s'insinuant entre elles et les alvéoles, ressortent par les
gencives.
C'est à ce niveau-là qu'ils s'anastomosent avec le lingual. 11 y a là
vraisemblablement de petits filets du lingual qui traversent la table
interne de l'os pour aller s'anastomoser avec les ramuscules du
plexus dentaire inférieur (Valentin). Les branches qui vont se perdre
dans les cellules osseuses sont excessivement petites. Le nerf dentaire
recevant une deuxième, puis une troisième anastomose du mentonnier,
se divise en longs plexus qui entourent les racines des dents ou plutôt
qui se divisent dans les alvéoles, fournissent une branche à chaque
racine dentaire et enfin envoient entre les alvéoles et les dents des
filets gingivaux analogues à ceux des molaires. Impossible de donner
une description plus détaillée de ces plexus, d'où parlent cependant
des filets assez volumineux qui vont se rendre dans les cellules
osseuses. Mais ce qui frappe l'attention, c'est la facilité avec laquelle
on reconnaît les points où la branche mentonnière donne des
filets aux plexus. Elle reste donc parfaitement distincte dans son
trajet.
Valentin dit : à la mâchoire inférieure il y a un plexus très com-
pliqué qu'on appelle le plexus maxillaire inférieur. Il part de tous
côtés des filets extrêmement nombreux qui, dans les petits canaux
médullaires, forment à toutes les hauteurs et dans toutes les directions
un plexus nerveux des plus serré.
Hyrlt admet un plexus entourant l'artère et fournissant des filets
300
NOGUÉ. — ANESTHÉSIE.
nerveux à la pulpe des dents, aux cellules du tissu spongieux et aux
gencives à travers les alvéoles.
Arrivée au trou mentonnier, la branche mentonnière sort de l'os,
mais le plexus dentaire continue dans des vacuoles plus ou moins
irrégulières et non dans un canal distinct à parois définies, comme
on le dit ordinairement.
Le canal dentaire régulier n'était destiné qu'aux nerfs mentonniers ;
les plexus dentaires sont en dehors de lui, perdus pour ainsi dire dans
A
70 s Ycrà'co -/j-cz,
LoLtpes TCf/ïca -//-a/cs-i-ersa/es du j?2sxi//âLre i/?/'c'/Leur
(j?ïot.tie c^roil^ ^se^j?ze/zi: jooste/zcur de /c2 cou/je) jonssa/iL :
A, en c-iuâinè de Ici 5'''"''7;7û/aIra~B.e/z aua/iâ d& /â. 2''"'):>rèmo/^irc..
\ .côte uiterae — 2 .cote externe 5.,
^.U
Fig;. 86. — Coupes vertico-transversales du maxillaire inférieur.
les cellules osseuses. Cette disposition persiste seule dans la région
incisive. Mais, au niveau du trou incisif, dans ses vacuoles, à 3 milli-
mètres environ en avant, on trouve une intrication extrême des filets
nerveux qui enlacent l'artère dans un réseau très serré. J'ai plusieurs
fois trouvé dans ce point des grains ganglionnaires contenant des
cellules nerveuses. Il existe donc un véritable ganglion incisif.
Le nerf vient ressortir immédiatement en arrière des incisives par
le trou constant, auquel jai proposé de donner le nom de trou incisif.
11 se perd alors dans la muqueuse. Avant sa sortie, il se distribue en
plexus autourdes racines des incisives, auxquelles il fournit des filets.
Je ferai remarquer, en terminant, que d'ordinaire on peut séparer
complètement le nerf mentonnier et que la partie du mentonnier qui
donne les anastomoses au plexus est distincte avant même l'entrée du
tronc commun dans la mâchoire. Chemin faisant, le tronc commun
envoie des branches plus ou moins volumineuses dans les cellules
osseuses situées au-dessous du canal. On en rencontre en général
une plus volumineuse que les autres, dont la direction est ordinaire-
ment récurrente.
Pour les filets mentonniers, on a vu qu'une grande partie de ces
INJECTION DIPLOÏQUE 301
nei'fs sortaient par les orifices alvéolaires el les petits trous périos-
tiques pour s'aller distribuer à la muqueuse gingivale. A sa sortie
de lamûchoire, le nerf mentonnier présente en général trois faisceaux
de volumes inégaux. Presque immédiatement à sa sortie naissent des
filets qui se portent aux glandules buccales, à la muqueuse labiale,
à la peau de la lèvre.
Un point digne d'intérêt est de savoir exactement l'emplace-
ment du trou mentonnier afin d'éviter de pratiquer notre perforation
à son niveau. C'est encore aux recherches de Daniel Mollière que
nous aurons recours pour être fixé sur ce point.
Le trou mentonnier, d'après cet auteur, n'est pas situé entre la
prémolaire et la canine. Sur 58 mâchoires, Paulet et Sarrazin {Atlas
cVanalomie lopographique) l'ont toujours trouvé au niveau de la
deuxième prémolaire. Mollière, surses38piècessèches,ainsiquedans
toutes ses dissections, l'a toujours vu en ce point. « Seulement, je
crois que l'on a eu tort en cherchant à évaluer la distance qui sépare
ce trou du bord inférieur de l'os, car elle est très variable, tandis
que du collet de la canine au trou mentonnier on trouve ordinaire-
ment 20 millimètres, 28 fois sur 38. Quelquefois on rencontre deux
orifices au lieu d'un seul, deux orifices à peu près égaux. Je n'ai
trouvé que deux fois cette disposition sur mes pièces sèches, mais
mes dissections me permettent d'affirmer quelle est beaucoup plus
fréquente.
<< Dans la région mentonnière de l'os, on rencontre en général un
nombre considérable d'orificesdits vasculaires : très souvent on trouve
l'un d'entre eux plus développé et dans ce cas plus ou moins
rapproché du rebord alvéolaire ou plutôt de la région gingivale de
l'os. Ils ne sont plus alors destinés à donner passage à des vaisseaux,
mais bien aux ramuscules terminaux de nerfs de la mâchoire. J'ai
rencontré 10 fois sur 38 cette disposition. Je proposerai de donner
à cet orifice le nom de trou incisif antérieur. »
Le Dr Ch. Gavaroz (1), qui a fait sur ce sujet un travail des plus
intéressant, a constaté sur des coupes sériées de maxillaires supé-
rieurs, que la trame du tissu spongieux qui unit les alvéoles aux
lames corticales acquiert son maximum de densité au voisinage
immédiat de l'alvéole et de la lame corticale, tandis que la portion
centrale de l'espace diploïque est composée d'aréoles plus larges,
limitées par des travées de tissu compact à direction verticale et
parallèle aux deux lames corticales.
Cette disposition se rencontre surtout au niveau des grosses
molaires. A mesure qu'on se rapproche de la ligne médiane, les
aréoles du tissu spongieux se rétrécissent de telle sorte qu'au niveau
de l'os incisif une injection poussée à droite de la ligne médiane
(1) Ch. Gavaroz, Contribution à l'étude de lanesthcsie diploïque. Thèse de
Paris, 1909.
302 ^OGUE. — AXESTHESIE.
passe difficilement du côté opposé. Pour s'assurer du fait, il eut
recours à la radiographie. Ainsi qu'on peut le constater sur le radio-
gramme 4 (Voy. fig. 87), une injection d acétate de plomb faite
entre Tincisive latérale et la canine droite n'a passé qu'en faible par-
tie du côté gauche. Un simple coup d'œil jeté sur le radiogramme 8
nous montre que la symphyse mentonnière offre une résistance
infiniment moindre aux injections fluides.
La méthode radiographique lui permit en outre de mesurer approxi-
mativement la capacité de l'espace diploïque du maxillaire. En
suivant sur l'écran la réplétion progressive de cet espace par une
injection d'acétate de plomb, et en arrêtant l'injection au moment
où était atteinte l'opacité complète, il obtint les chilîres de 4, 5 et
6 centimètres cubes, suivant la taille des maxillaires injectés.
Le radiogramme 1 représente un maxillaire supérieur vu de
profil avant toute injection: le radiogramme 2 est la reproduction
du même maxillaire, mais après injection à l'acétate de plomb de
tout l'espace diploïque. On voit que cet espace a sensiblement la
même hauteur d'une de ses extrémités à l'autre. Seule sa largeur
varie en même temps que l'épaisseur du bord alvéolaire.
Sur une coupe parallèle aux faces, le tissu spongieux apparaît
comme formé de larges mailles orientées dans le sens horizontal.
Cette disposition, visible sur les radiogrammes 5 et 6, 7 et 8, facilite
la dilïusion des solutions anesthésiques dans la totalité des maxillaires
et leur permet notamment de franchir la symphyse mentonnière. Le
canal dentaire, criblé de petits orifices, est perméable aux solutions
injectées en un point quelconque du maxillaire, ainsi qu'on peut s'en
rendre compte sur l'os sec en voyant sourdre abondamment au niveau
de l'épine de Spix et au niveau du trou mentonnierle liquide injecté
dans le diploé.
La capacité de l'espace diploïque du maxillaire inférieur mesurée
par le procédé radioscopique est d'environ 10 centimètres cubes.
Technique. — Le lieu d'élection variera pour la mâchoire supé-
rieure et la mâchoire inférieure. Examinons successivement les
deux arcades dentaires.
A la mâchoire supérieure, la perforation peut en principe être
pratiquée soit du côté palatin, soit du côté vestibulaire. Mais l'expé-
rience nous a prouvé qu'il était infiniment préférable, autant que la
chose était possible, d'opérer du côté palatin. La fibro-muqueuse est
en eifet, sur la voûte palatine, épaisse et adhérente à l'os. Elle se
laisse très aisément perforer et, cette perforation faite, ne glisse pas
sur les tissus sous-jacents. C'est dire qu'ici le pertuis fibro-muqueux
correspondra toujours au pertuis osseux. Aussi la canule trouve-t-elle
sans tâtonnement l'orifice foré sur le tissu compact. Du côté vesti-
bulaire, au contraire, lamuqueuse est pour ainsi dire un peu flottante.
A peine la perforation est-elle faite que les plans se déplacent et qu'il
INJECTION DIPLOIQUE
303
A
j^j^Ê
f<i I t
Fig. S7. — Radiographies_du maxillaire supérieur.
304 NOGUE. — ANESTHESIE.
est parfois nécessaire de tâtonner pour mettre la pointe de la canule
dans Torifice osseux.
Par conséquent, pour la mâchoire supérieure, nous diviserons les
dents en deux groupes : Tun composé des grosses molaires et
prémolaires, pour lesquelles la perforation palatine est facile, et
l'autre des incisives et canines, pour lesquelles, à moins de faire
renverser exagérément la tète en arrière ou de se servir de l'angle
droit, il faudra pratiquer la perforation dans le vestibule, sur la
table vestibulaire de Tos.
Pour la mâchoire inférieure, à moins de se servir du foret monté
sur Tangle droit, la perforation se fera toujours dans la région vesti-
bulaire.
Quoi qu'il en soit, aussi bien pour l'une ou pour l'autre mâchoire, la
perforation se fera dans l'interstice de deux dents, à environ 1 centi-
mètre du collet. Il faudra tenir compte de la direction probable
des racines afin de ne pas aller porter le foret contre cet oiîstacle.
La pénétration du liquide ne pouvant en effet avoir lieu dans ce cas,
le résultat serait douteux. Si la chose se produisait par erreur, il
faudrait refaire une nouvelle perforation. La perforation se fera de
préférence entre la dent à extraire et celle qui lui fait suite, mais
elle peut aussi se faire entre elle et la dent qui précède, ou même des
deux côtés.
Mieux vaut que le liquide soit injecté entre la dent à extraire et
les gros troncs nerveux. Mais on conçoit que la chose ne soit pas
toujours aisée, spécialement quand il s'agira d'extraire la dent de
douze ans inférieure ou la dent de sagesse. On sera bien obligé, dans
ce cas, de faire la perforation entre la dent à extraire et celle qui
la précède. Le résultat n'en est pas moins concluant.
Avant d'opérer, faire laver la bouche du malade avec une solution
antiseptique légère et passer sur le lieu d'élection un tampon imbibé
dune solution plus forte. Passer dans la seringue de l'eau bouil-
lante et soumettre le foret et la canule à une ébullition de quelques
minutes.
Le tube de l'ampoule est alors brisé, et la seringue est remplie de
solution anesthésique stérilisée et tiédie.
Ces précautions antiseptiques prises, on repère de l'index gauche
le point délection sur la muqueuse, et on applique aussitôt et délibé-
rément sur ce point le foret en rotation rapide. Il est bon de main-j
tenir autant que possible le foret dans une position perpendiculaire
à la surface de l'os. Le tissu compact offre une résistance plus ou
moins grande selon la région, mais qu'une pression légère suffit pour
vaincre, et le foret entre brusquement dans un tissu mou.
Le foret est retiré. La seringue est alors maintenue entre l'index
et le médius et la pointe de la canule introduite dans la muqueuse à
la recherche de l'orifice osseux. Du côté palatin, cet orifice est immé-
INJECTION DIPI.OiQUE.
305
(liatement trouvé. La canuley est alors placée et fortement enfoncée.
On sent qu'elle vient ainsi obturer le pertuis osseux.
Du côté vestibulaire, nous l'avons dit, la mobilité de la muqueuse
Fig. 88. — Seringue et canules du D' Nogué.
peut rendre la recherche de cet orifice un peu laborieuse parfois. Le
mieux, dans ce cas, c'est de reprendre le foret et de le faire repasser
par les mêmes voies. L'orifice osseux est ensuite immmédiatement
trouvé.
Quand Texlrémitéde la canule ferme bien l'orifice osseux, le piston
est poussé doucement avec
la paume de la main ou le
pouce.
Si la perforation est par-
faite, le liquide pénètre alors
dans le tissu spongieux de
l'os, dans le diploé, comme
il pénétrerait dans une cavité
réelle.
La canule est alors retirée.
Instantanément, pour ainsi
dire, l'anesthésieestabsolue.
Aussi tôt après cetteinjection,
une grosse molaire des plus solidement implantée, dont la luxation
nécessitera les plus grands efforts, peutêtre extraite sans la moindre
douleur.
Mieux vaut cependant attendre deux à trois minutes avant d'opérer.
Nous avons employé comme substance anesthésique les sels de
cocaïne (phénate, chlorhydrate, thymolate), la stovaine, l'eucaïne,
avec ou sans adjonction d'adrénaline.
Fig, 89. — Maxillaire supérieur injecté de 2
cent, cubes de liquide. Le sommet des
racines émerge (Ch. Cavaroz).
Traité de stomatologie.
VI. — 20
306
NOGUÉ. — ANESTHÉSIE.
Les doses maxima ont été de 1 centigramme pour la cocaïne et
reucaïne et de 2 centigrammes pour la stovaïne. Nous nous en
Fig. 90. — Maxillaire inférieur injecté
de 2 cent, cubes de liquide. Le niveau
supérieur de la solution n'atteint pas
le sommet des racines ^Ch. Cavaroz).
Fij;. 91. — Maxillaire inférieur injecté de-
5 cent, cubes de liquide. Le sommet
des racines baijjne dans la solution
(Ch. Cavaroz).
sommes généralement tenu à des doses moitié moindres : 5 milli-
grammes de cocaïne ou 1 centigramme de stovaïne, dilués dans 2 cen-
timètres cubes de véhicule.
L'emploi d'une quantité assez considérable (5 ou 6 centimètres
cubes) de solution faiblement
titrée est une condition favo-
rable au succès de l'injection
diploïque, ainsi que nous l'ont
prouvé à la fois l'observation
clinique et l'examen aux rayons
de Rœntgen de pièces anato-
miques injectées.
Cliniquement Cavaroz avait
observé ce fait qu'une injection
de 1 centimètre cube de solu-
tion était parfois insuffisante
pour produire l'analgésie, tan-
dis qu'avec une quantité de 4 centimètres cubes cette dernière appa-
raissait à coup sûr.
En cas d'insuccès, on pouvait incriminer ou la trop faible dose de
sel anesthésique injecté, ou la quantité insuffisante de liquide
employé. C'est la seconde hypothèse qui est la vraie.
Une explication de ce fait a été donnée par l'examen radio-
scopique de maxillaires injectés à l'acétate de plomb (1). Le liquide a
tendance à se diffuser dans la totalité du maxillaire, quelle que soit
la quantité injectée, et à s'accumuler dans les parties les plus déclives.
11 s'ensuit que, dans la plupart des cas, une quantité de 1 ou 2 cen-
Fig^. 92. — Maxillaire supérieur injecté de
3 cent, cubes de liquide. La solution bai-
gne le sommet des racines (Ch. Cavaroz),
(1) Ch. Cavaroz, loc. cit.
INJECTION DIl'LOÏQUE. 307
limèlres cubes de solulion n'arrive pas à baigner l'apex des
racines et, par conséquent, à produire Tanesthésie, malgré un titre
élevé de cette solution, tandis que 1 ou 5 centimètres cubes d'ime
solution à 1 p. 200 ou 1 p. 300 atteignent ou dépassent Textrémité
radiculaire des dents et réalisent toujours une analgésie parfaite.
Le grand reproche qu'on a fait à cette méthode, c'est d'exposer le
maxillaire à l'infection. Bien que ce reproche paraisse parfaitement
légitime, force est de se rendre compte que, dans la pratique, il ne se
trouve pas justifié. Sans en donner la raison, nous avons déjà insisté
sur ce phénomène en apparence si paradoxal. Nous ne sommes pas
seul d'ailleurs à affirmer celte sorte d'immunilé dont jouit le maxil-
laire. Le D' Cavaroz, dans sa thèse, la signale excellemment : « Une
fois de plus, dit-il, l'expérience praliqvie vient mettre en défaut la
théorie, et nous ne pouvons mieux répondre à cette objection qu'en
lui opposant notre statistique de 1 200 cas, dans lesquels nous n'avons
pu noter l'apparition du moindre trouble infectieux. Il y a là autre
chose qu'une suite de coïncidences heureuses; mais si nous voulons
chercher la raison de cette immunité, les difficultés commencent.
Il parait peu probable que les précautions antiseptiques prises avant
la perforation du maxillaire soient suffisantes pour supprimer toute
inoculation de germe pathogène; au maxillaire inférieur, nolammenl,
où il est impossible d'éviter le contact de la salive, ces précautions
pré-opératoires sont vraisemblablement illusoires. Quelquefois
même, nous avons vu exécuter l'injection diploïque dans des condi-
tions d'asepsie tout au moins douteuses, sans qu'il en soit résulté le
moindre accident; enfin, dans un but expérimental, nous avons
pratiqué sur nous-mème une injection diploïque pendant la conva-
lescence d'une angine, c'est-à-dire dans de mauvaises conditions
opératoires et une muqueuse fatalement septique. Dans ce cas,
comme dans les autres, nous n'avons remarqué aucun symptôme
d'infection. «
Il nous faut donc admettre, faute d'une hypothèse plus satisfai-
sante, que les deux maxillaires participent aux qualités bien connues
de la muqueuse qui les recouvre, et qui sont : une résistance
supérieure à l'envahissement microbien et une activité remarquable
des processus de cicatrisation.
Une observation qui nous avait beaucoup frappé, c'est l'absence
pour ainsi dire complète d'accidents syncopaux pendant l'anesthésie
diploïque, malgré qu'elle nécessite une intervention plus importante
que les simples piqûres de l'anesthésie gingivale. Nous avions émis
l'hypothèse que, dans le tissu spongieux de l'os, l'absorptionétait plus
lente que dans les autres tissus. Le D'' Cavaroz, frappé des mêmes
faits, a eu le mérite de démontrer par des expériences que l'absorption
des médicaments était en effet dans le diploé beaucoup plus lente. 11
eut pour cela recours à des injections de bleu de méthylène. Chez un
308 NOGUÉ. — ANESTHÉSIE.
sujet de bonne volonté, il pratiqua une injection intramusculaire de
1 centimètre cube d'une solution de bleu à 2 p. 100, et il nota le mo-
ment du début de Télimination par les reins, ainsi que la durée de cette
élimination. Quelques joursaprès, il injecta la même dose de bleu dans
lediploédu maxillaire supérieur, et il observa un retard dans l'appari-
tion du bleu dans les urines et une durée plus longue de l'élimina-
tion. Celte expérience répétée sur lui-même donna les mêmes résul-
tats. De ces deux observations il ressort que l'apparition du bleu de
méthylène dans les urines des sujets en expérience s'est faite, dans les
cas d'injection diploïque, environ trois quarts d'heure plus tard que
dans le cas d'injection intramusculaire. De même la durée d'élimi-
nation de l'injection diploïque dépasse, dans la première observation
de treize heures, dans la deuxième de neuf heures, le temps d'élimi-
nation de l'injection intramusculaire.
Injection distale. — L'injection distale, préconisée par le
D'' Pôlet, consiste à faire pénétrer le liquide en même temps dans le
ligament et dans le diploé, en enfonçant laiguille dans la cloison
osseuse interalvéolaire. Elle est basée sur les considérations anato-
miques suivantes : a. le fdet dentaire entre distalement dans la racine,
sauf peut-être pour la canine supérieure et parfois pour la première
prémolaire supérieure ; b. il y a entre la racine et l'alvéole un liga-
ment plus ou moins facile à pénétrer et à saturer de liquide, lequel
ne peut alors fuser que d'un côté, vers l'apex ; c. la surface des
maxillaires présente des canaux, des pores, des fissures, des lamelles
osseuses fines, faciles à percer : par là le liquide peut être poussé
soit vers le filet dentaire, soit vers la moelle osseuse, et par cette
dernière voie anesthésier tout le maxillaire ; d. l'interstice qui se
trouve entre les molaires, surtout inférieures, n'est constitué que par
très peu de substance osseuse.
Il est nécessaire d'employer une seringue très forte et des canules
extrêmement minces. L'injection est faite du côté distal. Cependant
^L Pôlet ne fait pas de ceci une règle absolue ; parfois, dit-il, on
réussit mieux en faisant l'injection mésiale : par exemple, si la dent
antérieure a été extraite ou s'il y a un plus grand espace entre les
dents. Pour les troisièmes molaires, on la fera mésiale ainsi que
pour la canine supérieure. Donc l'injection se fait distalement, c'est
la règle, d'où le nom de la méthode, et mésialeraent par exception.
L'endroitoù doit se faire l'injection étant choisi, on pousse un peu
Je liquide dans la gencive contre le collet de la dent, entre celle-ci
et sa voisine. On retire la seringue, et, la saisissant à pleine main,
sans injecter, on cherche dans l'espace proximal l'endroit par où la
canule entrera le plus profondément, et la seringue étant parallèle à
à l'axe de la dent, on injectera lentement une quantité de liquide
variant suivant le degré et la durée de l'anesthésie recherchés.
La canule entrera d'unelongueur variantenlreO'='",5et 1 centimètre,
AKESTHESIE SECTIONNELLE OU REGIONALE. 309
parfois 12 millimètres ; elle pénètre ainsi soit dans le ligament, soil
dans le tissu conjonclif, là où une extraction a été antérieurement
pratiquée, soit dans un des nombreux pertuis osseux de cette
région.
Dans le cas très rare d'un sujet hypercalcifié, la canule rencontre
une résistance telle qu'elle ne peut pénétrer. M. Pôlet conseille alors
de la faire passer sous la gencive et de la pousser très haut entre la
gencive et l'alvéole, en pressant énergiquement la muqueuseet en la
massant avec l'index droit,
L'anesthésie est obtenue 1res rapidement. D'après le D' Pôlet, dans
50 ou 60 p. 100 des cas, relï'et serait foudroyant. La durée moyenne
de l'insensibilisation est de trente à quarante minutes.
La zone anesthésiée intéresse rarement une seule dent : ordinai-
rement deux, trois ou quatre dents sont insensibilisées, parfois
même six. Dans des cas tout à fait exceptionnels, on obtient une
anesthésie se propageant à tout le maxillaire.
Le D' Pôlet formule ainsi les indications de sa méthode : 1° pour
les opérations chirurgicales portant sur une partie limitée des maxil-
laires, il faut, outre l'injection distale, faire des injections dans la
gencive> On peut opérer ainsi des kystes paradentaires, des tumeurs
bénignes, des nécroses étendues, faire des résections de l'apex ;
2" le traitement des fractures du maxillaire; 3° l'hyperesthésie denti-
naire ; 4" l'écartement des dents ; 5" le redressement chirurgical ;
dans ce cas cependant, il faut ajouter à l'anesthésie distale l'injection
gingivale ; Q" la pulpectomie ; 1" la désobturation des dents ;
8" l'extraction.
ANESTHÉSIE SECTIONNELLE OU RÉGIONALE.
L'anesthésie sectionnelle, encore appelée anesthésie régionale,
consiste à porter le liquide anesthésique non plus au contact des
filets terminaux du nerf, mais bien sur un point de son trajet, de
telle sorte qu'en ce point se produise une véritable section physio-
logique de ce nerf. Cette anesthésie régionale avait déjà été notée
par van Aurep, Laborde et Charpentier en 1880. Mosso avait obtenu
également la paralysie du diaphragme, en appliquant une solution
de cocaïne à 1 p. 10 sur le trajet des nerfs phréniques.
Des observations faites déjà en 1886 par Feinberg, en 1887 par
Corning, et à peu près vers la même époque par François-Franck,
avaient permis de remarquer que le contact direct d'une solution de
chlorhydrate de cocaïne avec un tronc nerveux déterminait l'abolition
des propriétés fonctionnelles du nerf dans un espace de temps assez
restreint : au bout d'environ huità dix minutes, l'excitabilité du nerf
(1) M. Pôlet, Comm. faite à la Société belge de stomatologie, 18 juillet 1909.
310 NOGUE. — ANESTHESIE.
était complètement annulée, la sensibilité disparaissant avant la
motilité quand il s'agit d'un nerf mixte. L'effet s'étend environ dans
une zone de 1 à 2 centimètres au plus, à partir du point de
contact de la solution de cocaïne avec le nerf et, au bout d'un certain
temps, en général une demi-heure à trois quarts d'heure, le retour
complet à l'état primitif, ]a reslitiitio ad inlegrum, se fait dune façon
absolument parfaite. La durée de celte abolition de la conductibilité
<lu tissu nerveux est donc, en somme, assez courte; c'est seulement
pendant une vingtaine de minutes qu'elle est suffisante pour qu'on
puisse compter sur elle et pratiquer une opération.
Cette méthode a surtout été étudiée, en France, par François-,
Franck, qui a publié, en 1892, dans les Archives de physiologie, une
étude extrêmement intéressante et remarquable dans laquelle il a
montré qu'on pouvait se servir de ce procédé comme moyen équi-
valent à une section temporaire du nerf pour l'étude physiolo-
gique. Nous en avons parlé, d'ailleurs, quand nous avons exposé
en vertu de quel mécanisme l'anesthésie, l'insensibilisation par la
cocaïne, peut être obtenue par l'intermédiaire de son action sur le
tissu nerveux.
Ces observations de Feinberg et de Corning ont été reprises par
des chirurgiens divers, entre autres par Oberst (de Halle), qui, le
premier, a fait usage de cette méthode ; puis ensuite par Krogius
(deHelsingfors), enfin par Braun (de Leipzig), qui, dans ces dernières
années, a publié une très intéressante série d'observations relatives
à des opérations pratiquées à l'aide de ce procédé.
La solution qui sert dans ce cas est une solution faible dont le titre
ne dépasse pas 1 p. 100. Il est important défaire cette injection après
qu'on a pratiqué une ligature de la partie qu'on veut arrivera anes-
thésier, et cette injection se fait, naturellement, en aval de la liga-
ture. On injecte alors d'un quart à une demi-seringue, à quatre
reprises et en quatre points opposés du membre qu'on veut anes-
thésier, de manière à éliminer les anastomoses nerveuses périphé-
riques. Dans ces cas il s'agissait, en général, au moins au début,
d'obtenir l'anesthésie d'un membre de petit volume, d'un doigt, d'un
orteil, de la verge, par exemple : on circonscrivait, en quelque sorte,
le membre sur lequel devait porter l'opération par une zone d'anes-
thésie ainsi délimitée, et, au bout de quelques minutes, l'anesthésie
était suffisante pour qu'on pût pratiquer une opération, l'amputation
d'un doigt, d'un orteil, une opération d'ongle incarné, par exemple,
ou une opération sur la verge. Dans ces conditions, l'anesthésie ne
dure qu'autant que l'afflux du sang est arrêté par la ligature.
L'avantage de cette méthode, c'est que, grâce à l'ischémie préalable
«léterminée par la ligature (ligature qui, dans l'espèce, peut être
pratiquée, soit à l'aide d'une sonde de caoutchouc roulée une fois
ou deux autour du membre, soit avec un simple anneau de caoutchouc
ANESTIIESIE REGIONALE. :5I1
iruinliamolre un peu moins considérable que celui du membre sur
lequel on veut pratiquer ropérationi, on obtient une anesthésie
absolue de toute la région innervée par le nerf au voisinage duquel
on a pratiqué l'injection, et on arrive, précisément à cause de Taction
t^xercéepar la solution de cocaïne sur des troncs nerveux relativement
un peu considérables, à éliminer en quelque sorte les réflexes péri-
phériques sensitifs et à pouvoir pratiquer une opération qui, au
premier abord, aurait pu paraître impraticable avec la seule solution
de cocaïne.
j\Iais cette méthode, qui jusqu'alors était réservée en quelque sorte
pour des opérations relativement de petite importance, fut étendue
par Manz. Ce dernier, en effet, montra que, lorsqu'on avait la chance
de rencontrer des troncs nerveux situés d'une façon relativement
superficielle à la périphérie d'un membre, on pouvait arriver très
bien à pratiquer des opérations assez importantes, à l'aide de ce
procédé d'aneslhésie régionale. Il montra, par exemple, qu'on pouvait
anesthésier la main en pratiquant au voisinage de l'articulation du
poignet des injections de cocaïne, et qu'on pouvait aussi arriver à
une insensibilisation complète du périoste, ce que Reclus avait déjà
signalé d'ailleurs en pratiquant l'injection de cocaïne entre le
périoste et l'os.
Manz put obtenir 1 anesthésie régionale du pied : il pratiqua pour
cela une ligature élastique immédiatement au-dessus de la plaie et
fit des injections de la solution à 1 p. 100 par quart de seringue et par
demi-seringue au voisinage du nerf péronier profond, du nerf
péronier superficiel, du nerftibial, qui lui, en raison de son volume
•et de son importance, nécessita plusieurs injections. Ouarante-cinq
minutes après la première injection pratiquée, opération qui dura
une heure sans la moindre douleur : la quantité de cocaïne injectée
ne dépassa pas 2*^^,5. La sensibilité revint dans les orteils du pied
opéré environ deux à trois minutes après l'enlèvement de la ligature,
et c'est pour cela qu'il est nécessaire que la ligature soit assez serrée
pour déterminer une ischémie considérable.
Cette anesthésie régionale, déjà indiquée par les physiologistes,
basée sur l'effet paralysant de la cocaïne portée au contact du
tronc nerveux, devait être de plus en plus utilisée par les chirur-
giens.
Feinberg et Corning avaient appliqué, comme nous l'avons dit,
■ces notions à la clinique et obtenu, par l'injection d'une solution de
cocaïne à 1 p. 25, autour d'un nerf sensitif, l'anesthésie de toute la
région innervée. En 1893, Rossbach tente l'anesthésie laryngée en
injectant une solution de morphine au point de pénétration du
laryngé supérieur dans le larynx.
Cushing peut pratiquer la cure radicale des hernies en anesthé-
siantlesnerfsqui passent dans le canal inguinal, dans l'aponévrose du
312 NOGUÉ. — ANESÏHÉSIE.
grand oblique. Jaboulay, en 1901, après une injection de cocaïne
dans les deux branches principales du plexus brachial, fait une
désarticulation de Tépaule. Reclus intervient ainsi sur Tépididyme
et le testicule. Il tente en 1903, avec Chevassu et Sauvez, l'anesthésie
du dentaire inférieur. Hall et Halstedt, en 1905, agissent de même
pour le nerf sus-orbitaire et le dentaire inférieur. En 1906, Nogué
précise la technique de l'anesthésie du dentaire inférieur au niveau
deTépine de Spix. Pageix fait sa thèse inaugurale sur le même sujet
et rapporte de nombreuses observations personnelles et d'intéres-
santes expériences. Viereck et Braun cherchent à obtenir l'anesthé-
sie laryngée en injectant la cocaïne vers le laryngé supérieur, anes-
thésie réalisée par Frey (de Berne) Chevrier et Cauzard (1).
Anesthésie par injection intratronculaire du nerf. — L'in-
jection dans le tronc nerveux lui-même détermine plus nettement
que l'injection périneurale l'analgésie du territoire innervé, la sec-
tion physiologique du nerf. Le D"" G.-W Grile (de Cleveland) la
pratique à l'aide d'une seringue de Pravaz, chargée d'une solution
de cocaïne à 1 p. 100. Jaboulay a utilisé la même méthode en 1901.
Si Ton veut obtenir un eflet immédiat sur un gros tronc, il faut faire
plusieurs piqûres voisines l'une de l'autre dans l'épaisseur du nerf.
En général, cependant, une pareille précaution n'est pas nécessaire,
la cocaïne diffusant très rapidement dans la substance nerveuse. Le
plus souvent même il suftit de faire pénétrer la cocaïne sous la gaine
conjonctive du tronc.
Sur le membre inférieur, on obtient l'anesthésie en « bloquant »
ainsi les trois principaux troncs nerveux qui l'innervent : le fémoro-
cutané externe, que sa situation superficielle rend aisément acces-
sible ; le crural, que l'on trouve près de l'artère fémorale, et le
sciatique, que l'on pique au niveau du pli fessier.
Quand l'opération doit porter sur la région innervée parle cubital,
on peut aisément bloquer ce nerf à son passage dans la gouttière
épiti'ochléo-olécranienne. Pour ce faire, il suffit de pratiquer deux
injections : la première sous-cutanée qui prépare la voie, et la se-
conde profonde, poussée dans l'intimité même du tronc nerveux. Au
bout d'une dizaine de minutes, on peut constater l'existence, dans le
domaine du cubital, d'une anesthésie complète permettant d'exécuter
une opération quelconque sans éveiller la moindre douleur.
L'anesthésie régionale présente sur l'anesthésie locale un certain
nombre d'avantages très marqués. Elle permet, en premier lieu,
avec des doses médicamenteuses faibles, d'obtenir un champ anes-
thésique très étendu; elle évite les piqûres de la région opératoire,
piqûres qui s'accompagnent souvent d'une hémorragie gênante et
déterminent par le liquide injecté un œdème plus ou moins considé-
(1) D'" FnANcis MuNcn, Lettres d'Amérique {Semaine méd., 29 avril 1903),
ANESTHESIE REGIONALE. 313
rable. Enfin elle permet d'éviler toute injection dans les tissus
enflammés et, par suite, épargne de ce fait au patient une douleur
toujours vive et trop souvent sans utilité.
Anesthésie régionale en stomatologie. — L'anesthésie régio-
nale, applicable en stomatologie, est susceptible de rendre les plus
grands services. Chacun des troncs nerveux innervant un groupe
de dents peut être anesthésie et, pour chacun d'eux, la technique
sera difïérente. Quelques considérations anatomiques permeltronl
de comprendre la raison des diverses méthodes préconisées. M. Guido
Fischer nous a récemment donné du trajet de quelques-uns de ces
troncs une description excellente, à laquelle nous ne saurions rien
ajouter (1).
Considérons d'abord la partie extérieure et postérieure dans
l'échafaudage osseux de la mâchoire supérieure ; bien au-dessus des
racines des molaires, on remarque certaines ouvertures [foramina)k
travers lesquelles pénètrent les gros nerfs et les vaisseaux. Derrière
la fosse ptérygoïde, le nerf maxillaire envoie une quantité de petits
nerfs, les nerfs alvéolaires supérieurs postérieurs, dans la portion
alvéolaire du maxillaire supérieur, pour s'étendre sur la mince paroi
intérieure de la tubérosité et de l'antre, jusqu'aux molaires et en
partie aussi jusqu'aux prémolaires.
Comme pendant de celte innervation de la portion alvéolaire
postéro-externe, on trouve à l'intérieur, du côté du palais, à la hau-
teur de la dernière molaire (cela varie suivant l'âge du sujet), en
l'absence de toute dent, c'est-à-dire à peu près à 0'^'",5 devant la
tubérosité de la portion alvéolaire du palatin, on trouve une vaste
ouverture, le canal palatin postérieur, par lequel le nerf palatin
arrive sur la surface intérieure de la partie dure du palais, pour
s'étendre là jusqu'à la région des dents antérieures.
Nous avons ainsi, dans la partie postérieure de l'os alvéolaire, deux
plexus nerveux caractéristiques, l'un extérieur buccal, l'autre inté-
rieur palatin, dont les attaches sont facilement accessibles et d'une
importance capitale poui- l'anesthésie des molaires supérieures.
La partie antérieure du maxillaire supérieur est dominée de même
par un plexus nerveux intérieur et extérieur, facilement accessible :
le plexus sous-orbitaire avec les nerfs alvéolaires supérieurs anté-
rieurs dans la région du trou sous-orbitaire, sur la surface antérieure
de l'os alvéolaire et, du côté palatin, le canal palatin antérieur avec
le nerf naso-palatin. Celui-ci se démêle dans la région des prémo-
laires, s'anastomosant souvent avec le nerf palatin antérieur. Cet
ensemble de nerfs innerve les dents supérieures antérieures jusqu'à
la région des prémolaires. Ces dernières ont des relations des deux
côtés, car elles sont situées au milieu du plexus qui unit le secteur
(1) Guino Fischer, L'anesthésie locale en odontologie (Odontologie, 30 nov. 1910).
314 NOGUE. — ANESTHESIE.
poslérieur de la cavité palatine au secteur antérieur et au naso-
palatin.
Pour anesthésier les molaires, M. Guido Fischer injecte dans la
muqueuse, au-dessus de la seconde molaire, un peu au-dessous du pli
de la joue ; peu à peu, on pénètre jusqu'au périoste, on parvient
jusqu'à la région la plus haute de la tubérosité maxillaire (à l'aide de
la partie de la seringue recourbée en forme de baïonnette), et seule-
ment lorsque l'aiguille, longue de 42 millimètres, a disparu dans la
profondeur du maxillaire supérieur, on injecte 1 à 2 centimètres
cubes de solution.
Du côté palatin, à environ (>"\5 devant la tubérosité, au-dessus
de la molaire qui se trouve être la dernière, la muqueuse forme une
légère dépression; dans ses profondeurs, sur le toit du palais, se
trouve le canal du palatin postérieur déjà nommé. De cette cavité de
la muqueuse, on fait disparaître dans la profondeur la courte
aiguille, inclinée légèrement vers l'os alvéolaire, et là on injecte
seulement environ 0",25 de la solution. Il ne faut pas employer
de plus grandes quantités en raison de la rapidité de l'absorp-
tion et de la diffusion dans la muqueuse du pharynx, car on pour-
rait alors déterminer de la difficulté de déglutition. Jusqu'à la
première molaire, au bout de huit à dix minutes, l'anesthésie de la
partie alvéolaire postérieure est complète.
Dans les périostites et dans les opérations plus difficiles (résec-
tions de racines par exemple), l'anesthésie d'interruption {Leitungs-
ameslhesie) est également indiquée ; elle se fait dans la fosse canine
pour insensibiliser les nerfs alvéolaires supérieurs antérieurs et en
partant du canal palatin antérieur pour supprimer le nerf naso-pala-
lin. Dans la fosse canine, l'enveloppe alvéolaire est très tendre et
reçoit avec intensité la diffusion de la solution.
L'injection dans la fosse canine ne va pas au début sans difficultés,
et il est bon de lâter le bord infra-orbitaire sur lequel débouche le
canal sous-orbilaire, de comprimer avec le troisième doigt de la main
gauche; en même temps, avec le pouce de la même main, on sépare
la lèvre du maxillaire; puis, à peu près à la hauteur de l'extrémité de
la racine de la canine, on injecte dans le pli de la joue, tout près de
la musculature de la lèvre, et on avance obliquement vers le haut et
en arrière. Lorsque la canule (longue de 42 millimètres), dirigée vers
le bord infra-orbitaire, est arrivée sous le bout du doigt qui la com-
prime, on déverse 1 à 1",5 de solution. Du côté palatin, on incline
la canule parallèlement à l'étendue des racines à extraire en pro-
fondeur, pour en déverser partout quelques gouttes.
Les prémolaires, qui sont innervées par les ramifications des deux
})lexus nerveux, méritent une attention spéciale.
Dans le cas où elles doivent être seules anesthésiées, il est bon
d'enfoncer l'aiguille à l'extrémité de la racine; on injecte 0", 5.
ANESTHÉSIE DU NERF MAXILLAIRE SUPERIEUR. 315
Pour les dents et les racines isolées du maxillaire supérieur, on
peut éviter la mélhode de Tanesthésie de ditïusion ou d'interruption
{diffusion ariiet/iesie, Leitungsanœsthesié) . On injecte au-dessus de
l'apex de la dentà insensibiliser tlansla sous-muqueuse [Sitbiisukosa)
o[ en même temps on pénètre avec une courte canule jusqu'au pé-
riosle.
La seringue est toujours orientée de telle sorte que Ton parvienne
.^autant que possible en avançant jusqu'à la région de l'extrémité de la
racine de la dent à insensibiliser. Du côté palatin, on injecte, en
iivançant avec précaution le long de la racine, jusqu'à son extré-
mité, environ la moitié de la quantité employée du côté vesti-
bulaire. Dans Tanesthésie terminale (anesthésie de la muqueuse), la
seringue est munie d'un ajutage spécial et d'une longue canule,
s'il faut aller plus avant dans le périoste et insensibiliser plusieurs
dents, ou de l'ajutage plus court et d'une canule courte si l'aiguille
ne doit être plongée qu'un peu en profondeur. Au bout de huit
il dix minutes environ, on peut espérer l'anesthésie complète. La
place où se fait l'injection est choisie de telle sorte qu'on approche la
«anule du triangle de la muqueuse à la hauteur du plan de trituration
des molaires; pour les enfants et les adolescents, on la pousse en
arrière ; en même temps, on incline légèrement l'aiguille; pour les
vieillards, on redresse un peu la canule, longue de 42 millimètres.
En outre, dans la muqueuse buccale, dans le voisinage des papilles
des dents à insensibiliser, on met un dépôt d'injection d'environ 0", 5,
•combinant ainsi l'anesthésie d'interruption et l'anesthésie terminale.
Anesthésie du nerf maxillaire supérieur. — Pour atteindre
le tronc même du nerf, (^hevrier conseille d'emprunter la fenle
■sphéno-maxillairc. Elle est à la limite supérieure de l'arrière-fond
•de la fosse ptérygo-maxillaire et laisse apercevoir à son extrémité
postéro-interne le trou grand rond par lequel le nerf sort du crâne.
Sous la membrane fibreuse qui forme cette fente sur le vivant,
séparant complètement l'orbite de l'arrière-fond de la fente ptérygo-
maxillaire, le nerf maxillaire supérieur donne la plupart de ses
branches collatérales, dont les nerfs palatins, les rameaux dentaires
postérieurs et le filet orbito-lacrymal, avant d'entrer dans la gout-
tière sous-orbitaire ; il s'offre pour ainsi dire à nu tout entier à
un instrument qui perforerait la membrane en passant par l'orbite.
L'artère maxillaire interne est au-dessous de lui, à petite distance
•de la membrane sphéno-maxillaire.
Si laiguille pénètre par la partie externe la plus large, elle est
assez éloignée du nerf; elle doit de préférence perforer la membrane
sphéno-maxillaire près de la gouttière sous-orbitaire. Arriver à ce
point précis, à 1 ou 2 millimètres près, en passant par l'orbite, est
chose aisée et sans danger.
Après avoir exploré le pourtour osseux inférieur et externe de
316
IS'OGUE. — ANESTHÉSIE.
l'orbite, très facile à sentir, faire pénélrer laiguilie dans la peau,
à 10 ou 12 millimètres en dedans de l'angle inféro-externe arrondi,
suivant qu'on voudra atteindre la région des nerfs dentaires posté-
rieurs ou le tronc du maxillaire supérieur lui-même. L'aiguille doit
évoluer constamment dans un plan anléro-poslérieur : on est fixé
exactement sur sa direction par V orifice de son pavillon, qui doit tou-
jours regarder directement en avant. L aiguille suivra exactement
de la pointe le plancher osseux de l'orbite. Comme celui-ci est des-
cendant près du pourtour antérieur, elle sera d'abord oblique en bas
et en arrière : à mesure qu'elle s'enfonce au contact du plancher
osseux, elle devient plus horizontale. A un moment donné, quand
elle est entrée d'une certaine longueur, le sol osseux semble lui
manquer, et le doigt qui la pousse sent qu'elle pénètre en tissus mous ;
elle vient de traverser la membrane sphéno-maxillaire. Il suffit de
pousser le liquide; il ira fatalement entourer le nerf.
Techmoue du D'- Mlnch. — Le lieu d'élection indiqué par le
V) Munch se trouve sur le
bord inférieur de l'arcade
zygomatique, à l'intersec-
tion de ce bord avec la ver-
ticale qui prolonge inté-
rieurement le bord posté-
rieur toujours nettement
perceptible de l'apophyse
orbilaire externe de l'os
malaire. Après désinfection
du territoire cutané, on in-
sensibilise la peau superfi-
ciellement. On enfonce en-
suite l'aiguille montée sur
la seringue perpendiculai-
rement à la région ; puis
aussitôt qu'on a traversé
les téguments, on incline,
la pointe, en haut et en
dedans, en visant le plan qu'affleure l'extrémité inférieure des os
propres du nez. A 5 centimètres de profondeur, on rencontre le nerf
maxillaire supérieur à son émergence du trou grand rond, au pla-
fond de l'arrière-fond de la fosse ptérygo-maxiîlaire.
Après le retrait de l'aiguille, il s'écoule parfois quelques gouttes
de sang. La piqûre ne laisse pas de cicatrice.
En principe, on cocaïnisc au fur et à mesure le trajet que suit l'ai-
guille. Mais, en réalité, lorsque la peau a été préalablement insensibi-
lisée, on peut avancer assez rapidement jusqu'à 4 centimètres de pro-
fondeur. Les organes que traverse l'instrument jusqu'à ce point ont en
Fig. 93. — Point délectionpour linjection.
AM-STIlÉSIli; PAR LA VOIE NASALE. 317
effetune scnsibilitt'; très allrnurc : ce sont les muscles raasséleret
temporal ainsi ({iie la bonlo graisseuse de Bichat. D'aulre part il y a
avantage à restreindre autant quepossible la quantité de liquide que
Ton injecte: ce faisant, on évite Tœdème de la face et la contrac-
tion de la mâchoire qui s'observent parfois à la suite de l'opération
et qui peuvent persister pendant deux ou trois jours lorsqu'on a été
prodigue de la solution anesthésique. Dans le cinquième et dernier
centimèlre de trajet, il ne faut progresser que très lentement, à ce
niveau la région devenant très sensible en raison des nombreux
filets nerveux qui la parcourent.
En général, il suffit de 2 ou 3 centimètres cubes de solution pour
obtenir Tanesthésie : rarement on en injectera plus de 4. Lorsqu'on
est certain que la pointe de l'aiguille se trouve au bon endroit et que
néanmoins l'anesthésietardeà se produire, il estinutiledepousserde
nouvelles quantités de liquide dans les tissus : il faut savoir attendre.
Habituellement, au boutd'untempsvariant de dix à vingt minutes, elle
est suffisante pour que l'on puisse commencer l'opération. Souvent
elle s'annonce par des fourmillements et une sensation d'enflure ou
d'engourdissement au niveau de l'aile du nez ou de l'arcade dentaire
supérieure. Elle persiste environ une heure et demie, après quoi la
fonction nerveuse se rétablit progressivement.
Les écueils que l'on peut rencontrer au cours de l'injection s'évi-
tent aisément si l'on donne une bonne orientation à l'aiguille. Lors-
qu'on bute sur un plan osseux à 2 centimètres de profondeur, c'est
l'apophyse coronoïde du maxillaire inférieur que l'on rencontre ; un
peu plus loin, c'est l'apophyse ptérygoïde. En pareille occasion, il
suffit d'incliner l'aiguille en avant pour rectifier sa direction. Même
très développée, la tubérosité maxillaire est peu gênante, parce que
l'aiguille côtoie son bord supérieur.
Lorsqu'on se dirige trop en avant, on pénètre sous l'orbite par la
fente sphéno-maxillaire ; on s'en aperçoit à ce que l'aiguille chemine
jusqu'à 6 centimètres de profondeur avant d'être arrêtée par un plan
osseux.
Du côté des vaisseaux, on n'a guère d'accidents à redouter. L'artère
maxillaire interne occupe dans l'arrière-fond de la fosse plérygo-
maxillaire un plan très inférieur à celui du nerf maxillaire supérieur;
il ne semble pas que l'aiguille puisse jamais toucher cette artère.
Anesthésie des incisives et des canines par la voie nasale. —
Un procédé nouveau a été préconisé par Escat (de Toulouse),
basé sur les recherches anatomiques du D"" G. Clermont (1). Ces
recherches ainsi que les résultats obtenus méritent d'être cités en
détail.
(1) D. Clermont, Rapport du nerf dentaire antérieur avec le plancher nasal et la
pituitaire. — Escat, Anesthésie des incisives et des canines supérieures par voie
nasale (Bull, de laryngol., rhinol.^ etc.).
318
NOGUÉ. — ANESTIIÉSIE.
Tous les auteurs sont d'accord pour admettre que les incisives
et les canines supérieures sont innervées par les filets fournis par le
rameau dentaire antérieur, nervus naso-dentalis. C'est le
seul rameau qui naisse du maxillaire supérieur dans le canal sous-
orbitaire. Parfois assez volumineux, il part du nerf maxillaire supé-
rieur à 5 ou 6 millimètres (Sappey), à 10 ou 12 millimètres (Cruvei-
lliier dutrou sous-orbitaire, et il s'engage aussitôt dans un canal par-
ticulier, creusé dans le maxillaire. Ce canal a d'abord un trajet
horizontal, dirigé de dehors en dedans; puis brusquement il devient
vertical ; dans cette seconde portion, le canal présente des rapports
intimes avec le sinus maxillaire. 11 n'est pas rare de voir, en efl'et, ce
canal se transformer en sillon et le nerf dentaire être au contact
delà muqueuse du sinus. Enfin, parvenu un peu au-dessus du plancher
des fosses nasales, le canal change de nouveau de direction ; il décrit
une courbe dont la concavité regarde en haut et en dedans, et là
le nerf s'épanouit en un
grand nombre de filets,
dont les uns sont ascen-
dants, les autres des-
cendants (fig. 94).
Les filets ascendants
se réfléchissent de bas
en haut et vont se perdre
sur la muqueuse des
fosses nasales, près de
l'orifice inférieur du
canal nasal. Les filets
descendants sont au nom-
Fig. 94. — Rapports du nerf dentaire antérieur ^ " ."
avec le plancher nasal, mis en évidence par se détache au niveau de
lablation de la table externe du maxillaire }q DOrtion verticale et
supérieur. i , • ,
décrivant une anse a
SO, nerf sous-orbitaire : D. nerf dentaire anté- convexité inférieure, il va
neur; A, anastomose du nerf dentaire antérieur ,
avec le nerf dentaire postérieur. S anastomoser aveC le
nerf dentaire supérieur et
postérieur ; un second rameau se détache au niveau du point de
jonction de la deuxième et de la troisième portion du canal et,
continuant la direction verticale du nerf dentaire antérieur, il va à
la canine et quelquefois envoie aussi un filet à la première prémolaire ;
mais on voit plus souvent le filet destiné à la première prémolaire
naître de l'anse précédemment décrite ; Cruveilhier, Sappey font
innerver la première molaire par le nerf dentaire antérieur. Nous
avons consulté à ce sujet lesatlas d'Arnold, de Valenlin,d'Hirschfeld,
de Bourgery ; ces auteurs font naître le filet de la première prémo-
laire de l'anse anastomotique. 11 faut cependant faire remarquer
ANESTHESIE PAR LA VOIE NASALE. 319
que, pour constituer le plexus dentaire, ces divers filets nerveux:
h^'envoient des anastomoses, et certaines des fibres qui viennent de
la première molaire doivent se jeter dans le filet de la canine.
Enfin les deux autres filets se séparent au niveau du plancher de
la canine et, par un trajet légèrement oblique de dehors en dedans,
se rendent aux deux incisives. Ces quatre filets ne sont pas indé-
pendants, car dans l'épaisseur de Tos ils s'envoient réciproquement
des filets anastomotiques et constituent ainsi une partie du plexus
dentaire. En outre on sait que du plexus dentaire se détachent trois,
ordres de filets :
1° Des filets qui pénètrent dans les racines des dents ;
2° Des filets osseux qui se perdent dans le maxillaire ;
3" Des filets muqueux qui vont aux gencives.
Si, pour être complet, nous ajoutons que la muqueuse de la voûte
palatine correspondant aux incisives et canine supérieures est inner-
vée par des rameaux venant du nerf naso-palatin à sa sortie du
canal palatin antérieur, nous connaîtrons tous les filets nerveux qui
intéressent celte région.
Nous avons nous-même cherché à vérifier ces divers points four-
nis par les auteurs. Sur des pièces fraîches, décalcifiées par l'acide
formique, après ablation de la table externe, sur la face antérieure
du maxillaire, nous avons pu étudier le trajet et les rapports du nerf
dentaire dans son canal, le point d'émergence et la direction des
différents rameaux et préciser un certain nombre de détails, qui^
ainsi que nous le verrons plus loin, sont passés inaperçus.
Mais si, utilisant ces données anatomiques, nous voulons expliquer
l'action de la cocaïne, nous sommes vite arrêtés. Nous n'avons, en
etîet, jusqu'à présent trouvé, au contact de la muqueuse des fosses
nasales, que les filets ascendants du nerf dentaire antérieur ; or ces
deux ou trois ramuscules n'ont évidemment aucun rapport avec les
incisives et la canine. Comment la cocaïne atteint-elle le nerf
dentaire ? Et nous avons été ainsi amené à étudier le rapport du
canal dentaire avec la muqueuse du plancher des fosses nasales ;
les auteurs ne donnent à leur sujet aucun détail. Pour cela l'auteur a
fait des coupes des fosses nasales sur des pièces décalcifiées. J'ai
pratiqué, dit-il, presque uniquement des coupes sagittales, et j'ai
pu ainsi constater, non sans surprise, que sur toutes les pièces le
nerf dentaire antérieur n'était pas dans l'épaisseur de l'os, mais au
contraire très superficiellement placé. Sur la plupart des coupes, le
nerf était séparé de la pituitaire par une simple couche osseuse,
mais souventaussi le nerf était complètement à nu sous la muqueuse ;
il n'y avait donc pas, dans ce cas, un canal, mais un sillon.
Poussant plus loin ces recherches, nous avons examiné une série de
55 crânes (pris dans tous les âges).
Sur ces 55crânes, nous avons trouvé 29 fois (53 p. 100) le canal den-
320 NOGUE. — ANESTHÉSIE.
taire bien constitué, mais sa paroi supérieure était très mince, sou-
vent transparente, et se laissait facilement effondrer avec la pointe
d'un stylet ; 26 fois (47 p. 100), le canal était transformé en sillon ; il
est vrai qu'il reste parfois des ponts de substance osseuse qui réta-
blissent par endroits un canal. Nous avons trouvé d'ailleurs une
confirmation de ces divers points dans le savant ouvrage de
yi. Ledouble (1). « En arrière de la crête intermaxillaire, sur le
plancher osseux des fosses nasales, entre Fépine nasale antérieure et
inférieure et le canal incisif, on trouve assez souvent une crête
osseuse transversale, qui se perd en dehors, vers l'extrémité anté-
rieure du cornet inférieur, après avoir décrit une courbe dont la con-
cavité regarde en haut et un peu en dedans. Cette crête n'est rien
autre que la paroi supérieure d'un canal qui s'ouvre en dedans au
niveau des fosses nasales, en dehors dans le canal sous-orbitaire et
qui contient le rameau nasal du nerf dentaire et les vaisseaux qui
l'accompagnent. Quelquefois cette crête est percée d'un ou plusieurs
pertuis ou fendue dans toute sa longueur et, dans ce dernier cas,
représentée conséquemment par un sillon. »
Ces rapports étant parfaitement établis, l'explication des faits
cliniques exposés par Escat parait devenir très facile. En effet
nous savons maintenant que le tampon de cocaïne est 47 fois
p. 100 au contact presque immédiat du nerf dentaire. Sans
doute il faut tenir compte de la muqueuse épaisse, molle, très vascu-
larisée, très abondante. Dans 53 cas p. 100, il est séparé de lui par
une coque osseuse mince, et cette lame osseuse est sûrement
traversée par la cocaïne : la pratique courante enseigne en effet
qu'une injection de cocaïne poussée seulement sous la gencive
anesthésie la dent correspondante, et pour cela il faut que la cocaïne
traverse la table externe de la paroi alvéolaire. Et si encore on ajoute
que le nerf dentaire antérieur, dans son canal, est accompagné d'une
petite artère, branche de la sous-orbitaire et deux petites veinules
qui entrent en communication avec le réseau veineux profond de la
muqueuse, on admettra plus facilement que, par ces petits orifices
vasculaires, la cocaïne puisse atteindre le nerf.
11 se produit donc une véritable imprégnation du nerf dentaire
par la cocaïne, et cette imprégnation s'étend de l'émergence du fdet
de la canine sur le trajet de la troisième portion du nerf. Mais les
résultats obtenus par Escat nous montrent que, dans 80 p. 100
des cas, on constate non seulement l'anesthésie complète des inci-
sives et de la canine, mais encore une anesthésie incomplète de la
première molaire et de la première incisive du côté opposé. L'anes-
thésie légère de la première molaire se comprend aisément. Nous
avons vu en effet un filet nerveux de la prémolaire venir se jeter dans
celui de la canine. L'anesthésie de ce nerf explique l'anesthésie
(1) Traite des variations des os de la face de l'homme, 1906, p. 271.
ANESTIIESIE PAR LA VOIE NASALE. 321
incomplèle tle la prémolaire. Il en est de môme de la première
incisive du cùlé opposé ; les auteurs admettent qu'il y a échani^e de
fibres entre les plexus dentaires des deux côtés. En même temps
que l'aneslliésie de ces dents, on obtient celle de l'alvéole qui les
contient ; cela est dû aux filets nerveux et muqueux fournis par
le nerf dentaire antérieur. Cependant la muqueuse de la partie
postérieure des alvéoles correspondant aux incisives et canines
reçoit des filets du naso-palatin ; mais ce nerf est lui-même imprégné
par la cocaïne avant son entrée dans le canal palatin antérieur.
Dans 20 p. 100 des cas, le champ d'anesthésie complète s'étendait
aux quatre incisives et à la canine sous-jacente au tampon, l'anes-
thésie incomplète à la première molaire sous-jacente et à la canine
du côté opposé.
Dans ces cas, l'anesthésie porte sur presque tout le territoire des
deux nerfs dentaires antérieurs : or le tampon de cocaïne étant
séparé par la cloison du nerf dentaire antérieur du côté opposé, on
ne peut pas parler d'imprégnation des deux nerfs par contact direct
comme dans les cas précédents. Il ne faut pas penser évidemment
à une anomalie dans la distribution des filets nerveux, car vraiment
elle serait trop fréquente, et elle n'est rien moins que démontrée.
Si, sur un certain nombre de crânes, on pratique des coupes sagit-
tales à travers le plancher des fosses nasales et la voûte palatine,
assez près de la ligne médiane, on est frappé de la différence que
présentent ces diverses coupes dans leur structure; on peut rencon-
trer les trois dispositions suivantes : l" une mince couche de tissu
spongieux entre deux lames épaisses de tissu compact (type sclé-
reux) ; 2** une couche épaisse de tissu spongieux à mailles larges
constituées par des travées osseuses très fines, recouverte sur ses
faces supérieure et inférieure par une lame très mince de tissu
compact (type spongieux); 3° on peut décrire un troisième type mixte,
servant de transition.
En somme, cette classification est analogue à celle de Zuckerkandl
pour l'apophyse mastoïde ; et d'ailleurs n'est-il pas logique de
penser qu'une forme architecturale spéciale ne saurait se localiser
à une seule région du crâne ou de la face. Le type spongieux est le
moins fréquent : sur 55 crânes, il s'est rencontré 14 fois (26 p. 100).
Je crois que ce chiffre est à rapprocher du nombre des cas (20 p. 100)
où le champ d'anesthésie s'étend aux incisives et canines du côté
opposé : dans le cas de maxillaire déstructure spongieuse, la cocaïne
atteindrait le nerf dentaire sous-jacent, comme dans les cas précé-
dents, d'où l'anesthésie des incisives et canine du même côté. Mais
son action ne s'arrête pas là : grâce à la présence de minces travées
osseuses, de larges mailles, la cocaïne va diffuser à travers l'épaisseur
de l'os et atteindre ainsi non seulement le plexus dentaire sous-
jacent (ce qui est inutile, car le tronc nerveux lui-même est déjà
Traité de stomatologie. VL — 21
322 NOGUE. — AISESTHESIE.
anesthésié), mais encore la portion la plus rapprochée du plexus
dentaire du côté opposé : d"où l'anesthésie complète des incisives
et l'anesthésie légère de la canine.
En résumé, nous pensons que lanesthésie des incisives et de la
canine sous-jacentes à la fosse nasale garnie d'un tampon cocaïnisé
est due à l'imprégnation directe du nerf dentaire antérieur par la
cocaïne, imprégnation facile par suite de la situation très superfi-
cielle du nerf. Lanesthésie exceptionnellement constatée des
incisives et de la canine du côté opposé doit s'expliquer par la
(litTusion de la cocaïne dans l'épaisseur de l'os, diffusion rendue
possible par la structure spongieuse du tissu osseux, observée dans
26 p. 100 des cas.
Voici comment s'exprime le D'' Escat en exposant sa méthode
danesthésie (1) :
« Je ne saurais avancer que la méthode dont je vais parler n"a
jamais été exploitée en thérapeutique ou en chirurgie dentaire ;
mais je crois pouvoir affirmer, sans enquête préalable, que l'anes-
thésie de la région antérieure des fosses nasales n'est ignorée d'au-
cun rhinologiste.
« Il est, en effet, d'observation courante que les sujets soumis à
l'application d'un tampon d'ouate imbibé de solution forte de
cocaïne, en vue d'une opération endonasale (résection d'un éperon
duseptum,conchectomie antérieure, cautérisation galvano-caustique
de la tète du cornet, etc.), accusent une anesthésié des incisives et
de la canine sous-jacente à la fosse nasale anesthésiée.
« Comme la plupartde mes confrères en rhinologie, sans nul doute,
j'avais maintes fois observé ce phénomène sans m'y arrêter, ne soup-
çonnant pas le moins du monde le parti qu'on pourrait en tirer en
deniilion, et sans rechercher, bien entendu, les conditions physiolo-
giques de cette anesthésié, lorsqu'un fait des plus caractéristique
vint m'en révéler tout l'intérêt.
« Une jeune fille atteinte de rhinite hypertrophique se rend un jour
dans mon cabinet pour subir une galvano-cautérisation du cornet
inférieur.
w Ayant appliqué, suivant mon habitude, pour obtenir l'anesthésie
de la muqueuse piluitaire, une lame d'ouate imbibée de solution de
cocaïne à l p. 20 sur la surface du cornet inférieur, entre ce cornet et
la cloison, je prie la malade de vouloir bien patienter dans ma salle
d'attente pendant dix minutes environ, temps indispensable pour
obtenir l'anesthésie locale.
ce Elle me demande alors de ne point la faire atten dre trop longtemps,
car elle a hâte, me dit-elle, d'aller chez son dentiste faire soigner une
dent dont elle souffre horriblement.
«' Or, l'ayant fait attendre, contre mon intention, bien plus de dix
(1) Bull, de laryngologie, olologie el rhinologie, pr janv. 1907.
ANESTIIESIE l'AR LA VOIE NASALE. 323
minute», plus de quinze minutes assurément, je m'apprêtais à
m'excuser, lorsqu'elle me déclara, pleine de satislaction, que sa dou-
leur dentaire avait complètement disparu; ma cliente n'hésita pas
d'ailleurs à attribuer ce résultat à l'influence du tampon cocaïne que
j'avais placé dans le nez, car elle sentait toute la région périphérique
à la dent malade complètement anesthésiée.
« Avant de pratiquer la cautérisation du cornet, je voulus reconnaî-
tre la dent malade : c'était la deuxième incisive gauche, qui présen-
tait près du collet, sur son bord externe et sous forme d'échan-
crure, une lésion banale de carie.
« Je parvins l'acilement à limiter le champ de l'anesthésie, et je pus
constater qu'il s'étendait aux deux incisives et à la canine gauche,
ainsi qu'à toute la région gingivale correspondante.
« Dès ce jour, je pris soin, chez les sujets soumis à l'anesthésie
locale pour opération endonasale antérieure, de relever méthodique-
ment la topographie du territoire gingival anesthésié.
<< Voici les résultats de mes constatations :
« 1° L'anesthésie de la région gingivale sous-jacente à la fosse nasale
dont la région antérieure était garnie d'un tampon d'ouate, soit à
1 p. 10, soit à 1 p. 20, a été observée dans plus de 500 cas (1);
u 2° L'anesthésie n'a jamais été constatée avant un quart d'heure,
il partir du moment où le tampon de cocaïne était appliqué dans la
fosse nasale.
<' Le plus souvent, l'anesthésie n'apparaît qu'au bout de vingt mi-
nutes ;
" 3° L'anesthésie atteint son maximum au bout de trente minutes,
c'est là une règle absolue ;
« 4" Si, au bout de trente minutes, le tampon est enlevé, l'anesthé-
sie persiste complète pendant un quart d'heure, puis elle va décrois-
sant, pour disparaître au bout d'une demi-heure ;
u 5 " Sur les 500 cas observés, les limites précises du champ anes-
thésié n'ont été relevées que 46 fois :
« a. 37 fois, j'ai obtenu une anesthésié complète, comprenant les
deux incisives et la canine correspondante du côté anesthésié,
et une anesthésié incomplète de la première prémolaire du même
côté et de la première incisive du côté opposé (fig. 95).
u 6. Dans 8 cas, l'anesthésie complète s'étendait jusqu'aux deuxinci-
sives opposées, et l'anesthésie incomplète à la canine opposée (fig. 95) ;
Il c. Dans un cas seulement, l'anesthésie fut nettement croisée ; en
effet, l'anesthésie des deux incisives et de la canine opposée au
tampon fut complète.
(' Inversement, celle des trois dents symétriques sous-jacentes à la
fosse nasale anesthésiée fut incomplète (fig. 95).
(1) J'emploie la solution à 1 p. 20 pour les cautérisations du cornet inférieur et la
solution à 1 p. 10 pour la résection de la cloison et des cornets.
324
NOGUE.
ANESTHESIE.
« iNTEitpnÉT.vTiON. — Abstraclion faite du dernier type observé^
plusieurs hypothèses pouvaient expliquer le phénomène.
« 10 La plus simple était celle de Tinhibilion de proche en proche
par Tanesthésique, qui atteindrait les nerfs dentaires après avoir
franchi successivement la pituilaire, le périoste, la trame osseuse
du maxillaire supérieur et enfin les gaines lymphatiques qui enve-
loppent les filets nerveux. A cette hypothèse par trop simpliste, je
m'arrêterai peu.
« 2" La deuxième était celle de linhibition directe par la cocaïne
du tronc nerveux, dont les rameaux donnent la sensibilité aux inci-
sives et aux canines.
« Malheureusement les notions d'analomie classique étaient loin
de cadrer avec cette interprétation ; en effet :
« 1° D'une part, l'anatomie enseigne que l'innervation des incisives
Fig-. 95. — T, Tampon cocaïne placé dans la fosse nasale gauche ; A, dents com-
plètement anesthésiées ; a, dents incomplètement anesthésiées.
et de la canine supérieures est assurée par le rameau dentaire anté-
rieur que tous les Atlas d'anatomie descriptive représentent inclus
dans la trame du maxillaire et par suite sans rapport immédiat
avec la cavité nasale.
« 2° D'autre part, le seul nerf en rapport avec notre tampon, le
sphéno-palatin, qui rampe sous la muqueuse de la cloison, avant
de s'engager dans le canal palatin antérieur, ne fournit aucun
rameau dentaire et innerve simplement la face postérieure du rebord
rétro-alvéolaire.
« Avec ces seules données classiques, il était vraiment bien diffi-
cile d'expliquer l'anesthésie observée.
« Une troisièmehypolhèse, dont je ne me dissimulai pas la témérité,
mais justifiée dans une certaine mesure par les enseignements de la
tératologie, se présenta, à mon esprit: dans le bec-de-lièvre bilatéral
et complet, livré à sa libre évolution, les incisives supérieures,
supportées par l'os incisif, sont susceptibles de se développer. Ces
dents mêmes ne sont pas constamment débiles; comme les autres
dents, elles possèdent forcément des filets nerveux et trophiques.
« Or ces filets, d'où tirent-ils leur origine? Ils ne sauraient dépendre
du nerf sous-orbitaire, puisque l'os incisif est, dans le bec-de-lièvre
ANESTHÉSIE PAR LA VOIE NASALE. 325
complet, strictement isole de chaque côté des bourgeons maxillaires :
ils ne peuvent donc venir dans ce cas que du nerf sphéno-polatin, qui
innerve seul le bourgeon nasal.
« Hélait donc rationnel de se demander si Tanesthésie des incisi-
ves, consécutive à l'application d'un tampon cocaïne dans la région
antérieure de la fosse nasale, ne s'expliquerait pas par une ingé-
rence inconnue du nerf sphéno-palalin dans la constitution du
plexus dentaire.
« Le P' Cbarpy, à qui je fis part de cette hypothèse, estima
qu'elle commandait de nouvelles recherches anatomiques sur Fin-
nervation des incisives et de la canine supérieures et voulut bien
charger de ce soin M. Clermont, aide d'anatomie.
« Or, comme on va le voir, si les recherches très consciencieuses
de notre collaborateur n'ont point donné confirmation à notre dernière
hypothèse, elles ont abouti à nous donner du phénomène une expli-
cation non moins satisfaisante et tout aussi intéressante.
« M. Clermont, en elTet, a reconnu que le rameau dentaire antérieur
qui commande seul l'innervation des incisives et de la canine supé-
rieures, loin d'être inclus dans la profondeur du maxillaire, rampe
au contraire à la surface du plancher nasal, en arrière du bord
saillant qui limite en bas l'orifice de la fosse nasale, dans un canal
à paroi supérieure extrêmement mince, et même pourvue de
déhiscences assez étendues sur une partie de son trajet chez cer-
tains sujets.
« Ce rapport intime du nerf dentaire antérieur avec la muqueuse
du plancher explique surabondamment l'anesthésie des dents inci-
sives et canines supérieures consécutive à celle de la pituitaire.
« Indications de la méthode. — La dentisterie peut tirer parti de
l'utilisation de la voie nasale pour l'anesthésie des incisives et des
canines supérieures.
« Cette méthode, en effet, semble appelée à rendre service :
« Comme procédé d'analgésie contre les douleurs de la pulpite
et contre celles de la gingivite ;
« Comme procédé d'anesthésie chirurgicale pour l'avulsion, les
opérations diverses de dentisterie et la résection partielle du rebord
incisif.
« D'autre part, le rapport anatomique mis en lumière par les re-
cherches de M. Clermont et par mes observations cliniques, indique
une voie d'accès chirurgicale pour la section du nerf dentaire
antérieur en cas de névralgie rebelle ou symptomatique de tumeur
limitée à ce groupe dentaire. Comme on le conçoit facilement, la
section ou la résection du nerf par cette voie serait un véritable jeu.
u Technique, (fig.96). — La technique de l'anesthésie des incisives
el de la canine supérieures est fort simple : elle se réduit à l'applica-
tion dans la région antérieure de la fosse nasale d'un tampon d'ouate
326
^OGUE.
AXESÏHÉSIE.
hydrophile de la dimension et de la forme dune amande, imbibé de
cocaïne à 1 p. 20 et mieux de cocaïne à 1 p. 10. associée ou non à
ladrénaline à 1 p. 1000.
« On peut évidemment, dans le même but, employer la stovaïne et
les divers succédanés de la cocaïne.
<^ Les dentistes . qui ont l'habitude de nutiliser que la cocaïne à
1 p. 100 en injection hypodermique, pourront trouver exagérées les
doses a 1 p. 20 et 1 p. 10 que j'indique.
<t Qu'ils ne s'en effraient pas : c'est là la dose courante en rhinolo-
gie. La cocaïne absorbée même à 1 p. 5, même en nature, par lapitui-
taire, ne donne lieu à aucune intoxication.
Il sera bon toutefois, pendant l'application du tampon, afin d'éviter
Fig. Od. — Coupe sagittale des fosses nasales montrant la position adonner
au tampon cocaïne.
T, Tampon imbibé de cocaïne à 1,10: X, coupe du nerf dentaire antéricur.-^
V. vestibule des narines; C, cornet inférieur; L, limite du vestibule des narines
et de Ja fosse nasale proprement dite.
la déglutition de quelques gouttes de la solution susceptibles de
couler sur le plancher nasal, de ne point laisser la tête du sujet
dans la position renversée, prise habituellement sur le fauteuil du
dentiste, mais de la lui faire maintenir droite et même iléchie;
l'excès de solution anesthésique résultant de l'expression du tampon
au moment de l'engagement s'écoule ainsi au dehors.
« Il suffit de porter le tampon, à l'aide dune pince quelconque à
extrémités minces et mousses (de préférence avec une pince à pan-
sement d'oreilles de Lubet-Barbon) entre la cloison et la tête du
cornet inférieur et de l'engager dans la fosse nasale de 2 centimètres
environ : je dis dans la fosse nasale et non dans la narine, car l'appli-
cation du tampon dans la narine serait suivie d'un échec complet, et
cela pour deux raisons : d'abord parce que le revêtement cutané de
la narine n'absorbe pas les solutions de cocaïne, et ensuite parce que
le tampon ne serait pas en contact avec le canal du nerf dentaire, qui
ANESTHÉSIK DU NERF DENTAIRE INFÉRIEUR. 327
parcourt transversalement le plancher nasal en arrière de la cavité
veslibulaire.
« La limite à franchir est d'ailleurs indiquée en bas par le bord
inférieur semi-lunaire de Torifice proprement dit de la fosse nasale.
« Le repère infaillible, pour qui n'est pas familiarisé avec la rhi-
noscopie, est l'extrémité antérieure du cornet inférieur, qui se pré-
sente comme une masse charnue du côté opposé à la cloison : c'est
entre la cloison et cet organe et un peu au-dessus de l'extrémité
antérieure de ce dernier, en avant du méat inférieur, que doit être
engagé le tampon.
« L'éclairage rhinoscopique n'est pas indispensable : toutefois une
simple leçon de rliinoscopie suffira pour donner au dentiste beau-
coup plus d'habileté dans l'exécution de cette petite manœuvre.
« Rappelons enfin qu'il ne faut pas s'attendre à obtenir une anes-
Ihésie complète avant vingt minutes ou une demi-heure. »
Anesthésie du nerf dentaire inférieur — L'anesthésie du
nerf dentaire inférieur à son entrée dans le maxillaire a été tentée
par Reclus, Chevassu et Sauvez, Nogué et Pageix. On conçoit
l'intérêt qu'il y a pour le stomatologiste à obtenir l'insensibili-
sation de tout le maxillaire inférieur. Le succès d'une telle opération
est forcément lié à la connaissance parfaite de l'anatomie topogra-
phique de la région et du trajet du nerf dentaire.
« La paroi latérale du pharynx présente des rapports complexes
avec de nombreux éléments de la région cervicale et avec des élé-
ments des massifs faciaux. Aussi a-t-on distingué, entre la base du
crâne et la région cervicale supérieure, une région particulière
désignée sous les noms d'espace maxillo-pharyngien, de région
ptérygo-maxillaire, d'espace latéro-pharyngien supérieur (l).
Il y a, au point de vue topographique, deux espaces importants à
distinguer, en relation avec la paroi latérale du pharynx. C'est
Jonnesco qui, le premier, a montré la délimitation de ces espaces.
De l'espace maxillo-pharyngien des auteurs, Jonnesco a fait deux
régions distinctes au point de vue anatomique et chirurgical. Il a
décrit une aponévrose stylo-pharyngienne qui, avec les muscles sty-
liens et les ligaments stylo-hyoïdien et stylo-maxillaire, établit une
subdivision de l'espace maxillo-pharyngien en deux loges : loge
antérieure ou ptérygo-pharyngienne, loge postérieure ou stylo-
pharyngienne. Ces divers éléments ont été étudiés en détail par
Arsimoles, qui décrit un diaphragme stylien séparant l'espace pré-
stylien de l'espace rétro-stylien.
C'est l'espace préstylien qui correspond à la région plérygo-
maxillaire. Richet, Poirier, Juvara, qui ont admis l'existence d'une
région ptérygo-maxillaire, la définissent : l'espace compris entre la
(1) L. DiEULAFÉ, Sur la topoj;raphie de l'espace ptci-^go-maxillaire [Bull, inéd.,
2 sept. 1908).
328
NOGUÉ. — ANESTHESIE.
Iji-anche montante du maxillaire inférieur, d'une part, la tubérosilé
du maxillaire supérieur et Tapophyse ptérygoïde, daulre part.
Voici, d'après mes recherches, les limites quil faut assigner à cette
région : « Elle est circonscrite entre le ligament ptérygo-maxillaire
el la tubérosité maxillaire en avant, le diaphgrame stylien en arrière,
la branche montante du maxillaire et le muscle temporal en dehors,
l'aile interne de l'apophyse ptérygoïde et l'aponévrose péripharyn-
gienne en dedans. »
Les organes contenus dans l'espace ptérygo-maxillaire peuvent
être ainsi répartis (voy. fig. 97 1 : le muscle ptérygoïdien interne, sui-
vant un trajet oblique de haut en bas et de dedans en dehors, sub-
divise cette région en deux
espaces triangulaires, l'un ex-
terne, maxillo-ptérygoïdien,
à base supérieure : l'autre
interne, pharyngo-ptérygoï-
dien, à base inférieure. La
gaine aponévrotique de ce
muscle s'insère en arrière,
.sur le bord postérieur de la
branche montante ; en avant,
par des tractus celluleux, elle
adhère à l'aponévrose péri-
piiaryngienne. Les divers es-
paces sont occupés par du
tissu cellulo-adipeux et con-
tiennent des vaisseaux et des
nerfs. En dehors du muscle
ptérygoïdien se trouvent le
nerf lingual, le nerf dentaire
inférieur, les artères et veines
dentaires, satellitesdecenerf.
En dedans du muscle, des
branches musculaires issues
de l'artère maxillaire interne,
des branches collatérales de
la carotide externe destinées
à la paroi pharyngienne, il
faut noter parmi ces branches
l'artère lonsillaire, qui pro-
vient de la palatine ascendante. Selon le plan horizontal considéré,
cet espace contiendra ou non les nerfs glosso-pharyngien et grand
hypoglosse, qui descendent de la base du crâne et atteignent cet
espace, après avoir traversé l'espace rétro-stylien et perforé le dia-
phragme stylien.
97. — Schéma des organes contenus
dans l'espace ptérygo-maxillaire.
1, Artère faciale; 2, buccinateur: 3, boule
de Bicliat; 4, masséter ; 4, ligament ptérygo-
maxillaire, 6, temporal: ", ptérygoïdien in-
terne ; S, nerf lingual ; 9, nerf dentaire infé-
rieur ; 10, artère et veines dentaires ; ] 1, cons-
tricteur supérieur ; 12, artère carotide in terne ;
1.3, artère carotide externe :14, nerfs glosso-
pharyngien, pneumogastrique, spinal ; 15, apo-
physe styioïde et muscles ; 16, veine jugu-
laire interne et nerf grand hypoglosse.
ANESTHÉSIE DU NEUF DENTAIRE INFERIEUR. 329
Le passage de ces nerfs à travers le diaphragme sLylien indique
qu'il n'y a pas ïix une cloison absolument fermée au point de vue
anatomique ; mais elle est fermée au point de vue pathologique, à
cause de sa constitution celluleuse, les diverses lamelles qui la cons-
tituent ayant tendance à se lasser et à obturer les orifices existants,
en présence d'une fusée purulente, dune propagation inflammatoire.
En avant, l'espace ptérygo-maxillaire est en continuité avec la
région génienne, grâce à la disposition du ligament ptérygo-maxil-
laire. Ce ligament est une sorte de cloison frontale, insérée en haut
sur l'apophyse ptérygoïde, au niveau de la suture ptérygo-maxillaire
en bas sur le bord alvéolaire, au-dessus et en arrière de la ligne
mylo-hyoïdienne, et par des fibres externes obliques en bas et en
dehors, sur le bord antérieur de la branche monianio ou du muscle
qui la recouvre. Au-dessus, entre ces fibres externes et la face
interne du tendon du muscle temporal, existe un orifice à travers
lequel s'engage le prolongement postérieur de la boule de Bichat,
qui va sinsinuer entre le temporal et le ptérygoïdien interne, entre
le temporal et la paroi osseuse de la fosse zygomatique. Par cet ori-
fice, des abcès do la région ptérygo-maxillaire peuvent fuser vers
la région génienne.
L'espace ptérygo-maxillaire est en rapport, en avant, avec le
ligament ptérygo-maxillaire et la muqueuse du vestibule buccal, en
dedans, avec la paroi pharyngienne et, en particulier, avec les
piliers du voile entre lesquels se trouve placée l'amygdale, en
dehors, avec l'os maxillaire inférieur, en arrière, avec la loge paro-
tidienne et l'espace rétro-stylien contenant les gros vaisseaux et
plusieurs nerfs crâniens ; en bas, il se continue avec les régions
cervicale et sous-maxillaire ; on ne saurait assigner, à ce niveau,
une limite anatomique à cette région, ("ependant la région anté-
rieure au muscle ptérygoïdien interne s'arrête à la ligne d'insertion
de ce muscle sur la face interne et le bord inférieur de la branche
montante. Et ceci m'amène à préciser une distinction : en avant, la
région maxillo-ptérygoïdienne correspond au vestibule buccal, la
région pharyngo-ptérygoïdienne aux piliers et à l'amygdale, à la
paroi pharyngienne.
Cette distinction, ainsi établie, a son importance au point de vue
chirurgical.
Par le vestibule buccal on aborde l'espace maxillo-ptérygoïdien
dans le but de pratiquer la section du nerf dentaire (technique bien
connue) ou de porter au contact de ce nerf une solution de cocaïne
destinée à anesthésier tout le territoire de distribution de ce nerf
(procédé de Nogué). Les recherches de mon élève, i\l' '' Condat,
consignées dans la thèse de Pageix, ont fixé les détails de cette
technique. Il s'agit de plonger une aiguille de seringue de Pravaz,
en dehors du ligament ptérygo-maxillaire et à 12 ou 15 millimètres
330 KOGCE. — ANESTHÉSIE.
au-dessus de la deuxième grosse molaire ; on enfonce Taiguille de
1 cenîimètre 1/2, en la dirigeant de sorte que le corps de la seringue
passe par le milieu de l'arcade dentaire, et on pousse une solution
de cocaïne.
La situation des nerfs dentaire et lingual dans le même espace
explique que, dans certains cas, lanesthésicait pu intéresser le terri-
toire du lingual ; mais la technique précédente permet d'arriver, d'une
façon précise, sur le dentaire avant sa pénétration dans le canal creusé
dans le maxillaire inférieur.
Le nerf dentaire inférieur pénétrant dans le maxillaire au niveau
du trou dentaire postérieur innerve toutes les dents de cette mâchoire.
Au moment de son entrée dans le canal dentaire inférieur, ainsi que
la si bien montré Daniel MoUière, le nerf se partage en deux branches :
l'une supérieure plus petite [nervus dentalis), l'autre inférieure plus
grande {ramiis mentalis), qui marchent côte à côte et qui commu-
niquent par un grand nombre de filets anastomotiques. Le mentonnier
est un nerf mixte; le nerf dentaire proprement dit est avant tout un
nerf sensitif, mais il contient des fdets sympathiques. Chez la plupart
des sujets, le canal se bifurque au-dessous des grosses molaires pour
former un canal collatéral qui va rejoindre le canal principal un peu
plus loin. Le nerf dentaire s'engage dans ce canal collatéral ou entre
les racines de la première grosse molaire quand ce canal n'existe
pas. Avant d y pénétrer, il envoie sur l'artère un filet assez volumineux.
Cette artère a déjà reçu à son origine un plexus nerveux, dépendance
du plexus de la maxillaire interne. Les rameaux s'anastomosent par
un filet gros et court au tronc commun dentaire et mentonnier; puis
ils forment un plexus as.sez riche autour des molaires, envoient un
filet dans chaque racine, puis, s'insinuant entre elles et les alvéoles,
ressortent par les gencives. C'est à ce niveau qu'ils s'anastomosent
avec le lingual.
Le nerf dentaire recevant une deuxième, puis une troisième anas-
tomose du mentonnier, se divise en longs plexus qui entourent les
racines des dents ou plutôt qui se séparent dans les alvéoles, four-
nissant une branche à chaque racine dentaire, et enfin envoie entre
les alvéoles et les dents des filets gingivaux analogues à ceux des
molaires.
Arrivée au trou mentonnier, la branche mentonnière sort de l'os,
mais le plexus dentaire se continue dans des vacuoles plus ou moins
irrégulières et non dans un canal distinct à parois définies. Avant sa
sortie de l'os, ilsedistribue en plexus autour des racines des incisives,
auxquelles il fournit des filets. Chemin faisant et dans tout son trajet,
le nerf dentaire envoie des branches plus ou moins volumineuses
dans les cellules osseuses situées au-dessous du canal. A sa sortie de
la mûclioire, le nerf mentonnier va se distribuer aux glandules buccales,
à la muqueuse labiale et à la peau de la lèvre.
ANESTHÉSIE DU NERF DENTAIRi: INFÉRIEUR. 331
Ou conroit par celle description que, s'il était j>ossible de porter
une solution de cocaïne au contact du tronc nerveux immédialeraent
avant son entrée dans le canal dentaire, on obtiendrait à ce niveau
une section physioloi^ique du nerf et parlant une anesthésie complète
de toute la zone d'innervation de ce nerf.
Sous le ptérygoïdien interne, s'étendant obliquement de l'angle de
la mâchoire à l'apophyse ptérygoïde, chemine au milieu du tissu
cellulaire le paquet vasculo-nerveux constitué par le nerf lingual, le
nerf dentaire inférieur et son artère satellite.
Le nerf lingual, dirigé de haut en bas et d'arrière en avant, se
trouve par rapport au dentaire sur un plan antéro-interne.
Le nerf dentaire présente une même direction avec toutefois une
obliquité moindre.
L'artère dentaire en arrière du nerf présente au contraire une obli-
quité plus accentuée : après un court trajet, elle fournit la mylo-hyoï-
dienne et pénètre dans le canal dentaire.
Le nerf est d'abord compris enti'e les deux ptérygoïdiens, puis,
appliqué directement contre la surface osseuse, il pénètre dans le trou
dentaire, après avoir donné un filet mylo-hyoïdien.
Le trou dentaire, situé vers le milieu de la branche montante, a la
forme d'une gouttière obliquement dirigée de haut en bas et d'arrière
en avant et bordée en bas et en avant par l'épine de Spix, petite
saillie de forme et de dimensions assez variables.
Des mensurations pratiquées sur 20 maxillaires différents, il résulte
que la distance de l'épine de Spix au bord antérieur de la branche
montante varie de 8à 14 millimètres. La distance comprise entre deux
plans horizontaux passant l'un par l'épine de Spix et l'autre par le
rebord alvéolaire a été en moyenne de 16"'°, 5. La dent de douze ans
mesurant environ 6 à 8 millimètres de hauteur coronaire, l'épine de
Spix sera donc à environ 1 centimètre au-dessus de la surface tritu-
rante de cette dent prise comme point de repère. Si la dent manque,
on comptera environ 2 centimètres au-dessus du rebord alvéolaire (1).
Des injections colorées au bleu de méthylène poussées sur le
cadavre entre le ligament ptérygo-maxillaire et le bord antérieur de
la branche montante ont donné les résultats suivants :
Trois cas se présentaient : ou l'injection pénétrait en dedans du
muscle ptérygoïdien interne, ou dans l'épaisseur du muscle même,
ou en dehors de lui.
1" Dans le premier cas. le liquide se diffuse sur la paroi latérale du
pharynx : parfois même, fusant par l'interstice déterminé sous le bord
antérieur du muscle par le passage du lingual, il va intéresser ce
dernier nerf. Dans ce cas-là, jamais le dentaire n'est atteint;
(1) G. Pageix, Étude d'un nouveau procédé d"anesthésie dentaire. Thèse de
Paris, 1906.
332 NOGUE. — AXESTHÉSIE.
2° Sirinjection a été faite dans l'épaisseur du muscle, elle ne diffuse
pas et y reste limitée ;
3" Enfin, si elle pénètre en dehors du ptérygoïdien dans le tissu
cellulaire, elle atteint à la fois le dentaire et le lingual.
On voit donc que l'injection ne saurait donner de résultat que si elle
pénètre en dehors du muscle ptérygoïdien.
Quelle direction donner à l'aiguille? Une direction parallèle au plan
de la branche montante. Ce plan est oblique et, prolongé en avant,
il viendrait rencontrer celui du côté opposé au milieu de l'arcade
dentaire.
L'aiguille pénétrera aussi près que possible du nerf. La distance
du bord antérieur de la branche montante au canal variant de 8 à
14 millimètres, l'artère qui accompagne le nerf se trouve à la partie
postérieure du canal, en arrière du dentaire, à 4 ou 5 millimètres de
l'épine de Spix. On pourra donc, sans crainte de blesser cette artère,
pousser l'aiguille à 1"',5 de profondeur.
Si, dans certains cas, le nerf est situé plus loin, l'injection l'atteindra
par suite de la diffusion du liquide. L'artère faisant d'ailleurs avec
le nerf un angle aigu ouvert en haut et dont elle constitue le côté
postérieur, plus l'injection portera haut, moins on aura de chances de
l'atteindre. D'où celte indication de pratiquer l'injection à une
distance de la face triturante des molaires un peu supérieure à 1 cen-
timètre.
Une autre disposition anatomique vient encore justifier cette façon
d'agir : l'épine de Spix occupe fréquemment le bord inférieur du
canal dentaire; elle intéresse même quelquefois son bord postérieur,
prolongeant ainsi ce canal en hauteur. Il faudra donc porter l'injection
suffisamment haut pour qu'elle passe au-dessus de l'épine.
Nous avons choisi comme point de repère le bord antérieur de la
branche montante, toujours facilement accessible au doigt, en dépit
de la muqueuse plus ou moins épaisse qui le recouvre. Sur ce bord
antérieur, letroncdu nerf dentaire se trouve correspondre à une ligne
horizontale qui passerait à 1 centimètre au-dessus de la dent de
douze ans.
Mais, si l'on voulait faire pénétrer une aiguille directement d'avant
en arrière, un peu en dedans de ce bord antérieur, la chose serait
impossible : l'aiguille viendrait buter contre l'os. Le doigt sent en
elï'et très nettement, immédiatement en dedans du bord antérieur, une
gouttière profonde, limitée par une saillie longitudinale sur laquelle
viennent s'insérer le temporal en haut, le buccinateur en bas. C'est
en dedans de celte saillie que l'aiguille trouvera le champ libre.
Par conséquent, avec la pulpe de l'index gauche, nous déterminons
le bord antérieur de la branche montante et immédiatement en dedans
le sillon (jui lui fait suite et la saillie osseuse, dont nous venons de
parler. Sur celle saillie, l'index est arrêté à la hauteur de la surface
ANESriIi:i5lE DU NEUF DEXTAIRE IXEllUlIiUU. 333
Iriluranle des molaires. L'aiguille tenue parallèlement à celte surface
Iriluranle, à / ccnlinièlre au-dessus d'elle, pénétrera d'avant en
arrière, immédiatement en dedans de la saillie osseuse, et sera enfoncée
de I^'^'^ô environ.
Une partie du liquide est alors injectée à ce niveau : puis le corps
'de la seringue est porté doucement jusqu'à la commissure labiale du
côté opposé. Dans ce mouvement, la pointe de l'aiguille décrit un arc
de cercle, contourne l'épine de Spix et se rapproche du tronc nerveux.
On peut alors enfoncer encore l'aiguille de quelques millimètres,
tandis que le restant du liquide est injecté dans toute la région.
Pour faciliter cette manœuvre, nous avons remplacé la longue
aiguille droite de platine qui nous servait au début par une canule
coudée en baïonnette de 7 centimètres, armée à son extrémité d'une
aiguille en platine mesurante centimètres et faisant corps avec elle.
La canule se fixe à frottement sur la seringue. Cette aiguille, de
dimensions bien déterminées, permet à l'opérateur de voir à quelle
profondeur il pénètre et de ne pas aller au delà de 2 centimètres, ce
qui nous a paru toujours suffisant.
Le corps de la seringue ne présente rien de particulier : c'est une
seringue quelconque stérilisable par la chaleur, comme d'ailleurs la
canule et l'aiguille, et d'une capacité de 2 centimètres cubes.
En se servant d'une aiguille droite et en se basant sur ses expé-
riences sur le cadavre, Dieulafé a indiqué la technique suivante :
au fond du sinus buccal, avec la pulpe de l'index gauche, chercher le
ligament ptérygo-maxillaire, que l'on sent très résistant lorsque la
bouche est entr'ouverte. Enfoncer l'aiguille à ^^''^S de profondeur en
dehors de ce ligament, en un point situé à 1 centimètre au-dessus de
la deuxième grosse molaire. Diriger alors l'aiguille de telle sorte que
le corps de la seringue vienne se placer au milieu de l'orifice buccal.
Par l'une ou l'autre technique, les résultais obtenus sontidenliques.
Nous avons appliqué cette méthode dans plus de cent extractions,
et nous en avons obtenu d'excellents résultats. Dans la plupart des
cas, nous avons noté une anesthésie à peu près complète de toute la
région innervée par le dentaire inférieur. Aussi avons-nous pu extraire
indifféremment par ce procédé les incisives ou les grosses molaires,
parfois même plusieurs dents consécutivement dans une même
séance.
La première manifestation de cette anesthésie est la sensation
éprouvée par le patient d'un engourdissement plus ou moins marqué
de la moitié correspondante de la lèvre et de la langue. Elle est la
preuve évidente que le liquide anesthésique a bien intéressé le tronc
nerveux. Cette sensation spontanément exprimée par le patient est
frappante. Elle correspond aune anesthésie réelle de la région, car
la piqûre de la lèvre et de la langue n'est que peu ou pas perçue. Elle
a par conséquent la valeur d'une véritable expériencephysiologique.
334 NOGUÉ. — ANESTHÉSIE.
Elle met U'aillours à se faire sentir un temps variable selon les indi-
vidus. Nous avons remarqué qu'elle était généralement assez nette
vers la cinquième minute, parfois dès la troisième, plus souvent vers
la sixième, septième ou huitième minute.
Aussi pensons-nous qu'il est bon de mettre entre Tinjection et
rextraclionuntempsassezlong. Mantzavait déjà, dans une série d'in-
terventions dont les résultats avaient été fort problématiques, réussi
à clore la série de ses échecs en allongeant la période d'attente et en
mettant vingt à trente minutes entre l'injection et l'acte opératoire.
Nous nous trou vous très bien d'attendre au minimum quinze minutes,
parfois même davantage.
La substance anesthésique employée a été le chlorhydrate de
cocaïne en solution au centième. Les doses ont été généralement
de 1 à 2 centimètres cubes, soit à 1 à 2 centigrammes d'alcaloïde.
Ces doses nous paraissent suffisantes, mais nous sommes convaincu
qu'avec des doses plus élevées le tronc nerveux serait plus puis-
samment intéressé. Mais comme la substance active est ici abandonnée
dans l'intimité des tissus et par suite absorbée en totalité, nous
conseillons de s'en tenir à l'^«,5 ou 2 centigrammes.
Peut-être, d'ailleurs, par l'emploi d'uu anesthésique moins toxique,
pourrait-on injecter des doses plus élevées et obtenir ainsi une
anesthésie plus parfaite. Il faut espérer que la stovaïne, comme nos
expériences nous le font présumer, pourra supplanter ici la cocaïne,
comme elle est
en train de la supplanter dans Tanesthésie intrarachidienne.
La méthode que nous venons d'exposer est loin d'être parfaite, et
nous la croyons susceptible de nombreux perfectionnements. Mais,
pour si défectueuse qu'elle soit, elle nous paraît présenter quelques
avantages, notamment en permettant d'obtenir avec une dose médi-
camenteuse minime une zone anesthésique très étendue; en per-
mettant, dans les cas de péricémentite et de périostite, d'injecter le
liquide ailleurs qiie dans les tissus enflammés et hypersensibles, et
d'obtenir ainsi une anesthésie très satisfaisante ; en permettant enfin
de faire l'injection avec un minimum de douleur, car la piqûre de la
muqueuse et des tissus sous-jacents est au point d'élection quasi
indolore.
Nous n'avons eu, depuis plusieurs années que nous employons ce
procédé, aucun accident. La blessure de l'artère qui accompagne le
nerf dentaire inférieur n'a jamais été observée et nous paraît d'ail-
leurs bien improbable, étant donnée son extrême ténuité. La blessure
du nerf lui-même n'a pas été notée.
Nousavons seulement constaté chezun certain nombre de patients
une gêne de la mastication et de la déglutition pouvant se prolonger
pendant quelques heures, mais s'alténuant l)ientôt et disparaissant
d'elle-même.
ANESTIIKSII- DU .NKUi LIXGLAI.. 335
Anesthésie régionale de la langue, du larynx et de la région
oculo-palpébrale. — L'aneslhésie régionale a été tentée avec suc-
cès en d'autres régions. Bien (|ue ces régions ne soient pas toutes du
domaine de la stomatologie, nous pouvons tirer de ces tentatives les
indications les plus utiles.
Anesthésie régionale de la langue : anesthésie du nerf
lingual. — GhtM rier décrit ainsi la technique (jui lui a permis
d'obtenir l'aneslhésie partielle de cette région :
Le nerf lingual est facile à atteindre ; il est immédiatement sous la
muqueuse, au milieu du sillon qui sépare la gencive, en regard de la
dernière molaire, du bord latéral de la langue. Et rien n'est simple
comme de l'entourer d'une boule d'oedème anesthésique. Le malade
étant couché et le demeurant comme pour toute cocaïnisation si on
«mploie la cocaïne;, on commence par anesthésier la muqueuse de
son sillon linguo-gingival, en y déposant un fragment de compresse
imbibé de liquide anesthésique. Comme la langue est un organe
essentiellement mobile, on veillera à ce que le petit tampon ne soit
pas repoussé. Le plus simple est de le monter sur une pince et de
le maintenir une ou deux minutes au bon endroit.
Ayant demandé au malade d'ouvrir largement la bouche et utilisant
au besoin un ouvre-bouche, on lui fixe la langue, tirée au dehors, en
la maintenant avec une compresse. Si le sillon linguo-gingival ne
semble pas bien ouvert, on déprime le bord de la langue avec un
étroit écarteur. On pique la muqueuse anestliésiéeau milieu du sillon
et à la hauteur de la dernière molaire, et on pousse l'injection peu à
peu, jusqu'à 2 centimètres de profondeur environ.
Pour être certain que le nerf baigne bien de partout dans le liquide
analgésiant, on fera une autre piqûre et une autre injection un peu
en dehors de la première.
Il suffit d'attendre quelques minutes, en massant légèrement la
région œdématiée avec un petit tampon monté sur une pince. j»our
que l'analgésie soit absolument complète.
Le territoire analgésie atteint à peu près la ligne médiane et com-
prend la face dorsale de la langue, sa face inférieure et le plancher
de la bouche, pour une piqûre unilatérale. Si on a fait une piqûre
au niveau des deux nerfs linguaux, toute la partie de la langue qui
est en avant des piqûres et tout le plancher sont analgésies. La sur-
face anesthésiée est donc considérable pour une quantité minime
d'anesthésique.
Sans doute celte analgésie de la langue n'est pas toujours néces-
saire, et on pourra continuer à user, dans bien des cas, de l'analgésie
locale simple ; mais elle semble appelée à rendre de réels services,
surtout dans deux circonstances : dans les cas de lésions linguales
multiples ^ulcérations tuberculeuses, par exemple), ou lorsqu'il s'agira
de procédera une exérèse étendue (large extirpation delà muqueuse
336
XOGUE.
ANESTHÉSIE.
dorsale de la lansfue, telle que la préconise Moreslin dans certaines
formes de leucoplasie linguale étendue).
Ajoutons, en outre, que cette anesthésie régionale peut être obtenue
avec tous les anesthésiques locaux : cocaïne, stovaïne, novocaïne,
alypine, etc.
Anesthésie régionale du larynx. — Cest à Frey (de Berne)
que revient le mérite d'avoir méthodiquement recherché et obtenu
l'anesthésie du larynx par une injection de cocaïne et adrénaline vers
le laryngé supérieur.
Il décrit une technique qui, dans 27 cas, a donné 25 résultats
positifs, soit à lui-même, soit à son maître le P' Valentintde Berne).
Fig. 98. — Distribution des nerfs dans le
larynx humain (demi-schématique d'a-
près Exner).Vue postérieure.
i. X, laryngé sup. ; 2. br. int. ; 3, br.
e.\t. ; 4, ram. tr.thyr. ;5,ram. par., sup. ;
6, ram. perf. inf. ; 7, anast. galien ; s.
br. m. cric. aryt. post.
Fig-. 99. — Vue latérale du larynx.
], os hyoïde : 2, membrane thyro-
hyoïdienne; 3, cartilage thyroïde ; 4,
nerf laryngé supérieur: 5, point où le
nerf traverse la membrane thyroï-
dienne; G, nerf laryngé externe.
Cette technique toute nouvelle, nous l'avons étudiée à nouveau au
point de vue anatomique. Nos recherches sur le cadavre nous ont
obligé à modifier la technique de Frey; nous croyons l'avoir simpli-
fiée et l'avoir complétée en ajoutant à l'anesthésie du laryngé supé-
rieur la cocaïnisation du laryngé inférieur, nerf du spasme glot-
lique.
ANESTHESIE DU NERF LARYNGE SUPERIEUR.
337
Procédé de Fret) (cocaïnisation du laryngé supérieur). —
Sous rinspiration du P' Valentin, Frey a étudié la situation topo-
graphique du laryngé supérieur et les conditions à réaliser pour
l'atteindre par une injection de cocaïne. Le nerf laryngé supérieur
est abordable à travers le peaucier, en arrière du bord postérieur du
muscle thyro-hyoïdien, entre la grande corne de l'os hyoïde et la
corne supérieure du
thyroïde, avant qu'il
ne traverse la mem-
brane thyro-hyoï-
dienne.
Aussi Frey donne-
t-il les conseils sui-
vants: lo chercher la
situation de la gran-
de corne hyoïdienne
et de l'angle postéro-
supérieur du carti-
lage thyroïde 2°
prendre le milieu de
la ligne qui unit ces
deux points ; enfon-
cer l'aiguille au-des-
sous de ce troisième
point ainsi trouvé,
à la profondeur de
1 centimètre en
moyenne.
Sur le cadavre,
Frey a fait ainsi des
injections de 1 centimètre cube de bleu de méthylène, en dirigeant
l'aiguille plutôt en arrière et en dedans; l'infdtration était très posi-
tive, et jamais Frey ne l'a vue gagner le paquet vasculo-nerveux.
Sur le malade, l'auteur s'est servi d'une solution physiologique
contenant 1 centigramme de chlorhydrate de cocaïne et l déci-
milligramme de chlorhydrate d'adrénaline par centimètre cube ;
il a injecté 1 à 2 centimètres cubes de chaque côté. Le malade est
assis, la tête légèrement relevée, et tandis que la main gauche
soutient le larynx du côté opposé à l'injection, la main droite fait
l'injection au point d'élection ; l'aiguille, dirigée horizontalement vers
le plan médian, éprouve une résistance à traverser le peaucier ;
aussitôt après cette traversée, on a la sensation d'être dans un espace
libre; à ce moment la pointe est environ à 1 centimètre de profondeur.
On dirige alors l'aiguille légèrement en arrière pour épouser la
direction du nerf; on injecte O'^^jô, tandis que la seringue est len
Traité de stomatologie. VI. — 22
Fig. 100. — Pendant que le pouce refoule le larynx,
l'ongle de l'index cherche et marque le point où doit
être faite l'injection.
338 NOGUE. — ANESTHESIE.
Icmenl Aidée en ramenant Taiguille en avant et en dedans, sans
traverser la membrane thyro-hyoïdienne. Le malade, pendant ce
temps, doit être immobile et doit s'abstenir de tout mouvement de
dég'lutition.
Bientôt le malade éprouve une sensation de tension ; certains se
plaignent de ne pouvoir avaler. Elle commence à se produire au
bout d'un temps variable, en général dix à quinze minutes.
Procédé de Chevrier et Caiizard [cocaïnisation du laryngé supé-
rieur el du récurrent). — Les recherches sur Tanesthésie régionale
des nerfs laryngés doivent être basées sur la connaissance anato-
mique de la région (1).
Le point de pénétration du laryngé supérieur dans Tappareil
laryngien répond, d'après Lacour, à l'union du tiers moyen et du
tiers inférieur de la membrane thyro-hyoïdienne et se trouve à 3 cen-
timètres de la ligne médiane. Au moment de traverser la membrane
avec l'artère laryngée supérieure qui l'accompagne et que lui fournit
lartère thyroïdienne supérieure, le nerf glisse sur le plan fibreux,
au-dessous d'une double ouverture musculaire, muscles omo-hyoï-
dien et sterno-hyoïdien formant la première couche, muscle thyro-
hyoïdien la seconde, eux-mêmes recouverts par le peaucier et une
épaisseur de graisse variable suivant les sujets. Rien ne serait plus
facile que de déterminer ce point et d'injecter la cocaïne directement
vers le nerf. C'est ce qu'a fait récemment Frey et avec succès.
C'est à éviter tout danger et à chercher un repère fixe, facile à
trouver dans tous les cas, que vise notre procédé ; nous n'allons pas
au nerf, mais au plan anatomique du nerf. Que faut-il, en effet, pour
être certain d'être au-dessous du muscle thyro-hyoïdien? Prendre
contact avec le cartilage thyroïde.
Voici notre technique :
Cherchez le bord supérieur du cartilage thyroïde, toujours facile
à sentir en partant de la « pomme d'Adam ». A 2 centimètres de
la ligne médiane, et à 1 ou 2 millimètres au-dessous du bord,
piquez doucement la peau avec une aiguille courbe. Poussez dès
maintenant l'injection de cocaïne ou de stovaïne, lentement, pour
anesthésier le derme cutané et les plans sous-jacents. Conduisez
l'aiguille doucement et directement dans la profondeur en poussant
toujours le piston, comme on doit le faire dans toute injection de
cocaïne. Ce précepte n'a rien de spécial: la main du bon cocaïnisateur
doit faire corps avec la seringue ; grâce à cette synergie, celle-ci et
l'aiguille qui la prolongent deviennent comme le prolongement des
doigts : un bon anesthésiste local doit sentir avec l'extrémité de son
aiguille. Oue sent-il? Normalement, en tissus mous et lâches, tant
que l'aiguille peut projeter en avant d'elle sa boule d'œdème, tant
(1) L. Cm-vuiEH et P. Gaizard, De l'anesthésie régionale du larynx par cocaïni-
sation du nerf laryngé supérieur et inférieur [Bull. méd.).
ANESïllESlE DU NERF LARYNGE SUPERIEUR. 339
que le liquide peut pénétrer les tissus, toutes les sensations données
par l'aiguille sont comme ouatées ; mais arrive un tissu qui, sollicité
par la pointe proche, refuse l'injection, et l'aiguille va buter contre
lui, et, à ce contact imprévu, donner une sensation nette, la première.
Enfoncez toujours directement l'aiguille, suivant ces principes
généraux, et vous sentirez bientôt une résistance : c'est le cartilage
thyroïde, le repère fixe.
Est-ce à dire que ce cartilage arrêtera inévitablement et de force
une aiguille enfoncée brutalement, par à-coups ? Peut-être, si le
malade âgé s'y prête et présente un larynx ossifié; non pas, si le ma-
lade est jeune et a des cartilages hyalins.
Mais alors la faute en sera à l'opérateur seul, coupable de ne pas
savoir manier la seringue à cocaïne, et non au procédé.
Quand vous aurez été arrêté par la résistance élastique du carti-
lage thyroïde, avant de modifier la direction de l'aiguille (ce détail
est important), poussez un peu de cocaïne : celle-ci ne pénétrera
point le cartilage, mais elle décollera de lui le muscle thyro-
hyoïdien, créant un plan d'infiltration dans lequel la pointe de
l'aiguille pourra se mouvoir; la pointe restera forcément sous-mus-
culaire; elle ne pourra plus reprendre contact avec le thyro-hyoïdien
repoussé, ni à plus forte raison le traverser de la profondeur vers la
superficie, pour filer dans le plan intermusculaire sous-jacent. Dès
lors, abaissez la seringue de telle sorte que l'aiguille courbe porte
sa pointe en haut et un peu en arrière, et poussez, en progressant
de 1 centimètre environ, le reste de la seringue de cocaïne; la masse
anesthésique est projetée dans le plan du nerf et vers lui; 2 centi-
mètres cubes de liquide suffisent à faire toute cette injection.
Retirez l'aiguille et massez légèrement avec le pouce de bas en
haut et d'avant en arrière pour mieux faire diffuser la cocaïne.
Par ce procédé, le nerf sera fatalement et toujours atteint par
l'anesthésique.
Répétez exactement les mêmes manœuvres pour le nerf laryngé
supérieur de l'autre côté, et avec 4 centimètres cubes de cocaïne
à 2 p. 100 toute la partie sus-glottique du larynx sera complètement
anesthésiée.
Tant pour compléter l'anesthésie du larynx dans sa portion infé-
rieure que pour obtenir une parésie musculaire momentanée dans
certains spasmes, nous avons cherché à atteindre aussi le laryngé
inférieur ou récurrent.
Deux voies s'offraient à nous: l'une inférieure, relativement courte;
l'autre supérieure, plus longue. Nous avons expérimenté les deux
sur le cadavre, en faisant des injections de gélatine colorée.
La voie inférieure consiste, a|)rès avoir touché le bord inférieur
du cartilage thyroïde, à pénétrer juste au-dessous de lui, à 1 centi-
mètre environ delà ligne médiane : anesthésiant au passage les filets
340 NOGLE. — ANESTllESIE.
du laryngé externe, Taiguille pique directement en arrière et un peu
on haut, parallMement au plan sagiltal, sous la lame du thyroïde,
dont elle garde le contact: elle chemine à travers le muscle crico-
Ihyroïdien, (jui monte s'insérer assez haut, parfois à la face interne
du cartilage.
L'aiguille achève de perforer le muscle ; elle est dans le recessus
latéral du larynx, où le nerf récurrent se divise en ses branches
terminales; elle y lance ce qui reste de cocaïne dans la seringue.
•La voie supérieure est celle à laquelle vont nos préférences. Au
fond de Tangle rentrant que forme sur la ligne médiane le bord
supérieur du cartilage thyroïde, enfoncez une aiguille droite en
poussant Tinjeclion de cocaïne. Cherchez et gardez le contact de la
face interne du cartilage thyroïde. Conduisez l'aiguille en diagonale,
obliquement en bas, en arrière et en dehors, vers l'angle postéro-
inférieur du cartilage, et injectez le liquide anesthésique : il disten-
dra le recessus et baignera les branches terminales du récurrent;
une quantité de liquide de 1",5 à 2 centimètres cubes au maximum
a toujours été suffisante dans nos expériences pour englober le nerf.
Hoffmann et plus tard Levinstein, s'inspirant du procédé de
Frey (1906), qui obtenait l'anesthésie par injection de cocaïne dans
l'atmosphère celluleuse du laryngé supérieur, ont appliqué les injec-
tions d'alcool pour obtenir la sédation de la douleur de la phtisie
laryngée.
Le patient étant assis ou couché, l'opérateur saisit le larynx de la
main gauche et, appliquant son pouce sur le côté de l'organe qui ne
doit pas être soumis à l'injection, le refoule du côté opposé, de façon
à le faire saillir sous les téguments. L'extrémité de l'index explore
alors l'espace qui sépare le fond supérieur du cartilage thyroïde du
bord inférieur de l'os hyoïde, jusqu'à ce qu'il rencontre un point
douloureux caractéristique. Ce point est celui où la branche interne
du laryngé supérieur traverse la membrane thyroïdienne.
On enfonce l'aiguille perpendiculairement aux téguments, à l''™,5
de profondeur environ; puis on l'incline doucement en divers sens,
jusqu'à ce que le malade éprouve une vive douleur dans l'oreille :
c'est l'indice que l'aiguille touche le tronc nerveux. En évitant alors
tout déplacement de l'instrument, on pousse lentement le piston de
la seringue chargée préalablement de 1 centimètre cube d'alcool
à 85°, chauffé à une température de 45°. Les premières gouttes pro-
voquent une vive otalgie. Après un instant d'attente, on pousse de
nouveau le piston. Avant de terminer, on dirige l'aiguille un peu en
arrière, afin d'atteindre l'anse de Galien, qui conduit quelques fibres
sensitives au récurrent.
Anesthésie régionale de la région oculo-palpébrale. —
L'anesthésie régionale a été appliquée en oculistique pour les inter-
ventions sur la région lacrymo-palpébrale avec un plein succès. Ici,
ANESTHESIE DE LA REGION OCULO-PALPÉBRALE. 341
comme dans d'autres parties du corps, elle a pu rendre de signalés
services en évitant IVedènie déterminé si facilement dans ces tissus
par linjcction d'une solution quelconcpuî et en permettant d'obtenir
lanesthésie même des tissus enflammés.
Chevrier et Cantonnet ont applicpu' cette méthode aux pau-
pières et à l'appareil lacrymal, dans le service de clinique ophtalmo-
logique de l'Hôtel-Dieu, sous la direction du P'" de Lapersonne, qui
a pratiqué lui-même un certain nombre d'opérations sous analgésie
régionale. Ces régions sont divisées en quatre territoires distincts. Si
lintervention doit porter sur un ou plusieurs de ces territoires, le chi-
rurgien devra pratiquer autant d'injections analgésiantes. Les indi-
cations se résument à cela, et il suffit de connaître les limites de cha-
(|ue territoire et l'étendue de la zone à opérer pour savoir quelles
injections prati([uer.
1° Le territoire lacrymal (nerf lacrymal) répond au tiers externe
de la paupière supérieure; il n'atleint pas le bord libre, qui est sous
la dépendance du frontal externe. Il est insensibilisé par l'injec-
tion externe ou lacrymale, portant au niveau de la partie supéro-
externe du rebord orbitaire, selon une ligne partant de la com-
missure externe et remontant pendant 3 centimètres le long de ce
rebord.
2° Le territoire frontal (nerfs frontaux externe et interne) cor-
respond aux deux quarts moyens de la paupière. 11 est commandé
par l'injection frontale ou sus-trochléaire : l'aiguille pique immé-
diatement au-dessus et un peu en dedans de la poulie du grand
oblique, dont la pulpe du doigt a précisé l'emplacement exact. Pour
que les deux nerfs frontaux, l'externe el l'interne, baignent dans la
boule d'œdème qui les analgésie à la fois, il faut que l'aiguille
pénètre de l'="',5 derrière la trochlée, un peu oblique en haut, en
arrière et en dehors; le corps de la seringue doit donc être récliné
vers la racine du nez.
3° Le territoire nasal (nerf nasal externe) cornprend le quart
interne de la paupière supérieure et le quart interne de la paupière
inférieure ; c'est, à proprement parler, le « territoire du sac
lacrymal ».
Il dépend de l'injection nasale ou sous-trochléaire, portant juste
au-dessous et en dehors de la poulie du grand oblique : l'aiguille,
directement antéro-postérieure, pénètre de l'='",5 derrière la
trochlée.
4° Enfin le territoire sous-orbilaire répond à toute la paupière
inférieure, sauf sa partie la plus interne.
Il est analgésie par l'injection sous-orbitaire; l'aiguille pénètre un
peu en dedans d'une ligne unissant la partie antérieure de la
pommette à l'aile du nez; elle est oblique en haut et en dehors, de
telle sorte que le corps de la seringue, oblique en dedans, croise la
3i2 NOGUÉ. — ANESTHÉSIE.
ligne médiane au niveau de la bouche, dont un travers de doigt le
sépare en hauteur; laiguille pénètre de r''",5 et dépose le liquide à
l'orifice du canal sous-orbilaire.
Chaque injection est de 1 centimètre cube d'une solution à 1 p. 100
de novocaïne ou de stovaïne, additionnée dune goutte d'adrénaline
au millième, pour 2 centimètres cubes d'anesthésique. Bien entendu,
la méthode est générale, et d'autres agents analgésiants peuvent être
employés. On pousse ù la fois le piston et la seringue, pour projeter
au-devant de l'aiguille du liquide qui écarte les tissus. L'injection
est suivie d'un léger massage de la région, avec un tampon de
coton, pour activer la ditTusion du liquide.
Outre la nécessité de faire les injections bien exactement aux
points indiqués, il est une autre condition indispensable de réussite;
c'est d'attendre après l'injection au moins dix minutes, si l'opération
a lieu sur la peau enflammée, la muqueuse ou le bord libre des pau-
pières. Ce temps est absolument nécessaire pour permettre au tronc
nerveux d'être pénétré par le liquide analgésiant qui le baigne (1).
Anesthésie régionale du globe oculaire. — Siegrisl avait
déjà obtenu l'anesthésie du globe en i)ortant profondément, au
moyen dune aiguille recourbée, le liquide aneslhésique au niveau
des quatre méridiens j)rincipaux de l'œil, de façon à atteindre les
nerfs ciliaires à leur entrée dans le gloire; mais, dans le cas d'inflam-
mation, l'anesthésie obtenue était très imparfaite. Lowenstein a
cherché, sur les conseils d'Elschnig, à obtenir une anesthésie
massive en agissant sur le ganglion ciliaire lui-même. Sa technique
est la suivante :
La conjonctive étant anesthésiée par des instillations de cocaïne,
on se sert d'une aiguille de 5 centimètres de long et de grosseur
correspondante.
La commissurepalpébrale externe est alors tirée vers la tempe ; puis
l'aiguille est piquée juste contre le bord latéral de l'orbite, un peu au-
dessus du diamètre horizontal de i'œil : de la sorte on passe sur le
bord inférieur du droit externe sans traverser ce muscle.
Laiguille est alors enfoncée jusqu'à 0*^'",5 de son pavillon, soit
à 45 millimètres de profondeur, distance habituelle du ganglion
ciliaire; puis l'injection ezl lentement poussée, mais non sans qu'on
se soit assuré, en imprimant à l'aiguille de petits mouvements de
latéralité, que celle-ci est libre: faute de cette précaution, on
pourrai! faire l'injection tout entière dans la gaine du nerf opticjue (2),
Règles gciiôralc!» de raiiesthésic locale. — Quel que soit
laneslhésique employé, du moment qu'il s'agit d'introduire dans
l'organisme un médicament toxique, un certain nombre de précau-
tions s'imposent. 11 faut avoir toujours devant l'esprit la possibilité
(1) (i;iz. des hop., 1 dcc. 1909.
(2) Klin. Monnlssbliittcr f. Angenheill;. , iu\n ]9"8.
RÈ(UJ:S générales de LANESTHÉSIE locale. 343
il'un état idiosyucrasique chez le maliule el par suite ne jamais se
départir d'une certaine prudence.
Les dispositions individuelles jouent un rôle considérable dans
lévenlualité des accidents légers ou même graves. Ces dispositions
peuvent d'ailleurs varier chez le même individu d'un instant à l'autre,
selon des influences aussi variées qu'insaisissables. De là la néces-
sité de toujours essayer de modifier, dans le sens le plus lavoralde,
l'état mental du sujet, par exemple en le rassurant sur l'innocuité
absolue du médicament employé, sur son efficacité certaine comme
anesthésique, sur l'absence de toute suite fâcheuse de l'inter-
vention. Ces précautions seront prises systématiquement vis-à-
vis de tous les sujets. Mais l'expérience permettra de prévoir qu'on
a atïaii'e à des malades pusillanimes ou nerveux. Il faudra, dans ces
cas, redoubler d'ell'orts pour les rassurer. Quand il s'agit, en outre,
de patients dont l'état général est médiocre, de sujets très jeunes ou
au contraire de vieillards, en plus de toutes ces précautions oratoires,
4'opérateur aura soin de rester toujours, dans l'administration de
l'anesthésique. au-dessous des doses normales, et de recourir plutôt à
l'anesthésique le moins toxique, dût-il donner un résultat moins par-
fait. Ces règles s'imposent surtout quand il s'agit de patients atteints
d'ostéopérioslite, qui viennent de subir une élévation de température,
<le passer par une période de douleurs violentes et d'insomnie. Ces
malade^ se présentent souvent devant nous dans un état de dépi'ession
tel que nous conseillons, à moins d'urgence absolue, de s'abstenir de
toute injection médicamenteuse dans la gencive, et. si l'on ne peut
remettre l'opération, de recourir à l'anesthésie par réfrigération.
Quant à l'heure de la journée la plus favorable pour faire
l'injection, nous pensons, d'accord avec nombre de nos confrères,
qu'il vaut mieux intervenir quand le patient n'est pas à jeun. Évidem-
ment il peut se présenter des cas où, après l'opération, des tendances
à la syncope se produisent avec nausées et vomissements. Mais ce
dernier accident est relativement très rare, et nul doute que le fait
d'être complètement à jeun n'augmente les risques de lipothymie.
Toutes choses bien considérées, mieux vaut intervenir quand le
patient a mangé, mais non pas immédiatement après le repas. Laissons
s'écouler au moins deux heures.
Contre cette tendance à la syncope, Reclus conseille comme
règle absolue la position couchée. Malheureusement, quand nous
intervenons, il ne s'agit pas de grandes opérations, et il nous est fort
difficile défaire accepter au patient cette attitude anormale. Il nous
est d'ailleurs extrêmement pénible d'opérer ainsi. Nous en sommes
donc réduits à donner au malade une position légèrement inclinée
en arrière, ce qui est en général suffisant.
Ce qu'il faut exiger, c'est que tout lien capable de gêner la respi-
ration soit enlevé : faux cols ou cravates, corsets, etc.
344 NOGUE. — ANESTHESIE.
Les précautions antiseptiques les plus minutieuses sont absolument
indispensables aujourd'hui : antisepsie de la muqueuse, antisepsie
des instruments, antisepsie des mains de l'opérateur. Sur la muqueuse,
on passera un tampon imbibé d'éther ou d'alcool, et on fera faire un
lavage de la bouche avec une solution phéniquée au préalable. Les
instruments, seringue et aiguille, seront bouillis immédiatement
avant l'opération, devant le malade lui-même, ce qui lui donne toute
sécurité. La solution anesthésique, conservée dans des ampoules
scellées, est ensuite aspirée dans la seringue, et enfin, au moment
même de la piqûre, l'extrémité de l'aiguille de platine est rougie
à la flamme de la lampe à alcool. Pendant toutes ces manœuvres
et surtout au moment même de l'intervention, l'opérateur se lave les
mains avec un savon antiseptique.
L'injection sera faite lentement et de préférence en deux fois. A
la seconde reprise, les tissus étant déjà en partie anesthésiés, le
patient ne sent pas les piqûres, ce qui lui donne la certitude que
l'insensibilisation est obtenue. Nous avons longuement insisté
ailleurs sur la technique de l'injection elle-même selon les diverses
méthodes ; nous n'y revenons pas.
L'opération terminée, il est nécessaire de faire encore l'antisepsie
de la région par des lavages chauds.
On peut alors faire absorber au patient un peu de café noir ou un
peu d'alcool. Il est prudent de le faire reposer sur une chaise longue
pendant quelques instants et de ne le laisser sortir que lorsqu'il est
complètement revenu à l'état normal.
ANESTHÉSIE DE LA DENTINE ET DE LA PULPE.
L'exquise sensibilité que présente parfois la dentine constitue un
obstacle à tout traitement. Quant à la sensibilité même de la pulpe,
elle est telle qu'aucune intervention ne peut être tentée sur cet organe
sans l'aide des anesthésiqucs. Mais le problème de l'anesthésie
dentinaire ou pulpaire a été des plus difficile à résoudre, et, malgré
bien des progrès accomplis, on ne peut compter encore sur des
résultats toujours parfaits.
Mais il s'agit là d'une question si importante pour le dentiste qu'il
nous paraît nécessaire de lui consacrer un chapitre spécial, d'autant
que bien des procédés employés dillerent des méthodes habituelles
de l'anesthésie.
Nous ne passerons pas en revue toutes les substances expérimen-
tées pour atténuer la sensibilité de la dentine. Un grand nombre
d'entre elles, capables d'ailleurs de rendre de grands services, sont
de véritables caustiques ou agissent par un mécanisme encore obscur.
Telles sont les substances chimiques suivantes : la créosote, l'acide
phénique, le chlorure de zinc, le nitrate d'argent, le chlorhydrate
d'érythrophléine, l'acide arsénieux, etc.
ANESTHÉSIE DE LA DEj^TIXE ET DE LA l'ULPE. 345
Nous nous occuperons surtout des méthodes capables de produire
Tanesthésie, en respectant l'inlégrilé même des tissus de la dent.
Projection d'acide carbonique. — L'acide carbonique gazeux
a été préconisé en projection sur la dentine, soit à la température
ordinaire, soit à une température plus élevée. Dans le premier cas,
l'acide carbonique aurait une action purement anesthésique. On sait
en effet, depuis les expériences de FoUin et plus tard de Brown-
Sequard, que ce gaz a pu déterminer l'insensibilisation des premières
voies digestives et de la membrane du tympan. D'autres ont utilisé
le gaz porté à une température élevée à l'aide d'un galvano-cautère.
Il est probable que, dans ce cas, à l'action anesthésique du gaz vient
se joindre l'action desséchante de la chaleur. La dentine desséchée
devient en effet prescjue insensible, et ce fait bien connu est utilisé
chaque jour par les dentistes. Cependant la projection d'acide
carbonique n'a pas donné de résultats assez constants pour entrer
dans la pratique, et c'est encore là un procédé peu employé.
Anesthésie dcntinaire parréfrig-ération. — La réfrigération
a été employée de diverses manières pour obtenir l'aneslhésie de
l'ivoire, avec des succès divers.
En 1902, le D' C.-R. Rasford (de San-Francisco) préconisa l'em-
ploi de l'éther sulfurique avec un appareil de son invention, consis-
tant en un réservoir d'air comprimé, un récipient contenant de l'é-
ther et un système de tubes permettant de projeter en permanence
sur la dent un fin mélange des deux.
La digue étant placée, on applique sur l'ivoire une boulette de
coton sur laquelle se pulvérise directement l'éther. La sensation de
froid d'abord éprouvée par le patient ne tarde pas à disparaître ; à ce
moment, on enlève le coton et on continue la pulvérisation sur la
dentelle-même. Au bout de trois à dix minutes, toute sensibilité au
froid est abolie, et il devient alors possible, tout en continuant la
pulvérisation, de commencer le fraisage de l'ivoire. Toute sensibilité
a disparu. La température de la dent descend à 36" Fahrenheit;
mais elle ne tarde pas à revenir à la normale. On ne note aucune
suite fâcheuse après l'application de cette méthode.
S'il est nécessaire d'arriver à la pulpe, on peut obtenir l'aneslhésie
pulpaire sur les dents antérieures. Mais, s'il s'agit de dévitaliser les
prémolaires et molaires, l'aneslhésie obtenue n'est pas suffisante.
Toutefois il est possible d'ouvrir la chambre pulpaire en vue de
l'application d'un caustique.
On a remplacé avantageusement l'éther sulfurique par le chlorure
d'éthyle ou divers mélanges de chlorure d'éthyle et de chlorure de
méthyle. On peut ainsi obtenir une anesthésie superficielle de la den-
tine. Mais, malgré de nombreuses tentatives, le procédé, qui avait l'a-
vantage d'être toutàfaitinoffensif pour lapulpe, ne s'est pasvulgarisé.
Anesthéisie de la dentine et de la pnlpe par application
34P NOGUÉ. — ANESTHÉSIE.
directe des anestliésîques. — Les propriétés anesthésiques si
puissantes de la cocaïne pouvaient faire espérer qu'on obtiendrait
aisément, à laide de solutions concentrées, l'anesthésie de la
denline, comme on obtenait l'anesthésie des muqueuses. Malheureu-
sement, quand il s'aoit de la dentine, la pénétration des solutions
anesthésiques dans le tissu est tout à fait superficielle, de telle sorte
que l'anesthésie obtenue reste insuffisante. Toutefois, ce procédé, le
plus simple de tous, sera susceptible de rendre, quand il s'agira de
caries superficielles moyennement sensibles, des résultats appré-
ciables.
Après avoir placé la digue, on appliquedans la cavité une bouletle
de coton imbibée d'alcool absolu qu'on laisse en place pendant quel-
ques instants. On enlève ensuite le colon et on sèche la cavité en y
projetant de l'air chaud. Ce n'est que lorsque la cavité est absolument
débarrassée de toute humidité qu'on y introduit l'anesthésique.
Les solutions qu'il est possible demployer sont en grand nombre :
la base en sera presque toujours la cocaïne, la stovaïne ou la novo-
caïne.
La plus simple est une solution saturée de cocaïne dans l'alcool
absolu. On pourra également avoir recours à la mixture de Bonain
avec ou sans adrénaline :
Acide phénique cristallisé J
Menthol âa P. E.
Chlorhydrate de cocaïne )
ou :
Acide phénique cristallisé 1 gramme.
Menthol 1 —
Chlorhydrate de cocaïne 1 —
Chlorhydrate d'adrénaline 1 millier.
ou encore :
Mixture de Bonain 3 cent, cubes.
Adrénaline pure 5 milligr.
on peut aussi employer une des mixtures suivantes :
Mixture de Grai/.
I ^=,
Huile d'aniline . , _
Alcool absolu j '''^ ^*^ grammes.
Chlorhvdrate de cocaïne 1 gramme.
Mi.rliire de Uanrj.
Chlorhydrate de cocaïne lsr,5 à 3 grammes.
Glycérine ]
Eau distillée Sa 10 grammes.
Alcool absolu )
OU encore :
Acide phénique cristallisé .
Menthol àîi 1 gramme.
Chloral )
Chlorhydrate d'adrénaline 1 milligr.
ANESTHÉ:?IE DE LA DENTINE ET DE LA PULPE. '.Wl
On laisse la solution en contact avec la dentine pendant quelques
minutes. On enlève ensuite le tampon, on dessèche de nouveau la
cavité et on iVaise.
En général, l'anesthésie obtenue n'intéresse qu'une mince couche
d'ivoire. Cette couche enlevée, la sensibilité reparaît, et il devient
nécessaire de faire une nouvelle application. C'est ainsi par étapes
successives qu'il est parfois possible d'arriver au nettoyage complet
de la cavité et à la préparation en vue d'une obturation déterminée.
On peut également employer les comprimés de novocaïne direc-
tement appliqués sur la denline et humectés dun peu d'alcool.
Il est possible encore d'appliquer des préparations laissées en place
pendant vingt-quatre heures, comme les suivantes :
Formule de Viaii :
Phénate de cocaïne 50 centigr.
lodoforme 25 —
Gutta-percha 2 j;rammes.
Chloroforme Q. S.
pour faire un liquide de consistance sirupeuse: bien sécher la cavité,
étendre une couche de ce liquide sur la dentine et recouvrir avec de
la gutta.
Chloroforme 2 grammes.
Acide tannique 1 ~ _ „ , •
,,,,,,/,.. iui oO centigr.
(.chlorhydrate de cocame )
Teinture de benjoin à saturation 10 grammes.
Étendre une couche de ce liquide sur la denline et recouvrir avec
■de la gutta-percha.
Cocaïne 1 gramme.
Morphine 30 centigr.
Acide benzoïquc -10 —
Eugénol 3 grammes.
Alcool à 90 • 4 —
(Boyd-Wallis.)
■ou encore :
Eugénol 10 grammes.
Cocaïne 1 gramme.
(Brasseur.)
Il est bon toutefois de ne pas toujours compter sur le succès. Dans
les cas d'hyperesthésie dentinaire, en particulier dans certaines
varies du collet, l'anesthésie ainsi obtenue sera tout à fait insuffisante
pour permettre lintervention.
Les mêmes remarques s'appliquent naturellement à l'anesthésie
pulpaire, quand la pulpe n'est pas à découvert.
Anesthésie pulpaire par compression. — ]\Iais, lorsque la
chambre pulpaire est ouverte, les conditions changent. On conçoit
qu'il soit possible, dans ces circonstances, de faire pénétrer par un
348 NOGUÉ. — ANESTHESIE.
artifice quelconque la solution anesthésique concentrée dans Tinti-
mité même du tissu sensible.
C'est la méthode connue sous le nom d'anesthésie pulpaire par
compression. Elle consiste à mettre la pulpe à nu dans la plus grande
étendue possible à Taide d'excavateurs bien tranchants. Cela fait,
on applique exactement sur la partie dénudée et saignante une bou-
lette de coton imbibée de la solution choisie (alcool absolu et cocaïne,
mixture de Bonain, etc.). La périphérie de la cavité étant alors
soigneusement desséchée, on y applique un morceau de gutta
ramollie qu'on maintient en place avec une spatule ou la pulpe de
l'index, jusqu'à ce qu'elle se refroidisse un peu. On s'assure alors que
la gutta adhère d'une façon parfaite à tout le pourtour de la cavité.
C'est là une condition sine quanon du succès. Il suffit alors avec un
fouloir de faire une pression au centre de la gutta, pression trans-
mise sur le coton imbibé de la solution anesthésique. Si la gutta
adhère d'une façon parfaite au pourtour de la cavité, le liquide ne
peut fuser que d'un seul côté, du côté de la pulpe. La pénétration
du liquide anesthésique dans la chambre pulpaire se traduit par une
douleur assez vive. Aussi est-il prudent de faire cette pression avec
beaucoup de modération, quitte à la recommencer quelques instants
après. Aubout de quelques minutes, la pression sur la gutta ne déter-
mine plus de douleur. C'est la preuve que l'aneslhésie commence à
se produire, par suite de la pénétration du médicament dans le tissu
nerveux. On peut alors faire une pression plus énergique encore
pour parachever l'anesthésie. Après une attente de cinq à dix mi-
nutes, on enlève la gutta et le coton: on sèche la cavité, et il estpos-
.sible alors d'ouvrir sans aucune douleur la chambre pulpaire,
d'extraire la pulpe et les fdets nerveux radiculaires.
Au lieu d'employer la gutta, on peut se servir d'un fragment de
digue ou de caoutchouc à vulcaniser. Mais les résultats sont moins
bons, car le liquide anesthésique n'est pas ainsi refoulé d'une façon
parfaite vers la cavité.
Cette méthode d'anesthésie. donne d'excellents résultats. Elle ne
saurait cependant remplacer les autres procédés, car elle ne peut s'ap-
pliquer à tous les cas. Certaines cavités se prêtent mal à ces manipu-
lations; d'autres fois, c'est la pulpe qui, ayant subi au préalable l'ac-
tion de pansements créosotes, absorbe mal le liquide anesthésique.
Cette méthode n'est pas absolument dépourvue de dangers. Il
semble que la pulpe soit susceptible d'absorber le médicament anes-
thésique et qu'il faille, dans l'aneslhésie par compression, prendre
les mêmes précautions que dans l'aneslhésie intragingivale. En
etîet, Paul-Francis Jean a signalé un cas de syncope grave sur-
venu chez un homme de trente-deux ans à la suite d'une aneslhésie
par compression faite à l'aide d'une solution de cocaïne dans la glycé-
rine. L'opérateur, suivant en cela les errements habituels, ne s'était pas
ANESTIIÉSIE DE LA DENTLNE ET DE LA PULPE. 349
préoccupé du dosai^e. Les accidents survinrent quelques instants
après le début de l'opération en dyspnée intense, sensation d'an-
goisse, convulsions et crises éclamptiques et durèrent près de trois
heures. Il est donc prudent de ne pas employer dans ces cas la
cocaïne larga manu, mais de n'utiliser que des solutions titrées et
de ne pas dépasser les doses habituelles.
Injections intrapulpaircs. — Quand la pulpe est bien dénudée,
il est possible d'injecter directement dans la chambre pulpaire un
liquide anesthésique à l'aide dune seringue quelconque. Bock (de
INuremberg) mit le procédé en pratique dès 1885. Il est bon au
préalable de placer une boulette de coton imbibée d'une solution
anesthésique concentrée pour obtenir l'insensibilisation des couches
les plus superficielles de la pulpe, sous peine de ne pouvoir y intro-
duire la pointe de l'aiguille. Ce résultat obtenu, on insinue avec pré-
caution l'extrémité de l'aiguille par l'orifice pulpaire aussi profon-
dément que possible, et on pousse le piston de façon à faire pénétrer
dans la pulpe une ou deux gouttes de la solution. Après quelques
minutes d'attente, on recommence en faisant pénétrer l'aiguille plus
profondément. On peut obtenir ainsi une anesthésie absolue de la
pulpe et parfois des filets radiculaires. La solution à injecter peut
être une solution assez concentrée, étant donnée la faible quantité
employée. On peut faire pénétrer ainsi deux à trois gouttes d'une
solution de cocaïne à 5 p. 100 ou de novocaïne à 10 p. 100. Malheu-
reusement ce procédé est difficilement applicable dans toutes les
cavités. En outre, il est parfois impossible d'obtenir une anesthésie
suffisante des couches superficielles pour pouvoir faire pénétrer
l'aiguille dans la chambre pulpaire.
Cataphorèse. — La cataphorèse est une méthode qui consiste à
faire pénétrer dans les tissus les médicaments, grâce à l'action de
l'électricité. Le mot, imaginé par PorretetduBois-Reymond, signifie à
proprement parler « porter en bas » , c'est-à-dire porter vers la cathode
ou pôle négatif. Or certains médicaments sont au contraire trans-
portés vers le pôle positif. Le terme d'ëlectrophorèse, comme le dit
justement le D"" Pont, conviendrait beaucoup mieux.
Ce dernier auteur, quia faitune étude approfondie de la catapho-
rèse appliquée à l'art dentaire, en décrit ainsi la technique et l'ins-
trumentation.
Les instruments indispensables sont : une source quelconque de
courant de 15 à 60 volts de tension, un rhéostat, un milliampère-
mètre et des électrodes positives et négatives.
Source de courant. — Pour qu'un courant galvanique puisse être
utilisé pour la cataphorèse, il doit : 1° être régulier et ne pas être
sujet à des renversements ; 2" être de faible tension, car, en art den-
taire, on ne doit dans aucun cas employer un courant supérieur à
3 ou 4 milliampères.
350 NOGCE. — ANESTHESIE.
Dans ces conditions, il semble au premier abord qu'une batterie
de piles ou une série d'accumulateurs puissent être les seules
sources de courant utilisables. Mais actuellement on trouve aisé-
ment des installations électriques permettant d'utiliser directement
le courant des secteurs, non seulement pour le moteur, mais pour le
galvano-cautère, l'éclairage et la cataphorèse.
Rhéostat. — En art dentaire plus que partout ailleurs, en raison
(le l'extrême sensibilité des tissus sur lesquels on opère, l'intensité
du courant doit être graduée d'une façon précise et, à ce point de
vue, un rhéostat spécial est nécessaire. Il ne faut cependant pas que
le courant employé soit un courant polyphasé, car alors il faudrait le
transformer au préalable en courant continu.
Milliampèremèlre . — Le milliampèremètre est fractionné en
dixièmes de milliampère et marque de 0 à 5 milliampères. Cet instru-
ment est absolument indispensable, car aucun symptôme subjectif
ou physique ne peut renseigner l'opérateur sur l'intensité du courant
utilisé; dans chaque cas, la résistance varie, et il faut nécessairement
être renseigné par un instrument approprié.
Électrodes. — Les électrodes et les rhéophores ne doivent être
fixés à l'appareil que pendant leur utilisation.
On distingue des électrodes positives et des électrodes négatives.
Les électrodes positives sont destinées à être appliquées dans la
cavité ou dans la région gingivo-dentaire, et les électrodes négatives
peuvent être appliquées soit au niveau de la joue, soit dans la main
du patient. Les électrodes positives, toutefois, deviendront négatives
lorsqu'on voudra utiliser un corps électro-négatif ou anion, tel que
l'iode, l'oxygène, etc. A ce point de vue, il serait peut-être juste de
dire électrode active au lieu d'électrode positive et électrode indiffé-
rente au lieu d'électrode négative. On a inventé et décrit une foule
d'électrodes ; les moins compliquées sont les meilleures.
Électrodes positives ou électrodes actives. — La plus simple
et la plus employée est la pointe avec boule de platine à l'extrémité.
Cependant celle-ci a besoin d'être maintenue parla main de l'opéra-
teur, car en aucun cas l'électrode positive ne doit être maintenue en
place par le patient lui-même. D'ailleurs, d'une façon générale, il
est préférable de se servir d'une électrode positive qui tienne seule
dans la cavité : 1° parce que le moindre déplacement de la pointe
détermine des secousses douloureuses; 2° parce qu'il est difficile
de conserver toujours la même pression et que, dans le cas contraire,
on risque défaire varier l'intensité du courant; 3° parce qu'on peut
éviter ainsi une perte de temps et un peu de fatigue.
On préférera donc, toutes les fois que cela sera possible, à l'élec-
trode précédente l'électrode munie d'une agrafe avec conducteur, à
laquelle se trouve fixé un fil de platine très fin ayant une boule à
l'autre extrémité. Le fil est entouré d'un tube de caoulchouc pour
ANESTHESIE DE LA DENTINE E'J' DE EA PULPE. 351
éviter les j)erlcs de courant, et la poinle est fixée dans la cavité au
moyen de cire ou de gutta-percha.
Electrodes négatives ou indifférentes. — On a discuté pour
savoir s'il valait mieux placer l'électrode négative sur la joue ou sur
la main. On a dit qu'en la plaçant sur la joue on diminuait la résis-
tance, qu'on obtenait ainsi des résultats plus rapides et qu'enfin
l'opérateur n'était pas sous la dépendance du patient.
L'électrode indilîérente doit de préférence se placer sur la main,
mais parfois la chose devient impossible quand on se trouve en face
d'un enfant ou d'un patient timoré. Mieux vaut alors appliquer
l'électrode sur la joue et se servir par exemple de la KlingelfusSy
munie d'une grande plaque métallique pour l'intérieur delà bouche
et d'une plaque isolante de caoutchouc pour l'extérieur. On place,
pour éviter les accidents et diminuer la résistance, un petit morceau
de toile imbibée d'eau salée entre la muqueuse et la plaque métallique.
Manuel opératoire. — Avant de faire passer le courant à travers la
dent, il est bon de prendre quelques précautions préliminaires.
L'opérateur s'assurera tout d'abord que son appareil fonctionne bien,
surtout en ce qui concerne le rhéostat et le milliampèremètre ; il
s'assurera ensuite que les électrodes sont bien en rapport avec les
bornes correspondantes. Ceci fait, il débarrassera la cavité le plus
soigneusement possible des portions de dentine ramollies et de tous
les corps étrangers; enfin il placera la digue. Cette dernière précau-
tion est absolument indispensable. Il faut être tout à fait à l'abri de
la salive pour faire l'électrophorèse, car sans cela les solutions
médicamenteuses risquent d'être altérées ou tout au moins diluées;
leur décomposition électrolytique peut être considérablementtroublée;
enfin, la dent étant un corps inférieur à la salive comme conducteur,
il arrivera forcément que le courant sera dévié et ne passera plus
par la dent. C'est là une des principales causes d'insuccès, et c'est
pour ne pas avoir pris cette précaution que beaucoup d'opérateurs
ont rejeté l'électrophorèse.
Toutes ces précautions prises, on lave la région opératoire à l'eau
stérilisée : on introduit dans la cavité une boulette de coton imbibée
de la substance médicamenteuse, et l'on place l'électrode indifférente
soit sur la joue, soit dans la main du patient. On rassure ce dernier,
s'il paraît timoré, et on lui demande de faire un signe quelconque
dès qu'il sentira passer le courant. Mais il ne faut à aucun moment,
et sous aucun prétexte, que cette sensation soit douloureuse.
On place l'électrode active dans la cavité, et on la fixe au moyen
d'un peu de gutta, ou bien on la maintient immobile et bien appliquée
sur le coton.
Lorsque les électrodes sont bien en place, on tourne doucement
la manivelle du rhéostat, en débutant à zéro. Il faut avoir presque
constamment les yeux sur le milliampèremètre et s'arrêter dès qu'on
352 NOGUE. — ANESTHESIE.
a atteint l'intensité indiquée, suivant le cas. Jl n'est pas nécessaire
que le patient perçoive le courant ; par contre, il faut s'arrêter lors-
qu'il aura une sensation quelconque et ne continuera augmenter l'in-
tensité que lorsque ce dernier n'est plus perçu.
La durée de l'opération est variable; en général quatre ou cinq mi-
nutes suffisent largement.
Au bout de ce temps, qu'il est inutile de dépasser, surtout s'il s'agit
d'une carie non pénétrante sensible, on ramène tout doucement le
manivelle du rhéostat à zéro. 11 faut abaisser le courant graduelle-
ment, sans secousses brusques, et n'enlever les électrodes que
lorsque l'aiguille est à zéro. Sans cela il se forme un courant de
rupture qui provoque une sensation très désagréable, sinon très
douloureuse pour le malade. C'est pour cette raison que, pendant
toute la durée du passage du courant, il faut maintenir l'électrode
dans la cavité avec une pression uniforme et parfaitement immobile.
11 faudra s'assurer, pendant l'application, qu'il n'y a pas de perte
de courant soit par le clampsqui retient la digue, soit par une obtu-
ration métallique voisine. Lorsqu'il est impossible d'éviter le contact
de l'électrode avec une obturation métallique ou un clamps, on n'a
qu'à isoler ces derniers en les recouvrantd'une couche de chloro-per-
cha. Cette précaution est inutile lorsqu'on se sert de l'électrode posi-
tive fixe, dont le fil de platine est isolé par une gaine de caoutchouc.
Enfin, dans certains cas, il est nécessaire de renouveler la solution
médicamenteuse. Pour cela, il faut ou bien faire l'opération en deux
temps, s'arrêter au milieu et changer la boulette de coton, ou bien
laisser tomber de temps en temps sur l'extrémité de l'électrode une
goutte de la solution employée.
En somme, le manuel opératoire est basé tout entier sur deux points :
1° éviter les pertes de courant pour avoir un résultat positif et
n'avoir pas d'accidents; 2° éviter les augmentations ou les diminu-
tions brusques de courant pour ne pas faire souffrir le patient.
Anesthésie dcladcntiiie etdclapiilpeparinfiltrationdeu-
tînaire. — Malgré que le tissu dentaire soit peu perméable, on a essayé
d'y faire pénétrer sous pression une solution anesthésique. Mayer fit
construire pour cela une seringue spéciale dont le corps métallique,
relativement peu volumineux, recevait un piston également
métallique, manœuvré par le rapprochement de deux branches sem-
blables aux branches d'un davier. La pression ainsi obtenue était
considérable. Pour faire pénétrer le liquide dans l'intimité du tissu,
on pratiquait au niveau du collet de la dent, à l'aide d'un foret de
calibre approprié, un trou dans lequel venait se placer une canule
conique. Cette canule, obturant d'une façon parfaite l'orifice du
pertuis, les branches de l'appareil étaient rapprochées, et le liquide,
sous la poussée de cette pression considérable, pénétrait lente-
ment dans les canalicules de l'ivoire.
ANESTHÉSIE DE LA DENTINE ET DE LA PULPE. 353
11 existe une autre seringue clans laquelle le piston se déplace
par la manœuvre d'une roue, fixée sur le côté de la seringue. C'est
la seringue de Wilson-Jewet.
L'extrémité de l'instrument esl formée par une pointe en acier, de
forme légèrement conique et du diamètre d'un tiers de millimètre à
son extrémité pointue, à lumière très fine.
La seringue étant chargée avec une solution de cocaïne à 10 ou
15 p. 100, on fixe le bec en pointe sur le corps en vissant avec assez
de force pour que lejoint soit étanche. Avec une fraise deWhiten" 1,
qui correspond au calibre de la pointe en acier, on fait soit dans la
cavité même, soit au collet de la dent, un Irou deO""",?.) à 1 milli-
mètre de profondeur. Le bec de l'instrument est alors engagé dans
ce trou, en poussant légèrement par des mouvements alternatifs de
rotation de droite à gauche et vice versa. De cette façon, on obtient
un joint suffisant pour qu'il ne reste plus qu'à actionner le piston.
En appuyant alors l'index sur la petite roue, on constate une résis-
tance sérieuse produite par le liquide qui ne peut filtrer ni par le
bec, ni revenir en arrière, ni s'échapper par les joints si l'instru-
ment fonctionne bien. En appuyant plus fortement, la résistance
diminue, le piston avance ; c'est la solution qui pénètre dans l'in-
timité même des tissus dentaires. L'injection terminée, on cons-
tatera que la dent entière est anesthésiée (Fleischmann).
Cette méthode n'est pas exempte d'inconvénients. C'est en premier
lieu les difficultés de l'instrumentation et de la technique même.
Il n'est pas aisé d'empêchertoute fuite du liquide au niveaudu point de
pénétration de la canule dans l'ivoire. Les manœuvres même faites
par l'opérateur pour actionner la seringue tendent à déplacer la
canule. Il est donc nécessaire, pour obtenir de bons résultats,
que l'opérateur fasse appel à un aide qui sera chargé uniquement
de faire tourner la roue commandant la pression, pendant que
lui-même sera uniquement occupé à tenir la seringue, à l'immo-
biliser en la solidarisant complètement avec la dent, avec une
force d'application qui assure l'étanchéité absolue du joint. Cette
manœuvre est difficile et fatigante pour l'un etl'autredes opérateurs.
Le D"^ Château, au lieu d'assujettir directement la canule à l'extré-
mité de la seringue, propose d'interposer un conduit en cuivre de
2 millimètres environ de diamètre et de 30 centimètres de longueur,
conduit dont la flexibilité rend indifférents lespetits mouvements que
pourrait faire l'aide qui tourne la roue de pression et qui, d'ailleurs,
pourra être seul chargé de tenir la seringue dont l'immobilisation
rigoureuse n'est plus indispensable.
La fixité automatique de la canule sur la dent et, par conséquent,
l'étanchéité du joint, sont assurées en fixant le corps de la canule
préalablement muni d'un pas de vis extérieur sur un cavalier dont
l'écartement peut être réglé à volonté par suite de la présence d'une
Traité de stomatologie. VL — 23
354 ^•OGUÉ. — ANESTHÉSIE.
fflissière dont on fixe une fois pour toutes récartement suivant
l'épaisseur de la dent à opérer.
Le cavalier enjambe la dent sur laquelle on opère. La patte interne
du cavalier se fixe à la lace interne de la dent, soit directement, soit
à l'aide de deux vis placées à cet elTet et réglables à volonté.
La patle externe du cavalier correspondra à la face externe de la
dent. Cette portion externe du cavalier est percée dun trou muni
dun pas de vis. C'est dans ce pas de vis que s'engagera la canule
destinée à transmettre la pression, car le corps de cette canule a été
préalablement muni, comme il a été indiqué, d"un pas de vis corres-
pondant à celui du cavalier.
Si on tourne donc la canule formant vis dans le pas de vis qui lui
correspond sur la face externe du cavalier, on approche la pointe de
la canule de la face externe de la dent : en continuant davantage, on
engage la canule à l'entrée du petit trou perforant l'émail et dont le
diamètre est légèrement supérieur à la pointe de cette canule.
La canule étant ainsi assujettie et la pointe se trouvant fixée
avec une force qu'on peut régler avec la vis. on conçoit parfaitement
que l'injection, n'ayant aucune autre issue, pénétrera dans les canali-
cules de Tomes pour arriver à la pulpe et l'insensibiliser (Château).
Il faut bien savoir que, malgré les plus minutieuses précautions, le
liquide ne pénètre jamais bien aisément dans les canalicules de
Tomes, même avec une pression très élevée. 11 est bien des cas, par
exemple quand il s'agit de dents très calcifiées, dans lesquels la
pénétration est insignifiante et l'anesthésie quasi nulle.
Anesthésie de la dentinc et de la pulpe par la voie gingri-
vale. — Il était tout naturel de chercher à obtenir l'insensibilisation
de la pulpe et de l'ivoire par une injection dans les tissus gingi-
vaux. Le P' Reclus avait Jni-mème indiqué la voie en disant : « Les
dentistes qui ont recours à la cocaïne insensibilisent les tissus
lorsqu'ils veulent extraire une dent, mais s'abstiennent dans les cas,
si douloureux pourtant, où ils arrachent ou détruisent la pulpe par
des vrilles ou par des caustiques. Pourquoi ne pas faire alors des
injections profondes, jusqu'au niveau des racines. Certainement ces
injections seraient efficaces : elles agiraient sur les nerfs qui abordent
la pulpe, puisque lors de l'extraction on étire et l'on rompt les
nerfs sans que le patient éprouve la moindre souiTrance. »
M. Touchard essaya le premier d'obtenir cette anesthésie. Il se ser-
vait d'une solution contenant l'^".5 de cocaïne et O-^-^o d'eucaïne
dans 1 centimètre cube d'eau. A laide de la seringue de Pravaz, il
injectait lentement le liquide, l'aiguille enfoncée de plus en plus pro-
fondément jus(iu';i 2 centimètres environ dans la direction de l'apex,
en restant le plus près possible du périoste. L'anesthésie était obte-
nue dans un temps variant de deux à quinze minutes, et elle se pro-
longeait de dix à quarante minutes. Malheureusement les résultats
AM'STIIKSIE DE LA DENTIXE ET DE LA PULPE. 355
étaient très variables. Pour certaines dents, tantôt Tanesthésie
était parfaite, tantôt insul'tisanle ou nulle. Pour d'autres, elle
était incertaine, à tel point que cette méthode si simple et si ration-
nelle tomba en désuétude, tant les déceptions qu'elle donna furent
nombreuses. Il est difficile de déterminer les causes réelles de ces
insuccès, d'autant qu'avec une technique semblable lanesthésie est
aujourd'hui obtenue, en ayant recours à la novocaïne et à l'adréna-
line. La solution de cocaïne était-elle trop diluée? La quantité d'alca-
loïde était-elle insuffisante?
Cette dernière hypothèse est la plus vraisemblable. Une quantité
plus grande de cocaïne eût très probablement atteint le faisceau
vasculo-nerveux à son entrée dans l'apex à travers les pertuis de la
lame compacte de l'os, comme la chose se produit aujourd'hui avec
la novocaïne.
MÉTHODE DE Welin (de Stockholm). — M. Welin préconisa une
méthode d'anesthésie de la denline et de la pulpe par la voie gingi-
vale basée sur l'action d'un anesthésique et d'une forte pression.
L'anesthésique employé était un mélange assez complexe compre-
nant de la novocaïne et de l'adrénaline.
Après une antisepsie soigneuse du champ opératoire obtenue
avec une solution phéniquée à 5 p. 100, la pointe de la seringue spé-
ciale est introduite dans l'épaisseur du bourrelet gingival verticale-
ment. On fait d'abord pénétrer un peu de liquide dans les tissus grâce
à une pression légère. On augmente ensuite cette pression de façon
à obtenir une anémie complète des tissus autour de la dent. Cette
pression, d'après M. \\'elin, déterminerait une anémie assez mar-
quée de la pulpe pour que l'anesthésie se produise.
Pour les dents antérieures, l'injection doit être faite dans la gen-
cive sur le côté distal, mésial, buccal et lingual. Pour les prémolaires
du haut et du bas, on agit de même, mais il est nécessaire, avant
d'intervenir, d'attendre quelques instants. Il en est de même pour les
grosses molaires du bas : il est indispensable de pousser le liquide
anesthésique jusqu'au périoste.
On obtiendrait ainsi une anesthésie suffisante pour préparer les
cavités de la dentine sans aucune douleur, pour extraire extempora-
nément la pulpe et pour pratiquer l'avulsion des dents.
Cependant un certain nombre de reproches furent faits à cette
méthode. Le premier et le plus grave est que l'auteur se refusait à
faire connaître la nature de l'anesthésique eraj^loyé. Il est probable
que la cocaïne ou la novocaïne en formaient l'élément actif. Mais le
véhicule pouvait lui-même jouer un certain rôle. Toujours est-il
qu'on observa, à la suite de ces injections, des cas d'arthrite très
intense et des escarres, sans qu'il soit possible de dire si ces acci-
dents étaient dus au véhicule lui-même, aux composants entrant
dans le produit injecté ou à la pression elle-même.
356
NOGUL:. — ANESTHÉSIE.
Voici, à litre de document, le résultat de 16 cas daneslhésies pul-
paires faites d'après cette méthode par M. Flygare, élève de Welin, et
M. (jodon :
NOMS.
Ml
e G
M.
B
M»
A
M»
D
M.
D
M.
H
M«
C
M'
G
M.
V
M.
G
M»
M
M.
G
M.
G
M.
A
M.
G
M.
B
DENTS
traitées.
3 s.
6 S
6 i.
6 s
5 i.
4 i.
6
5 i.
5 i.
1 s.
7 s.
6 s.
5 i.
3 i.
NOMBRE
(le jjiqi'ires
BfREE
de l'opéralion.
2 piqûres.
15 minutes.
25 —
30 —
30 —
•iS —
35 —
10 —
15 —
15 —
là —
30 —
20 —
30 —
15 —
15 —
15 —
RESULTAT.
Bonne anesthésie.
Très bonne anesthésie.
Pas d'anesthésie.
Très bonne anesthésie.
Escarre.
Arthrite.
Bonne anesthésie.
Quoi quil en soit, celte méthode n'a guère aujourd'hui de partisans.
Anesthésie de la pulpe par trauinatisnie brusque. — Ce
procédé, qui n'est guère employé aujourd'hui que nous possédons
des moyens plus efficaces d'obtenir l'anesthésie, a été longtemps en
faveur parmi les dentistes. C'est certainement, dit M. Barden, auquel
nous empruntons ces détails, le procédé d'anesthésie pulpaire le
plus anciennement connu (1). Il a été découvert empiriquement et
successivement par tous les dentistes lorsque, dans un but prothé-
tique, ils furent amenés à sectionner à la pince coupante des dents
à pulpe vivante. En effet, si, immédiatement après la section de la
couronne, on enlève la pulpe à l'aide d'une broche, on constate que
cette énucléation ne donne lieu à aucune réaction douloureuse.
Partant vraisemblablement de cette donnée empirique que le choc
brusque anesthésie la pulpe, un dentiste chercha le moyen d'utiliser
cette action bienfaisante du traumatisme, sans être obligé de recourir
à la section de la dent, et il imagina le procédé de traumatisation
pulpaire, actuellement en usage. Pour déterminer le choc, on se
sert d'un petit bâton de bois d'oranger. On l'amincit de manière à
lui donner la grandeur et la forme approximative du canal radicu-
laire, et l'on aiguise la pointe. On découvre la pulpe ; on met à son
contact la pointe effilée du petit bCiton, et on l'enfonce d'un coup
rapide et sûr du maillet à aurifier. Sous la violence du choc, la
(1) M. Barden, La pulpectomie totale et immédiate. Étude critique des diverses
méthodes thérapeutiques permettant de procéder à cette opération {Rapport au
Congrès de Heiins 1907, et Secl. d'odonloloyie de VAssoc. franc, pour Vavancement
des sciences).
ANESTHÉSIE DE LA DENTINE ET DE LA PULPE. 357
jmlpo est parfois tout entière enlraînce liors du canal ; dans le cas
contraire, on ronlève à laide d'une broche.
On peut employer celte méthode chacpie fois qu'on a à enlever la
pulpe d'une canine : la facilité d'accès du canal de cette dent, son
grand volume, sa forme conique qu'on peut facilement donner au
bâton d'oranger, rendent alors cette opération réellement commode
et avantageuse. Ce procédé d'aneslhésie peut, bien entendu, être
employé pour d'autres dents que la canine. Fred. A. Peeso, dans son
ABC des couronnes ei des bridges, l'apprécie en ces termes (1) :
« Celte méthode réussit spécialement pour les dents ne présentant
qu'une racine, mais elle peut être appliquée avec succès aux bicus-
pides et aux molaires dans de bonnes conditions, alors que les cou-
ronnes sont mal cassées (?) et permettent l'accès des canaux.
« Cette opération a été souvent qualifiée de barbare par les prati-
ciens, mais elle ne l'est en aucune façon. Si on l'accomplit convena-
blement, on peut l'elTectuer sans plus de douleur qu'avec toute autre
méthode de dévitalisation. Elle est si rapide que la pulpe est paraly-
sée par le choc, et la douleur n'est pas plus vive que celle qu'on
éprouve d'une légère piqûre d'épingle. Tout dépend de la manière
de faii'e ; un opérateur maladroit peut occasionner de grandes souf-
frances au patient. »
11 est intéressant de se demander par quel mécanisme se produit
cette anesthésie pulpaire de courte durée, mais si complète, déter-
minée par la traumatisation brusque. On peut recourir à deux hypo-
thèses (2) : « Ou bien il se produit une inhibition due au brusque
traumatisme, — et Brown-Sequard a signalé des anesthésies passa-
gères parce mécanisme ; — ou bien il n'y a pas impression doulou-
reuse à cause de l'intensité même de l'irritation mécanique. » On sait,
en effet, que nos appareils nerveux ne sont adaptés que pour des exci-
tations de rythme déterminé. Or, si la pulpe est habituée à recevoir
et à transmettre des excitations de rythme bien défini, comme les
impressions thermiques ou encore les impressions mécaniques parmi
lesquelles on peut ranger, par exemple, l'appréciation du degré de
dureté d'un corps placé entre les dents, — impressions que la pulpe
reçoit journellement et dont le rythme lui est en quelque sorte fami-
lier, — elle n'est préparée en rien à ce traumatisme violent et subit,
dont le rythme inaccoutumé surprend si brusquement les éléments
cellulaires que ceux-ci, — comme sidérés, — perdent pendant un
instant la faculté de transmettre aux centres l'impression ressentie,
&oii l'absence de douleur constatée.
Quelle que soit la valeur des hypothèses émises pour expliquer
(1) L'A B C des couronnes et des bridges, par Frek. A. Peeso, Dental Cosmos
de janvier 1903 à mai 1904. Traduit par ^L Godox, Odontologie, 30 mars 1905,
p. 350.
(2) Gi.EV, Lettre particulière.
358 XOGUE. — AXESTHESIE.
cette anesthésie, le l'ait môme qu'elle existe suffilà donner au procédé
son importance. Est-ce à dire que le dentiste ait dans la traumatisa-
tion brusque un moyen aussi simple de déterminer Tanesthésie pul-
paire qu'on serait tenté de le croire au premier abord? Malheureuse-
ment non. Et quoi qu'en dise Peeso, ce procédé ne peut s'appliquer
— avec chance de succès — que dans quelques cas restreints.
D'abord il faut quelentrée des canaux soit très accessible et, si l'on
peut, à la rigueur, employer ce procédé pour anesthésier la pulpe
des incisives et des canines dont la cavilé radiculaire est large, la
difficulté d'avoir des bâtons de bois d'oranger assez ténus pour péné-
trer dans les canaux des premières bicuspides, dans les canaux ex-
ternes des molaires supérieures et dans les canaux antérieurs des
molaires inférieures suffitàcontre-indiquer la méthode. Et puis com-
ment aller dans la cavité buccale, à l'aide d'un maillet, donner un
coup vertical et bien appliqué sur un bâton de bois d'oranger fiché
dans une seconde molaire inférieure par exemple ? A notre avis, les
cas sont en petil nombre où le procédé se trouve formellement indi-
qué par le siège de la carie, par la facilité d'accès du canal radiculaire
et son grand calibre. Hormis ces cas, qui se rencontrent rarement
dans la pratique, la Iraumatisation brusque, malgré sa valeur réelle
au point de vue de l'anesthésie obtenue, devra élre rejelée, car cette
anesthésie ne s'obtient qu'avec les conditions de facilité d'accès du
canal et de choc bien appliqué dont nous avons parlé plus haut.
Méthode des injections distales ou înterdentaires. —
LesD'^A. Vanmosuenck (deLouvain) et le D'M. Pôletfde Bruxelles)
ont, lun et l'autre, préconisé, pour obtenir l'anesthésie de la den-
tine et de la pulpe, des méthodes qui présentent entre elles de
grandes ressemblances. Le premier lui donne le nom dinjection
interdentaire et le second d'injection distale.
Nous avons déjà parlé de la méthode des injections distales quand
nous avons passé en revue les différentes méthodes d'injection des
anesthésiques dans la région gingivo-dentaire. Ce procédé permet
d'obtenir l'anesthésie de la dentine et de la pulpe. Rappelons qu'il
con.siste à injecter un peu de liquide dans la gencive, contre le collet
de la dent du côté mésial, entre celle-ci et sa voisine. On relire
alors la seringue et, la saisissant à pleine main, sans injecter, on
cherche dans l'espace proximal lendroit par où la canule entrera le
plus profondément. La seringue étant parallèle à l'axe de la dent, on
injectera lentement une quantité de liquide variant suivant le degré
et la durée d'anesthésie recherchés. La canule entrera sur une lon-
gueur variant entre O-^™, 5 et 1 centimètre, voire 12 millimètres;
elle pénètre ainsi soit dans le ligament, soit dans le tissu conjonctif,
là où une extraction a eu lieu, soit dans un pore de l'os.
Le D'" A. Vanmosuenck (de Louvain) procède ainsi : avec une
solide seringue à ailettes, bien ctauciie, car il faut (lé|)loyer une
ANESTllÉSIE DE LA DENTINE ET DE LA PULPE. 359
force considérable, il iiiiecte I cenliniùlrc cube de .solulioii cocaï-
nique à 1 p. 100 additionnée d'une goutte d'adrénaline, dans l'espace
inlerdenlaire. L'aiguille est glissée le long de la racine aussi bien
que faire se peut, jusqu'à ce qu'on la sente fermement calée entre les
deux plans osseux et qu'on éprouve une résistance considérable à
l'entrée du liquide (1).
L'injection doit être poussée bien lentement et sera nécessairement
lente, vu le peu d'espace où le liquide doit pénétrer ; on sera assuré
que ce liquide a bien pénétré par l'apparition d'une zone blanchâtre
-après une ou deux minutes d'attente, au niveau de l'espace inter-
dentaire.
Une fois l'injection terminée, ajoute l'auteur, quelques minutes
suifisent pour obtenir l'anesthésie complète ; le temps de poser la
digue, de laver et dessécher la cavité, d'enlever la dentine ramollie
et, chaque fois qu'il s'agissait d'extraction pulpaire, j'ai pu ouvrir la
■chambre pulpaire et extirper la pulpe sans que le patient éprouve la
moindre douleur. La durée de l'anesthésie n'a jamais été inférieure à
un quart d'heure ; souvent elle s'est prolongée bien au delà.
L'une de ces méthodes est plutôt une injection intraligamenteuse ;
l'autre participe de l'injection ligamenteuse et de l'injection diploïque.
En etfet, dans cette dernière, le D"" Pôlet parle de la pénétration de
la canule dans un pore de l'os. Et en effet, dans la crête alvéolaire
qui sépare deux dents contiguës, se trouvent de nombreux pertuis
osseux donnant accès dans le diploé. C'est par la pénétration intra-
osseuse du liquide qu'on peut expliquer l'extension de l'anesthésie
à trois ou quatre et même six dents.
Les résultats obtenus par l'une ou l'autre de ces méthodes sont
généralement satisfaisants. On ne saurait cependant, dans tous les
cas qui se présentent dans la pratique, compter sur le succès.
Méthode des injections para-apicalcs. — C'est aux D" Ouin-
tin et Pitot que revient le mérite d'avoir obtenu systématiquement
l'insensibilisation de la dentine et de la pulpe par les injections
para-apicales de novocaïne. Les premières expériences datent de
1908, et cette méthode est aujourd'hui entrée dans la pratique
courante.
Elle est essentiellement caractérisée par la technique même de
l'injection médicamenteuse et par la nature de l'anesthésique. L'in-
jection doit être faite dans le tissu cellulaire sous-muqueux, le plus
près possible du périoste qui recouvre le maxillaire, dans la région
de l'apex. Ainsi, au lieu de pousser l'injection au niveau de la fibro-
muqueuse gingivale, Quintin et Pitot recommandent, la lèvre
et la joue une fois écartées, de tenir l'aiguille dans une direction
presque perpendiculaire à l'axe de la dent et de pousser le liquide
(1) Soc. beUje de slomalolo(jie, 18 oct. 1908.
360 NOGUE. — AJNESTHÉSIE.
aneslhésique le plus près possible de l'apex, peut-être même au delà
et légèrement en arrière.
Pour les dents uni-radiculaires, une seule injection du côté vesti-
bulairc est en général suffisante. Pour les dents pluri-radiculaires,
on fera une injection du côté vestibulaire et une injection du côté
lingual.
Quant au médicament injecté, c'est la novocaïne associée à l'adré-
naline qui a donné les résultats les plus constants. Au point qu'on
a pu attribuer à la novocaïne une sorte d'action élective sur la
pulpe et la dentine. Cependant d'autres auteurs pensent que, s'il
existe une action spécifique, c'est plutôt à l'adrénaline qu'il faudrait
l'attribuer.
Les doses de novocaïne employées varient de 2 à 5 centigrammes
dans 1 à 2 centimètres cubes de sérum physiologique, avec I à
II gouttes d'adrénaline à 1 p. 1 000. La quantité couramment utilisée
aujourd'hui est de 5 centigrammes.
Mahé, qui trouve cette dernière dose excessive, pense qu'il est
facile de la diminuer en ayant recours à l'injection en deux temps.
Il y aurait d'après lui un gros avantage à fractionner l'administra-
tion de l'anesthésique en deux injections : la première, superficielle
et de faible quantité; la seconde, profonde et plus abondante, alors
que la première a déjà procuré une certaine insensibilité. J'ai été
beaucoup frappé, dit le D' Mahé, lors de mes premiers essais, de la
répétition fréquente des faits suivants. D'une part, je voyais des
injections de 3 centigrammes d'emblée n'avoir procuré nulle anes-
thésie au bout de dix à douze minutes. D'autre part, si je faisais
d'abord une première injection de 2 centigrammes, puis une seconde
de 1 centigramme, trois à quatre minutes après la première, l'anes-
thésie survenait immédiatement après cette seconde piqûre.
L'impression éprouvée était absolument que la seconde injection
poussait la première. Je me suis bien trouvé de généraliser le pro-
cédé, au moins pour les dents multi-radiculaires.
Toutes les dents sans exception, de l'incisive centrale à la
troisième molaire inclusivement, sont susceptibles de bénéficier de
l'anesthésie novocaïnique. Mais il faut reconnaitre que, comme tous
les procédés hypodermiques, celle-ci réussit moins facilement à la
mâchoire inférieure. Ici, enelTet, de l'avis de tous les auteurs, l'anes-
thésie est très difficile à obtenir, et nous pensons que cela est dû
unifjuement à l'épaisseur de la lame de tissu compact. Cependant
Ouintin et Pitot (1) seraient arrivés tout récemment à des succès
bien plus considérables (60 à 70 p. lOOi au cours de l'anesthésie de
la dentine et de la pulpe, au niveau des grosses molaires inférieures»
p;)r le seul fait de l'augmentation de la dose de suprarénine,'qui, en.
(1) Df .Tamcot, Contribution à l'étude de l'anestliésic de la dentine et de la pulpe
dentaire. Thèse de Paris, 1009.
ANESTIIÉSIE DE LA DEMINE ET DE LA PULPE. 361
quelque sorte, fixe pendant plus longtemps lanesthésique au sein de
la région et lui permet d'agir plus sûrement. Dans ce but, Ouintin
recommande également un procédé d'injection en deux temps.
Dans un premier temps, il commence par encercler la dent de
piqûres, puis, dans \\n second temps, il pratique rinjection classique
au niveau de la région apicale. C'est ainsi qu'il a obtenu des résul-
tats excellents dans la dévitalisation des dents de sagesse inférieures,
en employant iusqu'i\ 10 centigrammes de novocaïne-suprarénine.
Enfin si, malgré toutes ces précautions, l'injection pratiquée dans
la région de l'apex ne donne pas de résultats, Chompret conseille de
recourir aux injections diploïques qui permettent de mettre la
novocaïne directement en contact avec le paquet vasculo-nerveux,
au sein même des mailles du diploé. Ouintin partage cette opinion
et préconise également l'injection de novocaïne au niveau de l'épine
de Spix.
Ce n'est cependant pas seulement au niveau des grosses molaires
inférieures que la méthode des injections para-apicales échoue par-
fois. Si elle réussit d'une façon très régulière pour les incisives, les
canines et les prémolaires, elle réussit beaucoup moins bien pour les
grosses molaires, même dans la mâchoire supérieure. Il est vrai de
dire que, en multipliant les injections et en augmentant les doses de
novocaïne et d'adrénaline, le nombre des insuccès diminue: mais
d'autres facteurs peuvent également jouer un rôle dans la production
de l'arrêt de l'anesthésie. Tel est, par exemple, le degré de calcifica-
tion des os. De l'avis d'un grand nombre d'observateurs, l'anesthé-
sie réussit beaucoup mieux et avec des doses plus faibles chez des
sujets jeunes, à calcification peu avancée. Au contraire, l'anesthésie
est très lente à se produire chez des sujets très calcifiés. Après
avoir cité une observation de Chompret chez un homme neuro-
arthritique et hypercalcifié, le D' Janicot ajoute excellemment :
« Il est évident que le retard considérable de l'action de l'anesthé-
sique ne peut s'expliquer dans ces cas que par une hypercalcification
très marquée de tous les tissus, l'alvéole et la dent s'opposant en
quelque sorte à l'inhibition du liquide injecté. »
Cette observation type (1) montre que l'action anesthésiante de la
novocaïne est parfois très lente à se produire chez les sujets hyper-
calcifiés. C'est là du reste, même dans les cas habituels, même sur
les dents les plus aisées à aneslhésier, une des particularités de
l'anesthésie novocaïnique. Comme le dit Mahé, la novocaïne n'est
pas l'anesthésique des opérateurs pressés ou nerveux. Avec cette
substance, il faut attendre, et savoir attendre un temps qu'il est
difficile de fixer mathématiquement, puisqu'il varie avec la plus ou
moins grande ditïusibilité de l'anesthésique, si dilïérente suivant
(1) D'" Jamcot, loc. cH.
362 NOGUE. — ANESTHÉSIE.
que Ton s'adresse à tel ou tel sujet, atteint de telle ou telle diathèse.
Quoi qu'il en soit, on peut poser en principe qu'il faut attendre cinq
à dix minutes, cinq n'étant souvent qu'un minimum.
Et sur ce point particulier, ajoute Janicot, nous ne partageons
pas Tavis de Pitot pour lequel lanesthésie est rapide si l'on a soin
de faire l'injection exactement au lieu d'élection. En effet, nous
avons maintes et maintes fois pratiqué ou vu pratiquer de telles
injections suivant les règles, et cependant on n'obtenait une anes-
thésie parfaite qu'au bout de dix minutes et plus. Xous croyons qu'en
règle générale, avec la novocaïne, il est difficile de prédire à l'avance
au bout de combien de temps l'anesthésie se produira. Le mieux est
de procéder par tâtonnements, de constater, au fur et à mesure
qu'ils se produisent, l'apparition des phénomènes indiquant l'insen-
sibilisation parfaite, et de n'intervenir qu'à ce moment, quel que
soit le laps de temps qui ait pu s'écouler depuis l'injection.
Pour obvier, dans une certaine mesure, à ces inconvénients, et
accélérer la production de l'anesthésie, Quintin, Godon, Lemierre
se sont bien trouvés, et c'est une pratique qu'on ne peut que recom-
mander, d'un massage énergique de la région injectée.
Aiiesthésîe de la dentine et de la pulpe par la méthode
des injections diploïqucs. — Avant que fût connue la méthode
des injections para-apicales, linjection du liquide dans le diploé
permettait d'obtenir l'anesthésie de la dentine et de la pulpe. En
effet, dès 1907, nous nous exprimions ainsi dans un travail sur ce
sujet :
On comprend donc que, après avoir obtenu par linjection diploïque
une anesthésie absolue des tissus péridentaires, nous ayons cherché
si cette anesthésie s'étendait à tous les éléments nerACux entrant
dans la constitution même de la dent. Dans l'affirmative en elTet, on
pouvait espérer obtenir bientôt par ce procédé l'anesthésie tant
cherchée de la dentine.
Nos deux premières tentatives nous prouvèrent que nos espé-
rances n'étaient pas chimériques, car les résultats pratiquement
obtenus nous parurent, ainsi qu'aux confrères présents, absolument
probants.
Il s'agissait de caries hypersensibles : le moindre contact de l'acier,
môme d'une fine sonde, déterminait les plus vives douleurs, au
point de rendre tout traitement impossible. Une injection diploïque
de Os", 005 de cocaïne dans 1 centimètre cube d'eau fit instantané-
ment disparaître cette sensibilité et permit le fraisage immédiat et
complet de la cavité. Cette insensibilité absolue de la dent injectée
s'étendait assez nettement à la dentine de la dent voisine, mais
n intéressait pas la suivante. La même tentative faite le lendemain
sur la même patiente, pour une autre dent, fut suivie du môme
succès. Dans un second cas du même genre, nous injectâmes 1 cen-
ANESTHÉSIE DE LA DENTINE ET DE LA PULPE. 363
tigramme de slovaine dans 1 centimètre cube d'eau : mais la sensi-
bilité denlinaire persista. Nous eûmes alors Tidée d'injecter par le
même perluis une dose nouvelle de médicament : dès que le second
centigramme eut pénétré dans le tissu spongieux, Tanesthésie fut
absolue. La dent put être complètement fraisée et même obturée
séance tenante. Chez l'une et l'autre patiente, qui furent revues
pendant plusieurs semaines, on ne nota aucun accident consécutif,
ni du côté du maxillaire ni du côté des dents.
El, après avoir cité quelques observations tout à fait probantes
d'anesthésie des dents mono-radiculaires, nous pouvions ajouter : on
voit par ces exemples que Tanesthésie de la denline peut être obte-
nue, du moins dans les incisives, canines et prémolaires. Il est infi-
niment probable qu'il en sera de même pour les grosses molaires,
ainsi que nos recherches en cours nous permettent de l'espérer.
Il semble que la condition sine qiia non du succès est d'injecter
une quantité suflisante de liquiile jiour que tous les fdets nerveux
efférents de la dent en soient imprégnés. Mieux vaudra donc injecter
2 et 3 et même 4 centimètres cubes de liquide, la dose d'alcaloïde,
cocaïne, stovaïno ou autre, restant faible. On emploiera, dans ce cas,
une solution stérilisée de stovaïne ù 1,5 p. 100, ce qui donnera
0*^6,5 d'alcaloïde par centimètre cube. On pourra injecter ainsi
rg,5 à 2 centigrammes de stovaïne. Si l'on emploie la cocaïne, la
solution devra être abaissée à 1,4 p. 100. Chaque centimètre cube
donnera alors un quart de centigramme de cocaïne, et on ne risquera
pas de^dépasser 1 centigramme, même si l'on croit devoir injecter
4 centimètres cubes.
Quant à l'insensibilisation de la pulpe et des filets nerveux radicu-
laires, il était physiologiquement à prévoir que, si l'anesthésie de la
dentine pouvait être ainsi obtenue, on obtiendrait de même l'anes-
thésie de la pulpe. C'est, en etfet, ce qui s'est produit. Cette anes-
thésie est si complète, ainsi que le montrent les observations,
qu'il est possible de pratiquer l'extirpation extemporanée de
l'organe et des filets nerveux radiculaires et d'obturer séance
tenante la dent.
Ici encore nous pensons qu'il faut se servir de solutions faibles,
mais injecter d'assez grandes quantités de liquide, 2, 3 et parfois
même 4 centimètres cubes. Il sera bon également de faire la perfo-
ration aussi haut que possible, à la hauteur présumée et approxi-
mative de l'apex. La technique ne présente, d'ailleurs, rien de
particulier.
Elle reste telle que nous l'avons exposée dans un chapitre précé-
dent traitant de l'anesthésie diploïque.
Le D' Henri Pierron (1), qui est venu à la méthode des injections
(1) D'' Henri Pierron, AnesLhésic à la novocaïne par injection diploïque {Comm.
à la Soc. odontologiqiie de Genève, 14 nov. 1910).
36i NOGUE. — ANESTHESIE.
diploïques pour l'anesthésie denlinaire el pulpaire après avoir cons-
taté l'échec des injections para-apicales au niveau des grosses mo-
laires, procède ainsi : après avoir injecté quelques gouttes de Tanes-
thésique dans le bourrelet gingival à la hauteur de l'espace
inlerdentaire. à l'aide d'un foret un peu plus fort que le diamètre de
l'aiguille, il traverse directement la gencive à environ 5 à 6 milli-
mètres de son bord libre, puis la couche externe et dense du maxil-
laire pour tomber dans le diploé.
Faire cette ouverture de bas en haut et sur un angle de 45° environ
par rapport à l'axe de la dent pour le maxillaire supérieur.
Pour le maxillaire inférieur, il est préférable de faire l'ouverture
perpendiculaire à l'axe de la dent.
Au lieu d'employerlescanulestronconiquesdontnousnous servons,
le D' Henri Pierron se sert d'une aiguille ordinaire fixée dans un
porte-aiguille dont l'extrémité vient obturer le pertuis osseux. Aussi
faut- il que la partie libre de cette aiguille n'ait pas plus de 4 à 5 milli-
mètres afin que l'épaulement du porte-aiguille vienne obturer hermé-
tiquement l'ouverture pratiquée dans le maxillaire. On n'aura alors
qu'à pousser l'injection, qui pénétrera très aisément. 11 est prudent
d'employer les aiguilles de nickel ou de platine ; celles en acier, au
moindre mouvement de latéralité, se cassent, et il est fort malaisé
d extraire l'extrémité fichée dans l'os et brisée à ce niveau.
Neuf fois sur dix, aussitôt l'injection terminée, on peut passer sans
aucune perte de temps à la préparation de la cavité sans que le patient
manifeste la moindre douleur.
Les avantages de la méthode, d'après le même auteur, seraient les
suivants :
1° L'emploi d'une quantité minime d'anesthésique. En effet,
0 '''-", 5 suffit souvent à anesthésier deux dents adjacentes et uni-
radiculaires, et il est rarement nécessaire d'employer plus de 1 cen-
timètre cube pour les molaires ;
2" L'anesthésie très rapide et complète en une à deux minutes au
plus et d'une durée amplement suffisante pour préparer les cavités
ou enlever la pulpe de deux dents adjacentes;
3° Pas de réaction post-opératoire ni d'entlure.
En ce qui concerne l'anesthésique, dit encore le D"" Henri
Pierron, je n'avais employé jusqu'à il y a un mois presque exclusive-
ment que la cocaïne à I p. 100 et moins, sans avoir jamais eu que
quelques cas de malaise, palpitations du cœur ou céphalalgie subsé-
quente. J'avais lieu d'en être satisfait, car les essais que j'avais faits
avec la novocaïne ne m'avaient pas assez bien réussi pour que je
l'adoptasse à l'exclusion de la cocaïne. Pour l'extraction, je n'avais
pas obtenu une insensibilité aussi complète qu'avec la cocaïne, même
en injectant 2 centimètres cubes de liquide à 2 p. 100.
Cependant tout le bien que l'on en disait m'engagea à persévérer
A.XliSTHÉSIE DE LA DENTINE ET DE LA PULPE. :J65
dans son emploi, mais j'y ajoiilai quelque peu de cocaïne dans les
proportions de 1 à :2 milligrammes par centimètre cube.
Celte petite dose de cocaïne, parfaitement inofïensive, semble
augmenter la puissance anesthésique de la novocaïne dans une forte
proportion.
L'action en est beaucoup plus rapide.
Voici la formule à laquelle je me suis arrêté :
Novocaïne 0Kr,02
Cocaïne 0",001
Adrénaline Os-'.OOOl
Les résultats que j'ai obtenus jusqu'à présent avec cette formule
sont en tous points satisfaisants.
Cependant les formules qui donnent de si bons résultats pour les
dents uni-radiculaires seraient parfaitement de mise dans l'anesthésie
diploïque pour lesmèmesgroupes de dents. L'usage de la novocaïne
présente encore un avantage considérable : c'est la faible toxicité de
l'agent anesthésique. Aussi quand il s'agira d'obtenir l'insensibilisation
de la pulpe ou de la dentine dans les grosses molaires du haut ou du
bas, pourra-t-on, sans aucun inconvénient, injecter 4 à 5 centimètres
cubes de sérum physiologique contenant 3 ou 5 centigrammes de
novocaïne associée à quelques gouttes d'adrénaline. Nos recherches
en cours nous permettent d'espérer que l'anesthésie pulpaire ou
dentinaire pourrait être obtenue par celte méthode dans tous les
cas.
Nous avons, dans un chapitre précédent, montré que les craintes
d'infection osseuse étaient très faibles avec la méthode des injections
diploïques. En fait, nous n'en avons jamais observé aucun cas dans
notre pratique personnelle, et nous n'avons eu connaissance d'aucune
observation de ce genre. Cependant un certain nombre d'auteurs
font des réserves, surtout quand ils'agit d'obtenir l'anestht'sie denti-
naire ou pulpaire, au lieu de procédera l'extraction. « L'anesthésie
diploïque, dit par exemple le D^ G. Piquand (1), donne une anesthésie
complète de la dentine et de la pulpe permettant toutes les opérations
dentaires. Mais ce mode d'injection n'est guère à conseiller, sauf
dans les cas d'extraction dentaire, à cause des accidents infectieux
auxquels il expose. En effet, l'injection diploïque est une injection
intra-osseuse ; si, après une injection de ce genre, rextraction de la
dent voisine est pratiquée, un large drainage se trouve assuré, et
toute crainte d'accidents infectieux (ostéite, nécrose) du fait de
l'injection sera écartée ; mais, lorsque l'injection n'est pas suivie de
l'extraction de la dent, aucun drainage n'est assuré, et des compli-
cations infectieuses sont à craindre. Pour ce motif, et aussi en raison
(1) G. Piquand, L'anesthésie locale, méthode du D'' Reclus, O. Doin, Paris, 1911.
3G6 NOGUE. — AXESTHESIE.
de leur plus grande simplicité, nous préférons les injections sous-
muqueuses aux injections diploïques, sauf pour les molaires
inférieures. >-
Ces réflexions sont très judicieuses et prudentes. Cependant, en
pratique, après avoir pris les précautions antiseptiques habituelles
et en ne faisant usage que d'ampoules stérilisées qui offrent toute
garantie, Tinjection diploïque faite dans le but d'obtenir l'insensibi-
lisation de la dentine ou de la pulpe n'est suivie d'aucun accident.
ANESTHÉSIE MÉDULLAIRE OU RACHI-ANESTHÉSIE.
Cette méthode, de date récente, consiste à porterie liquide anes-
thésique au niveau de la moelle, pour obtenir l'insensibilisation de
toute la région innervée par le segment intéressé. C'est là une véri-
table anesthésie régionale ou sectionnelle, ne différant pas essentiel-
lement des anesthésies régionales obtenues dans la région du larynx,
des maxillaires ou des membres. Il y a quelques années, cette
méthode n'aurait eu pour nous qu'un intérêt physiologique, car cette
anesthésie ne s'étendait qu'à la partie inférieure du corps, et sa limite
supérieure ne dépassait guère l'ombilic. Mais des travaux récents
ont permis détendre la zone anesthésique jusqu'au cou et à la face.
Elle est donc susceptible d'être appliquée un jour par le stomatolo-
giste et ne saurait donc aujourd'hui être passée sous silence.
On reconnaît à Léonard Corning le mérite d'avoir le premier
cocaïnisé la moelle. Mais c'est surtout après les travaux de Bier que
la méthode s'est généralisée.
Technique de Jîier. — Bier fait coucher le malade sur le côté
gauche, le liaut du corps suffisamment élevé et courbé. On fait la
ponction du côté convexe de la colonne vertébrale, et on prend
Comme point d'orientation une ligne réunissant les deux crêtes
iliaques. Cette ligne coupe l'intervalle situé entre la troisième et la
quatrième vertèbre lombaire. C'est dans le sac lombaire formé par le
feuillet viscéral de l'arachnoïde d'un côté et par la pie-mère de
l'autre qu'il faut pénétrer sans léser la moelle.
On se sert pour cela d'une des plus minces aiguilles à ponction
lombaire. Quand l'aiguille a pénétré, on laisse s'écouler quelques
gouttes de liquide rachidien, puis on fait pénétrer le liquide anesthé-
sique, et on retire l'aiguille. Quincke enfonce l'aiguille au-dessous
du troisième ou du cinquième arc vertébral lombaire. Tuffier fait la
piqûre le malade étant assis et prend comme point de repère une
ligne passant au-dessus des deux épines iliaques supérieures et posté-
rieures. Il fait la piqûre à 1 centimètre en dehors des apophyses
épineuses, vers la ligne médiane.
L'aneslhésie survient au bout de quelques minutes avec des doses
très faibles de cocaïne. On a pu ainsi obtenir avec 5 milligrammes
AXESTIIKSIE MEDULLAIRE OU RACIII-ANESTHESIE.
367
de cocaïne une anosUicsiesélcnclaiil juscju'au mamelon. Après Topé-
ralion, il est recommandé aux malades de j^^arder pendant plusieurs
heures la position couchée.
Celle méthode est loin d'être inofï'ensiv^e, et de nombreux accidents
onl été observés. Un des plus fréquents est la céphalée violente qui
se manifeste. ïl est vrai de dire que, depuis qu'on a remplacé l'eau par
du sérum isotonique comme véhicule, ces céphalées sont moins
fréquentes.
Signalons encore la méthode préconisée par le D' Cathelin el
f^
-%
Fig. 101 et 102. — Points d'élection des piqûres.
qui consiste à injecter le liquide anesthésique dans l'espace épidural
par l'ouverture inférieure du canal sacré. Le malade étant couché
sur le côté, on suit avec l'index la direction des apophyses épineuses
vertébrales jusqu'à ce que le doigt rencontre, à l'extrémité du sacrum,
une dépression triangulaire ouverte en bas. C'est le point d'élection.
L'opération doit se faire en deux temps : premier temps, aiguille
oblique à 20 ou 30° sur l'horizontale ; deuxième temps, aiguille hori-
zontale et poussée tout droit.
Méthode de Th. Joiiiiesco. — Cette méthode comprend deux
points essentiels etabsolumentnouveaux(l) : l^la ponction, pratiquée
(1) Th. Joms'esco et Amza. Jiano, L'anesthésie générale par injections intrarachi-
diennes {C. R. du ll*^ Congrès de la Soc. int. de chir. 1908, lîruxelles, vol. l, p.
282-304). — Th. Joknesco, La rachianesthésie générale {Acad. de méd.).
368 NOGUE. — AXESTHESIE.
à tous les niveaux du rachis, pour obtenir lanesthésie de la région où
Ton opère ; '2° l'emploi d'une solution anesthésianle tolérée par les
centres nerve,ux supérieurs, grâce à l'adjonction de la strychnine à
Tanestliésique. Celui-ci peut varier, et on peut employer la stova'ine,
à laquelle l'auteur donne la préférence, ou bien la tropacocaïne ou la
novocaïne.
La technique comprend : la préparation de la solution anesthé-
sianle ; rinstruraentation ; la ponction ; l'injection et l'attitude à
donner au malade pour obtenir l'anesthésie de la région oii l'on doit
opérer.
1" La préparalion de la solution se fait au moment même de
son emploi, c'est-à-dire le jour même de l'opération, de la façon
suivante :
Dans des tubes de verre, munis de bouchons en caoutchouc et
stérilisés à l'autoclave, on introduit, au moment de l'opération, la
quantité nécessaire de stovaïne Iropacocaine, novocaïne) variable avec
le niveau de la ponction et le malade. Ces substances étant antisep-
tiques n'ont besoin d'aucune stérilisation préalable, qui ne ferait
que leur enlever leurs propriétés sans aucun avantage. Dans un
l)Ocal en verre, muni d'un bouchon en verre et préalablement stéri-
lisé, on introduit 100 grammes d'eau distillée (pour lui conserver
tous ses principes) et 5 ou 10 centigrammes de sulfate neutre de
strychnine. La solution strychninisée à 4 centigrammes contient
0'"8,5 de strychnine par centimètre cube ; celle à 10 centigrammes,
1 milligramme par centimètre cube. La première sera utilisée dans
les ponctions hautes, la seconde dans les ponctions basses. La disso-
lution de la strychnine demande un certain temps; il est bon, par
conséquent, de préparer la solution strychninisée un peu avant son
emploi, pour ne pas perdre de temps.
Avant de procéder à la ponction, on fait le mélange définitif, qui
doit être injecté. Pour cela, avec une seringue de Pravaz ordinaire,
munie d'une aiguille à ponction lombaire, préalablement stérilisée
par ébullition, on aspire du flacon contenant la solution strychni-
nisée 1 centimètre cube, c'est-à-dire une seringue pleine. Ce liquide
est poussé ensuite dans le tube en verre contenant la dose de
stovaïne jugée nécessaire pour la ponction qu'on va faire. La
dissolution du mélange se fait immédiatement si l'on a eu soin de
boucher de nouveau le tube et d'agiter un peu le contenu. Puis on
aspire le contenu du tube avec la même seringue munie de son
aiguille. La seringue, remplie du centimètre cube du mélange, est
posée sur une compresse stérilisée, tandis que l'aiguille est enlevée
pour pratiquer la ponction.
'2" L' instrumental jon^ déjà indiquée, est très simple et à la portée
de tout chirurgien et dans toutes les circonstances : c'est la seringue
ordinaire de Pravaz, à 1 centimètre cube, et l'aiguille ordinaire à
ANESTHÉSIE MÉDULLAIRE OU RACUI-ANESTilÉSIE. :)(i9
ponction lombaire, préalablement stérilisée par ébullition. Mais,
parmi les aiguilles, Th. Jonnesco préfère celles à l)Out coupé court,
car, l'espace arachnoïdien étant relativement petit, quand le bout de
Taiguille est coupé sur une étendue plus grande, on risque ({u'une
partie de la gouttière ipii en résulte se trouve sous la dure-mère et
1 autre partie au-dessus d'elle. Alors une partie de la solution pénètre
dans la cavité araclinoïdienne, tandis qu'une quantité plus ou moins
grande passe entre la dure-mère et le canal osseux, d'où anesthésie
incomplète ou nulle, qu'on met trop souvent sur le compte de la
méthode ou sur l'idiosyncrasie si difficile à expliquer.
3" La ponction. Dans ses premières communications, Jon-
nesco avait indiqué quatre points du rachis où la ponction devait
être faite pour obtenir l'anesthésie de la région à opérer. L'obser-
vation des faits et une pratique plus longue lui prouvèrent que la
rachianesthésie n'était pas aussi rationnelle qu'il l'avait cru et que
la ponction médio-cervicale était aussi inutile que nocive. En effet,
la ponction médio-cervicale favorise la production des phénomènes
d'intolérance bulbaire, nausées, vomissements, pâleur de la face,
lipothymies, arrêt momentané de la respiration, etc., phénomènes
dus à l'action trop directe du liquide anesthésiant sur le bulbe. Ces
phénomènes cessent dès qu'on pratique la ponction plus bas, entre
la première et la deuxième vertèbre dorsale, et l'anesthésie est aussi
parfaite, aussi profonde que dans la ponction médio-cervicale pour
tout le scg'ment supérieur du corps (tête, cou, membres supé-
rieurs, etc.). La ponction médio-dorsale (entre la septième et la
huitième dorsale), souvent difficile, est inutile, car on obtient
l'anesthésie parfaite du segment inférieur du thorax par la ponction
pratiquée entre la douzième vertèbre dorsale et la première
lombaire, facile et utilisable pour l'anesthésie de tout le segment
inférieur du corps.
Jonnesco a donc pu réduire à deux les points du rachis où doivent
se pratiquer les ponctions :
a. La ponction dorsale supérieure., entre la première et la
deuxième vertèbre dorsale. Elle est facile. Comme points de
repère, on a les proéminences et les saillies visibles et tangibles des
apophyses épineuses des deux premières vertèbres dorsales sous-
jacentes. La ponction sera pratiquée au-dessous de l'apophyse
épineuse sous-jacente à la proéminente. La tète du malade sera for-
, tement fléchie, le menton touchant le sternum. Dans cette attitude,
les saillies apophysaires sont très prononcées et l'espace qu'elles
limitent très agrandi.
Donc, le malade étant assis, la tête fortement fléchie, avec le
menton appliqué contre le sternum, l'indicateur de la main gauche
sépare l'espace compris entre la première et la deuxième vertèbre
dorsale, tandis que l'aiguille, tenue entre le pouce, l'index et le
Traité de stomatologie. VL — 24
370 NOGUÉ. — AXESTHÉSIE.
médius de la main droite, est poussée en suivant le bord supérieur
de lapophyse épineuse de la deuxième vertèbre dorsale. Cette
ponction sera utilisée pour les opérations portant sur la tète, le cou,
ks memljres supérieurs et le thorax proprement dit.
b. La ponction dorso-lombaire, entre la douzième vertèbre dor-
sale et la première vertèbre lombaire, est très facile grâce au large
espace qui sépare les deux apophyses épineuses. L'auteur l'a
choisie de préférence à la ponction lombaire classique (entre la troi-
sième et la quatrième vertèbre lombaire;, parce quelle donne une
anesthésie de tout l'abdomen et du segment inférieur du corps plus
parfaite que la ponction classique. La recherche de lespace est
facile, car on na qu'à compter les apophyses lombaires de bas en
haut. Le malade est assis, le tronc fortement incurvé en avant,
comme dans la ponction lombaire classique.
La ponction se pratique comme dans le cas précédent : l'index de
la main gauche repère l'espace, tandis que laiguille est poussée de
la main droite, en suivant le bord supérieur de l'épine inférieure.
Dans les deux cas, la ponction sera faite sur la ligne médiane.
Laiguille sera poussée lentement, une fois la résistance de la peau
vaincue, pour se rendre compte des tissus traversés. Ordinairement
on pénètre facilement jusqu'à la dure-mère qui présente une résis-
tance momentanée, qu'on perçoit. Celle-ci vaincue, l'écoulement du
liquide par laiguille nous prouve que nous sommes dans le bon
espace. Mais, dans la ponction dorsale supérieure, où la pression du
liquide céphalo-rachidien est faible, celui-ci ne s'écoule que goutte
à goutte, tandis que, dans la ponction dorso-lombaire, il sort un jet
puissant. C est la règle, mais il y a des exceptions. Dans la ponction
dorsale supérieure, il arrive assez souvent que le liquide ne se
montre pas, quoiqu'on se trouve dans la cavité arachnoïdienne : un
effort de toux suffit, le plus souvent, pour le faire paraître: d'autres
fois, il faudra adapter à laiguille une seringue de Pravaz stérilisée
pour aspirer le liquide paresseux.
Si, malgré tout, le liquide ne vient pas, c'est qu'on n'est pas dans
la cavité arachnoïdienne ; il faut alors dégager le bout de l'aiguille,
en la retirant légèrement pour la repousser dans le bon espace,
qu'on arrive toujours à trouver. Il se peut aussi que laiguille,
engagée obliquement, aille s'implanter dans une lame vertébrale,
La sensation spéciale que donne l'os suffit pour se rendre compte de
l'erreur et y remédier immédiatement en retirant l'aiguille complè-
tement et en l'engageant de nouveau dans la bonne voie, c'est-à-dire
sur la ligne médiane.
Enfin il est possible que le liquide sorte sanguinolent : c'est qu'on
a transpercé une veinule. Cet incident na aucune importance, car
bientôt le Hquide se clarifie, l'hémorragie cesse d'elle-même.
Telle est décrite la ponction dans la position assise du malade; il
ANESTHESIE MEDULLAIRE OU RACHI-ANESTHÉSIE. 371
faut ajouler (|uo celle-ci esl possible et môme facile dans le décubitus
latéral droit, le torse étant incurvé en avant pour la ponction dorso-
lombaire, la t(He fortement fléchie sur la poitrine pour la ponction
<lorsale supérieure, (lelte altiliulo sera à choisir dans les cas où les
malades, faibles et très impressionnables, ne peuvent garder la
position assise sans défaillir, ou dans le cours d'une opération qui,
ayant duré plus qu'on ne pensait, nécessite une seconde ponction
■et injection pour prolong-er l'aneslhésie (1).
4° Uinjection sera pratiquée immédiatement après qu'on aura
acquis la certitude d'avoir pénétré dans l'espace araclinoïdien, par
la présence du liquide. En elTet, il ne faut laisser couler le liquide
céphalo-rachidien qu'autant (pi'il est nécessaire pour s'assurer qu'on
se trouve dans le bon espace. M. Jonnesco a la conviction que
l'extraction d'une certaine quantité de liquide est plutôt nuisible
qu'utile, car elle peut avoir la double conséquence : I" de provoquer
des signes de défaillance, la pâleur, la sueur, etc. : 2° de favoriser,
par la diminutionsubile de la quantité de liquide céphalo-rachidien,
la diffusion trop rapide du liquide anesthésiant, chose inutile, voire
•même nuisible.
Ainsi, une fois quelques gouttes de liquide sorties, on bouche
l'aiguille à l'aide de l'index de la main gauche, tandis que,
de la main droite, on saisit la seringue pleine du mélange anesthé-
siant, et, après l'avoir adaptée à l'aiguille, on pousse le liquide lente-
ment, pour ne pas impressionner trop brusquement la moelle.
b° La position qu'on doit donner an malade après l'injection,
pour assurer lanesthésie de la région où l'on doit opérer, constitue
un point capital dans l'application de la méthode ; car on peut, par
ce moyen, favoriser la ditïusion du liquide dans la direction voulue
pour anesthésier le segment du corps sur lequel doit porter l'opé-
ration.
Après Vinjection dorsale supérieure^ si l'on veut obtenir l'anesthésie
de la tête et du cou, immédiatement après l'injection on met le patient
en décubitus dorsal, la tête un peu relevée si l'opération doit porter
sur le cou, la tète horizontale si l'opération porte sur la face ou sur
le crâne. Si l'opération porte sur le membre supérieur ou sur le tho-
rax, on laisse le malade assis deux à trois minutes, afin que, si on le
met dans le décubitus dorsal, la tête, le cou et le thorax soient légè-
rement inclinés en avant. Si, au bout de quatre ou <:-inq minutes, on
constate que l'anesthésie de la tète et du cou n'est pas parfaite, on
abaisse pour quelques minutes (trois à quatre) la tète du malade
au-des-sous du niveau du reste du corps.
Après Vinjection dorso-lombaire, si l'opération doit porter sur les
viscères de l'étage abdominal supérieur, le malade garde la position
assise deux à trois minutes, puis il est mis dans le décubitus dorsal,
(1) Acad. de mcd., 12 oct. 1909, et Bull, de l'Acad., n" 32, 1909.
372 NOGUÉ. — ANESTHÉSIE.
la lèle, le cou cl les épaules légèrement relevés. Si Tanesthésie, au
bout (le cinq ou six minutes, paraît imparfaite, on doit incliner
(Trendelenburg), pour quelques minutes (trois à quatre), le malade,
après quoi on le ramène dans la position définitive sus-indiquée.
Si l'opération porte sur l'étage abdominal inférieur, sur le pelvis,
le périnée, les organes génitaux externes ou les membres inférieurs,
le malade gardera la position assise cinq à six minutes, puis il sera
mis dans le décuhitus dorsal, mais en ayant la partie supérieure du
corps, c'est-à-dire la tête, le cou et le tronc, relevés et inclinés en
avant. La position de Trendelenburg ne sera donnée qu'après cinq à
six minutes de position assise.
6° Les quantités de strychnine et de stovaïne que doit contenir
le mélange anesthésiant varient avec le siège de l'injection, l'agc
du malade et son état général.
a. La quantité de strychnine varie relativement peu.
Pour V injection dorsale supérieure, chez les enfants dunà six ans,
on emploiera un tiers de milligramme par centimètre cube (solu-
tion : 100 grammes d'eau stérilisée et 3*^*^,5 de sulfate neutre de
strychnine). Chez les enfants au-dessus de cinq ans et les adolescents,
les adultes et les vieillards, la solution comprend un demi-milli-
gramme de sulfate neutre de strychnine par centimètre cube (solution :
100 grammes d'eau et 5 centigrammes de strychnine).
PouvViniection dorso-lombaire, chez les enfants d'un à dix ans, on
emploiera 0™",5de strychnine par centimètre cube ; chez les enfants
au-dessus de dix ans, chez les adolescents, les adultes et les
vieillards, 1 milligramme par centimètre cube(solution : lOOgrammes
d'eau stérilisée et 10 centigrammes de sulfate neutre de strychnine).
b. La quantité de stovaïne varie avec le siège de l'injection, l'âge
de l'opéré et l'état général.
Pour V injection dorsale supérieure, chez les enfants d'un à cinq ans:
1 centigramme ; de cinq à quinze ans, 2 centigrammes ; chez les
adolescents, adultes et vieillards, 2 centigrammes.
Pour V injection dorso-lombaire, chez les enfants d'un à cinq ans,
2 à 3 centigrammes ; de cinq à quinze ans, de 4 à 6 centigrammes ;
chez les adolescents de quinze à vingt ans, de 6 à 8 centigrammes:
chez les adultes et vieillards, 10 centigrammes.
L'état général du malade modifie sensiblement la dose nécessaire
de stovaïne : chez les cachectiques, les malades très anémiés, dans
les cas d'intoxication ou d'infection graves, chez ceux qui sont sous
l'influence d'un traumatisme violent, chez les ischémies par hémor-
ragies profuses, 5 à 6 centigrammes de stovaïne produisent une
anesthésie profonde et durable. Les doses ordinaires sont mal
tolérées dans ces cas; elles peuvent produire de la pâleur de la face,
des nausées, des vomissements, voire même des lipothymies tran-
sitoires.
AXESTllKSIi: MÉIJLLLVIRE OU RA.CIII-ANESTHÉSIE. 373
7" La densité du mélange injeelé do slovaïne-stryclinine, com-
parée à celle du liquide céplialo-raciiidien, est utile àconnaîti-e poui-
pouvoir juger du degré de dilïusibilitt' du liquide injecté dans le
canal arachnoïdien. On sait que la densité moyenne du liquide
céphalo-rachidien est de 1003; elle varie jusqu'à 1020. Hancu a
établi ainsi la densité des diverses solutions injectées :
1» Sulfate neutre de strychnine. . . . os^^oô l
Stovaïne 1 grammes. Densité 1,0019.
Eati stérilisée JOO — '
2° Sulfate neutre de strychnine.... Ooi',05 \
Slovaïnc 3 grammes. ' Densité 1,0030.
Eau stérilisée 100 — )
3" Sulfate neutre de strychnine Osr^lO \
Stovaïne 6 grammes. [ Densité 1,0071.
Eau stérilisée 100 — )
4" Sulfate neutre de strychnine.... 0Ç'",10 \
Stovaïne s grammes. [ Densité 1,0103.
Eau stérilisée 100 — )
5" Sulfate neutre de strychnine.... OB', 10 \
Stovaïne 10 grammes. ' Densité 1,0120.
I']au stérilisée 100 — )
Ainsi la densité de la st)lution injectée varie avec la quantité de
stovaïne et de strychnine qu'elle contient. La solution qu'on injecte
parla ponction dorsale supérieure (I à 3 centigrammes de stovaïne,
0'ng,5 de strychnine) a une densité inférieure ou égale à
la densité m.oyenne du liquide céphalo-rachidien. Gela expli-
que la rapide diffusion de l'injection vers le rachis cervical et
la cavité crânienne et la rapidité aussi de l'anesthésie. La solution
qu'on injecte parla ponction dorso-lombaire présente, au contraire,
une densité supérieure à celle du liquide céphalo-rachidien et
dautant plus prononcée que la quantité de stovaïne est plus grande.
Ainsi la diffusion de la solution dans ces cas est-elle plus lente à se
produire ; elle a moins de tendance à monter vers les parties supé-
rieures du rachis et vers la cavité crânienne, ce qui explique la
lenteur relative de l'anesthésie, et. en partie, l'innocuité de la
position inclinée de Trendelenburg, la solution ayant des tendances
à rester dans les parties déclives du canal rachidien.
Résultats. — Phénomènes observés pendant l'anesthésie. — Le
débutdel'anesthésievarie aveclesiègede l'injection. AprèsTinjection
dorsale supérieure, l'anesthésie est parfaite au bout de deux à trois mi-
nutes, rarement plu s : cela s'explique par la grande diffusibili té delà so-
lationàdensité moindreque celle du liquide céphalo-rachidien. Après
l'injection dorso-lombaire, l'anesthésie est plus lente à se produire;
ordinairement elle est parfaite au bout de vingt minutes au maximum.
Celie lenteur relative est due à la ditïusibilité moindre de la solution
par suite de sa densité supérieure à celle du liquide céphalo-rachidien .
Si, au bout de dix minutes, on n'obtient pas d'anesthésie, c'est que
la solution n"a pas pénétré ou a peu pénétré dans le canal arachno -
dien. 11 faut refaire la ponction et Tinjection
37 4 NOGUÉ. — ANESTHESIE.
Dans les cas diiisuccès, on est tenté de croire à une idiosyncrasie
qui rendrait le malade réfractaire à lanesthésique : c'est une grave
erreur. L'insuccès tient à toute autre cause. En effet, Jonnesco a vu
des cas où, après la ponction suivie d'écoulement du liquide céphalo-
rachidien, l'injection a été négative. Or, une deuxième, quelquefois
une troisième inje»ction, faite avec la même dose d'anesthésiant, a
donné uneanesthésie parfaite. On pourrait croire que ces malades,
réfractaires aux doses normales, exigent des doses supérieures pour
être anesthésiés. C'est une erreur, car il n'y a pas de malades qui
puissent supporter 20 à 30 centigrammes de stova'ine et 2 à 3 milli-
grammes de strychnine injectés dans leur canal rachidien sans
présenter des phénomènes bulbaires graves : arrêt de la respiration
et du cœur par excès de stovaïne ou convulsions dues à l'excès de
strychnine. Le fait s'explique autrement : il est dû à un mouvement
intempestif du malade au moment de l'injection de la solution; ce
mouvement, minime en apparence, est suffisant en réalité pour
déplacer le bout de l'aiguille, déjà engagée dans le canal arachnoï-
dien : ce déplacement imperceptible fait que l'orifice de l'aiguille
sort en partie ou en totalité du canal arachnoïdien, et la solution est
injectée en partie ou en totalité en dehors du canal arachnoïdien,
entre la dure-mère et le canal osseux.
Dans un cas de ponction dorsale supérieure, M. Jonnesco a obtenu
l'anesthésie à la troisième injection seulement, c'est-à-dire après
l'emploi de 9 centigrammes de stovaïne et 0116,5 de strychnine, doses
qu'aucun malade ne peut supporter et qui amèneraient sûrement
des phénomènes graves du côté du bulbe: arrêt de la respiration et
du cœur et convulsions. Il est donc certain que la troisième injection
seule a pénétré dons le canal arachnoïdien et a produit l'anesthésie.
Dans un autre cas d'injection dorso-lombaire, il eut sur le même
malade, une première fois, une excellente anesthésie avec 6 centi-
grammes de stovaïne, tandis que, à une seconde intervention^
16 centigrammes en deux injections ne donnèrent rien, et la
troisième injection, de 6 centigrammes seulement, fut suivie de
succès.
Pendant l'anesthésie, le malade conserve toute sa conscience, et
M. Jonnesco a l'habitude de causer avec ses malades, ce qui les
distrait de l'opération, dont le plus souvent ils ne se rendent pas
compte, car le champ opératoire leur est caché par une toile soute-
nue par deux barres adaptées à la table d'opération au niveau du
cou. 11 préfère cette toile au masque, qui serait gênant pour le
malade et lui ferait perdre patience, surtout dans les opérations
d'une certaine durée. Il n'est pas rare de voir des malades de-
mander que l'opération commence, alors qu'elle est déjà complè-
tement terminée.
IJ'inimohilUé des membres ou du cou et de la tête, due à la parésie
ANESTllÉSIF. MÉDULLAIRE OU RACIILANESTIII' SIE . 375
produite par la rachi-aneslhésie, constitue un grand avaulas?e de la
méthode, car elle supprime les mouvements qui gênent tant Topéra-
tour. Il est à noter qu'on peut avoir une anestliésie parfaite sans
immobilité des membres: ceci est rare, mais il faut connaître le fait
et ne pas attendre la parésie pour commencer Topéralion.
Après l'injection dorso-lombaire,les viscères abdominaux mobiles,
les intestins sont dans l'immobilité parfaite. Ce silence abdominal
constitue un grand avantage de la rachi-anesthésie dans les laparo-
tomies gynécologiques surtout : les viscères restent comme figés à
leur place; ils ne sont sollicités par aucun elîort de toux ou de
vomissement et ne viennent pas encombrer le champ opératoire,
comme cela arrive si souvent dans lanesthésie par inhalation.
Les phénomènes tels que pâleur de la face, nausées, sueurs, vomis
semenls, etc., si souvent observés dans la rachi-aneslhésie par la
stovaïne, tropacocaïne ou novocaïne, sont exceptionnels dans la
rachi-anesthésie par la stovaïne-strychnine. Le faciès conserve
presque toujours son aspect normal: les nausées existent dans
2,25 p. 100 des cas; les vomissements, uniques et sans efforts, dans
1,25 p. 100; les sueurs, dans 2 p. 100. On observe quelquefois
l'incontinence des matières fécales (4 p. 100) chez les sujets cachec-
tiques, affaiblis. Le pouls, ralenti dans la rachi-slovaïnisation, est
ordinairement normal comme nom43re et force; quelquefois il est
plus fréquent (80 à 90). mais toujours fort. Ces faits prouvent la
puissante action de la strychnine, qui enlève à la stovaïne son action
déprimante. L'arrêt momentané de la respiration a été observé dans
5 cas, mais dans des conditions toutes spéciales: dans 3 cas de ponc-
tion médio-cervicale, on avait ajouté l'ali-opine (un tiers de milli-
gramme) à la solution ordinaire. Jonnesco a abandonné et l'atro-
pine et la ponction cervicale. Dans 1 cas il avait employé 4 cen-
tigrammes de stovaïne dans l'injection dorsale supérieure: la dose
était trop forte, la pratique l'a prouvé. Enfin, dans 1 cas où l'injection
dorso-lombaire de 6 centigrammes de stovaïne avait été précédée
dinjection sous-cutanée (trois heures et demie avant l'opération)
de scopolamine-morphine, la respiration s'est arrêtée ; Jonnesco
avait prévu le fait, convaincu d'avance que l'intoxication préalable
de l'organisme par un agent aussi puissant que la scopolamine devait
être contre-indiquée dans la rachi-anesthésie : la respiration est reve-
nue au bout de quinze minutes seulement. — En somme, ces acci-
dents ne peuvent pas être imputés à la méthode telle qu'elle a été
décrite ici, mais à des écarts qu'on peut et doit éviter.
hadurée de l'anesthésie varie entre une heure et demie à deux heures.
C'est plus qu'il ne faut pour mènera bien n'importe quelle opération.
Lne petite remarque pour les chirurgiens peu habitués à la
rachi-anesthésie et qui, craignant les complications, cherchent à
l'obtenir par des doses moindres. On peut obtenir l'anesthésie avec
376 XOGUE. — AXESTIIESIE.
moins de :i centigrammes de stovaïne pour la ponction dorsale
supérieure et moins de 10 centigrammes pour la dorso-lombaire.
Mais alors elle n"est ni aussi profonde ni aussi durable.
En efl'et, avec 8 centigrammes, par exemple, Tanesthésie existe,
maisTopéi-é conserve la sensation du contact, et les tractions sur les
viscères ou sur les bords de la plaie sont senties sans être doulou-
reuses. En employant la dose de 10 centigrammes, toute sensation
est abolie. C'est pourquoi il ne faut jamais hésitera recourir à ces
doses, qui paraissent massives, mais qui ne sont nullement nuisibles,
tout en assurant une parfaite anesthésie.
Si la durée de l'opération a dépassé celle de Faneslhésie, Jonnesco
pratique une nouvelle ponction, l'opéré étant mis dans le décubitus
latéral. De cette façon, on peut prolonger Tanesthésie aussi long-
temps qu'on veut sans aucun inconvénient. La dose employée alors
sera ou égale à la première ou inférieure, suivant la durée probable
de l'opération.
Phénomènes observés après l' anesthésie. — La céphalalgie, la
rétention d'urine et l'élévation de température, si fréquentes dans la
rachi-slovainisalion, sont très rares et peu durables dans cette
méthode. La céphalalgie existe dans 6,25 p. 100 des cas : elle est
légère et disparait rapidement (dans quelques heures). La rétention
d'urine, passagère, est rare (4.25 p. 100) et ne s'observe que dans
les mêmes opérations oîi on l'observe même après l'anesthésie par
inhalation (opérations sur l'anus, hernie, utérus). La température
n'atteint jamais 40°; elle a été, le jour de l'opération, de 39° dans
1,75 p. 100descas,de 38° dans 1(3 p. 100 des cas, deS'odans 50 p. 100
des cas et au-dessous de ol" dans 52 p. 100. Les vomissements post-
opératoires sont très rares. On n'a jamais remarqué de paralysie
post-anesthésique.
L'dge des opérés a varié entre l'enfant d'un an à neuf mois et le
vieillard de soixante-quinze ans. Jonnesco a opéré Jo enfants au-
dessous de dix ans : 1 d'un an et neuf mois; 4 de deux ans ; 1 de
trois ans; 2 de quatre ans; 1 de cinq ans; 2 de huit ans; 1 de neuf
ims et 1 de dix ans. Tous ont parfaitement supporté l'injection avec
les doses de stovaïne-strychnine indiquées plus haut. Donc l'âge ne
constitue aucune contre-indication.
L'état général des malades, les affections chroniques cardiaques, pul-
monaires, rénales ou hépatiques n'empêchent pas l'emploi de la mé-
thode; car il a opéré des malades atteints d'affections cardiaques
avancées : myocardites, insuffisance aortique, insuffi.sance ou
rétrécissement mitraux sans inconvénient. Il en est de même des
autres affections chroniques indiquées plus haut.
Les étals infectieux, aigus ou chroniques, ne constituent, pas non
plus des contre-indications, mais il faut diminuer la dose de
l'anosthésique.
ANtSTHÉSIli: MÉDULLAIRE OU UACllI-ANESTlIÉSIE. 377
La gibbosité, la scoliose n'empêchent pas la ponction de réussir,
sauf dans les cas exceptionnels d'ossification des ligaments.
Le V' Jonnesco a lait ainsi 1015 opérations sans aucun accident,
el il lire de là les conclusions suivantes:
1" La rachi-anesthésie générale a deux principes fondamentaux:
la ponction du rachis à tous les niveaux et l'adjonction de la slry-
chnine à l'anesthésiant : stovaïne, tropacocaïne, novocaïne, etc. :
2° La ponction du rachis à n'importe quel niveau est bénigne; la
crainte de la piqûre de la moelle est absolument non fondée. Peut-
être la produit-on, mais elle est tout à fait innocente;
3° La ponction médio-cervicale est inutile et même nocive ; la
ponction dorsale moyenne est difficile et inutile. Les ponctions
dorsale supérieure (entre la première et la deuxième vertèbre dor-
sale) et dorso-iombaire (entre la douzième vertèbre dorsale et la
première vertèbre lombaire) sont faciles et suffisantes pour obtenir
l'anesthésie de toutes les régions du corps ;
4° Le sulfate neutre de slrijchnine ajouté à la solution anesthésiante
lui conserve toute sa puissance analgésique, tout en lui enlevant son
action nocive sur le bulbe. C'est grâce à elle que l'anesthésie supé-
rieure est possible sans danger:
5° Des anesthésiques connus, la stovaïne et la neuocaïne paraissent
les meilleurs. On peut les employer indifféremment mélangés à la
strychnine :
6° La strychnine et l'anesthésique (stovaïne ou novocaïne) ne
doivent pas être stérilisés, la stérilisation leur enlevant en partie leur
qualité;
7° La préparation de la solutionanesthésipnte doit être faite au mo-
ment de l'emploi, car elle s'altère assez vite et perd ses propriétés:
8° On doit employer l'eau non distillée, mais préalablement stéri-
lisée ;
9° L'injection sera faite avec 1 centimètre cube de la solution :
eau, strychnine et stovaïne ou novocaïne en quantités variables;
10° La technique est simple ; la seringue de Pravaz, l'aiguille ordi-
naire à ponction lombaire constituent linstrumentation nécessaire;
11° La rachi-anesthésie générale ne connaît aucune contre-indi-
cation. Elle doit réussir toujours si le liquide a pénétré dans l'espace
arachnoïdien et si la dose d'anesthésique employée a été suffisante ;
12° La rachi-anesthésie générale est absolument bénigne: elle n'a
jamais causé la mort ni donné lieu à des accidents de quelque im-
portance, immédiats ou tardifs ;
13° La rachi-anesthésie générale est infiniment supérieure à l'anes-
thésie par inhalation; par sa simplicité, elle est à la portée de tous;
par son manque de contre-indication, elle peut être employée chez
tous les malades et pour toutes les opérations.
Pouvant être pratiquée par le chirurgien lui-même, elle supprime
378 XOGUÉ. — ANESTHÉSIE.
un aide, souvent insuffisant et toujours irresponsable. Dans les
opérations sur la face et sur le cou, où Tanesthésie par inhalation
est difficile et souvent incomplète, elle sera d'une grande ressource.
Dans les laparotomies, par le silence abdominal qu'elle détermine,
elle est de beaucoup supérieure à l'anesthésie par inhalation ;
14° Les faits consignés dans ce travail prouvent combien, en
science, les condamnations a priori, comme celles des P'' Bier et
Rehn. sont précipitées et mal fondées ;
15° La rachi-anesthésie générale sera la méthode daneslhésie
de l'avenir.
Depuis cette époque, quelques modifications heureuses ont été
apportées à la méthode. La préparation de la solution présentait
plusieurs inconvénients : l'emploi de la stovaïne non stérilisée, les
difficultés du dosage exact des deux substances, la perte rapide
dune partie des propriétés de la stovaïne au contact de l'air, ce qui
expliquait son action imparfaite dans certains cas ; enfin la nécessité
d'avoir avec soi des flacons stérilisés pour la solution strychninisée
et des tubes stérilisés pour y introduire la stovaïne et obtenir la
solution définitive (1). Tous ces inconvénients ont disparu grâce aux
ampoules synèses préparées par le D' Racovitza (de Jassy), qui a pu
obtenir la stérilisation de la stovaïne tout en lui gardant ses pro-
priétés et en les exagérant même.
La préparation du D' Racovitza consiste en une paire d'ampoules
dont une contient la stovaïne pesée, purifiée, stérilisée et solidifiée,
l'autre la solution titrée d'eau strychninisée. Ces ampoules fermées
conservent indéfiniment leur contenu sans altération possible. Pour
o'itenir une solution anesthésiante d'un titre déterminé de 1 centi-
mètre cube, toute l'opération consiste à aspirer 1 centimètre cube
de solution strychninisée d'une des ampoules synèses et à l'intro-
duire dans l'ampoule contenant la stovaïne cristallisée et stérilisée.
La dissolution de la stovaïne se produit au bout de deux à trois
minutes à froid, et presque instantanément en maintenant quelques
secondes l'ampoule au contact de la flamme d'une lampe à alcool ou
dans de l'eau chaude.
Les quantités de stovaïne et de strychnine ont été modifiées :
a. la stovaïne, grâce à la préparation de Racovitza, a été réduite à
peu près de moitié. En effet, chez l'adulte, dans la ponction basse,
dorso-lombaire, la dose maxima est de 6 centigrammes ; chez les
enfants et les adolescents, elle varie entre 1 et 4 centigrammes,
suivant l'âge. Pour la ponction haute, dorsale supérieure, chez
l'adulte, la dose ordinaire est de 2 centigrammes, rarement 3 : chez
les adolescents, elle varie entre un quart de centigramme (enfant
d'un mois) et2 centigrammes suivant l'âge : b. la dose de strychnine
(1) La rachi-anesthésie générale, par Tu. JoNNnsco(7îei'(/e de tlu'rapeiiliqiie médi-
co-chirnrçjicale, 1er (j^c. 1910).
AXESTllESIE MEDULLAIRE OU llAClil-ANESTKESIE. 379
a rlr augmentée ; dans la ponction basse, dorso-lombaire, 2 milli-
iirammes (solution : 100 g^ramnies eau, 20 centigrammes sulfate
neutre de strychnine, donc 2 milligrammes par centimètre cube);
dans la ponction haute, dorsale supérieure, 1 milligramme
chez l'adulte ; chez Tenfant et l'adolescent, elle varie entre ()^",!y
jusquà deux ans et 1 milligramme chez les plus âgés pour la ponc-
tion dorso-lombaire ; pour la ponction dorsale supérieure, elle varie
entre un cpiart de milligramme (enfant d'un mois) et O^es suivant
làge.
Telles sont les doses normales chez les individus dont l'état géné-
ral est bon ; mais elles subissent de profondes modifications quand
il s'agit de malades dont l'état général est altéré, soit par cachexie
avancée, soit par une infection ou une intoxication aiguë ou chro-
nique, soit par un choc traumatique violent, soit enfin par des hémor-
ragies profuses. Alors, avec des doses relativement minimes comme
2 à 4 centigrammes de stovaïne pour la ponction basse chez l'adulte,
on obtient une anesthésie parfaite et durable. Les doses ordinaires
deviennent toxiques. C'est pour avoir méconnu ce fait qu'on a eu à
déplorer des accidents graves.
La position à donner aux malades après l'injection a été modifiée
aussi. Le P^ Jonnesco couche ses malades immédiatement après
l'injection, àmoins qu'il ne pratique celte injection systématiquement
dans le décubitus latéral, quel que soit le niveau de la ponction,
haute ou basse.
Grâce à cette pratique, l'anesthésie est toujours plus rapide et plus
complète, et on voit disparaître la tendance à la pâleur, les sueurs,
que ces malades présentaient quelquefois dans la position assise-
^Mettre en effet le malade dans le décubitus horizontal et dans le
plan incliné tête en bas, c'est augmenter l'afflux du sang vers les
centres supérieurs et du coup faire cesser ou empêcher de se pro-
duire les symptômes d'anémie cérébrale.
Enfin, grâce aux doses relativement petites employées par le
P' .Jonnesco et surtout grâce à la petite quantité de solution qu'il
injecte, l'anesthésie reste presque toujours cantonnée dans le segment
du corps où a été pratiquée l'injection. Ainsi, après la ponction haute,
rarement l'anesthésie dépasse les fausses côtes ; dans les ponctions
basses, elle atteint rarement les mamelons, de sorte que le segment
supérieur du tronc est parfaitement libre et conserve intégralement
la sensibilité et la mobilité. Ce fait a été prouvé d'une façon origi-
nale et probablement unique parleD^Tzaicou, assistant du P^ Juvara
(de Jassy ). En effet le D^ Tzaïcou, enthousiasmé par les résultats de la
rachi-strychnino-stovaïnisation, qui devait faire l'objet de sa thèse
inaugurale, s'opéra lui-même d'une hernie inguinale. Le P^ Juvara lui
injecta, entre la douzième vertèbre dorsale et la première vertèbre
lombaire, 1 centimètre cube d'eau contenant 5 centigrammes de
380 >OGUÉ. — ANESTHESIE.
stovaïne et 1 milligramme de strychnine. Quelques minutes après,
Tanesthésie étant suffisante, le D' Tzaïcou se mit dans la position
assise et commença sa propre opération, qu'il put conduire à bonne
lin sans Taide de personne.
Cette mémorable opération fut faite le 23 septembre 1909, et il
est du plus haut intérêt de connaître la succession des phénomènes
anesthésiques observés par un médecin sur sa propre personne.
« Après que Ton eut retiré l'aiguille, dit en effet le D"" Tzaïcou (1),
et que j'eus changé de position, je me trouvai à quatre heures moins
onze minutes sur la table d'opération, appuyé contre le dossier,
attendant l'anesthésie et analysant les sensations qui devaient
l'accompagner.
« Une minute après, à quatre heures moins dix, j'eus une agréable
sensation à partir du bassin vers le bas ; il me semblait qu'un courant
doux, agréable, chatouilleux, me descendait dans les membres infé-
rieurs jusqu'à la plante des pieds, sensation que je ne pourrais mieux
décrire qu'en la comparant à la sensation qu'on éprouve lorsque,
après une grande fatigue, on relâche ses muscles, en s'étendant pour
se reposer dans le plan horizontal.
« A quatre heures moins huit minutes, un fourmillement se fit sentir
dans les membres inférieurs; j'éprouvai ensuite une sensation de chaleur
dans les pieds et surtout à la plante. Lentement et insensiblemeni,
l'engourdissement s'empara des membres inférieurs, progressive-
ment du haut en bas. Pendant que l'engourdissement se prononçait,
la sensation de chaleur à la plante des pieds fut remplacée par une
sensation de fraîcheur nullement désagréable et semblable à un
souffle rafraîchissant.
« Lorsque j'essayai de contracter le sphincter anal ainsi que les
autres muscles : périnéaux, bulbo-caverneux, etc., je constatai que,
dans ces muscles, la molilité commençait à disparaître.
« A quatre heures moins sept minutes, c'est-à-dire quatre minutes
après que l'on eut enlevé l'aiguille, je sentis que le périnée était anes-
thésié. Dans les membres inférieurs, les mouvements commençaient à
être plus lourds, l'engourdissement s'en emparait de plus en plus et
montait toujours. L'engourdissementparvintauxcuisseset commença
à envahir le bassin. Je mentionnerai ici que cet engourdissement est
comparable à la sensation que l'on éprouse lorsqu'un doigt ou un
pied s'engourdit, à cette différence près qu ici il n'est pas douloureux;
les mouvements passifs ou actifs, les pressions sur les régions
engourdies ne provoquent ni douleur ni sensation désagréable. A
mesure que l'engourdissement augmente, l'insensibilitédevient plus
grande, et, lorsque l'on croit que l'engourdissement va atteindre son
maximum, Tanesthésie complète le remplace insensiblement.
(1,1 Presse mèil . Il f^vr. 1911.
AAESTlli:SlE MEDULLAlRi: OU RACllI-ANliSTIIl. SIi:. 381
a A ([ualre heures moins six minutes, cinq minutes par conséquent
après l'injection, la motilité avait complètement disparu dans les
membres inférieurs. Les testicules étaient encore sensibles à la
pression. La région à opérer était encore sensible : les muscles
crémasters étaient absolument intacts. Les muscles abdominaux
n'étaient pas paralysés, même sous l'ombilic.
« Dans la région hypogastrique, le voisinage du pubis et la partie
inférieureet interne de la région inguinale, la sensibilité est diminuée.
La fosse iliaque et la région hypogastrique dans sa plus grande
partie gardent encore leur sensibilité intacte, chose qui m'inquiète,
car je me rends compte que l'anesthésie ne monte pas autant qu'il le
faudrait. Tandis que, aux membres inférieurs et au périnée, com-
plètement anesthésiés, on aurait pu couper n'importe où, comme
dans un morceau de bois, dans la région inguinale, au contraire, il
eût été impossible de commencer l'incision.
<t Convaincu de l'importance du changement de position du malade
pour que raneslhési(|ue se répande dans le canal rachidien, je priai
M. Septilici de donner à la table d'opération une position déclive,
ce qui fut fait. C'est ainsi que, six minutes après l'injection, à quatre
heures moins cinq minutes, je fus amené lentement dans la position
déclive maxima. Je priai un de mes collègues de me tenir la tête
penchée en avant, de sorte que le menton touchât la poitrine. Ce
changement de position ne provoqua pas en moi de sensations désa-
gréables. Aussitôt, j'éprouvai dans les lombes, dans la région
dorsale du thorax et dans la nuque une agréable sensation de
chatouillement.
« Je fus tenu pendant deux minutes dans la position déclive. Durant
ce temps, je pus observer, en m'examinant, que l'anesthésie com-
mençait à intéresser également la région inguinale.
« A quatre heures moins deux minutes, soit neuf minutes après
l'injection, je dis à ceux qui m'entouraient que je sentais ma figure
se congestionner: une sorte d'euphorie s'empara de moi, comme si
la solution aneslhésique avait détruitlesubstralum physiologique des
moindres traces de peur, souci, ou inquiétude, en le remplaçant
par le substratum d'états d'âme tout à fait contraires. Je conservai
le maximum de calme, d'assurance et de confiance en moi-
même. Je demandai même à ceux qui m'entouraient s'ils n'avaient
pas observé de changement sur ma face. Ce que j'avais senti subjec-
tivement, c'est-à-dire que ma figure s'était congestionnée, me fut
confirmé.
« Les mouvements respiratoires étaient plus espacés et plus pro-
fonds ; j'étais content et disposé à vaincre n'importe quelle diffi-
culté qui aurait pu surgir durant mon opération, que l'on croyait
risquée, eu égard à la petitesse de l'homme devant la douleur.
« A quatre heures moinsune minute, c'est-à-dire vingt minutes après
382 NOGUE. ~ ANESTHÉSIE.
l'injection, examinant Té volutionanesthésique, je trouvai les membres
inférieurs et le périnée complètement anesthésiés et paralysés, le
bassin lourd comme du plomb el presque paralysé dans ses mouve-
ments.
«Le scrotum était paralysé; les testicules, élevés par une contrac-
tion involontaire des crémasters au niveau des orifices inguinaux
superticiels, étaient absolument insensibles, et en les palpant j'avais
l'impression de toucher des corps étrangers. L'anesthésie commen-
çait à intéresser de plus en plus les régions inguinales ; toutefois
l'insensibilité de la fosse iliaque n'était pas encore assez grande
pour me permettre de commencer l'opération.
« En lavant la région à l'alcool et à Téther, j'éprouvais une brûlure.
Il était impossible de faire l'incision dans la fosse iliaque. Sachant
qu'il y a des cas où l'anesthésie peut ne venir que vingt minutes après
l'injection, je me décidai à attendre. Durant ce laps de temps, je pus
constater que tout mouvement brusque provoquait en moi des ver-
tiges qui devenaient pénibles lorsque je penchais le corps en avant ;
je ne pouvais rester appuyé contre le dossier de la table.
«A quatre heures et sept minutes, autrement dit vingt-huit minutes
après l'injection, quoique l'anesthésie eût augmenté, elle ne per-
mettait pas encore de commencer l'opération, à cause de la douleur
que je ressentis en essayant de faire l'incision dans la fosse iliaque.
« Le P^" Juvara, m'ayant conseillé d'ajourner au lendemain l'opé-
ration pour être opéré au chloroforme, je répondis que : « j'étais
décidé à m'opérer ce jour-là même » ; je pensais en ce moment à un
petit surplus d'anesthésie dont j'avais besoin.
(( Connaissant ma résistance à la stovaïne, je demandai à ce que l'on
me fît une seconde injection intrarachidienne, tout en regrettant de
n'avoir pas été obéi, et surtout de n'avoir pu me la faire moi-même,
là où elle aurait dti être faite, entre la onzième et la douzième ver-
tèbre dorsale. Mes essais précédents, à l'aide de miroirs, m'avaient
montré qu'ilneme serait possible de faire seul l'injection rachidienne
que dans la région cervicale, juste au-dessous de la proéminente, et
dans la région lombaire, exception faite de l'espace compris entre
la première et la deuxième vertèbre lombaire.
« Je demandai avec insistance à ce que l'on me fît dans la fosse
iliaque et dans la partie externe de la région inguinale un surplus
d'anesthésie locale avec la solution de stovaïne à 0,.5O p. 100 que
j'avais préparée ; mon désir n'ayant pas été satisfait, je fus obligé de
mefaire moi-même une injection de 4 centimètres cubes, c'est-à-dire
quatre seringues de la solution de stovaïne à 0,50 p. 100 que
j'avais préparée.
(' Après ces quatre injections, par lesquelles je n'introduisis que
2 centigrammes de stovaïne, je fus en état de commencer l'opération.
« Pendant toute la durée de l'opération, l'anesthésie resta parfaite.
ANESTHÉSIE MÉDULLAIRE OU RACHI-ANESTHÉSIE. 38J
Klle disparut comme Topéralion prenail fin; aussi la sulure delà
peau fut-elle un peu douloureuse. A cinq heures un quart, le panse-
ment lut termine el l'opéré transporté dans son lit. La sensibilité
était complètement revenue, et tout était rentré dans l'ordre.
« Les phénomènes qui suivirent l'opération furent les suivants.
Pendant trois jours, il y eut une insomnie complète et des phéno-
mènes d'excitation. Deux heures après l'opération, se manifesta une
douleur sourde dans la région épigastrique s'irradiant dans l'hypo-
condre droit, sous les fausses côtes droites, qui disparut le soir du
huitième jour. On nota également une douleur thoracique localisée
dans la paroi costale pendant les troisième et quatrième jours. Le
quatrième jour se fit sentir une violente douleur fessière semblable à
la douleur d'un phlegmon, qui disparut complètement le neuvième
jour.
« Le cinquième jour après l'opération, se manifesta une céphalalgie
localisée dans les régions frontales et temporales, accompagnée de
douleurs dans les globes oculaires. Cette céphalalgie légère croissait
avec le mouvement de la tête. Elle disparut le septième jour. Il y eut
un peu de constipation, mais la miction resta normale. »
Après avoir résumé les conclusions tirées de cette auto-obser-
valion, leEKTzaicou termine en disant : « Une méthode anesthésiq'ue
assez efficace et assez innocente pour permettre à quelqu'un de
s'opérer seul d'une hernie, avec succès et sans conséquences désa-
gréables, pourra être soumise à toutes les modifications et à tous les
perfectionnements possibles, mais elle ne disparaîtra pas du domaine
de la chirurgie, tant qu'il n'y aura que les méthodes actuelles d'anes-
thésie et tant que l'imagination humaine n'aura pas conçu une autre
méthode plus merveilleuse encore. »
38'± jNOGUE. — ANESTHESIE.
XVII. - L'ADMINISTRATION DES ANESTHÉSIQUES AU
POINT DE VUE MÉDICO-LÉGAL
L'administration des anesthésiques soulève, au point de vue médico-
légal, des problèmes complexes et engage gravement la responsabilité
du médecin. En outre, la loi du 10 novembre 1892 a étendu aux chi-
rurgiens-dentistes et même, dans certaines conditions, aux dentistes
patentés la redoutable prérogative de pratiquer Tanesthésie. 11 est
donc nécessaire de Ijien envisager dans quelles circonstances et dans
quelles limites la responsabilité des uns et des autres peut être
engagée.
D'abord, en cas d'accident dû à une faute grave, le médecin est
passible de deux juridictions. 11 peut être poursuivi en police correc-
tionnelle pour homicide par imprudence, s'il est prouvé qu'il était, au
moment où il a pratiqué l'anesthésie, en état d'ivresse, s'il est prouvé
qu'il a oublié une compresse imbibée de chloroforme sur le nez de son
patient, qu'il a abandonné sonmalade dans les mêmes conditions, etc.
11 peut dans ce cas être condamné à la prison.
En second lieu, il peut être ])Oursuivi au civil en paiement d'une
indemnité à la famille du décédé, chacun étant responsable du dom-
mage qu'il a causé. C'est le cas le plus fréquent.
On peut dire, d'ailleurs, que ces poursuites sont devenues aujour-
dhui la règle. Déjà, en 1896, le P' Brouardel disait: « Depuis quelques
années, les affaires de responsabilité médicale se multiplient. Il s'est
constitué, en eft'et, une espèce de syndicat, formé par des agents
d'affaires, qui recherche les cas de mort dus à l'emploi des anesthé-
siques survenant dans les hôpitaux. Depuis 1889-1890, j'ai été amené
ainsi à pratiquer 17 autopsies. 11 y a donc lieu, pour nous, de nous
préoccuper de ce fait, afin de nous mettre à l'abri de toute respon-
sabilité. » Depuis celte époque, loin de s'atténuer, ces pratiques n'ont
fait que se généraliser.
Devant un accident mortel dû à l'emploi d'un anesthésique général,
la première question que le magistrat pose est la suivante : La per-
sonne endormie pouvait-elle être endormie sans le consentement
d'une autre personne ? 11 est certain qu'il s'agit ici des cas où
un enfant ou un mineur a été anesthésié. Le consentement des
parents est alors nécessaire, et il faut se garder de donner à un
enfant un anesthésique général quelconque sans la présence et le
consentement des parents. S'il s'agit de donner le chloroforme ou
l'éther, cette obligation est évidente, et nul médecin ne commettrait
aujourd'hui l'imprudence de s'y soustraire : d'ailleurs, il s'agit dans
ces cas, en général du moins, d'une intervention assez importante,
pour laquelle l'autorisation des parents est elle-même nécessaire.
Mais souvent, et surtout chez lesenfants, on emploie d'autres anesthé-
ANESTHÉSIQUES AU POINT DE VUE MÉDICO-LÉGAL. 385
si<|ucs généraux, tels ((uc le bromure d'élhyle, le chlorure d'éthyle, le
protoxyde d'azote, dontrinnocui Lé relative est bien connue. C'est alors
que le médecin peut céder Ji la tentation de l'administration de ces
anesthésiques pour des opérations rapides, de peu d'importance,
ablation de végétations adénoïdes, paracentèse du tympan,
extractions dentaires très douloureuses, etc. Ici encore il faudra
s'abstenir d'une fa^on absolue tant que les parents ne sont pas
consentants. Le cas s'est déjà présenté. Un chirurgien avait prévenu
la famille dun de ses petits malades qu'il l'opérerait le lendemain. La
famille ne se dérangea pas, et l'enfant mourut pendant l'aneslhésie.
Le chirurgien fut mis hors de cause. Mais il est évident que cette
jurisprudence ne saurait être considérée comme invariable. Et, sauf
le cas d'urgence absolu, mieux vaut attendre l'autorisation écrite ou
la présence des parents pour intervenir.
Mais cette autorisation nécessaire ne se limite pas aux enfants.
Dans un cas cité par Brouardel, deux médecins endormirent une
femme afin de lui réduire une luxation du pied. Au moment où ils
allaient commencer les tentatives de réduction, la femme mourut.
Heureusement qu'avant de la soumettre au chloroforme ils avaient
demandé à cette femme, devant une de ses amies, si elle était mariée;
elle répondit qu'elle était divorcée. Mais, quand elle fut morte, le mari
reparut et intenta une action en responsabilité civile aux deux
médecins ; le divorce n'avait pas été prononcé, mais la séparation
existait de fait depuis cinq ans ; cette femme menait une vie extrê-
mementlibreaux alentours dufaubourg Montmartre, etjamais, durant
les cinq années, son mari n'avait un instant songé à entraver cette
liberté, quelque excessive qu'elle fût. Le tribunal jugea que les deux
médecins avaient pris toutes les précautions voulues, et le mari fut
débouté de sa demande.
Quand il s'agit donc d'une femme sous puissance de mari, il est
absolument nécessaire de demander, pour pratiquer sur elle l'anes-
lhésie générale, l'autorisation du mari.
Le premier procès qui marqua la mort par les anesthésiques eut lieu
en 1853. On ne parlait alors (1 1 (jue de la découverte de Soubeiran ;
on redoutait les dangers et les crimes qui, pendant le sommeil, pou-
vaient être commis ; mais les opérés étaient surtout frappés des
avantages de cette méthode. Un faïencier, nommé Breton, étant venu
consulter un docteur, ancien interne, médaille d'or des hôpitaux, pour
une petite loupe qu'il portai ta la joue, accepta l'opération à condition
de bénéficier des avantages du chloroforme (jue l'on venait de
découvrir.
Le chirurgien l'endormit avec l'aide d'un interne qui n'était paâ
docteur. Dès les premières inhalations, le faïencier mourut ; on l'avait
(1) P. Brouardel, Les aspliyxies par les gaz, les vapeurs et les anesthésiques,
Paris, J. B. Baillière et fils, 1896.
Traité de stomatologie. VL — 25
386 NOGUÉ. — ANESTHESIE.
endormi assis dans un fauteuil. Les deux médecins perdirent la tête^
au point que le chirurgien quitta la chambre précipitamment et, tra-
versant une pièce où se tenaient les parents du malade, leur cria :
« Tout va bien. » L'interne fit piteuse contenance devant la famille,
qui, pénétrant enfin dans la chambre, se trouvait en présence d'un
cadavre.
Le commissaire de police intervint: il yeut un procès, etletribuna!
condamna les deux médecins à 50 francs d'amende chacun. Le
jugement reflète bien les opinions alors en honneur. On reprochait aux
médecins d'avoir donné le chloroforme dans une petite pièce,
encombrée de meubles et où lair ne pouvait pas se renouveler suffi-
samment. L'affaire vint en appel. Devant la cour, Velpeau, dont on
avait demandé l'avis, se prononça d'une façon très nette et très caté-
gorique :
« Vous tenez entre vos mains l'avenir de la chirurgie, dit-il aux
magistrats. La question intéresse le public plus que le médecin. Si
vous condamnez le chirurgien qui a employé le chloroforme, aucun
de nous ne consentira à l'employer désormais ; aucun médecin, s'il
sait qu'à la suite d'un accident impossible à prévoir il encourt une
responsabilité, ne voudra l'administrer. C'est à vous de maintenir
l'abolition de la douleur ou de la réinventer. »
Lorsque l'avocat des accusés se leva pour commencer sa plaidoirie,^
le président l'interrompit en disant : la cause est entendue. Les deux
médecins furent acquittés.
Au point de vue médico-légal, le médecin poursuivi aura à répondre
aux questions suivantes du juge d'instruction : 1° toutes les pré-
cautions en vue de l'administration de l'anesthésique ont-elles été
prises? 2" tous les soins nécessaires au moment de l'accident ont-ils-
été donnés? S» l'opération justifiait-elle l'emploi des anesthésiques?
■i° l'opérateur était-il légalement autorisé à pratiquer l'anesthésie ?
Nous les envisagerons successivement :
loTouleslesprécautionsont-elIes été prises? — En premier
lieu se placent les contre-indications possibles de l'anesthésie. Nous
les avons passées en revue à propos de chacun des anesthésiques. Il
est bon cependant d'y revenir ici. Les magistrats, le grand public et
un certain nombre de médecins admettent que, parmi celles-ci, il faut
placer au premier rangles alTections cardiaques. P. Brouardel affirme
que, parmi les nombreuses autopsies qu'il a eu l'occasion de faire
d'individus morts par le chloroforme, il n'a jamais constaté une lésion
valvulaire. Cependant mieux vaut, dans ce cas, se montrer très prudent
et suivre à la lettre le conseil de Brouardel. « Lors([ue vous consta-
terez une lésion valvulaire chez un malade que vous avez l'intention
d'endormir, ne procédez pas à l'anesthésie sans avoir pris au préalable
l'avis d'un ou deux de vos confrères, sans avoir rédigé une consul-
tation expliquant pourquoi vous ne privez pas votre malade de l'anes-
ANESTHÉSIQUES AU POINT DE VUE MÉDICO-LÉGAL. 387
thésie, malgré l'existence de cette afîection reconnue. Faites-vous
de ce conseil une règle absolue. » Lo même auteur, qu'on ne saurait
trop suivre, donne encore les règles suivantes.
La dégénérescence du cœur, quand il est possible de la diagnostiquer,
peut être une contre-indication. Si l'individu qu'il s'agit de chloro-
former est sujet i\ des syncopes, il y a lieu de s'abstenir, à moins
d'indication impérative ; l'artériosclérose justifie la même prudence.
Dans le cas de lésions rénales, d'albuminurie, de diabète et
d'obésité, il faut également se montrer très réservé. Il en est de même
de l'état cachectique profond ou de la tendance aux syncopes.
Enfin il est bon que l'opérateur se préoccupe toujours de la pureté
des produits anesthésiques qu'il emploie. Deux moyens de prouver
cette pureté s'offrent au médecin, d'après Brouardel. Le premier, c'est
l'analyse chimique, difficile et compliquée.
Le second moyen est beaucoup plus simple et conduira aux mêmes
résultats. Deux cas peuvent se présenter: ou bien le malade est mort
à l'hôpital, ou il est mort en ville. Si l'accident a eu lieu à l'hôpital,
on s'est servi, pour endormir le malade, de chloroforme pur à même
la bouteille de réserve ; on a, avec ce même chloroforme, endormi un
certain nombi*e de malades, la veille, l'avant-veille, le jour même :
aucun n'a présenté d'accidents. Le chloroforme n'était donc pas
chargé d'impuretés. Si l'accident est arrivé en ville, le pharmacien
qui a fourni le chloroforme pourra donner l'adresse d'un certain
nombre de médecins ou de chirurgiens qui ont l'habitude de prendre
chez lui le chloroforme dont ils ont besoin et qui n'ont pas eu d'acci-
dents à déplorer.
Mais aujourd'hui il est de pratique courante de recourir à des pré-
parations faites par des maisons connues, qui se sont spécialisées dans
la fabrication de ces produits anesthésiques. Pour chaque malade, on
a recours à un ilacon non entamé ; du côt^ des impuretés on est donc
à l'abri de toute surprise.
Il est bon de savoir aussi que certaines afTections exposent plus que
d'autres à des syncopes chloroformiques. Il est bien connu, par
exemple, que les fractures se compliquent souvent de thromboses ou
d'embolies qui, au cours d'une anesthésie, peuvent déterminer la mort.
Comme précaution importante encore, il faut éviter d'opérer seul.
Il est facile de concevoir qu'en cas d'accidents graves on sera dans
l'impossibilité matérielle de donner les soins nécessaires. Ne serait-ce
que la respiration artificielle qu'il faut prolonger parfois pendant
plusieurs heures, il est impossible à un homme seul de la pratiquer
convenablement.
Une autre raison d'un ordre tout différent qui doit toujours
s'opposer à l'administration des anesthésiques généraux quand on
est seul, c'est la possibilité chez la femme de rêves voluptueux pris au
réveil pour la réalité. De là à porter contre l'opérateur des accusations
388 NOGUE. — ANESTHESIE.
graves, il n'y a qu'un pas. Et ce pas a été plusieurs fois franchi.
Brouardel en cite deux exemples, qu'il est bon de rappeler. « Deux
fois, dit-il, à ma connaissance, des femmes sont sorties du cabinet où
elles étaient restées seules avec l'opérateur qui les avait endormies
pour entrer dans celui du commissaire et y déposer une plainte. Il
s'agissait une fois d'un médecin et une fois d'un dentiste. Les inculpés
firent quelques jours de prison préventive. II a fallu que Verneuil et
moi nous démontrions au juge d'instruction que les opérées ne con-
servaient aucun souvenir de l'opération quelles venaient de subir et
quelles avaient eu des rêves pendant l'anesthésie. Le j uge vint assister à
des chloroformisations dans le service de Verneuil : il interrogea les
opérées et se rendit un compte exact des faits. Dans les deux cas,
l'innocence des inculpés fut reconnue. Mais l'afTaire peut aller plus
loin : le médecin peut passer en justice. Il a beau être acquitté, il
n'en a pas moins fait quelques jours de prison préventive; quoique
son innocence soit hautement proclamée, son arrestation même aura
fait subir à ses affaires et à son honorabilité professionnelle de
graves atteintes. Sous aucun prélexle, que ce soit par le chloro-
forme, par l'éther. ou au moyen de pratiques de l'hypnotisme,
n'endormez jamais quelqu'un sans être assisté d'un témoin. »
Une recommandation que faisait encore l'éminent médecin légiste
était la suivante; n'administrez jamais un anesthésique à un malade
assis. Depuis les premiers accidents mortels dus au chloroforme, on
a toujours considéré qu'il était imprudent d'endormir un malade
dans la position assise; on ne peut nier en effet que cette position ne
favorise la syncope. Il est probable que les accidents sont plus
i'réquents chez les dentistes, parce qu'ils assoient leur patient au lieu
de le coucher. Dans tous les cas, l'opinion des magistrats est fixée à
ce sujet.
Enfin il est un certain nombre d'autres précautions qu'il est néces-
saire de prendre, telles que de s'assurer qu'aucun obstacle ne s'oppose
à la respiration, ceinture, corset, appareil de prothèse dentaire, etc.
'2° Tous les soins nécessaires au moment de l'accident
ont-ils été donnés? — Il faudrait passer ici en revue toutes les
méthodes préconisées pour combattre les accidents dus à l'adminis-
tration des anesthésiques. Le médecin légiste aura à examiner si
tout ce que l'on devait faire a été fait. Il est donc de la plus haute
importance, pour celui qui pratique l'anesthésie, d'avoir à sa dispo-
sition l'arsenal nécessaire. Rappelons qu'il faut, dans le cas d'acci-
dents dus aux anesthésiques généraux, débarrasser la gorge et
l'arrière-gorge des mucosités qu'elles peuvent contenir, pratiquer la
respiration artificielle, les tractions rythmées de la langue, la
ilagellation, l'électrisation des muscles respirateurs, les injections
d'éther, la trachéotomie. Dans le cas d'accidents dus aux anesthé-
siques locaux, ce sont des injections d'éther, de caféine, l'adminis-
ANESTHÉSIQUES AU POINT DE VUE MEDICO-LEGAL. :J89
tration de boissons chaudes, d'alcool, etc. De là la nécessité d'avoir
à portée de la main des seriniçues à injections hypodermiques, une
batterie électrique, une boîte à trachéotomie et les médicaments
qui peuvent être nécessaires d'urgence. Nous avons longuement
insisté sur les différentes manœuvres utiles pour combattre les
accidents déterminés par les anesthésîques à propos de chacun
d'eux. Nous n'y reviendrons pas.
Mais ce qu'il est bon de savoir, c'est que, faute d'avoir préparé
à l'avance toute cette instrumentation, on peut se trouver dans
l'impossibilité de lutter avec chance de succès, L'anesthésiste
encourt de ce fait une lourde responsabilité.
S^L'opérationjustiflait-elle l'emploi des anesthésîques? —
Il faudrait ici passer en revue toutes les indications des anesthé-
siques généraux et des anesthésiques locaux. Mais on ne saurait
trop insister, surtout quand il s'agit d'opérations pratiquées par des
spécialistes, sur l'importance qu'il y a à faire un choix judicieux de
l'anesthésique.
Il est hors de doute qu'un certain nombre d'accidents mortels
eussent été évités si l'opérateur avait eu recours à l'aneslhésie locale
au lieu d'administrer de piano le chlorure d'éthyle, léther ou le
chloroforme.
Nous avons déjà insisté sur l'état d'esprit régnant parmi nos
confrères des pays anglo-saxons, surtout parmi les dentistes, qui
leur fait considérer l'administration du protoxyde d'azote comme
infiniment moins dangereuse qu'une injection de cocaïne. Nous ne
saurions en France souscrire à de pareilles pratiques. Notre avis est
que l'anesthésie locale doit être en stomatologie la règle absolue et
l'anesthésie générale l'exception.
Mais les indications de cette dernière se rencontreront. Sans
parler des opérations chirurgicales, qui ne sauraient être menées à
bonne fin sans une anesthésie profonde et prolongée comme celle
que donnent le chloroforme et l'éther, il est des interventions, même
de courte durée, qui peuvent nécessiter une anesthésie semblable.
Telle est, pour ne citer qu'un exemple, l'extraction de la dent de
sagesse. L'opération en elle-même est d'ordre banal. Cependant elle
n'est possible que lorsque le trismus qui s'oppose à l'ouverture de
la bouche a cédé. Ce trismus lui-même ne cède qu'à l'anesthésie
générale profonde, telle que la procurent le chloroforme ou
l'éther. Or les accidents déterminés par l'inflammation des tissus
autour de cette dent sont parfois graves et de nature à nécessiter
une intervention d'urgence. D'un autre côté, il est possible que
l'extraction de cette dent, d'une conformation si spéciale, souvent
implantée en dehors de l'arcade ou sur la branche montante elle-
même, présente des difficultés considérables. Avoir recours dans ce
cas à des anesthésiques donnant une anesthésie de courte durée, tels
390 NOGUE, — ANESTHESIE.
que le protoxyde d'azote, le chlorure ou le bromure d'éthyle, c'est
s'exposer à n'avoir qu'une résolution musculaire insuffisante et à
être surpris par le réveil avant que l'opération ne soit terminée.
Ici donc nous trouvons une indication bien nette de l'anesthésie
générale et de l'anesthésie générale prolongée. C'est donc au chloro-
forme ou à l'éther qu'il faudra recourir.
Nous avons examiné ailleurs, d'après les statistiques, quels étaient
les dangers que faisaient courir les divers anesthésiques généraux, et
nous les avons classés par ordre décroissant, le plus dangereux, le
chloroforme, venant en tête. Nous savons que seuls le chloroforme
et l'éther procurent une anesthésie prolongée. Si on a le choix entre
les deux, mieux vaudra recourir à l'éther, puisque celui-ci paraît
jouir d'une plus grande innocuité.
Viennent ensuite les anesthésiques généraux ne donnant qu'une
anesthésie de courte durée, le bromure d'éthyle, le chlorure d'éthyle
et le protoxyde d'azote.
Ce dernier, de l'avis de tous, est de beaucoup le moins dangereux.
Sans pouvoir dire qu'il est tout à fait inofîensif, il fait courir
infiniment moins de dangers que les autres. C'est lui, sauf contre-
indications spéciales, qui devra être toujours choisi. Tel serait, par
exemple, le cas d'un enfant atteint d'ostéopériostite grave de la
dent de six ans, avec menace d'abcès sur la joue. Ici "l'anesthésie
locale ne serait pas de mise et l'anesthésie générale serait parfaitement
indiquée. C'est le protoxyde d'azote qui constituerait l'anesthésique
de choix.
S'il s'agit d'un adulte et que l'anesthésie générale paraisse indi-
quée, c'est au protoxyde d'azote qu'il vaut mieux recourir de préfé-
rence à tous les autres anesthésiques de courte durée. L'expérience
prouve à l'évidence que, administré selon les règles, il jouit d'une très
grande innocuité. En France, surtout depuis l'accident survenu chez
le dentiste Duchesne, les médecins ont sur le protoxyde d'azote des
idées préconçues, à la généralisation desquelles Brouardcl n'a pas été
étranger. Il s'étend en effet avec une certaine complaisance sur les
cas mortels. Le protoxyde, dit-il, a cet avantage, qui l'a fait préférer
par tous les dentistes, d'endormir vite et de maintenir le sujet très
peu de temps sous son influence. On a prétendu qu'il ne tuait pas.
C'est une erreur. Maurice Perrin, dans une communication faite à
la Société de chirurgie en 1875, a cité 5 ou 6 cas de mort dus au
protoxyde en Angleterre et aux États-Unis, et un cas de mort en
France. C'est dans le laboratoire de Vauquelin que l'accident eut
lieu. Un de ses préparateurs fut tué en respirant le protoxyde
d'azote. Au cours de la discussion qui suivit, Magitot rappela trois
autres cas de mort survenus en Angleterre et tous les trois suivis
d'autopsie établissant que la mort était bien le résultat de l'asphyxie.
Il faut ajouter à cette statistique un cas de mort par asphyxie sur-
ANESTHÉSIQUES AU POINT DE VUE MÉDICO-LÉGAL. 391
venu au Dental Ilospilal de Londres, le 15 septembre 1883: un cas
survenu chez un denlisle d'Exeler en 1884; le cas de Watson sur-
venu le 28 septembre 1889 ; enfin le cas de Duchesne en 1884. Le gaz
hilarant n'est donc pas aussi inolTensif qu'on l'a affirmé, et, si l'on
faisait la statistique des accidents mortels que ce genre d'anesthcsie
^ provoqués, elle ne serait sans doute pas très consolante pour les
familles. Et Brouardel faisait en outre un tableau des plus terrifiant
■de l'aneslhésie elle-même : « Au moment où l'anesthésie est obtenue,
le sujet est cyanose; il vire au bleu ou au noir. Il serait extrêmement
imprudent de le laisser arriver au bleu foncé; il faut s'arrêter au
bleu pale, au bleuâtre. Les personnes qui ont l'habitude de manier
le protoxyde d'azote se sont évidemment fait des points de repère
qui les guident pendant l'anesthésie; ces points de repère m'ont sans
■doute échappé, mais l'impression que j'ai gardée de la séance à
laquelle je venais d'assister n'a guère été engageante. »
Mais aujourd'hui ce tableau a complètement changé. L'emploi de
protoxyde, fabriqué par des chimistes experts en la matière, permet
i'anesthésie avec un gaz absolument pur. Nous savons, en outre, que
l'exclusion totale de l'air n'est pas la condition sine qua non de
l'anesthésie, comme on le croyait alors. Aussi donne-t-on couram-
ment avec le protoxyde une certaine quantité d'air atmosphérique
ou d'oxygène. L'anesthésie survient sans cyanose, et certes le
tableau d'une anesthésie protoazotée est aujourd'hui dépourvu de
tout aspect dramatique. On n'en saurait dire autant de l'anesthésie
«u bromure d'éthyle, à laquelle ont si volontiers recours tant de
médecins.
En outre, dans les cas de mort que Brouardel citait, il ne parlait
pas du nombre d'anesthésies pratiquées. Or déjà à cette époque le
nombre de ces anesthésies était formidable et s'élevait à plusieurs
millions. Nous avons dit, en outre, que longtemps ces anesthésies
avaient été faites par des hommes sans aucune instruction médicale
«t avec un gaz tout à fait impur, puisqu'ils étaient obligés de le
fabriquer eux-mêmes avec une instrumentation primitive et sans
<iucun contrôle scientifique. En faisant la statistique globale de tous
les accidents et de toutes les anesthésies, on ne trouverait certaine-
ment pas un cas de mort sur 200000 narcoses. Et il est permis d'ajouter
<iu'avec le gaz absolumentpur, administré avec addition d'oxygène ou
îl'air, ce pourcentagediminue de plus en plus. Leprotoxyde reste donc
l'agent de l'anesthésie générale de beaucoup le moins dangereux.
C'est donc à lui qu'il faudra recourir de préférence; vient ensuite
le chlorure d'éthyle, qui, malgré son innocuité relative, comptée son
^ctif une trentaine de cas de mort sur un nombre d'anesthésies rela-
tivement restreint. En troisième lieu, on placera le bromure d'éthyle,
dont les laryngologistes qui en font surtout usage connaissent bien
le danger.
392 NOGUE. — ANESTHESIE.
Ainsi, quel quil soit, l'agent qui détermine l'anesthésie générale
peut donner la mort. Le devoir de recourir à Tanesthésie locale
et de réserver l'anesthésie générale pour les cas exceptionnels devient
donc impérieux pour le stomatologiste dans sa pratique courante.
Est-ce à dire que l'anesthésie locale n'ait pas également ses dan-
gers? Non. L'anesthésie locale compte à son actif quelques cas de
mort, mais très rares el dus aux doses considérables de cocaïne
administrées au début. Depuis que notre connaissance de cet alca-
loïde s'est étendue et complétée, les accidents sont devenus excessi-
vement [rares. En outre, la chimie a mis à notre disposition des pro-
duits moins toxiques, donnant des résultats anesthésiqueséquivalents.
On peut donc dire que, aujourd'hui, maniés avec les précautions
nécessaires, les anesthésiques locaux ne font courir, sauf des cas
absolument exceptionnels, aucun risque de mort. Nous avons
donné l'ordre de leur classement au point de vue de leur toxicité.
Cette toxicité étant connue, les doses thérapeutiques de chacun
d'eux l'étant également, le médecin pourra faire un choix judi-
cieux selon l'état de son malade, son sexe ou son âge. Mais, dans
l'administration de tout médicament, si inoffensif qu'il paraisse,
il faut toujours songer aux idiosyncrasies individuelles et, dans
la détermination des doses, ne jamais se départir d'une grande
prudence.
4° L'opérateur était-il légfalement autorisé à pratiquer
l'anesthésie. — Au sujet des docteurs en médecine, il n'y a aucune
erreur possible. Tous ont le droit de pratiquer l'anesthésie. Dans les
hôpitaux, il arrive que l'interne soit chargé par le chef de service
d'endormir un malade. Des accidents étant survenus dans ces
circonstances, les internes ont été mis plusieurs fois en cause comme
n'étant pas docteurs en médecine. A ce propos, Brouardel demanda
au parlement l'insertion dans la loi d'un article spécial ainsi conçu :
« Les internes des hôpitaux et hospices français nommés au concours
et munis de douze inscriptions, et les étudiants en médecine dont la
scolarité est terminée, peuvent être autorisés à exercer la médecine
pendant une épidémie et à titre de remplaçants de docteurs en
médecine ou d'officiers de santé.
« Cette autorisation, délivrée par le préfet du département, est
limitée à trois mois. Elle est renouvelable dans les mêmes condi-
tions. »
A Paris, il suffit que le Préfet de la Seine appose tous les trois
mois sa signature sur la liste des internes des hôpitaux pour
<iue ceux-ci aient légalement le droit de donner le chloroforme.
Quant aux dentistes, depuis la loi du 30 novembre 1892, il faut les
classer en deux catégories : les dentistes patentés et les chirurgiens-
dentistes diplômés de la Faculté de médecine.
Les premiers n'ont le droit de pratiquer l'anesthésie qu'avec
ANESTHÉSIQUES AU POIKT DE VUE MÉDICO-LÉGAL. 393
Tassistance d'un docteur en médecine ou d'un officier de sanlé sous
peine de poursuites pour exercice illégal de l'art dentaire.
Ouant au chirurgien-dentiste, il a le droit de pratiquer l'anesthé-
sie locale aussi bien que l'anesthésie générale seul, c'est-à-dire sans
l'assistance d'un docteur en médecine. Pour si paradoxale que puisse
paraître semblable autorisation, elle a cependant été inscrite dans
la loi, et cela grâce aux efforts de Brouardel. Les raisons invoquées
furent les suivantes : « Le gouvernement pense qu'il y a avantage à
ce que, lorsque les dentistes auront reçu cette éducation spéciale qui
se terminera par l'obtention d'un brevet, ils puissent accomplir tous
les actes de leur profession sans surveillance. Il nous paraît difficile
de les leur interdire, puisque nous avons demandé qu'on leur donne
l'instruction qui les mette à même d'exercer seuls. Ceux qui auront
obtenu le brevet pourront anesthésier d'après le projet du gouverne-
ment. Ce droit ne sera pas reconnu à ceux qui continueront à exercer
parce qu'ils sont actuellement en possession du titre de dentiste.
Nous avons demandé que les dentistes fussent obligés, pour pouvoir
exercer, de faire des études particulières et de subir des examens.
Pourquoi? Précisément pour qu'ils puissent employer les substances
toxiques en connaissant leur maniement, pour qu'ils fussent exercés
à pratiquer l'anesthésie. La commission du Sénat accorde ce que
nous demandons. Mais elle dit : même après les études, les dentistes
ne pourront pas pratiquer l'anesthésie générale. Cela coûtera cher,
et les personnes qui ne seront pas riches ne seront pas mises à
l'abri de la souffrance. D'un autre côté, on tournera la loi et
nous arriverons aux inconvénients que nous voudrions supprimer.
Nous demandons que les dentistes diplômés puissent pratiquer
l'anesthésie locale ou générale, et nous mettrons dans le programme
d'enseignement ce qui sera nécessaire pour qu'ils puissent le faire
sans danger, et par l'examen qu'ils doivent subir ils auront à
démontrer qu'ils ont l'habitude de chloroformer, de cocaïner, qu'ils
connaissent les doses à employer. »
Ainsi Brouardel fit adopter ses idées, et actuellement la loi est
formelle : le chirurgien-dentiste peut, sans l'assistance d'un docteur
en médecine, pratiquer l'anesthésie générale. Dans un commentaire
de cette loi, M. Goret fait les réflexions suivantes : « Mais ce droit
du chirurgien-dentiste de pratiquer seul touLe espèce d'anesthésie se
trouve singulièrement limité dans la pratique. Un opérateur doit se
rappeler que, dans le cas d'accident survenu dans le cours d'une
anesthésie générale chez un dentiste, le juge posera de multiples
questions au médecin légiste. L'opération justifiait-elle l'emploi des
anesthésiques généraux? Remarquons ici qu'aux yeux de la magis-
trature la responsabilité sera plus engagée si l'on endort quelqu'un
pour lui extraire une dent que pour enlever un sein.
Le dentiste a-t-il montré les connaissances requises pour l'admi-
394 KOGUE. — ANESTHESIE.
nislration des anesthésiques généraux et a-t-il tenu compte des
contre-indications? Est-il à même, par une instruction technique,
de reconnaître les contre-indications et de les juger? »
Poser ces questions, c'est les résoudre. On ne sait vraiment à quel
mobile a pu obéir un médecin de la valeur de Brouardel en deman-
dant cette autorisation pour le chirurgien-dentiste de pratiquer
Tanesthésie générale, alors que le Sénat, avec un jugement très sur,
voulait la lui refuser. Qui ne sait que ladministration des anesthé-
siques généraux demande les connaissances les plus étendues au
point de vue médical, la prudence la plus grande et le sang-froid le
plus éprouvé? Où le chirurgien-dentiste apprendra-t-il à diagnostiquer
les affections du cœur, du poumon ou des reins qui peuvent être des
contre-indications formelles à Tanesthésie? Où apprendra-t-il, en cas
d'alerte grave, à appliquer d'urgence la médication nécessaire?
Gomment sera-t-il capable de pratiquer la trachéotomie en cas
d'asphyxie menaçante? Seules les études complètes telles que les
fait le docteur en médecine pourraient le mettre en mesure de faire
face à ces redoutables éventualités.
Il faut donc conseiller au chirurgien-dentiste de ne pas hésiter,
quand il jugera devoir recourir à Tanesthésie générale, de s'en
remettre complètement à l'expérience d'un médecin habitué à la
pratique de la narcose.
Quant à l'anesthésie locale, elle est de son domaine, et, avec la
connaissance que nous avons aujourd'hui des doses, les accidents
peuvent être évités en prenant les précautions dusage.
Le dentiste patenté est tenu à ne pratiquer l'anesthésie qu'avec
l'assistance d'un docteur en médecine ou d'un officier de santé.
M. Goret pense que le mot d'assistance veut dire présence et que le
dentiste peut lui-même administrer les anesthésiques. Nous pensons
que, pris dans le sens médical , le mot assistance ne signifie pas simple
présence, mais collaboration.
D'ailleurs, en cas d'accident, le médecin engage sa responsabilité
pénalement et civilement au même litre que le patenté. En réalité,
c'est le médecin qui porterait le poids de toute la responsabilité.
Aussi mieux vaut ici encore que ce soit lui-même qui administre
l'aneslhésique.
11 est bon de rappeler comment les choses se passaient avant
1892. L'art dentaire a été libre en France jusqu'en 1677. A cette
époque, Louis XIV rendit un édit qui soumettait les dentistes à cer-
taines épreuves. Ceux-là seuls qui avaient satisfait à ces épreuves
pouvaient prendre le titre de dentiste expert (1).
Durant le cours du xviii'^ siècle, l'art dentaire fit de grands pro-
grès en France. La réglementation édictée par Louis XIV était
bonne : elle fut imitée en Autriche et en Allemagne.
(li BnoiAnnEi., loc. cil., p. 190
ANESTIIÉSIQUES AU POINT DE VUE MÉDICO-LÉGAL. :]95
L'ôilit de Louis XIV fut aboli avec les loisqui régissaient la médecine
au moment de la Révolution. Dans la loi de ventôse an XI, qui régle-
mentait l'exercice de la profession médicale, le législateur oublia de
mentionner les dentistes. Aussi Texercice de Tart dentaire ne fut-il
plus, depuis cette époque, contrarié en France par aucune réglemen-
tation. Était dentiste qui voulait, et l'on a vu jusqu'à des serruriers
faillis ouvrir des cabinets de dentistes. La liberté d'extraire ou de
plomber les dents enlrainait-elle le droit, bien autrement grave, de
pratiquer l'anesthésie?
En fait, il faut reconnaître qu'un grand nombre de dentistes la
pratiquaient, mais, s'il se produisait des accidents, il y avait toujours
une enquête judiciaire qui aboutissait bien souvent à une condam-
nation.
A Lille, il y eut un dentiste condamné pour avoir pratiqué chez une
jeune fille une anesthésie suivie de mort.
A Paris même, avant que la loi sur l'exercice de la médecine n'ait
été votée par les chambres, il y avait eu, dans un grand établissement
de dentistes, un accident mortel. Une dame était morte pendant
l'anesthésie : le procureur de la République intervint; mais le mari
déclara ne pas déposer de plainte, et l'enquête fut arrêtée.
L'année suivante, nouvel accident, non suivi de mort, mais de
troubles graves. Le mari de la patiente déposa une plainte. « Je fus
chargé de l'enquête, dit Brouardel; je me rendis à l'établissement
indiqué, et j'entrai successivement dans les autres cabinets, où je
trouvais les clients, les uns endormis, les autres cocaïnés entre les
mains des opérateurs. Ces opérateurs étaient au nombre de 15 ou 16.
Aucun d'eux n'était docteur. Ils étaient anglais ou américains;
après quelques hésitations, ils reconnurent qu'ils étaient des
stagiaires du Dental London HospitaL Ils avaient passé le détroit et
étaient venus à Paris pour faire un stage qui durait trois à quatre
mois. Je leur demandai le nom de leur directeur ; ils ne le connais-
saient pas; je finis cependant par rencontrer ce directeur, et celui-ci
me dit qu'un médecin était attaché à l'établissement et qu'on le
prévenait en cas d'accident ; ce médecin demeurait aux Ternes.
L'accident avait donc toutes les chances pour devenir définitif pen-
dant que ce médecin arrivait des Ternes aux environs de la Tour
Saint-Jacques. Le dentiste fut évidemment condamné. »
Quant à l'affaire Duchesne, qui fit tant de bruit, elle survint de la
façon suivante: Un négociant, ^I. L..., vint, le "25 novembre 1884, dans
le cabinet de Duchesne pour se faire extraire une dent. Sur sa
demande, il fut anesthésie au protoxyde d'azote et succomba. Devant
le commissaire de police, Duchesne affirma que le docteur était pré-
sent. C'était faux; Brouardel et le P"" Pouchet furent commis comme
-experts, Duchesne fut condamné.
Il est bon de citer ici les considérants du triiiunal.
396 NOGUE. — ANESTHÉSIE.
*< Attendu que, dans cette opération, Duchesne a eu le tort de ne
pas se faire assister par un docteur en médecine;
« Qu'en elîet l'administration du protoxyde d'azote exige chez
l'opérateur des connaissances physiologiques sérieuses, qui lui per-
mettent d'examiner au préalable et avec soin l'état des organes du
sujet qui réclame l'anesthésie ;
« Que, quelle que soit l'expérience du prévenu, expérience qui a
pu suffire dans la plupart des cas, mais non dans tous, ces connais-
sances spéciales paraissent faire défaut à Duchesne, qui n'est ni
docteur en médecine, ni officier de santé, bien qu'il prenne fausse-
ment la qualité de médecin;
« Qu'un examen médical approfondi du sieur L... était d'autant plus
nécessaire que, d'après son propre médecin, c'était un homme dont
la constitution ne permettait pas de lui faire respirer sans danger
une substance anesthésique;
« Attendu que Duchesne a si bien compris sa faute que, pour se
disculper, il s'est hâté d'affirmer, contrairement à la vérité, comme
il l'a plus tard avoué, qu'il s'était fait assister d'un docteur en
médecine;
« Attendu que l'un des experts commis, le D"" Brouardel, entendu à
l'audience, estime que, pour l'application de l'anesthésie, deux per-
sonnes compétentes, dont l'une au moins docteur en médecine, sont
nécessaires et que c'est une imprudence réelle d'appliquer l'anes-
thésie, comme l'a fait Duchesne, sans observer ces conditions;
« Que, d'après le même témoin, c'était dans le cas particulier une
imprudence spéciale d'administrer le protoxyde d'azote au sieur L...,
étant donné le tempérament de ce dernier, qu'il était admissible de
pratiquer sur lui ce mode d'anesthésie, s'il se fût agi de l'opérer pour
une maladie grave, mais non pas alors qu'il s'agissait dune pure
opération de complaisance, suivant l'expression du témoin lui-même;
« Attendu, d'un autre côté, que si, parmi les opérations chirurgi-
cales, l'extraction d'une dent doit être considérée comme une opé-
ration généralement sans importance et qui, exigeant seulement
une certaine habileté de main, peut sans danger être confiée à un
dentiste quelconque, même non diplômé, il n'en est pas ainsi quand
cette opération est accompagnée d'anesthésie;
« Que dans ce dernier cas, et d'après les avis des experts, elle
appartient sans conteste à la catégorie des grandes opérations;
« Qu'à ce titre, aux termes de l'article 29 de la loi du 19 ventôse
an XI, les officiers de santé, à plus forte raison les dentistes, qui ne
possèdent aucun grade, n'ont le droit de la pratiquer que sous la
surveillance et l'inspection d'un docteur.
« Qu'il en résulte encore qu'une telle opération est une contra-
vention à l'article 35 de la même loi qui interdit d'exercer la méde-
cine ou la chirurgie sans diplôme ;
ANESTHÉSIQUES AU POINT DE VUE MEDICO-LEGAL. 397
« Attendu que le directeur de l'École dentaire de Paris nhésite
pas à reconnaître la nécessité de Tintervenlion d'un docteur dans
l'applicaliou faite par les dentistes des procédés aneslhésiques ;
« Attendu que, dans les circonstances de la cause, il n'est pas dou-
teux pour le tribunal que la faute de Duchesne ait occasionné la
mort de L... ;
« Que telles sont d'ailleurs les conclusions du rapport des experts,
lesquelles s'expriment ainsi : « On doit considérer cette anesthésie
« comme ayant déterminé la mort » ;
« Qu'ainsi il ressort de tout ce qui précède que Duchesne, au
1" novembre 1884, à Paris, a par négligence ou inobservation des
règlements, commis involontairement un homicide sur la personne
de L..., délit prévu par l'article 319 du Code pénal...
« Condamne, etc.. (I). »
Quand l'anesthésie est pratiquée par un individu non diplômé et
non inscrit au rôle des patentes de 189'2, et sans l'assistance d'un
médecin, comment se caractérise le délit commis, et dans quelles
conditions tombe-l-il sous le coup de la loi? Y a-t-il exercice illégal
de l'art dentaire et exercice illégal de la médecine pour pratique
illicite de l'anesthésie?
D'un arrêt de la cour de Rouen (7 juillet 1904) confirmant un juge-
ment du tribunal de cette ville, il résulte que le fait, par un mécani-
cien-dentiste, non diplômé, de pratiquer l'anesthésie ne constitue
pas un délit distinct, — délit d'exercice illégal de la médecine, — de
celui d'exercice illégal de l'art dentaire.
Le fait peut être taxé avec raison de paradoxal, mais les juges, tant
de première que de seconde instance, ont décidé que « la pratique
i\e l'anesthésie pour les soins à donner à la bouche ne saurait être
envisagée que comme un accessoire, un procédé en usage dans l'art
dentaire ; qu'elle doit par suite avoir le même caractère que les faits
d'exercice de l'art dentaire. » Or, le délit d'exercice illégal, qui com-
prend aussi la pratique de l'anesthésie, étant un délit d'habitude,
les tribunaux ont le devoir d'apprécier souverainement le caractère
habituel ou non d'exercice illégal (2). Les premiers juges ayant
déclaré que les quatre ou cinq faits de ce genre relevés dans l'espace
d'une année dans un cabinet relativement bien suivi et d'une cer-
taine importance ne sauraient être considérés comme constitutifs de
l'habitude, qui est un des caractères essentiels du délit d'exercice
illégal de l'art dentaire, la Cour de Rouen a confirmé le jugement
qui acquittait le mécanicien-dentiste.
On arrive ainsi à une inconséquence frappante, c'est qu'un individu
exerçant illégalement l'art dentaire et pratiquant l'anesthésie sans
l'assistance d'un médecin se trouve, au regard de la loi, dans des
(1) Jugement du Tribunal correctionnel de la Seine, audience du 27 novembre 1885.
(2) Se:n. méd.
398 NOGUÉ. — ANESTHESIE.
conditions plus favorables qu'un dentiste autorisé par tolérance à
exercer son art.
En ce qui concerne le délit d'exercice illégal de la médecine pour
pratique illicite de l'anesthésie dans les conditions sus-indiquées, il
V a lieu de faire remarquer que la prévention ayant été dirigée dans
l'espèce par le syndicat des chirurgiens-dentistes de France, la Cour
a déclaré que, si le délit constituait un délit distinct de celui d'exer-
cice illégal de l'art dentaire, le syndicat des chirurgiens-dentistes
serait sans qualité pour exercer des poursuites. Mais il nous semble
([ue la Cour a commis ici quelque confusion, puisque, dans le cas où
l'anesthésie est pratiquée par un dentiste toléré, ce n'est, aux termes
de la loi, que le second paragraphe de l'article 19 (usurpation du
titre de dentiste) qui est applicable.
Si l'arrêt de la Cour est bien fondé au point de vue juridique, on
aboutit à ce paradoxe que la loi exige l'assistance du médecin toutes
les fois qu'un toléré pratique l'anesthésie, mais que, lorsque celui-ci
ou tout autre individu non diplômé et faisant de la dentisterie pra-
tique l'anesthésie sans médecin, il n'y a pas délit d'exercice illégal
de la médecine. A quoi sert alors la présence du médecin? Il serait
curieux de savoir ce qu'il adviendrait si, dans les cas de ce genre»
la poursuite était dirigée par un syndicat médical. Le législateur, en
exigeant la présence du médecin, a eu certainement ses raisons, et
il n'est peut-être pas exact de considérer, ainsi que l'ont fait le Tri-
bunal et la Cour de Rouen, l'anesthésie comme un simple accessoire
dans l'art dentaire. Quoi qu'il en soit, c'est un point qu'il serait bon
de faire trancher par la Cour suprême.
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Preindsberger. — Ueber Riickenmarksanâsthesie mit tropacocain [Wiener, mediz.
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— Technik der Lumbalpunktion, Wien, 1902.
ScHWARTz (Karl), Agram. — Erfalvungen ûber 100 medullar Tropacocaïneanalge-
sien {Monatsber. f. Urol., 1902).
SiCARD . — Essais d'injections microbiennes, toxiques ou thérapeutiques, par voie céphalo-
rachidienne (Soc. de biol,, avril 1898).
Stumme. — Beitrâge zur klin. Chir., 1902.
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Erlanger. — Thèse de Paris, 1903.
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LÉPiNE. — Lyon méd., août 1902 ; — Sem. méd., 1903, p. 53.
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Trivas. — L'adrénaline. Thèse de Bordeaux, 1902.
TABLE DES MATIÈRES
ANESTHÉSIE, par le D' Nogué î
I. — Historique 3-
II. — Physiologie de la douleur 10
III. — Sommeil naturel et sommeil anesthésique 17
IV. — Protoxyde d'azote 2ft
Action physiologique du protoxyde d'azole 26
Anesthésie par le protoxyde d'azote pur 37
Anesthésie par le protoxyde d'azote sous pression. Méthode de
Paul Bert 4ï
Anesthésie par le protoxyde d'azote et loxygène à la pression nor-
male 46-
Anesthésie par le protoxvde d'azote et l'air atmosphérique 52
Administration du protoxyde d'azote parla voie nasale 52
Indications et contre-indications du protoxyde d'azote. Son inno-
cuité 53.
Malades réfractaires à l'anesthésie protoazotée 57
V. — Chlorure d'éthyle 5!>
Action du chlorure d'éthyle sur L'organisme 59
Instrumentation 62
Technique de l'anesthésie au chlorure d'éthyle 64
Procédé de la compresse 64
Procédé du masque 66
Avantages et inconvénients du chlorure d'éthyle 6&
VI. — Bromure d'éthyle • 71
Phyxiologie du bromure d'éthyle 72
Instrumentation 73
Technique de l'anesthésie 74
Méthode des doses massives 74
Méthode des doses fractionr.ées 77
Prophylaxie des accidents broraéthyliques 79
VII. — Éther sulfurique 8»
Action de l'éther sur l'organisme 86
Administration de l'éther S2
Technique de l'anesthésie par l'éther 85
VIII. — Chloroforme sa
Action du chloroforme sur l'organisme S*
Technique et marche de l'anesthésie 91
Instruments divers. — Machines à anesthésier 92
IX. — Narcose par mélanges ou combinaisons de divers anesthé-
siques 107
X. — Administration des anesthésiques par d'autres voies que la voie
bucco-nasale 113
Anesthésie par la voie trachéale 1 13
Anesthésie par la voie rectale 115.
TABLE DES MATIÈRES. 409
XI. — Narcose générale par injection intraveineuse ou sous cutanée
de la substance anesthésique ]19
Injeclion intraieineuse de chloral 121
Narcose par la scopolamine el la morphine 122
XII. — Agents anesthésiques peu employés 123
XIII. — Anesthésie générale par les agents physiques 125
Anesthésie par le magnétisme. . . , 125
Anesthésie (jénérale par la lumière bleue 127
Sommeil électrique 13<)
-XIV. — Accidents de la narcose 137
^y- — Choix des anesthésiques généraux en stomatologie 143
^yi. — Anesthésie locale 148
I- AnESTHKSIE P.A.U RÉFRIGÉRATION 149
II- — Anesthésie par compression et divers .\gents. ... 158
III- — Anesthésie loc.\le par l'électricité Igj
I^'- — Anesthésie locale par injection oe liquides dans les tissus J64
Anesthésie locale par injection d'eau 164
Anesthésie par injeclion dans les tissus de médicaments aneslhé-
«'V"es Igg
Cocaïne Igg
Adrénaline 2] 2
Association de l'adrénaline avec les anesthésiques locaux 223
Tropacocaïne 226
Holocaïne r,2()
Alypine [[ 229
Eucaïne 235
Stovaïne _ 237
Novocaïne 245
Acoïne 252
Chlorétone 254
Aneson, anésine.. 255
Orthofornie 255
Nirvanine 255
Anesthésine 257
Nervocidine 259
Sténocarpine 259
Subcutine 259
Mésonal 260
Gaïacol 260
Carbonate de gaïacol 263
Gaïacyl 264
Sulfate de spartéine 266
Chlorhydrate double de quinine et d'urée 266
Préparations spécialisées de cocaïne, stovaïne, novocaïne, etc.... 270
Étude comparée des divers anesthésiques locaux. — Choix d'un
anesthésique 271
Instrumentation 279
Technique 286
Anesthésie de la muqueuse 286
Injection gingivale 289
Injection sous-périostée 292
Injection intraligamenteuse 292
Injection diploïque 292
Injection distale 308
Anesthésie sectionnelle ou régionale 309
Régies générales de l'anesthésie locale 342
Anesthésie de la dentine et de la pulpe , 344
Projection d'acide carbonique 345
Anesthésie dentinaire par réfrigération 345
410 NOGUE. — ANESTHESIE.
Anesthésie de la dentine et de la pulpe par application directe
des anesthésiques 346
Anesthésie pulpaire par compression 347
Anesthésie de la dentine et de la pulpe par infdtration denti-
naire 352
Anesthésie de la dentine et de la pulpe par la voie gingivale. . . 354
Anesthésie de la pulpe par traumatisme brusque 356
Méthode des injections distales ou interdentaires 358
Méthode des injections para-apicales 359
Anesthésie de la dentine et de la pulpe par la méthode des
injections diploïques 362
Anesthésie médullaire ou rachi-anesthésie 366
Technique de Bier 366
Méthode de Th. Jonnesco 367
L'administration des anesthésiques au point de vue médico-légai 384
1" Toutes les précautions ont-elles été prises? 386
2° Tous les soins nécessaires au moment de l'accident ont-ils été
donnés ? 388
3° L'opération justifiait-elle l'emploi des anesthésiques"? 388
40 L'opérateur était-il légalement autorisé à pratiquer l'anes-
thésie ? 392
Bibliographie 399
8919-09. — Corbeil. hiiprimerie Crété.
Librairie J.-B. BAILLIÈRE et FILS, 19, rue Hautefeuille, Paris
Atlas=Manuel de Prothèse Dentaire et Buccale
Par le D' PREISWERK
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Dentiste des hôpitaux de Paris
1907, I vol. in-i6 de 430 pages, avec 21 planches c?:nprei:rat 50 figtircs coloriées et 362 figures
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Encouragé par le succès de son Atlas-manuel des maladies des dents, M. Preiswerk a con-
sacré un autre Atlas-Manuel à la technique dentaire.
Voici lui aper(;u des matières traitées :
Dents à pivot : Préparation des racines pour la pose des dents à pivot quand la pulpe est
eu bon état ; quand la pulpe est enflammée ; quand la pulpe est détruite en partie ou en totalité
tandis que le périodoute reste sain. Préparation des racines en cas de périodontite. Préparation
des racines profondément cariées. Préparation de la base de la racine. Agrandissement du canal
de la racine. Traitement des racines perforées. Forme et fixation des pivots.
Différents systèmes de dents a pivot: i" Couronnes à pivots séparés : A. Couronnes plates.
Cotironne plate avec pivot et plaque radiculaire. Couromie plate fixée avec de l'étain, de la por-
celaine ou du caoutchouc. Svstèmes Gilbert, .Smith, Richmond, Buttner, Sachs, I,ôw; B. Cou-
ronnes spéciales. Systèmes Davis, Bouwill, Mountford, How. — 2° Couronnes à pivots fixes.
Systèmes Logan. Robius, Brown, Richmond.
Couronnes en or : Technique des couronnes en or. Couronnes en or à face triturante coulée,
à face triturante en amalgame, à face triturante en émail. Couronnes en or avec facette en émail.
Couronnes en or et en platine indépendantes avec facettes de porcelaine fondues. Couronnes
en or sans soudure. Réparation des couronnes et des pivots.
Bridges : Bridges fixes. Scellement. Technique générale. Parties de bridges entièrement
coulées en or. Ajustage du bridge, pose.
Différents bridges fixes petits et grands : Bridges suspendus fixes. Bridges à selle
fixes.
Bridges fixes spÉci.A.t'x : Svstèmes Dalma, Low, Melotte. Bourrage du caoutchouc. Méthode
de moulage de \^'urderling et" Humm. \'ulcanisation. Réparation du dentier brut vulcanisé.
Pose du dentier achevé. Réparation des pièces en caoutchouc.
Préparation des dentiers en or : I.e modèle. Préparation des estampes en zinc et des con-
tre-estampes en plomb ou en étain. Estampage des plaques en or. Préparation des estampes
en alliages fusibles et en composition de Spence. Articulation des plaques en or. Ajustage
des crochets à la plaque en or et pose des dents. Association de l'or et du caoutchouc. Affinage
des pièces en or. Pose des pièces en or. Réparation des pièces en or. Construction des appareils
en aluminium. Dentiers émaillés. Dentiers chéoplastiques. Obturateurs du palais après interven-
tion chirurgicale pour les cas qui n'ont pas été opérés. Pièces pour le maxillaire. Appareil pour
corriger la rétraction du voile du palais.
Orthopédie : Règles pour la construction des appareils de redressement. Orthothérapie des
anomalies les plus fréquentes des dents et du maxillaire. Version des dents. Position d'une dent
en dedans ou en dehors de l'arcade dentaire. Rétention et demi-rétention d'tme dsnt. Diastéma.
Prognathisme. Progénie. Opistognathie et opistogérie^
Atlas-Manuel des Maladies des Dents
Par le D-^ PREISWERK
Édition française par le D' CHOMPRET
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dont l'exactitude ne peut être contestée. _ ,
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ment par les yeux. I,es planches sont merveilleuses d'exécution.
Voici un aperçu des matières traitées :
Anatomie comparée de la dentition. Histologie, Physiologie, Bactériologie. Maladies de la
Bouche. Tumeiu-s de la cavité buccale. Fractures de la mâchoire inférieure et supérieure. Luxa-
tions de la mâchoire inférieure. Empvème du sinus maxillaire, fissures acquises ou congénitales
de la face. Anomalies des dents et de la mâchoire. Dépôts dentaires. Imperfections congénitales
ou acquises des substances dures dentaires. Carie dentaire. Thérapeutique des imperfections
dentaires. Plombage des dents. Techniqtie de l'obturation. Maladies de la pulpe. Maladies alveo-
lo-dentaires (périodontite). Extractions des dents. Anesthésiques. Préparation de la bouche pour
les dents artificielles.
ENVOI FRANCO CONTRE UN M.\NUAT POSTAL
Librairie J-B. BAILLIÈRE et FILS, 19, rue Hautefeuille, Paris
Atlas=Manuel des Maladies de la Bouche
Par le D' QRUNWALD
Édition française par le D' G. LAURENS
1903, I vol. in-i6 de 200 pages, avec 42 planches coloriées et 41 figures, relié maroquin souple,
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Le lecteur étudiant ou praticien, trouvera dans cet Atlas-Manuel tout ce qu'il lui est utile de
savoir en rhinologie et en stomatologie.
I^ partie iconographique est très intéressante, car en regard de chaque planche une courte
description de la lésion anatomique réalise une véritable observation clinique, très précise.
1,' Atlas, à lui seul, peut former un résumé concis de la pathologie naso-sinusale et bucco-pharjm-
gée.
Voici un aperçu des matières qui y sont traitées :
Anatomie et physiologie, pathologie, sémiologie et thérapeutique générales. Pathologie et
thérapeutiques spéciales. ISIaladies aiguës, formes idiopathiques, formes symptomatiques et
associées. Maladies chroniques, affections diffuses et localisées, formes symptomatiques, affec-
tions de l'anneau lymphatitiue du pharynx, néoplasmes, rhino et pharyngopathies dans les mala-
dies générales, troubles neuro-mu'iculaires, lésio 1? traumatiques, corps étrangers, malformations.
Traité de FAnesthésie générale et locale
Par le professeur D"^ F.-L. DUMONT
et le D'' F. CATHELIN, .\ncien Chef de clinique de la Faculté de médecine de Paris.
1904, 1 vol. in-8 de 380 pages, avec 180 figures 8 fr.
Préparation et position du malade. Accidents. Choix de l'anesthésique. Instruments. Art
d'anesthésier.
Anesthésie génér.'vi.e. — Éther, chloroforme, protoxyd: d'azote, chlorure d'éthyle, bro-
mure d'éthyle, pental, chloral, alcool, acide carbonique, hypnose et électricité, Narcoses par
mélanges. — Anesthésie médullaire. — Injections sous-arachnoïdiennes. Injections épi-
dur aies.
Anesthésie loc.'^le. — Par compression, par le froid, par mélanges réfrigérants, par pulvé-
risation de liquides. Brométhyle. Chlorure de méthyle. Chlorure d'éthyle. Coryl. Anesthésie.
Météthyle. Acide carbonique, acide phénique.
Anesthésie locale par l'emploi de médicaments. Cocaïne. Tropacocaïne. Eucaïne. Acome.
Holocaïne. Anésine. Orthoforme. Xirvanine. Anesthésine. Subcutine. Sténocarpine. Nerrocidine.
Parésine. ^ ^_^^
Manuel du Chirurgien=Dentiste
Publié sous la direction du D'' Ch. GODON, Directeur de 1 École dentaire de Paris.
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tistes, par le D'' M.\rié. iqgo, i vol. in-i8 cart 3 fr.
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Anatomie et Physiologie de la Bouche et des Dents, par les D" Sauvez, Wicart
et I^emerle. 2*= édition. 1905, i vol. in-i8, avec figures, cartonné 3 fr.
Pathologie des Dents et de la Bouche, par les D" i^éon Frey et G. i^emerle.
s'' édition. 1910, i vol. in-i8 de 398 pages, avec 54 figures, cartonné 3 fr.
Thérapeutique de la Bouche et des Dents, par le D' M. Roy, 3« édition. 1910, i vol.
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Clinique des Maladies de la Bouche et des Dents, par les D" Ch. Godon et Fmteatj.
2« édition, 1905, i vol. in-18 avec fig. cart 3 ^•
Dentisterie opératoire, par les D^^ Godon et Masson. 2« édition. 1906, i vol. in-18 avec
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Médecin de l'hôpital Broussais • Médecin de l'hôpital l.aennec
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11. Intoxications, 2° tirage (352 pages, 6 fig.) 6 fr. »
12. Maladies de la nutrition (diabète, goutte, obésité) 7 fr. »
13. Cancer (662 pages et 180 fig.) 12 fr. »
14. Maladies de la peau (508 pages et 180 fig.) 10 fr. »
15. Maladies de la Bouche, du Pharynx et de l'Œsophage. ... 5 fr. »
16. Maladies de rEslomac.
17. Maladies de rintestin, 2° tirage (501 pages, 79 fig.) 9 fr. »
18. Maladies du Péritoine (324 p.) 5 fr. «
19. Maladies du Foie et de la Baie.
20. Maladies des Glandes Salivaires et du Pancréas 7 fr. »
21. MaladJëslles Beins (462 p., 76 fig.) 9 fr. »
22. Maladies des Organes génito-iirinaires (458 p., 67 fig.). . . 8 fr. »
23. Maladies du CœiïF.
24. Maladies des Artères et de l'Aorte (472 p., 63 fig.) 8 fr. »
25. Maladies des Veines et des Lymphatiques 4 fr. »
26. Maladies du !Sang.
27. Maladies du Nez et du Larynx (277 p. , 65 fig.) 5 fr. »
28. Sémiologie de l'Appareil respiratoire (176 p., 93 fig.) 4 fr. >»
29. Maladies des Poumons et des Bronches (860 p., 50 fig.).. 16 fr. »
30. Maladies des Plèvres et du Médiastin.
31. Sémiologie nerveuse (620 p., 122 fig.) 12 fr. »
32. Maladies de CLncéphale.
33. Maladies mentales.
34. Maladies des Méninges.
35. Maladies de la Moelle épinière (839 p., 420 fig.) 16 fr. »»
36. Maladies des Nerfs périphériques.
37. Névroses.
38. Maladies des Muscles (170 p.) 5 fr. »»
39. Maladies des Os.
40. Maladies du Corps thyroïde et des Capsules surrénales.
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• A. LE DENTU PIERRE DELBET
Professeur à la Faculté de Médecine de Paris Professeur à la Faculté de Médecine de Paris
Membre de l'Académie de Médecine. Chirurgien de Thôpital Necker.
1. Grands processus morbides [traumatismes, infections, troubles
vasculaires et trophiques, cicatrices] (Pierre Delbet,
Chevassu, Schvvartz, Veau) 10 fr. »
2. Néoplasmes (Pierre Delbet).
3. Maladies chirurgicales de la peau (J.-L. Faure) 3 fr. »
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5. Maladies des Os (P. Mauclaire) 6 fr. »
6. Lésions traumatigues des Arliculalions,' plaies, entorses, luxa-
tions] (Cahier) , . . . . 6 fr. »
7. Maladies des Arfir.u/afions [lésions inllammatoires, ankyloses et
néoplasmes] (P. Mauclaire) [Troubles trophiques et corps
étrangers] (Dujarrier) 6 fr. »
8. Arthriles tuberculeuses (Gangolphe) 5 fr, »
9. Maladies des Muscles, Aponévroses, Tendons, Tissus périlen-
dineux, Bourses séreuses (Ombrédanne) 4 (V. »
10. Maladies des Nerfs (Cunéo) 4 fr. »
11. Maladies des Artères (Pierre Delbet et Pierre Mocouot). . . 8 fr. »
12. Maladies des Veines (Launay). Maladies des Lymphatiques
(H. Brodierj ï 5 fr. »
13. Maladies du Crâne et de l'Encéphale (Auvray) 10 fr. »
14. Maladies du Hachis et de la Moelle (Auvray et Mouchetj.
15. Maladies chirurgicales de la face (Le Dentu et Morestin).
Névralgies faciales (P. Delbet et Chevassu) 8 fr. »
16. Maladies des Mâchoires (Ombrédanne) 5 fr, »
17. Maladies de VOEU (A. Terson) (400 p., 142 fig,). 8 fr. »
18. Oto-Iihino-Larifngologie (Castex et Lubet-Barbon) (601 p.,
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19. Maladies de la Bouche, du Pharynx et des Glandes salivaires
(Cauchoix). Maladies de l'OEsophage (Gangolphe).
20. Maladies du Corps thyroïde (Bérard) 8 fr. »
21. Maladies du Cou (Arrou et Frédet).
22. Maladies de la l^oilrine (Souligoux) 6 fr. »
23. Maladies de la Mamelle (Baumgartner).
24. Maladies de V Abdomen (A. Guinard). ; 12 fr. »
25 . Hernies (Jaboulay et Patel) 8 fr. »
26. Maladies du Mésentère, du Pancréas et delà Raie {Chavannaz et
Guyot).
27. Maladies du Foie et des Voies biliaires (J.-L. Faure et Labey). 6 fr. »
28. Maladies de l'Anus et du Jiectum (Pierre Delbet).
29. Maladies du Rein et de l'Uretère (Albarran et Heitz-Bovft!).
30. Maladies de la Vessie et du Pénis (F. Legueu et E. Michon).
31. Maladies de F Urètre, de la Prostate (Albarran et Legueu).
32. Maladies des Bourses et du Testicule (P. Sebileau).
33. Maladies des Membres (P. Mauclaire).
CHAQUE FASCICULE SE VEND SEPAREMENT
Cba([ue fascicule se vend également cartonné, avec une augmentation de 1 tV. 50 parfasc.
Les fascicules parus sont soulignés d'un trait noir.
LIBRAIRIE J.-B. BAILLIËRE et FILS, 19, rue Hautefeuille, à Paris
TRAITÉ D'HYGIÈNE
Publié en fascicules
sous LA DIRECTION DE MM.
A. CHANTEMESSE E. MOSNY
PROFESSEUR D'HYGIÉNE MÉDECIN
* LA FACULTÉ DK MÉDECINE DE PARIS R) © ffi " " LHÔPITAL S A I N T - A N TOI NI
MEMBRE DE L' ACADÉMIE DE MÉDECINE MEMBRE DE L' ACADÉMIE DE MÉDECIN»
Avec la Collaboration de MM.
ACHALME. — ALLIOT. — ANTHONY. — BLUZET. — BONJEAN. — BOREL. —
BOULAY. — BROUARDEL. — CALMETTE. — CHANTEMESSE. — CLARAC. —
COURMONT(J.). — COURTOIS-SUFFIT. — DOPTER. — DUCHATEAU. — DUPRÉ. —
FONTOYNONT. — GENÉVRIER. - IMBEAUX. — JAN. — JEANSELME. — KERMOR-
GANT. — LAFEUILLE. — LAUNAY (DE). - LECLERG DE PULLIGNY. — LESIEUR.
— LEVY-SIRUGUE. — MARCH. — MARCHOUX. — MARTEL. — MARTIN. — MORAX.
— MÉRY. — MOSNY. — NOC. — OGIER. — PIETTRE. — PLANTE. — POITTEVIN. —
PUTZEYS. E. — PUTZEYS. F. — REY. - RIBIERRE. — ROLANTS. — ROUGET. —
SERGENT. — SIMOND. — THOINOT. — WIDAL. — WURTZ.
1. Atmosphère et climats, par les D" Courmont et Lesieur. 124 pages,
avec 27 ligures et 2 planches coloriées 3 fr. »
2. Le sol et l'eau, par M. de Launay, E. Martel, Ogier et BoNJEA^.
460 pages, avec 80 figures et 2 planches coloriées 10 fr. »
3. Hygiène indioiduelle, par A?<tiiony, Brouardel, Dupré, Ribierre,
BouLAY, MoRAX ct Lafeuille. 300 pages avec 38 figures 6 fr. »
4. Hygièns alimentaire, par les D" Rouget et Ûopter. 320 pages 6 fr. »
5. Hygiène de l' habitation
6. Hygiène scolaire 16 fr. »
7. Hygiène industrielle, par Leclerc de Pulligny, Boullin, Courtois-
SuFFiT, Levy-Sirugue et Courmont. 612 pages, 85 figures 12 fr. »>
8. Hygiène hospitalière, par le D"" L. Martin, 255 pages avec 44 figures. .. 6 fr. »
9. Hygiène militaire, par les D" Rouget et Dopter. 348 p. avec 69 flg 7 fr. 50
10. Hygiène naoale, par les D" Duchateau, Jan et Planté. 356 pages,
avec 38 figures et 3 planches coloriées 7 fr. 50
11. Hygiène coloniale, par Wurtz, Sergent, Fontoynont, Glarac, Mar-
CHOux, SiMOND, Kermorgant, Noc, Alliot. 530 pages avec figures
et planches coloriées 12 fr. »
12. Hygiène générale de villes et des agglomérations communales 12 fr. »
13. Hygiène rurale, par Imbeaux et Rolants 6 fr. u
14. Approoisionnement communal, Eaux potables, Abattoirs, Marchés, par
E. et F. Putzeys et Piettre. 463 pages, 129 figures 10 fr. »
15. É goûts, Vidanges, Ordures ménagères, Cimetières, par Calmette,
Imbeaux, Potievin. 56« pages, 268 figures 14 fr. »
16. Etiologie générale
17. Etiologie et Prophylaxie des maladies transmissibles par la peau, par
AcHALME, Sergent, Marchoux, Simond, ïhoinot, Ribierre, Levauht,
Jeanselme, Mouchotte. 720 pages, 200 figures 16 fr. »
18. Etiologie et prophylaxie spéciales
19. Administration sanitaire
20. Hygiène sociale
CHAQUE FASCICULE SE VEND SÉPARÉMENT
Chaque faocicule se vend également cartonné avec un supplément de 1 fr. 50 par fascicule.
Les faselcules parus sont soulignés d'un trait noir.
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LA PRATIQUE
DES
Maladies des Enfants
DIAGNOSTIC et THÉRAPEUTIQUE
Publiée en fascicules
APERT, ARMAND DELILLE, AVIRAQNET, BARBIER, BROCA, CASTAIGNE, FARGIN-
FAYOLLE, QÉNÉVRIER, QRENET, GUILLEMOT, GUINON, CUISEZ, HALLE, MARFAN,
MÉRY, MOLCHET, SIMON, TERRIEN, ZUBER
Professeur, Professeurs agrégés, médecins des hôpitaux, anciens internes des hôpitaux de Paris,
ANDÉRODIAS, CRUCHET, DENUCÉ, MOUSSOUS, ROCAZ
Professeur, professeurs agrégés, médecins des hôpitaux de Bordeaux.
NOVÉ-JOSSERAND, WEILL, PÉHU
Professeurs à la Faculté de médecine de Lyon. ^Médecin des hôpitaux de Lyon.
CARRIÈRE, FRŒLICH, HAUSHALTER
Professeurs aux Facultés de Lille et de Nancy.
DALOUS, LEENHARDT
Professeurs agrégés aux Facultés de Toulouse et de Montpellier.
AUDEOUD, BOURDILLON DELCOURT
Privât docents de la Faculté de Genève. Agrégé à la Faculté de médecine de Bruxelles.
SECRÉTAIRE DE LA RÉDACTION
R. CRUCHET
Professeur agrégé à la Faculté de médecine de Bordeaux.
8 volumes in-8 de chacun 500 pag-es avec fig-ures.
I. Introduction à la Médecine des Enfants, par les D'^ Marfan, Andé-
BOLiAS, Cruchet. I vol. gf. in-8 de 480 pages, avec 100 figures 10 fr.
II. Maladies du tube digestif (482 pag;s, 89 figures 12 fr.
m. Maladies de l'appendice et du Péritoine, du Foie, des Reins, du Sang,
des Ganglions et de la Kate [bôb pages, ii8 figures) 12 fr.
IV. Maladies duCxur et des Vaisseaux, au Nez, du Larynx, des Bronches
et des Poumons ^^ f""-
V. Maladies du Système nerveux, des Os et des Articulations.
VI. Maladies de la Peau et Fièvres érnptives.
Vil. Chirurgie des Enfants 14 fr.
VIIl. Chirurgie osseuse et Ortho.éiie
CHAQUE FASCICULE SE VEND SÉPARÉMENT
Chaque fascicule se vind également cartonné av c un supplùnent de / fr. 5o par fasc.
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Traité de Stomatologie
Publié en fascicules
sous LA DIRECTION D IC
G. GAILLARD et R. NOGUÉ
Dentistes des Hôpitaux de Paris.
10 fascicules grand in-8 de 3oo à 5oo pages avec figures.
J. Anatomie de la Bouche el des Dents, par les D" Dieulafé
et Herpin (180 pa<<es, 49 fig-ures) G fr. »
2. Phijsiologie, Bactériologie, Malformations et Anomalies de
la Bouche et des Dents, Accidents de Dentition, par les
D" GuiBAUD, NoGuÉ, Besson, Dieulafé, Herpin, Baudet,
Fargin-Fayolle (3-2-2 pages, "217 figures) 10 fr. »
3. Maladies des Dents et Carie dentaire, par les D" Dieulafé,
Herpin et Nogué
i. Dentisterie opératoire, parles D"Guibaud, Fargin-Fayolle,
Mahé, Nespoulous, Nogué
5. Affections paradentaires, par les D*"* Fargin-Fayolle,
GuiBAUD, KoEMG, Gaumerais, E. Maurel, Lebedlnsky,
L. MoMER, Terson, PiETKiEwicz, Mahé(500 p. avec fig-.). 12 fr. »
6. Anesthésie, par le D' Nogué (2.50 pages)
7. Maladies de la Bouche, par le D"" L. Fournier
S. Maladies chirurgicales de la Bouche et des maxillaires, par
les U""' DiELLAiiJ, Herpin, Duval, Bréchot, Baudet
(420 pages, 240 ligures) 12 fr. »
9. Orthodontie, Radiologie, par les D''" Gaillard et Belot. .
10. Prothèse bucco-dentaire et faciale, par le D'' Gaillard. . .
TRAITÉ
de Pathologie exotique
CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE
Publié en fascicules
sous LA DIRECTION DE
Ch. GRALL ET CLARAC
Médecin inspecteur du service de santé 1 Directeur de l'Ecole d'.\pplication
des Troupes coloniales. I du service de santé des Troupes coloniales.
8 fascicules grand in-8 de 25o à 35o pages avec figures
1. Paludisme (565 pages, 140 figures) 12 fr. »
2. Parapaludisme et Fièvres des pags chauds (3iO p., 25 (ig. . 8 fr. »
3. Fièvre Jaune, Peste, Choléra
4. Maladies exotiques de l'Appareil digestif
5. Intoxications et Empoisonnements, Béribéri 12 fr. »
6. Maladies parasitaires exotiques
7. Maladies de la peau exotiques
S. Maladies chirurgicales aux colonies
CHAQUE FASCICULE SE VEND SÉPARÉMENT
Chaque fascicule se vend égaleinenl cartonné avec un supplément de 1 fr. 50 par fascicul».
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Atlas d'Anatomie Descriptive
Par le D"^ J. SOBOTTA
Professeur d'Anatomie à l'Université de Wurzbourg.
Édition française par le D"^ ABEL DESJARDINS
Aide d'Anatomie k la Faculté de Médecine de Paris.
3 Tol. de texte et 3 atlas grand in-8 colombier, avec 150 planches en couleurs et environ
1500 photogravures, la plupart tirées en couleurs, intercalées dans le texte.
Ensemble, 6 volumes cartonnés : 90 francs.
l. Ostéoloffie, Arthrologie, H/lyologie.
\ volume de texte et 1 atlas, cartonnés 30 fr.
H. Splanchnologle, Cœur.
1 volume de texte et 1 atlas, cartonnés 30 fr.
III. Nerfs, Vaisseaux, Organes des sens.
1 volume de texte et 1 atlas, cartonnés 30 fr.
Chacune des 3 parties peut être acquise séparément au prix de 30 fr. les deux volumes cartonnés.
Les plus récents traités d'anatomie ne répondent pas aux besoins de la très grande
majorité des étudiants, mais s'adressent seulement à quelques rares élèves, candidats aux
concours d'anatomie. Ceux-ci doivent savoir, dans tous ses détails, l'anatomie théorique,
alors que ceux-là n'ont besoin de savoir que les notions qui leur serviront dans la pra-
tique journalière de la médecine. Il ne faut pas oublier que l'anatomie n'est et ne doit
être qu'une branche accessoire de la médecine et qui, pour indispensable qu'elle soit
à connaître, ne doit pas accaparer, au détriment des autres branches de beaucoup plus
importantes, la plus grande partie des études médicales. L'anatomie normale ne doit
être qu'une introduction à l'anatomie pathologique, à la clinique et à la thérapeutique.
Un médecin qui ne s'attacherait qu'à l'étude de la première ferait un travail stérile,
puisque plus tard il ne se trouvera jamais en présence d'organes normaux, semblables
à ceux qu'il aura appris dans les livres, sa science ne trouvant son emploi que sur des
organismes malades.
Le livre de Sobotta, qui s'adresse aux apprentis médecins, est conçu dans cette idée;
— on n'y trouvei'a ni les multiples plans aponévrotiques, ni la fastidieuse bibhographie,
d'un polyglottisme si exagéré, chers aux anatomistes actuels, mais simplementles notions
essentielles à connaître pour examiner et soigner un malade. On a supprimé, de parti
pris, tout ce qui n'avait pas une réelle importance pratique, tandis qu'on a, par contre,
donné tous les détails que le médecin devra savoir et retenir. Un tel élagage facilitera
l'étude au débutant, qui sera moins égaré que dans les gros traités classiques, auxquels
d'ailleurs il pourra se reporter lorsqu'il désirera de plus amples détails sur un point spécial.
Ce livre se compose de deux parties distinctes : un atlas et un texte.
On trouvera dans l'Atlas, sur chaque organe, un nombre de figures suffisant pour
en comprendre tous les détails indispensables. Sur la page en regard du dessin, un
court résumé explique ce dessin et donne les notions fondamentales. C'est ce volume
que l'étudiant doit emporter au pavillon de dissection pour vérifier sa préparation en
regardant la figure, pour chercher dans le texte une explication qu'il trouvera toujours
rapidement, grâce, précisément, à la brièveté de ce texte.
Le volume de texte qui accompagne l'Atlas servira à l'étudiant pour repasser, chez
lui, avec un peu plus de détails, ce qu'il aura appris dans l'Atlas et sur le cadavre
pendant la dissection. Il acquerra ainsi graduellement et méthodiquement des notions de
f)lus en plus détaillées, si bien qu'une question lue d'abord dans l'Atlas, le cadavre et
es plancnes sous les yeux, relue dans le texte, sera plus nettement apprise et plus
facilement retenue.
Atlas d'Anatomie Topographique
Par le D'^ O. SCHULTZE
Professeur d'Anatomie k l'Université de Wurzbourg.
Édition française par le D' PAUL LECÈNE
Professeur agrégé à la Faculté de Médecine de Paris.
1 volume grand in-8 colombier de 180 pages, accompagné de 70 planches en couleurs
et de nombreuses figures intercalées dans le texte. Cart 24 fr.
VAtlas d'Anatomie topographique de Schultze se signale par le nombre et la qualité
de ses planches en couleurs hors texte et de ses figures intercalées dans le texte.
L'étudiant ou le médecin, désireux'de revoir rapidement une région, trouvera dans
cet Allas do nombiouses et bonnes figures reproduites avec soin. Cet atlas est très
portatil, ce qui n'est pas un mince avantage pour un livre que l'étudiant doit emporter
a, la salle de dissection, s'il veut que ses études sur le cadavre lui soient de quelque
profit.
Envoi francod'un spécimen du texte et des planches à toute personne qui en fera la demanda
Librairie J.-B. BAILLIÉRE et FILS, 19, rue Hautefeuille, Paris.
Atlas Manuels de Médecine coloriés
Atlas Manuel d'Anatomie pathologique, par les D" Bollinger et Googbt. 1902,
1 vol. in-16, avec i:î7 planches coloriées et 27 figures. Relié 20 fr.
Atlas Manuel deBactériologie, par les D'' Lehmann, Neumann et Griffon. 1906^
1 vol. in-10, avec 74 pi. comprenant plus de 600 flg. col. Relié 20 fr.
Atlas Manuel des Banda.ges, Pansements et Appareils, par les D" Hoffa et
P. Hallopeau. Préface de P. Bergkr. 1 vol. iu-IO avec 128 pi. Relié 14 fr.
Atlas Manuel des Maladies de la Bouche, du Pharynx et du Nez, par les
D""» GfiUNWALDet Laurens. 1 vol. iu-16, avec 42 pi. color. et 41 fig. Relié 14 fr.
Atlas Manuel des Maladies des Dents, par les D" Prbiswerk et Chompket. 1905,
1 vol. in-16 de 366 pages, avec 44 pi. col. et 163 fig. Relié 18 fr.
Atlas Manuel de Prothèse dentaire et buccale, par les D" Preiswerk et
Ghompret. 1907, 1 vol. in-16 de 450 pages, avec 21 planches comprenant 50 fig.
coloriées, et 362 fig. dans le texte dont 100 coloriées. Relié 18 fr,
Atlas Manuel de Chirurgie oculaire, par 0. Haab et A. Monthus, 1905, l vol.
in-16 de 270 pages, avec 30 planches col. et 166 figures. Relié 16 fr.
Atlas Manuel de Chirurgie opératoire, par les D'' 0. Zuckerkandl et
A. Mouchet. Préface du D'' Que.nu. Nouvelle édition. 1910, 1 vol. in-16 de 490 p., avec
404 fig. et 41 pi. col. Relié 20 fr.
Atlas Manuel de Chirurgie orthopédique, par Luning, Schulthess et Villemin.
1902, 1 vol. in-10 avec 10 pi. col. et 'i:M fig. Relié ' ^fr.
Atlas Manuel de Diagnostic clinique, par les Dr» G. Jakob et A. Létiknnb.
3« édition. 1 vol. in-lO de 396 pages, avec 68 pi. coloriées et 86 fig 15 fr.
Atlas Manuel des Maladies des Enfants, par Hecker, Tbumpp et Apert,
médecin des hôpitaux de Paris. 1906, 1 vol. in-16 de 423 pages, avec 48 planches
coloriécset 174 figures. Relié 20 fr.
Atlas Manuel des Fractures et Luxations, par les D" Helferich et P. Delbet.
2« édition. 1 vol. in-16 avec 68 pi. col. et 137 fig. Relié 20 fr.
Atlas Manuel de Gynécologie, par les D" Sch^effer et J, Bolglé, chirurgien des
hôpitaux de Paris. 1903, 1 vol. in-16, avec 90 pi. col. et 76 fig. Relié 20 fr.
Atlas Manuel de Technique gynécologique, par les D" Sch^effer, P. Segond
et 0. Lenoir. 1905, 1 vol. in-18, avec 42 planches col. Relié 15 fr.
Atlas Manuel d'Histologie pathologique, par les D" Durck et Gouget, prof.
agr. à la Fac. de Paris. 1902, 1 vol. in-16, avec 120 pi. col. Relié 20 fr.
Atlas Manuel d'Histologie et d'Anatomie microscopique, par les D" J.
SoBOTTA et P. MuLON. 1903, 1 vol. in-16, avec 80 pi. col. Relié 20 fr.
Atlas Manuel des Maladies du Larynx, par les D""" L. Grunwald et Castei,
2« édition. 1 vol. in-16, avec 44 pi. col. Relié 14 fr.
Atlas Manuel des Maladies externes de l'Œil, par les D" 0. Haab et A.
Tbrson. 1905, 1 vol. in-16 de 316 pages, avec 40 planches col. Relié 16 fr*.
Atlas Manuel des Maladies de l'Oreille, par les D" Bruhl, Politzer et
G. Laurens. 1 vol. in-16 de 395 p., avec 39 pi. col. et 88 fig. Relié 18 fr.
Atlas Manuel des Maladies de la Peau, par les D" Mracek et L. Hudelo. 2« édi-
tion. 1905, 1 vol. in-16, avec 1 15 planches, dont 78 coloriées. Relié 24 fr.
Atlas Manuel de Médecine et de Chirurgie des Accidents, par les
D" Golebiewski et P. Riche, chirurgien des hôpitaux de Paris. 1 vol. in-16 avec
14b planches noires et 40 planches coloriées. Relié 20 fr.
Atlas Manuel de Médecine légale, par les D" Hofmann et Ch. Vibkrt. Préface
par le prof' Brouardel. 2« édition. 1 vol. in-16, avec5G pi. col. Rel 18 fr.
Atlas Manuel d'Obstétrique, par les D" Schiffer et Potocki. Préface de M. le
professeur Pinard. 1 vo'. in-16, avec 55 pi. col. et 18 fig. Relié 20 fr.
Atlas Manuel d'Ophtalmoscopie, par les D" 0. Haab et A. Tkrson. 3* édition.
1 vol. in-16 de 276 p., avec 88 planches coloriées. Relié .- . . 15 fr.
Atlas Manuel de Psychiatrie, par les D" Weygandt et J. Roubinovitch, médecin
de la Salpêtrière. 1 v. in-16 de 643 p., avec 24 pi. col. et 264 fig. Relié 24 fr.
Atlas Manuel du Système nerveux, par les D" G. Jakob, Rémond et Clavelier,
2« édition. 1 vol. 1-16, avec 84 pi. coloriées et fig. Relié 20 fr-
Atlas Manuel des Maladies nerveuses, par les D" Seiffer et G. Gasnb.
médecin dos hôpitaux de Paris. 1904, 1 vol. in-16 de 352 pages, avec 26 planches colo-
riées et 264 figures Relié 18 fr.
Atlas Manuel des Maladies vénériennes, par les D" Mracek et Embrt.
2« édition. 1904, 1 vol. in-16, avec 71 pi. coloriées et 12 pi. noires. Relié 20 fr.
Atlas Manuel de Chirurgie générale, par les D" Marwedel et Ghetassu. 1908,
1 vol. in-16 de 420 p., avec 171 fig. et 28 pi. coloriées. Relié 16 fr,
Atlas Manuel de Chirurgie des Régions, par le professeur G. Sultan et G.
Kuss. 1909-1911, 2 vol. in-16 de 500 p., avec 250 fig. et 40 pi. col. Rehé. Chaque
volume , , 20 fr.
LIBRAIRIE J.-B. BAILLIERE et FILS, 19, me Hautefeuille, à Paris
Bibliothèque du Doctorat en Médecine
PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE
A. GILBERT & L. FOURNIER
Professeur à la Faculté de médecine de Paris Médecin dts hôpitaux de Paris.
Membre d« l'Académie de Médecine.
1908-19H. — 30 volumes in-8, d'environ 500 pages, illustrés de nombreuses figures.
Chaque volume cartonné : 10 à 16 fr.
Premier examen.
ANATOmiE — DISSECTION — HISTOLOGIE
Âttatomle, 3 vol Grégoire . . . Prof, agrégé à la Fac. de méd. de Paris.
Histologie. • Branca Prof, agrégé à la Fac. de méd. de Paris.. 15 fr.
Deuxième examen.
PHYSIOLOGIE — PHYSIQUE ET CHIMIE BIOLOGIQUES
Physique médicale Broca(A.). Prof, agrégé à la Fac. de méd. de Paris. 12 fr.
Chimie biologique Desgrez Prof, agrégé à la Fac. de méd. de Paris,
Physiologie
Troisième examen.
I. MÉDECINE OPÉRATOIRE ET ANATOMIE TOPOGRAPHIQUE
PATHOLOGIE EXTERNE ET OBSTÉTRIQUE
Ânatomie topographique Soulié Prof, adjoint à la Fac. de méd. de Toulouse. 16 fr.
I Faure, Ombrédanne } r, e ^^-ic j •jjr."\
Pathologie externe\ Chevassu, Schwartz \ ^^°^- agrégés a la Fac. de med. de Paris.J Chaq.e
4 vol ) Alglave Chirurgien des hôpitaux de Paris. i volume
l Cauchoix, Mathieu Chefs de clin, à la Fac. de méd. de Paris. ) '•0 '''•
Médecine opératoire. Lecéne Prof, agrégé à la Fac. de méd. de Paris, ig fr.
Oùstetrique .T Fabre Prof, à la Fac. de méd. de Lyon. |g jp"
II. PATHOLOGIE GÉNÉRALE — PARASITOLOGIE, MICROBIOLOGIE
PATHOLOGIE INTERNE— ANATOMIE PATHOLOGIQUE
Pathologie générale Icao^ s(J) \ ^^^^' ^g'^'^gésàlaFac. de méd. de Paris. \2 fr.
Parasitotogie Guiart Prof, à la Faculté de médecine de Lyon. \2 fr.
microbiologie Dopter, Sacquépée. Prof, agrégés au Val-de-Gràce
S Gilbert, Widal Professeur à la Faculté de méd. de Paris.,
Castaigne, Claude ) p j- agrégés à la Fac. de méd. de Paris, j chaaw
Lœper. Rathery ) ^ * ^ i.naque
Garnier, Jomier, Josué.... / „.. » • . j i & . r. • ( ''°'"'"*
uaiiiici, juujioi, «uouc... t Médccius ct anc. int. des hôp. de Paris.\ |o fr
X ol1SS6cLl.l> i\li316FFG ) 1 *
Dopter Prof, agrégé au Val-de-Gràce. /
Ânatomie pathologique Achard et Lœper. Prof, agrégé et à la Fac. de méd. de Paris. |2 fr.
Quatrième examen.
THÉRAPEUTIQUE— HYGIÈNE — MÉDECINE LÉGALE — MATIÈRE MÉDICALE
PHARMACOLOGIE
Thérapeutique. Vaqnez Prof, agrégé à la Fac. de méd. de Paris. |0 fr.
Hygiène Macaigne. . . Prof, agrégé à la Fac. de méd. de Paris. io Ir.
médecine légale. Balthazard.. Prof, agrégea la Fac. de méd. de Paris.. 12 fr.
Matière médicale et Pharmacologie
Cinquième examen.
I. CLINIQUE EXTERNE ET OBSTÉTRICALE — II. CLINIQUE INTERNE
Oarmatologie et Syphitlgraphie — Jeanselme. . Prof, agrégé à la Fac. de méd. de Paris.
Ophtalmologie Terrien.. .. Prof, agrégé à la Fac. de méd. de Paris. 12 fr,
Laryngologie, Otologie, Rhlnologle. Sébileau. . . . Prof, agrégé à la Fac. de méd. de Paris.
Psychiatrie \ Dupré Prof, agrégé à la Fac. de méd. de Paris.
( Camus (F.) . Médecm des asiles d'aliénés.
Maladies des Enfants Apert Médecin des hôpitaux de Paris lofr.
Les volumes parus sont soulignés d'un trait noir.
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Bibliothèque de Thérapeutique
PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE
A. GILBERT & P. CARNOT
Professeur de clinique médicale Professeur agrégé de Ihérapeutique
à la Kacuilé de médecine de Pans. à la Faculté de médecine de Paris.
30 volumes in-8, d'environ 500 pages, illustrés de nombreuses figures.
/'« Série. — LES AGENTS THÉRAPEUTIQUES.
L'Art de Formuler, par le professeur Gilbert. 1 vol
Technique thérapeutique médicale, par le D>" Milian. i vol.
Technique thérapeutique chirurgicale, par les D''^ Pauchet et Ducuoquet. 1 vol.. . 15 f'r.
Physiothérapie : .< '
Èlech'olhérapie, par le D"" Nogier. 1 vol 10 fr.
Hadiul/ierapie, Radiumthérapie, Photothérapie, par les D"Oudin et Zimmern.1 vol.
liinésitliPt gn'ie : Massage. Gipnnaslirine, par les D" P. Garnot, Dagron, Ducroqvet,
INageuite, L.AU'rnu, iJouiicART, 1 vol 12 fr.
Alécanoihérapie, Ihjd) olkéropie, par les D""* Fhaikin, de Gaudenal, Constensoux,
TissiÉ, Delagenière, Fariset. 1 vol ' 8 fr.
Crénothérapie (Eaux minérales). Thalassothérapie. Climatothérapie. par les
professeurs Landouzv, Gautier, Mouheu, Ue Lau.n.^v , lus U" Heitz, LiAMArql'e,
Lalesoue, p. Gaunot. 1 vol 14 fr.
Médicaments chimiques et végétaux, parle P"" Pic, les D" Bonnamour el Imbert. 2 vol.
Opothérapie, par le D"^ P. Garnot. 1 vol 12 fr.
Médicaments microbiens (Bactério thérapie. Vaccinations, Sérothérapie), par
Metchnikoff, Sacquépée, Remlinger, Louis Martin, Vaillabd, Dopter, Besredka,
Salimbeni, Wassermann, Dujardin-Beaumetz, Galmette, 1 vol 8 fr.
Régimes alimentaires, par le D"" Marcel Labbé. 1 vol 12 fr.
Psychothérapie, par le professeur Dejerine et le D^ André Thomas. 1 vol.
2'= Série. - LES f/IÊDICATIONS.
Médications générales, par les D^' Bouchard, H. Roger, Sabouraud, Sabrazès,
Bergonié, Langlois, Pinard, Apert, Maurel, Rauzier, P. Garnot, P. Marie et
Glunet, Lépine, Pouchet, Balthazard, a. Robin et Goyon, Ghauffard, Widal et
Lemierre. 1 vol 14 fr.
Médications symptomatiques [Mal. nerv., circulai., génitales et cutanées), par
J. Lépine, Sicard, Guillain, M. de Fleury, Mayor, Jacquet et Ferrand. 1 vol.
Médications symptomatiques (Mal. digest. Iiépat., rénales, respiratoires), par
Gilbert, Gast.ugne, Ménétrier. 1 vol.
5« Série. - LES TRAITEMENTS.
Thérapeutique des Maladies infectieuses, par les D" Nobécourt, Noc, Marcel
Garnier. 1 vol.
Thérapeutique des Maladies de la Nutrition et Intoxications, par les
D" Lereboullet, Loeper. 1 vol.
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L' Ultra-microscope, par le D"- P. Gastoc 1910, 1 vol. in-16
Hygiène du visage, par le D' P. Gastou. 1910, 1 vol. in-16
Les Courants de haute fréquence, par le D'^Zimmern. 1910, 1 vol. in-16 .
Les Opsonines, par le D^ R. Gaultier. 19. .9, 1 vol. in-16
L'Artériosclérose, par le D^ Gouget. 2« édilion, 1911. 1 vol. in-16...
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Mouches et Choléra, par Chantemesse et Borel. 1 vol. in-16
La Déchloruration, parle P' F. Widal et Javal. 1 vol. in-16
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Traitement de la Syphilis, par le Dr Emery. 1 vol. in-16
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apparition un succès sans précédent, auprès des étudiants et des praticiens. Ce formulaire a
Lour but de donner au médecin un schéma des cas particuliers qu'il peut êt'-e appelé à soigner,
es formules sont simples et bien choisies. L'auteur a adopté l'ordre alphabétique des mala-
dies, qui permet facilement de s'orienter dans un cas donné sans perdre du temps en recherches.
La th«rapeulique de chaque maladie embrasse les diverses phases qui demandent un traite-
ment spécial, les diverses formes, les complications, les symptômes dominants. Un des graves
défauts des formulaires de ce genre était l'absence de toute indication dé thérapeutique chirur-
gicale ; c'est là une lacune que comble ce formulaire. M. Herzen a donné la préférence aui
moyens recommandés par les médecins des hôpilaux de Paris, tout en faisant une large place
aux traitements que prescrivent les cliniciens étrangers les plus renommés.
H a paru bien des formulaires depuis quelques années. Il n en existe pas d'aussi pratique que
celui du D"' Herzen, où il soit tenu compte dans une aussi large mesure des indications si
variées qui peuvent se présenter dans le cours d'une même maladie.
M. Herzen a tenu à remanier la sixième édition de ce livre, à le compléter et à le déve-
lopper, tout en s'efforçant de lui garder l'esprit et les qualités qui ont fait le succès des deux
premières éditions : concision, clarté, ulililé pratique. Tous les chapitres ont été repris et refondus;
quelques-uns ont été complètement transformés. Plusieurs sont entièrement nouveaux.
M. Herzen a dû tenir grand compte de la rénovation gui s'accomplit de nos jours dans les
méthodes thérapeutiques (thérapeutique pathogénique, thérapeutique compensatrice, thérapeu-
tique préventive, balnéothérapie, sérumtliérapie, opothérapie) et même suivre le mouvement
qui enlraine actuellement la médecine vers la chirurgie, dans le traitement de nombreuses
alTeclions considérées jusqu'à ces dernières années comme de son ressort exclusif.
Il a dû, en outre, citer dans cette édition les nombreux médicaments nouveaux introduits en
thérapeulique pendant le cours de ces d rnières années.
Celle édition a été enrichie d'un grand nombre de formules nouvelles.
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Un form.ulaire est en effet, étymologiquement et par délinition, un recueil déformâtes : c'est-à-
dire que, dans le formulaire classique, sur chaque substance, l'article débute par une ligne de
caractéristique physique ou chimique; puis viennent trois lignes sur la posologie aux divers
âges et sur les incompatibilités chimiques, et ensuite s'alignent les formules, empruntées à l'un
ou à l'autre, avec le nom des maladies auxquelles on peut les appliquer.
U y a bien tout cela dans le formulaire du D' Odilon Martin. Mais il y a aussi autre chose :
il y a sur chaque médicament un chapitre résumé de thérapeutique.
La formule n'est utile que si le médecin en connaît bien les indications et les contre-indica-
tions ; le livre ne doit pas seulement lui enseigner les maladies dans lesquelles il faut la pres-
crire, mais les malades auxquels «lie sera utile ou nuisible.
C'est pour cela que le D' Odilon Martin ne se borne pas à une sèche énumération en deux
colonnes, contenant : l'une, les formules, et l'autre, les maladies. Il expose d'abord la pharma-
cologie du médicament, puis ses actions pharmacologiques, son histoire à travers l'économie
{absorption, transformations, élimination) ; les premiers signes de l'intolérance (toxicité); de là, il
déduit les applications thérapeutiques {indicalions et contre- indications): expose les modes d'admi-
nistration ei les doses, les incompatibilités (en précisant les conditions particulières dans les-
quelles certains médicaments sont incompatibles), et enfin les diverses formules avec leurs
indications particulières et respectives.
Avec un livre comme celui-là, le praticien saura formuler non seulement dans une maladie
donnée, mais chez un sujet donné, en tenant compte de son tempérament, de ses antécédents
héréditaires et personnels, physiologiques ou pathologiques, de la période de la maladie, de sa
forme, de ses complications. En nn mot, tout médecin capable défaire d'abord un diagnostic
vrai,, précis et complet, pourra faire une bonne thérapeutique, rationnelle et appropriée.
Dr Grasset, professeur à la Faculté de médecine de Montpellier.
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par la nécessité, quand on lit ou qu'on écrit, d'avoir, pour la recherche d'une étymologie ou d'une
définition, un guide sur et méthodique.
Ce Diclionnaire, — dont l'étendue s'explique par sa compréhension même, puisqu'il embrasse
à la tois les termes de médecine, de chirurgie, de pharmacie, des sciences qui s'y rapportent, —
présente dans des articles courts, mais substantiels, un résumé synthétique des connaissances
actuelles sur les sujets qu'il embrasse.
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de LiTTRÉ, le grand philosophe, le savant universel, et qui a été entièrement refondu par le
professeur Gilbert.
Cent soixante-quinze mille exemplaires vendus de ce Diclionnaire de médecine sont le
témoignage le plus éclatant de sa haute valeur et de sa grande utilité, pour les savants, pour les
étudiants, pour les gens du monde, pour tous ceux qui veulent se tenir au courant des progrès
des sciences contemporaines.
C'est une œuvre rédigée avec une précision et une netteté admirables, illustrée de figures
d'une excellente exécution qui sont semées dans le texte avec profusion.
Il y a cent ans exactement que parut la première édition du Diclionnaire de la médecine
de Nysten, devenu par la suite Diclionnaire de médecine de Littré.
Voici que, nouveau phénix, il renaît de ses cendres. Un grand travailleur, doublé d'un
éminent praticien, le professeur Gilbert, vient de remanier l'antique dictionnaire de fond eu
comble, avec la collaboration du D' Marcel Garnier, médecin des hôpitaux de Paris. Ils en ont
fait une œuvre nouvelle et considérable (2000 pages et 1000 ligures) bien à jour et qui, par suite,
sera d'une extrême utilité non seulement pour les étudiants, voire même les médecins, mais aussi,
pour le public lettré. Les uns pourront y apprendre beaucoup de choses et être sûrs que les
descriptions sont exactes et au courant de la science. Les autres y retrouveront souvent le
détail oublié, le point particulier qu'on sait au moment et dont on ne se souvient plus après
quelques semaines. De nombreuses figures nouvelles illustrent et éclairent le texte.
Le Diclionnaire de médecine Ae Littré est un véritable monument historique. Et il a cela de
particulier qu'il peut indéfiniment se rajeunir, lorsque des maîtres comme le professeur Gilbert
en donnent de nouvelles éditions. Celle-ci formera une bonne encyclopédie de choses médicales.
le Larousse de l'art médical, bien illustré, sévèrement revisé. Au reste, le nom du professeur Gilbert
n'esl-il pas la meilleure garantie de sa valeur?
Il est bien difficile d analyser un pareil ouvrage. En le feuilletant page par page, en s'arrêtant
aux articles que l'on connaît le mieux et qui nous intéressent particulièrement, on se rend
compte facilement que pour chaque mot tout est dit, résumé en quelques phrases concises et
précises, au courant des dernières découvertes de la science.
Aussi ce dictionnaire rendra-t-il service à tous, même aux plus documentés
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2 vol. in-8. Chaque volume 3 fr. 50
Tableaux synoptiques de Physiologie, par Blaincourt, 1904, 1 vol. in-8 de
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aussi limité de pages cl pour un prix aussi modique, et cela sans nuire à la clarté lumineuse
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Bomme des connaissances nécessaires et suffisantes à tout étudiant pour lui permettre de
passer ses examens avec succès. On a surtout cherchée donner beaucoup sous une forme
concise, frappant l'œil et l'esprit.
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La Pratique Gynécologique dans les Hôpitaux de
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Paris. 1896, 1 vol. in-18 de 288 p., carf. 3fr.
La Pratique Dermatologique et Syphiligraphique
dans les Hôpitaux de Paris. 2= édition. 1902.
1 vol. in-lS de 288 p., cartonné 3 fr.
La Pratique des Maladies des Enfants dans les
Hôpitaux de Paris. 2« édition, 1898, 1 vol.
in-18 de 302 p., cartonné 3 fr.
La Pratique des Maladies du Système neroeux
dans les Hôpitaux de Paris. 1894, 1 vol.
in-18 de 285 p.. cartonné 3 fr.
La Pratique des Maladies de l'Estomac et de
l'Appareil digestif dans les Hôpitaux de Paris.
1894, 1 vol. in-18 de 288 p., cart 3 Ir.
La Pratique des Maladies des Poumons et de
l'Appareil respiratoire dans les Hôpitaux de
Paris. 1894, 1 volume in-18 de 283 pages,
cartonné 3 fr.
La Pratique des Maladies du Cœur et de l'Appa-
reil circulatoire dans les Hôpitaux de Paris.
1895, 1 vol. m-18 de 281 p., cart.... 3 fr.
La Pratique des Maladies des Voies urinalres
dans les Hôpitaux de Paris, 1895. 1 vol.
in-18 de 288 p., cartonné 3 fr.
La Pratique des Maladies des Yeux dans les
Hôpitaux de Paris. 1895, 1 vol. in-18 de
324 p., cartonné 3 fr.
La Pratique des Maladies du Larynx, du Nez et
des Oreilles dans les Hôpitaux de Paris, 1896,
1 vol. in-18 de 288 p., cartonné 3 fr.
La Pratique des Maladies de la Bouche et des
Dents dans /es Hôpitaux de Paris. 1896, 1 vol.
in-18 de 288 p., cartonné 3 fr.
Aide-Mémoire de Médecine hospitalière. — Ana-
tomie. — Pathologie. — Petite chirurgie,
1895, 1 vol. in-18, 288 p., cartonné. 3 fr.
lO Volumes
MA/VUEL DU MEDECIN PRATICIEN lo volumes
iide-mémoire de Gynécologie. 1900, 1 vol. in-18
de 276 p., cartonné 3 fr.
iide-mémoire de Dermatologie et de Syphili-
graphie. 1899. 1 vol. in-18 de 288 pages,
cartonné 3 fr .
iide-mémolre de Neurologie. 1900, 1 vol. in-18
de 274 p. et 26 figures, cartonné. . . 3 fr.
4ide-mémoire des Maladies de l'Estomac. 1900,
1 vol, in-18 de 304 p. et 19 fîg., cart. 5 fr.
Ude-mémolre des Maladies de l'Intestin et du
Péritoine. 1901, 1 vol. in-18 de 285 pages,
cartonné 3 fr.
Aide-mémoire des Maladies des Poumons, 1902.
1 vol. in-18 de 300 p., cart 3 fr.
Aide-mémoire des Maladies du Cœur. 1901,
1 vol . in-18 de 285 p., avec fîg., cart. 3 fr.
Aide-mémoire de Médecine infantile. 1901, 1 vol.
in-18 de 139 p., avec fig.. cart 3 fr.
Aide-Mémoire de Chirurgie infantile. 1902,
1 vol. in-18 de 300 p., avec fîg., cart. 3 fr.
Lexique-formulaire des Nouoeautés médicales.
Nouvelles maladies, nouveaux syndromes,
nouveaux remèdes, nouvelles opérations.
1898. 1 vol. in-18 de 336 p., cart. ... 3 fr.
ENVOI FRANCO CONTRE UN MANDAT POSTAL
Librairie J.-B. BAILLIÉRE et FILS, 19, rue Hautefeuille, à Paris.
PARIS MÉDICAL
LA SEMAINE DU PRATICIEN
PUBLIÉ SOUS LA DIRECTION DU
Professeur A. GILBERT
PROFESSEUR DE CLINIQUE A LA FACULTÉ DE MÉDECINE DE PARIS,
MÉDECIN DE L'HOTEL-DIEU, MEMBRE DE L'aCADÉMIE DE MÉDECINE
COMITÉ DE RÉDACTION
Jean CAMUS
Professeur agrégé à la
Faculté de médecine de Paris.
P. LEREBOULLET
Médecin
des Hôpitaux de Paris.
MOUCHET
Chirurgien des Hôpitaux
de Paris.
Paul CARNOT
Professeur agrégé à la
Faculté de médecine de Paris.
G. LINOSSIER
Professeur agrégé à la Faculté
de médecine de Lyon.
A. SCHWARTZ
Professeur agrégé à la Faculté
de médecine de Paris.
Secrétaire G^ de la Rédaction :
Paul CORNET
Médecin en chef
de la Préfecture de la Seine.
DOPTER
Professeur agrégé au
Val-de-Grâce.
MILIAN
Médecin des
Hôpitaux de Paris.
ALBERT-WEIL
Chef de Laboratoire
à l'Hôpital Trousseau.
PARIS MÉDICAL paraît tous les Samedis.
Les abonnements partent du i" de chaque mois.
Prix de l'abonnement (/«r Décembre au 3o Novembre) :
France, 12 fr. — Etranger, 15 fr.
Adresser le montant des abonnements à la Librairie J.-B. BAILLlÈRE
et FILS, 19, rue Hautefeuille, à Paris.
Le premier numéro de chaque mois, consacré à une branche de la médecine,
contient 52 à 68 pages.
Tous les autres numéros ont 36 à 52 pages.
Le troisième numéro de chaque mois contient une Revue générale
sur une question d'actualité.
Ordre de publication des numéros spéciaux (68 pages)
Maladies des voies respira-
toires. — Tuberculose.
Physiothérapie ; physiodia-
gnostic.
Dermatologie; — syphilis; ma-
ladies vénériennes.
Gynécologie; — obstétrique;
— voies urinaires.
Mai Maladies de la nutrition, —
eaux minérales, climatothé-
rapie; — diététique.
Janvier
Février
Mars...
Avril...
Juillet Maladies du cœur, du sang,
des vaisseaux.
Août • . Bactériologie ; — hygiène ;
— maladies infectieuses.
Maladies des oreilles du
nez, du larynx; des yeux;
des dents.
Maladies nerveuses et men-
tales ; médecine légale.
Thérapeutique.
Médecine et Chirurgie
infantiles.
Septembre .
Octobre . . .
Novembre.
Décembre.
Juin Maladies de l'appareil digestif
Les abonnés d'une année sont remboursés par des primes représentant
six fois le prix de l'abonnement.
ENVOI FRANCO d'uN NUMÉRO SPÉCIMEN SUR DEMANDE
14027-11. ■- COKBEIL. Impr.merie CRETB.